Les couleurs de nos souvenirs
Michel Pastoureau
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Voici au format poche et sans aucune illustration ni couleur, sauf celles de la couverture, un livre qui nous parle des couleurs... et à vrai dire, cela ne pose aucun problème. Nous savons bien ce que rouge, bleu ou jaune veut dire et pour les nuances, eh bien, justement, on en parle.
« l’absence d’images en couleur gêne-t-elle le lecteur ? Je ne le crois pas.Je pense au contraire que les couleurs sont d’abord des concepts, des idées, des catégories intellectuelles. Ensuite, ce sont des mots, c’est à dire des étiquettes capricieuses qui varient dans le temps et dans l’espace et qui souvent prennent leurs distances avec la réalité. Pour parler des couleurs, nous sommes prisonniers de ces mots. Enfin - mais enfin seulement – les couleurs sont des matières, des lumières, des perceptions, des sensations. »
Vous allez en apprendre beaucoup sur les couleurs et sur leur histoire, et plus encore sur Michel Pastoureau, car peut-être que, comme moi, vous avez été trompés par le titre. "Les couleurs de nos souvenirs" avez-vous lu et vous avez eu quelques réminiscences et vous avez pensé que l'on allait vous dire comment les couleurs entrent, restent, se déforment ou non dans nos souvenirs. Et c'est vrai qu'on va vous dire tout ça, mais pas dans VOS souvenirs, dans ceux de Michel Pastoureau. Le "nous" du titre était un "nous" de majesté. Lisez plutôt "Les couleurs de mes souvenirs". L'auteur explore son passé sous l'angle des couleurs qui très jeune, l'ont fasciné et préoccupé,
« C’est vers cet âge-là, celui de mes 13 ans, que je pris réellement conscience de mon hypersensibilité chromatique .»
Aussi les anecdotes lui viennent-elles facilement et nombreuses, et si on ne peut pas ne pas voir le plaisir qu'il prend à parler de lui, on reste quand même intéressé par le nombre des histoires et leur renouvellement perpétuel. A nous ensuite de nous débrouiller pour faire le parallèle avec les nôtres, de souvenirs. Nous y apprenons quelle couleur il déteste (le violet) et quelle est sa couleur préférée, (le vert) alors que pour ma part je me demande encore comment on peut avoir des couleurs préférées ou détestées, je les aime toutes. Mais bon, d'accord, c'est noté. Vert qu'il tient à considérer comme une couleur de premier plan au même titre que le rouge, le bleu ou le jaune. Il ne dit pas ici très clairement s'il nie les notions de couleurs primaires et secondaires, mais en tout cas, cela ne détermine pas pour lui la place d'une couleur. Pour M. Pastoureau, il y a "six couleurs de base (blanc, rouge, noir, vert, jaune, bleu) et cinq couleurs du second rang (violet, orangé, rose, gris, brun) - le reste n'étant formé que de nuances et de nuances de nuances-, on obtient un total de onze couleurs". (p.213).
C'est vrai que ça étonne au début. Tous ceux qui s'intéressent aux couleurs avaient bien remarqué que le vert, répertorié couleur secondaire, avait quand même bien une place particulière. Ce n'est pas une complémentaire comme les autres. On ne peut pas le nier. De son côté, le placement du noir et du blanc au rang de couleurs, lui, ne m'a pas étonnée du tout parce qu'en fait, même si tout le monde aime bien répéter comme des perroquets que "le noir et le blanc ne sont pas des couleurs", la vérité c'est que je n'ai jamais vraiment compris ce qu'ils voulaient dire. par là. Qu’ils ne sont pas dans le prisme de Newton ? Est-ce que cela veut dire ne pas être une couleur ? Que désignait-on par le mot couleur avant la découverte d’Isaac ? Ou alors, on joue sur le mot « couleur », non ? Ainsi mon dictionnaire ne me dit-il pas que c’est une couleur, mais que c’est une « teinte ».
C'est pour ce genre de considérations, plus toutes les anecdotes vivantes, l’Histoire avec un grand H, les sources montrées, les piques contre les adversaires (les sociologues!) et ce mélange d'arguments fondés et de subjectivité que l'ouvrage captive son lecteur qui va le dévorer d'un bout à l'autre sans le moindre ennui. On s'y cherche, on s'y trouve, on s'y reconnaît, ou non, on admet, on conteste, bref, on entre complètement dans ce livre peut-être à cause de son défaut même qui est d'être trop personnel, eh bien nous aussi, on y entre personnellement et on compare avec NOS souvenirs. Pour conclure, c’est un bon ouvrage de vulgarisation, particulièrement abordable sans être simpliste , très plaisant à lire et je lirai d’autres ouvrages de l’auteur.
On notera en clin d’œil que le dernier chapitre s’intitule « Qu’est-ce que la couleur ? » Il était temps de se poser la question, en effet ! Ah mais non, on ne fait qu’y répondre depuis le début.