L'heure des prédateurs
de Giuliano da Empoli
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Ma lecture de ce livre est partie sur un malentendu. Quand je l’ai pris, c’était parce que je m’attendais à un roman, dans le style du "Mage du Kremlin" que j’avais bien aimé et qui avait été un franc succès commercial. J’ai tout de suite compris le malentendu mais au bout du compte, je ne regrette pas ma lecture qui a été très instructive.
J'ai été accueillie par un court prologue où l'auteur fait un parallèle entre lui-même et un scribe aztèque rendant compte de ce qui s'est passé à partir du moment où les autochtones ont rencontré les Espagnols. De là à comprendre qu'il nous voit dans le rôle de la civilisation finissante, il n'y a qu'un pas… qui est immédiatement franchi et l’auteur, politicien toujours dans les coulisses de tel ou tel évènement important, nous en livre des scènes parlantes.
« Comme dans le cas de Moctezuma, leur docilité n’a pas suffi à assurer la survie de nos gouvernants : après avoir fait mine de respecter leur autorité, les conquistadors ont progressivement imposé leur empire. Aujourd’hui, l’heure des prédateurs a sonné et partout les choses évoluent d’une telle façon que tout ce qui doit être réglé le sera par le feu et par l’épée. »
Introduit partout, Giuliano da Empoli est extrêmement bien placé et il n’ignore rien de ce qui se passe d’un peu important. Mieux, il est dans les coulisses et voit comment cela se passe. Il nous livre ensuite une série de courts textes datés et situés qui nous en disent beaucoup sur l’état réel des choses en dehors des discours convenus et déclarations officielles. C’est tout à fait éclairant. Je m’en doutais mais ne suis pas particulièrement satisfaite de me le voir confirmer.
« Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants. » … « Donald Trump, puisqu’on parle de lui est une forme de vie extraordinairement adaptée au temps présent. L’un de ses traits, dont ses conseillers, en hommage à une époque désormais révolue, se plaignent encore à voix basse, alors qu’ils devraient s’en gargariser haut et fort, est qu’il ne lit jamais. (…) Ni une page, ni une demi-page, ni une seule ligne. Il ne fonctionne qu’à l’oral. Ce qui représente un défi considérable pour quiconque souhaite lui transmettre la moindre connaissance structurée »
Je dois dire que ces courts articles se "dévorent" littéralement. Ce sont des scènes très vivantes, précises, au cœur de l’action et cela a beau être très documenté, ça n’est jamais assez long pour lasser. On reproche à l'auteur son pessimisme, d'autres appellent ça sa lucidité. Je suis dans le deuxième camp, même s'il a peut-être un peu sous-estimé notre sens de l'humour. On ne sait jamais. Et je ne pense pas que sa vision de l’IA qu’il évoque vers la fin de l’ouvrage soit très juste. Elle s’appuie d’ailleurs sur l’analyse de Kissinger qui était à mon sens trop un homme du passé pour bien sen saisir les enjeux. (juste mon avis)
Conclusion : Si vous voulez des infos sur la réalité, lisez-le. Si vous n’aimez pas les mauvaises nouvelles, passez votre chemin.
