L'Île du docteur Moreau
de H.G. Wells
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L'intégralité du récit nous est fait par Edward Prendick, depuis son naufrage dont il est le seul survivant, jusqu'à sa mort. Rescapé donc de ce naufrage, Pendrick dérive sur un canot et est presque mort lorsqu'un navire le recueille. Ce navire transporte une cargaison d'animaux sauvages qu'un médecin alcoolique, le Dr Montgomery, emmène sur une île où son employeur les attend. Le médecin soigne le naufragé et parvient à le sauver mais lorsqu'il peut enfin quitter sa cabine et rencontrer l'équipage, c'est pour découvrir qu'il s'agit d'un ignoble ramassis de crapules, capitaine inclus. Quand médecin et chargement quittent le navire, le capitaine décide qu'il ne veut plus de ce naufragé et le remet à la mer sur son canot. Montgomery, dont ce n'était pas l'intention première, n'a d'autre choix que de le prendre avec lui. Une fois sur l'île, Pendrick fait la connaissance du «patron», le Dr Moreau, homme fermé et mutique qui semble consacrer sa vie à des expériences "scientifiques" sur les animaux. On parle ici de vivisection à outrance et sans la moindre anesthésie. Mais nous sommes encore au 19ème siècle et nul ne songe se préoccuper le moins du monde de la souffrance animale. Même notre héros, «Je ne suis pas tellement vétilleux sur la souffrance» déclare-t-il sans rougir (il ne parle pas de la sienne, bien sûr). Néanmoins, les hurlements de douleur incessants finissent par lui limer les nerfs, et l'amènent à quitter sa chambre pour aller se promener dans l'île où il découvrira une faune inattendue de monstres, mi hommes- mi-bêtes. C'est à ces fabrications-là que joue le Dr Moreau et le monstre est clairement de l'autre côté du scalpel. "L'Île du docteur Moreau" est plutôt un roman de suspens et d'horreur, un thriller avant l'heure en quelque sorte, Il n'y a ni martiens, ni déplacement dans le temps, ni invisibilité. En fait, il n'y a rien d'impossible, mais le "possible" qui est développé ici amène le lecteur à réfléchir autant qu'à trembler.
Il faut savoir que H.G. Wells a été journaliste vulgarisateur scientifique à ses débuts et ce roman a été écrit et publié à l'époque où les questions de la vivisection et de l’expérimentation animale commençaient à faire polémique. Certains contestaient leur utilité mais je ne sais pas s'il y avait déjà prise en compte des souffrances inutiles et défense des animaux auxquels on était loin de supposer des droits. Les mutilations et vivisections sans la moindre anesthésie étaient très nombreuses, inutiles et pratiquées sans la moindre retenue. L'homme était tellement sûr d'être la seule chose intéressante sur terre ! Quand je dis l'homme, je parle du blanc, bien sûr, mâle de préférence et si possible, britannique, vous l'aurez compris. Bref, l'âge d'or pour les petits sadiques très satisfaits d'eux-mêmes. "Vous oubliez tout ce qu'un habile vivisection peut faire avec des êtres vivants , disait Moreau" (à qui j'aurais aimé faire avaler son scalpel avec sa suffisance si on n'avait pas été dans un roman.)
Voilà, c'est toutes ces questions, centrales, vous le savez peut-être, que soulève Wells dans ce roman dans lequel certains ne verront qu'un page-turner à la tension poignante. Chose qu'il est aussi car je ne vous ai pas dit ce que Moreau essaie de faire et comment tout cela va se terminer... mais je veux bien quand même vous dire que les dernières pages ajoutent une profondeur inattendue au récit.
Au bilan, je ne suis pas sûre de ce qu'était la position de Wells sur la vivisection et cela me met mal à l'aise avec ce récit. Malaise encore avec toutes ces expériences inutiles et monstrueuses. Si je ne m'étais pas engagée à lire ce roman, je l'aurais sans doute interrompu dès mon arrivée sur l’île tant les évocations, bien qu'imprécises, sont pénibles et révoltantes. C'est pour ces raisons que je ne comprends pas ce que ce roman fait dans des éditions pour enfants. Y aurait-il encore tant de gens pour qui la souffrance animale n'est pas grave ? Moi, je crois qu'on connaît la valeur d'un humain à la façon dont il traite les animaux.