Le Bal
d’Irène Némirovsky
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L'éditeur présente ce livre comme "une critique impitoyable, très virulente des nouveaux riches" mais ce n'est pas ainsi que je l'ai pris. D'ailleurs pourquoi critiquerait-on les nouveaux riches plus que les anciens? Y aurait-il un honneur particulier à avoir hérité d'une fortune familiale plutôt que de l'avoir bâtie soi-même? Y a-t-il même un honneur à être riche? Bref, vous le voyez, je n'étais pas du tout sur la même longueur d'ondes, alors reprenons.
Publié en 1929, alors qu'Irène Nemirovsky avait 26 ans, ce court roman raconte une anecdote qui a la charge explosive d'une caisse de bâtons de dynamite. Ce qui va se jouer sous nos yeux avec une totale cruauté réunit paradoxalement toutes les caractéristiques de l’anecdote et celles de la grande métaphore. Ce drame familial a valeur de peinture sociale et psychologique et lance ramifications et conséquences dans toutes les directions.
Les Kampf sont un couple très ambitieux qui, partis de pas grand chose et même de la pauvreté, ont accédé à la vraie fortune grâce au talent et à la chance du mari dans les jeux de Bourse. Ils ont maintenant pignon sur rue et se sont empressé de couper tous les ponts avec leur ancienne vie. Ils ont emménagé dans les beaux quartiers et dissimulent leur vie antérieure sous le voile commode de séjours changeants dans des résidences "dans le Sud". Il leur reste à faire leur entrée dans le "beau monde" où leur fortune ne suffit pas à se faire inviter. Aussi ont-ils l'idée de donner un grand bal luxueux, afin d'attirer l'attention sur eux et de commencer à se faire connaître. Ils prévoient 200 invités! Pas moins. Il leur faut frapper les esprits. Ils ont attendu longtemps cette fortune et ils n'entendent plus perdre de temps.
Le récit nous est fait à hauteur de leur fille qui, adolescente, ignore bien à quel point elle ressemble/ra à sa mère dont elle subit les rebuffades incessantes. La mère craint que leurs origines modestes ne transparaissent par leur fille, aussi met-elle tout en œuvre pour lui faire donner tout le vernis nécessaire et est-elle plus que très exigeante, la reprenant sans cesse.
La jeune-fille, de son côté, n'a que 14 ans et rêve plus de prince charmant que de fortune, bien que les deux soient totalement liés dans ses rêveries. L'amour y prend la plus grande place, mais dans un décor luxueux qui lui semble une évidence. Aussi, quand elle entend parler de ce bal et qu'elle passe la soirée à rédiger les enveloppes d'invitations avec ses parents en écoutant leurs projets, n'a-t-elle plus qu'une idée en tête : sy montrer. Mais sa mère la remet bien vite à sa place. Elle-même accède enfin à un évènement mondain si ardemment désiré depuis des lustres, ce n'est certes pas pour s'y montrer affublée d'une fille déjà grande qui montrera à tous son âge. La gamine ulcérée ne peut accepter cette frustration et commettra l'irréparable.
C'est énorme! C'est affreux! C'est un régal! On est horrifié et amusé en même temps/ On condamne tout le monde et on les plaint tous. L'anxiété, le désir, l'envie, l'ambition impitoyable s'expriment avec une force sans nuance. La personnalité de tous les personnages est bien montrée, même si on les voit peu, et chacun ne pense clairement qu'à lui-même et est prêt à y sacrifier tous les autres.
Irène Némirovsky sait faire naitre des émotions fortes chez ses lecteurs. Elle en joue et nous fait rire et compatir en même temps. Une réussite totale au point de vue psychologique autant qu'à celui du suspens et de la capture du lecteur. Se lit vite mais ne sera pas vite oublié !
9782246151340