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24 avril 2024

Rwama, Mon enfance en Algérie (1975-1992)

de Salim Zerrouki

***+


Après Riad Sattouf et son enfance au Moyen-Orient lu il y a peu, me voici avec Salim Zerrouki et son enfance en Afrique du Nord, et plus précisément car lui ne se déplacera pas, en Algérie. Mais j'avais tort de comparer les deux albums car ils n'ont en fait pas grand chose en commun (à part que je les ai lus l’un après l’autre). Salim Zeerouki s’est davantage orienté vers le contexte historique et a choisi de faire de l'immeuble dans lequel il a passé son enfance le personnage principal de l'album plutôt que du petit garçon qu’il a été. Rwama, c’est le nom de ce beau bâtiment. Boumédiène avait fait construire une Cité pour les Jeux méditerranéens qui se sont déroulés à Alger en 1975. Dans cette cité-vitrine, on avait mis le summum du confort moderne algérien de l'époque, l'immeuble baptisé Rwama accueillait les familles du personnel de l'Institut National du Sport. C'est là que débarqua Selim âgé de 6 mois.

(pour lire les phylactères, cliquer sur l'image)


Il y a grandi dans un confort très enviable mais au bout de quelques années, le pouvoir algérien étant en déliquescence, l'entretien de l’immeuble se réduisit jusqu'à disparaître tandis que s'implantait tout près une cité d'appartements pour familles plus que nombreuses et nécessiteuses qui envièrent tout de suite le luxe (relatif) qui s'étalait sous leurs yeux. De l'envie à la haine, de la haine à l'attaque, les choses vont vite...

S. Zerrouki a également choisi d'axer principalement son récit sur l'aspect historique. Ce qu'il nous raconte ici, c'est surtout l'Histoire de l'Algérie depuis le début des années 70 jusqu’à la fin du 20ème siècle. Il apparaît rapidement que c'est un portrait à charge. Il montre comment la dictature a entraîné la corruption puis, un peu plus tard, la montée des Islamistes intégristes du FIS. Il parle de la ruine, de la perte progressive, d'abord des biens matériels avec les pénuries de plus en plus graves, de la sécurité avec les émeutes puis de la liberté individuelle avec la montée de l'intégrisme qui imprègne de plus en plus profondément la population.


Ce tome 1 s'achève quand Selim va entrer au lycée. Il a grandi en nourrissant un sentiment d'injustice de plus en plus puissant, au sein d'une famille qui est progressivement devenue intégriste... L'adulte qu'il est devenu raconte en soulignant gâchis et absurdités, et porte un regard sévère (et peut-être justifié) sur son pays, l'Algérie. Un album à conseiller à ceux qui s'intéressent à l'Histoire moderne de ce pays et à son évolution.

Il y aura une suite.


978-2205204551 

12 avril 2024

L'Arabe du futur Tomes 1 à 3

de Riad Sattouf

*****


Cela fait longtemps que j'entends parler de "L'Arabe du futur" qui a connu un franc succès et a été pas mal commenté sur les blogs littéraires mais je n'y avais encore jamais fichu le nez et franchement, je ne m'attendais pas à ça. Je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus consensuel et bien moins réaliste. Emprunté à la bibli sans vraie curiosité, ce roman graphique m'a saisie et même... (scène du chiot, de l’âne etc.) traumatisée.


Il mérite que je le lise dans son intégralité. Je vais donc commenter aujourd'hui les trois premiers volumes et bientôt, les trois derniers. Les meilleurs en math l'auront compris, cette autobiographie dessinée comprend six tomes.

Ce récit est présenté comme véridique (et en a toutes les apparences) C'est Riad qui raconte.

Tome 1 (1978- 1984) : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) "elle raconte l'enfance et l'adolescence de l'auteur, fils aîné d'une mère française et d'un père syrien. L'histoire nous mène de la Libye du colonel Kadhafi à la Syrie d'Hafez Al-Assad en passant par la Bretagne, de Rennes au cap Fréhel."

Le père de Riad a obtenu un doctorat à la Sorbonne (on passe les 6 tomes à se demander comment) et il pourrait obtenir un poste en France, mais il n'en cherche pas. Il fait ses demandes en Afrique du Nord et c'est en Libye qu'il obtient un poste 'assez minable) et entraîne femme (une Bretonne) et enfant. Riad, tout petit est encore fils unique. On fait connaissance de ces trois personnages : le père qui ne dit pas clairement quel est son but, ni ce qu'il ressent, mais prend toutes les décisions impliquant la famille sans même informer sa femme qui se laisse faire sans protester bien qu'elle ne soit clairement pas heureuse de sa nouvelle vie. Elle penche plus vers la dépression que vers la révolte et fait surtout preuve d'une incroyable bonne volonté. Le père qui rêvait sûrement d'un retour au pays prestigieux doit déchanter, même au sein de sa famille, il n'est guère estimé, mais il est dans le déni et n'admet aucune déception. On voit en arrière plan la vie qu'ils mènent dans ce village perdu de Libye où Riad n'est pas accepté par les enfants de sa famille,


Tome 2 (1984-1985) : Le père a entraîné sa famille en Syrie, dans un village arrièré. Riad a 6 ans et ne va pas à l'école car il ne parle pas arabe. Il reste enfermé dans sa maison (réduite au strict minimum) avec sa mère qui n'a pas non plus beaucoup de vie sociale ne parlant pas la langue et personne là-bas ne parlant ni français ni anglais. La père part toute la journée enseigner en ville. Le poste qu'il a obtenu n'a aucun prestige et il est en-dessous de collègues bien moins diplômés. Mais il ne reconnaît aucun problème. Son aveuglement pour la situation trouvée en Syrie comme en Libye, ne fait qu'augmenter. Il s’enfonce dans le déni et les tentatives de se faire reconnaître ou même admettre par les Arabes. Il ne comprend rien au monde qui l'entoure et a renoncé à tout esprit critique à son égard. Il s'enfonce dans la déni entraînant sa famille. Un second fils naît. Riad n'a guère le sens de la fratrie.


Tome 3 (1985-1987) : Riad va découvrir l'école en Syrie et ce n'est pas rien!! Obscurantisme et maltraitance. Le père continue une carrière minable et une place tout aussi subalterne dans sa propre famille. Ici, les diplômes aussi s'obtiennent par bakchich et influence. Il espère beaucoup d'un de ses "élèves" (qui ne vient pas aux cours), "un homme très important" (en fait il est l'un des gardes du corps d'Hafez el Assad), mais qu'obtiendra-t-il? La mère s'enfonce dans la dépression et le père "s'arabise" de plus en plus, perdant tout esprit critique. Il a beau ne guère obtenir de succès ici, il s’acharne et n'envisage pas de retour en France, contrairement à sa femme qui est retournée chez ses parents pour accoucher de son troisième fils et a de moins en moins envie de quitter la France. Mais le volume se termine par l’image du père leur annonçant qu’il a obtenu un poste en Arabie Saoudite !


On accepte rapidement les conventions du dessin qui a choisi de ne dessiner que le principal et sait parfaitement transmettre les émotions (c’est ça le talent, bravo!) L(histoire en elle même nous apprend énormément de choses et est passionnante. Le récit est fait par l'enfant mais sans les puérilités habituelles et surtout sans aucun jugement. Que va-t-il advenir de Riad, de sa mère et de ses frères ? ((de son père, on commence à s’en ficher un peu).





22 février 2024

Ils abusent grave 

Du féminisme et des sciences humaines

de Erell Hannah

Illustrations Fred Cham

*****


240 pages

Nous avions les BD classiques, dans un format d'environ 50 pages, puis sont venus les romans graphiques avec leurs plus de 200 pages et il va maintenant falloir inventer un nouveau mot pour les essais graphiques, ces vraies études sérieuses et documentées, faites par des scientifiques compétents et alignant les faits réels, les études et les chiffres et soutenant leurs thèses, mais en bande dessinée. Dans un domaine tout à fait différent, j'avais lu avec beaucoup d’intérêt le "Le Monde sans fin" de Blain et Jancovici et c'est avec un intérêt égal que j'ai dévoré le "Ils abusent grave" de Hannah et Cham que je vous conseille vivement. C'est la couverture qui m'a attirée. Cette réponse angélique que vous vous êtes déjà attirée mille fois quand vous essayez de parler un peu de l'oppression des femmes. Le pire étant que ceux qui vous disent ça sont de bonne foi. Ils pensent combien ils sont gentils avec leur épouse, leurs filles, leurs mères... et se sentent sincèrement totalement innocents. Ils ne pensent pas à combien ils gagnent de plus que leur collègues-femmes de même niveau, ils n'ont pas admis qu'ils ont été promus à la place d'une autre qui aurait dû l'être, qu'ils ont les postes de commandements (parce que les hommes sont meilleurs pour l'autorité), qu'ils sont servis les premiers à table et plus copieusement etc.

Erell Hannah, diplômée de sociologie et de psychologie, a voulu disséquer ici les mécanismes profondément ancrés dans nos sociétés et qui font qu'une moitié de l'humanité exploite plus ou moins férocement l'autre moitié et que cette seconde moitié accepte généralement et même participe à cette exploitation, alors que les rares qui tentent d'y échapper se heurtent à des difficultés quasi insurmontables. Tout cela démarre dès le plus jeune âge, par l'inculcation du fait que les garçons sont plus capables et plus intelligents que les filles, que leur intelligence est de qualité supérieure à celle des filles car plus apte à s'élever à la théorie et à la conception d'idées alors que les rares filles intelligentes disposaient d'une intelligence pratique et non conceptuelle comme la leur, ainsi que de sensibilité, bien sûr (bah voyons). C'était les savants (hommes) qui avaient établi ce fait. Etabli? Montrez-nous donc ça, ont fini par dire quelques femmes après un certain nombre de siècles.

Seront aussi examinés :

- ce qu'il en est de la violence masculine envers les femmes, comment elle s'exerce, comment elle est perçue, par les victimes et par la société.

- les réponses sociales, policières et judiciaires à cette violence globalement bien acceptée, mais de moins en moins, c'est vrai (mais on n'en est pas encore à l'égalité).

- Un monde macho sous couvert de science et même dans des milieux qui se croient libérés voire libertaires comme dans le domaine des arts.

- Examen des travaux de trois femmes scientifiques ayant étudié le sujet à différentes époques : Leta Hollingworth, Andrea Dworkin et Linda Silverman.


- Brutal ou plus sournois, le rapport de domination est partout, dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Le célibat serait-il le seul garant de la liberté? 

Erell Hannah répond à un certain nombre de "Pourquoi?". Fred Cham illustre avec un grand naturel. Cet album se dévore. Une étude (pas une charge) vraiment bien menée et passionnante et cette révélation que nous sommes tous encore porteurs de parts de cette oppression sournoise (même moi - je me suis prise en flagrant délit il y a peu) alors, lisons cet album, prêtons-le, offrons-le, aux garçons comme aux filles, pour que les choses évoluent et que plus personnes ne tombe innocemment dans le panneau. Changeons le monde.


978-2019466138



##Ilsabusentgrave  #Duféminismeetdesscienceshumaines  #ErellHannah  #FredCham   #LapetiteLISTE   #sibyllinelecture   #bookstagramfrance #lecture #BD  #bandedessinee  #romangraphique  #document #sexisme  #féminisme 

07 février 2024

Chagall en Russie

de Joann Sfar

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Deux volumes d'un peu plus de 60 pages chacun, à lire dans l'ordre.

J'ai tout d'abord été très décontenancée par le premier volume car je m'attendais soit  à une biographie de Chagall, soit à une évocation de son œuvre, et plus je lisais, moins cela y ressemblait... J'ai fini par m'interrompre aux deux tiers du premier  volume pour faire une petite recherche en vue d'essayer de comprendre ce que je lisais  et c'est là que j'ai trouvé ceci sur le site de l’éditeur (Gallimard) : "Joann Sfar rend hommage au peintre russe dans une fiction truculente qui mêle histoire d'amour et folklore yiddish. Vous ne lirez pas ici la vraie vie de Chagall. C'est un fabuleux conte juif, dont le héros se nomme Marc Chagall. Il vit dans un shtetl de la Russie des tsars, à l'aube de la révolution. Il est jeune et très amoureux. Mais il est peintre aussi, et le père de celle qu'il aime veut pour sa fille «un bon juif qui ait un bon métier». Quitter son amour ou bien la peinture ? Chagall part interroger le rabbi de Loubavitch et arpente un grand théâtre de l'absurde parmi les fous, les barbares et les amis."

Il aurait bien évidemment fallu que cette note se trouve au dos de l’album lui même, mais les quatrièmes de couverture ne donnent aucun renseignement. J'ai cependant eu la surprise de le trouver classé chez Gallimard dans la catégorie "Jeunesse", ce qu'il n'est pas du tout, sauf à considérer que les représentations en couleurs  de pogroms, éventrations, viols, pendaisons etc. sont des images pour enfants.

J'étais donc partie du mauvais pied dans cette lecture, et je décidai en conséquence de tout reprendre depuis le début dans cette nouvelle optique. Ces deux volumes sont une libre variation poétique sur le thème de Chagall. Le personnage principal nommé Chagall et peintre, vit dans la Russie du tout début du 20ème siècle. Il est juif et potentielle victime des armées russes blanches en début de débandade. Le dessin est aussi libéré du réalisme que les œuvres de Chagall, on retrouve  des éléments de son plafond de l'Opéra Garnier ou d’autres de ses œuvres. Joan Sfar a fait ici un travail remarquable, très inspiré,  et que j'ai tout à fait apprécié une fois levés tous les malentendus que je mettrais plutôt sur le compte d'une édition qui a voulu faire l’économie d'une présentation. On sent Sfar habité par son sujet et emporté dans sa création. Ce sont des albums violents mais de très grande qualité. Je les conseille vivement, mais absolument pas pour des enfants, et quant à la biographie de Chagall, il ne vous restera plus qu'à aller vous renseigner ailleurs, comme je l'ai fait.

"AVERTISSEMENT de l'éditeur: Certaines images contenues dans le présent album sont très librement inspirées de l’œuvre de Marc Chagall. L'histoire, la représentation physique de Marc Chagall et les propos qui lui sont attribués sont totalement inventés par l'auteur et n'entendent pas refléter la pensée et l'esprit du peintre."

978-2070628254 et 978-2070638536

#ChagallenRussie  #JoannSfar  #

#LapetiteLISTE   #sibyllinelecture   #bookstagramfrance #littérature #BD  #bandedessinee  #romangraphique  


28 janvier 2024

Inspecteur Balto

Scénariste : Aurélien Ducoudray

Dessinateur : Damien Geffroy

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Nous faisons donc connaissance avec L’inspecteur Balto, flic à la retraite qui continue à œuvrer, par vocation. Comme il n’a évidemment plus le droit d’enquêter, il se charge maintenant des petites affaires dont la vraie police ne va pas avoir le temps de s’occuper ou des affaires classées. Son bureau, c’est le bistrot du coin, où il a ses habitudes, mais sans être un alcoolique. Balto est donc un petit retraité chauve et un peu maigrelet sur qui il ne faudra pas compter au cas où l’affaire deviendrait physique, d’ailleurs il commence tout de suite par se faire assommer. (Note pour l’auteur : attention, les crânes de vieux, c’est fragile, Balto ne peut pas se permettre de se faire assommer à tout bout de champ, ce n’est pas Burma.)

Balto est un convaincu du droit et de la justice, un intègre absolu. D’ailleurs, autrefois, il avait une vie de famille, ou du moins une épouse. Un peu étrange et pas hyper sympathique à mon sens, mais une épouse tout de même, et dont il était très amoureux. Et puis elle est passée de l’autre côté de la frontière de la loi dans une affaire vraiment grave (très moche, même) et il l’a arrêtée. Ils sont toujours mariés mais elle est en prison depuis des années.

Aujourd’hui, il est contacté par deux prostituées en raison de la disparition d’une de leurs amies et collègues...

Un dessin clair et impeccable, classique mais justement, c’est ce que j’aime. Bonnes couleurs, bon graphisme, pas de trouvaille époustouflante mais les découpages acrobatiques et le flash des couleurs qui piquent les yeux, ça va bien cinq minutes mais au-delà, je me lasse. Donc pour moi, dessin 10/10.

Une enquête classique elle aussi, mais pas trop évidente tout de même, une narration linéaire, claire, nette, sans bavure (comme Balto) et un final qui nous laisse avec l’idée qu’on vient sans doute de lire le premier album d’une série. Mais attention ! Cette histoire-ci est complète et réglée, ce sont certains des personnages que nous risquons bien de revoir dans d’autres aventures. S’ils viennent toquer à ma porte, ma foi, je leur ouvre.




9782818997642




13 janvier 2024

La dernière rose de l'été

de Lucas Harari

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J'ai lu il y a peu "L'aimant" du même auteur, qui m'avait bien plu, tant le récit que le graphisme (j'avais fait un billet), j'ai alors regardé à la bibliothèque s'il y avait d'autres titres de Lucas Harari, et il y avait cette dernière rose, que je suis donc allée cueillir.

Leo se veut écrivain. Son livre de chevet est "Martin Eden" comme s'il cherchait déjà à contrer l'effet délétère d'un trop grand succès alors qu'il est loin d'avoir débuté. Le chef d’œuvre projeté fuit sa plume et le voilà à travailler dans un lavomatic. Voilà qu'un hasard farceur amène dans ses murs un cousin perdu de vue depuis des années. Voilà que peu après, le cousin s'aperçoit qu'il a besoin que quelqu’un occupe sa belle villa Corse qui surplombe la mer et qu'il propose le poste à Leo : le gardiennage contre un endroit paradisiaque où se laisser habiter par l'inspiration... Et c'est parti! Leo aura des voisins qui, on s'en doute seront un peu étranges, il les fréquentera, des choses lui sembleront mystérieuses... puis il y aura une mort violente et ensuite... eh bien, je vous laisse le découvrir.

C'est un gros album, presque 200 pages, grand format. Une fois tous les personnages en place, j'ai cru reconnaître une trame un peu trop banale et j'ai failli me désintéresser de ce livre, mais j'y suis tout de même revenue pour le terminer et j'ai eu bien raison car le scenario est bien plus original et intéressant que celui que j'avais suspecté et on se trouve en fin de compte avec une intrigue de qualité tout à fait honorable.

J'aime toujours autant le graphisme. On se retrouve comme dans "L'aimant" avec des angles de vue spectaculaires, de beaux dessins d’architecture grand luxe, et cela aussi, j’aime bien. Je m'y suis promenée avec plaisir. Les paysages sont toujours très bien rendus et les jeux d'ombres et de lumières, tranchés et saisissants. Bref, un excellent album et je guetterai d'un œil attentif d'éventuels autres parutions de Lucas Harari.


978-2377314768


24 novembre 2023

L’aimant 

de Lucas Harari

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Le hasard d'une visite à la bibliothèque m'a mise en présence de ce grand album, le graphisme et les couleurs ont fait le reste et je suis repartie avec. Il ne s’agit pas d’une nouveauté, il a été publié en 2017, mais il mérite largement de rester dans les lectures actuelles. L'auteur avait envisagé l'architecture avant de se lancer dans les Arts Décoratifs section images imprimées (nous dit son éditeur), et on ne peut pas nier qu'il lui en reste quelque chose. Ici, les les thermes de Vals, en Suisse, sont un personnage à part entière du récit.

C'est le dessin épuré, géométrique, simplifié, aux perspectives saisissantes et aux rares couleurs froides qui avaient attiré mon œil d'abord, ma main ensuite. Je n'ai pas regretté. Cet album valait vraiment le détour.  J'ai évidemment demandé à Google de me montrer les vraies thermes de Vals de l’architecte Peter Zumthor et je me suis retrouvée à me promener dans le décor exact dans lequel Harari a laissé jouer son imagination. Bluffant d’exactitude et ce sentiment de connaître les lieux alors que bien sûr, je n'y ai jamais mis les pieds. C'est vraiment un bâtiment remarquable! et c'est un plaisir de constater que la BD lui rend hommage avec justesse et sans le réduire.  Si bien que je n'ai pas pu faire autrement que de me lancer dans une relecture. 

Pour la présentation, faites confiance à la quatrième de couverture:

"Pierre, jeune étudiant parisien en architecture, quitte tout pour la Susse, destination : les thermes de Vals, un magnifique édifice au cœur de la montagne. Sujet de sa thèse, le bâtiment aux lignes pures, le fascine et l'obsède. Ces murs recèlent un mystère, Pierre en est persuadé... Une porte dérobée qu'il doit absolument trouver."

On sait comme la rédaction d'une thèse peut phagocyter et déstabiliser un étudiant épuisé, perdu dans ses recherches et, souvent, un emploi alimentaire, Pierre le dit lui-même, il a "fait une bouffée délirante" mais "ça va mieux, maintenant". Est-ce bien sûr? En tout cas, la thèse est abandonnée et maintenant, il va séjourner dans ces fameux thermes et découvrir peut-être son secret, si der Mund des Berges ne le dévore pas avant...

Une vraie réussite, je souhaite une longue carrière florissante au jeune auteur de BD dont c'était la première publication. Depuis, il a publié "La dernière rose de l'été" que je vais m'empresser d'aller lire aussi.

Au passage, j'ai énormément admiré aussi sa façon de dessiner la montagne.

978-2848659862



10 juillet 2023

Journal inquiet d'Istanbul  T1

de Ersin Karabulut 

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Je ne sais pas vous, mais moi, l’histoire de la Turquie, je ne connais pas bien. J’avais des impressions, qui d’ailleurs ne correspondaient pas bien avec ce qu’on nous en disait officiellement, et j’étais dubitative (mais de moins en moins au fil des ans, je l’avoue), c’est pourquoi j’étais dès l’abord intéressée par cet album de quand même 150 pages, qui nous raconte le quotidien d’un Turc d’aujourd’hui normalement évolué. Quotidien qui n’est pas facile. 

Dans cet album qui devrait sans doute davantage s’appeler Mémoires que Journal, l’auteur, Ersin Karabulut raconte sa vraie vie depuis sa petite enfance (il est né à Istanbul en 1981) jusqu’au début de sa carrière de dessinateur de BD en Turquie. Parallèlement, il montre son pays passer sous le commandement d’Erdogan qui dissimule de moins en moins son autoritarisme et l’emprise qu’il veut que l’intégrisme prenne sur la société. Ce sont ces deux faces que l’auteur sait bien montrer qui font la richesse et l’intérêt de l’album. 

Le concernant, il offre un récit qui semble vrai et sincère, ne dissimulant pas ses faiblesses. Il emporte ainsi l’adhésion du lecteur. Concernant la situation de son pays, il en montre les différentes facettes : l’emprise des Frères sur la quartiers modestes où ils imposent de plus en plus leurs diktats par la surveillance omniprésente et la menace voilée mais réelle et pesante, ainsi que les quartiers évolués des mégapoles où les gens vivent à peu près normalement (selon nos critères) et qui peuvent leurrer les touristes. Et voilà qu’arrive Erdogan, modeste au début, démocrate et soutenu par l’Occident pour des raisons commerciales mais dévoilant de plus en plus sa face sombre et dominatrice à mesure que son pouvoir se renforce. 

Parallèlement, il nous ouvre les portes du monde de la BD satyriques qui semble très florissant et vigoureux là-bas à l’époque fin des années 90 (ça m’a rappelé l’époque française des années 70 avec Pilote,  Charlie Hebdo, Fluide Glacial, il me semble qu’il y en avait un autre mais le titre m’échappe). Bref, c’était plein de vie, et Ersin Karabulut s’y taillait de beaux succès en racontant sa propre vie alors que la menace Erdogan grandissait. 

Que doit faire l’écrivain, le chanteur, le créateur de BD face à un état qui devient de plus en plus autoritaire ? Il n’y a pas ici de héros suicidaire, mais des gens désireux de paix et accessibles à la peur , mais qui voudrait conserver leur liberté de pensée, de parole, d’action. Que faire ?

Nous le verrons plus tard, quand sortira le volume 2, mais svp, ne me parlez pas de Erdogan comme d’un soutien de la démocratie, merci. En fait c’est un rapport purement commercial. Maintenant qu’il a installé son pouvoir, il va de moins en moins se soucier de sauver les apparences et l’Occident le laissera faire tant que les multinationales y trouveront leur compte.

Je n’ai pas parlé du graphisme, ce sera pour le tome 2 que j’attends avec impatience.


9782205085761


14 janvier 2023

COMMANDANT ACHAB

Scénariste Stéphane Piatzszek

Dessinateur Stéphane Douay

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Les excellentes aventures du Commandant Achab se déclinent en cinq albums. Elles ont été publiées en 2013 et 14 et luttent depuis contre l’obsolescence programmée. Le tome 5 a perdu le combat (voir ma conclusion).

Les cinq enquêtes sont totalement distinctes les unes des autres et chacune pourrait se lire indépendamment des autres. PouRRAIT, conditionnel, car il faudrait pour cela que l'histoire entre Achab et Karim ne se poursuive pas en évoluant fortement du 1er au 5ème tome. C'est pourquoi il est en fait indispensable de lire les 5 tomes dans l'ordre et sans en manquer un.

Le personnage éponyme, devenu unijambiste, dépressif et toxicomane, végète aux archives de la PJ ne devant son maintien en poste qu'à la protection de son frère, patron de la dite PJ (rien de moins). Ce dernier lui envoie un jeune débutant pour des renseignements. Ce jeune policier est le fils d'un flic ripoux qu'Achab a tué dans l'histoire dramatique qui lui a coûté sa jambe. Tous deux vont se trouver enquêter ensemble tout en s'expliquant peu à peu sur le passé. Il en sera de même au cours des enquêtes et volumes suivants jusqu'à ce qu'au tome cinq, tout soit devenu limpide.

Les personnages d'Achab Cohen et de Karim Al-Misri sont très réussis. On découvre progressivement leurs particularités, leurs parts d'ombre et de lumière et on s'attache à eux. Ils sont complexes et ont de l'épaisseur. Le tout n'est pas d'une totale vraisemblance, mais suffisamment tout de même pour maintenir l’intérêt.

Les dessins sont excellents également. Tout à fait le style que j'aime, très vivants, pas figés, des angles de vue originaux et variés etc. La tonalité est sombre mais les histoires le sont aussi. Bref, on ne s'ennuie pas plus à regarder ces albums qu'à les lire.

Cerise sur le gâteau, le tome 4 se passe dans un village que je connais très bien et que je découvre ici superbement dessiné sous bien des angles. Je suis admirative! et enchantée d'avoir ce trésor. J'avais lu la série entière en l'empruntant à la bibliothèque, mais après la découverte de mes liens avec le 4ème volume, je l'ai achetée. Hélas, je n'ai pas trouvé le tome 5. Donc, si vous l'avez, je cherche à acheter ce tome 5 (ayant les quatre autres) mais à un prix normal. La spéculation est un vilain défaut. 😉 

 978-2302008076



02 janvier 2023

Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique

de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici

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Description de l'éditeur

"Été 2018. Alors qu’une canicule s’abat sur la France, Christophe Blain roule en direction de la Normandie, tandis que sa compagne lui lit à voix haute un article sur le réchauffement climatique.

Pour l’auteur de Gus et de Quai d’Orsay, les conclusions de cette lecture sont un choc. En 2050, la température à Paris flirtera avec les 50 °C… De cette prise de conscience est né ce livre, réalisé en collaboration avec Jean-Marc Jancovici, spécialiste des énergies et du climat.

Le constat de celui-ci est simple et sans appel. Nous vivons dans une société qui a besoin de flux physiques titanesques. Ces flux ne peuvent exister que grâce à "quelque chose" qui joue un rôle essentiel et dont on ne mesure pas toute l’importance : l’énergie. Celle-ci nourrit des machines qui sont devenues le pilier de notre civilisation. Pour autant, l’énergie ne pourra augmenter indéfiniment.

Et par voie de conséquence, l’économie non plus. Que faire, comme disait Lénine ?"


Tout au long de ses presque 200 pages, ce gros album met en scène Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici en une bande dessinée hautement technique et documentée qui parvient néanmoins à se lire sans effort ni ennui. Le dessinateur joue le rôle du Candide à qui le savant montre l'historique  puis  explique les problématiques d'un monde entièrement dépendant de l'énergie dont il fait une consommation toujours plus grande alors qu'a contrario, la fourniture de cette énergie est de plus en plus problématique, ainsi que les conséquences de son usage de plus en plus délétères. Les explications de Jancovici sont claires et à la portée des non-techniciens et non-scientifiques (dont je suis), tandis que les dessins de C. Blain aident encore à visualiser les choses. 

L’énorme chiffre de vente de cet album dit assez à quel point la population a maintenant pris conscience de la réalité du problème*, il annonce aussi une cohorte de jeunes moins aveugles que la précédente. En espérant que cela suffise à nous tirer d'affaire, ce qui n'est pas sûr.

Et puis, alors même que je venais de terminer ma lecture et que je m’apprêtais à rédiger ce billet, survint la rocambolesque affaire des "Rectificatifs"!!!  Pour ceux qui ne sont pas aux courant: des librairies ont reçu soit par mail, soit par la visite de démarcheurs, un erratum qu'on leur demandait d'insérer dans cet album avant de continuer à le vendre. Cet erratum était signé de sa maison d'édition, mais c'était un faux, Dargaud n'ayant bien évidemment jamais émis rien de tel. Cet avis ne contestait pas les données fournies dans l'album (à part le nombre des victimes de Tchernobyl et Fukushima mais personne ne le connait), mais récusait l'angle de vue. C'est une charge contre J.M Jancovici. En réalité, la pierre d'achoppement est le nucléaire. Jancovici pense qu'on ne doit pas tout miser sur les énergies renouvelables qui risquent d'être encore longtemps insuffisantes. Il pense qu'il faut également utiliser le nucléaire. "Si l'on regarde les faits, le nucléaire doit contribuer à la décarbonation" (du fait qu'il ne produit pas de CO2). Ses adversaires rétorquent (mais pas dans ce faux erratum, je me demande pourquoi)  que le nucléaire produit pour sa part d'autres substances dangereuses dont on ne sait que faire (bien qu'elles ne partent pas dans la nature comme le fait le CO2). Bref, les deux positions peuvent être défendues, admises ou comprises, ce qui ne le peut pas à mon sens, c'est la diffusion de faux.

En conclusion, une plainte est en cours et l'affaire a été évoquée un peu partout ce qui a, on s'en doute, fait une grosse publicité à l'ouvrage. Il affichait déjà d'excellentes ventes, il est maintenant carrément en tête des palmarès. Vraiment, ce qui me frappe, c'est la maladresse de cette "Opération erratum".  Qui a pu se lancer dans une telle histoire?  Pour l'instant, personne ne revendique. (Tu m'étonnes)


* Oui, je sais, il y en a encore qui ne l'ont pas compris mais je parle de façon générale. Si vous allez par là, il y en a encore qui croient que la terre est plate ou qu'ils fument parce que c'est leur choix.

‎ 978-2205088168



17 décembre 2022

Le cahier bleu – Après la pluie

André Juillard

*****


André Juillard est un très grand de la BD. Son dessin perfectionniste à la ligne claire, est réputé depuis longtemps et sa remarquable qualité lui a permis de reprendre Black et Mortimer en 2000, ce qu'on est tout disposé à faire avec lui. Etant avant tout dessinateur, « Le cahier bleu » est le premier album qu’il réalisa seul… et ce, pour révéler un excellent talent de scénariste également.

« Le cahier bleu » est un one-shot auquel sera pourtant donnée une suite dont je reparlerai plus bas. C’est une histoire d’amour urbaine, réaliste, mais néanmoins romantique : les incertitudes de la rencontre... Une histoire bien nuancée et extrêmement convaincante où même les personnages secondaires ont une vraie profondeur psychologique. Qui plus est, sur ce thème « casse gueule »,  une histoire sans une once de mièvrerie.

Le premier album, « Le cahier bleu », s'était terminé de façon un peu triste par un semi-échec des héros, fin qui m'avait bien plu parce qu'elle rappelait que dans la vie, tout de ne s'arrange pas toujours pour le mieux et qu'il faut parfois faire sans happy end.

Dans la vie, certes, mais pas dans les BD, dirait-on, car le deuxième volume reprend comme si tout était allé pour le mieux dans le 1er volume ! Surprise, je retourne à celui-ci, relis la fin pour voir si j’aurais mal compris... mais non.

Alors je reprends le second en me disant qu'on va sans doute par la suite donner une explication de ce retournement... mais non plus. C'est comme cela. Point. Nous mettrons cela au compte de la liberté du créateur.

« Le cahier bleu » se passait à Paris, « Après la pluie » se déplacera en Italie,

Ce deuxième album est encore une histoire d'amour, tout aussi vraie et nuancée que la première, mais elle se double d'une intrigue policière fort bien menée et d'une road story. Il est, si c'est possible, encore meilleur que le premier.

Je vous conseille les deux volumes et ils peuvent se lire indépendamment l'un de l'autre.

978-2203163638



20 novembre 2022


Abymes

de Mangin, Griffo, Malnati et Bajram

*****

Les trois, sinon rien.

Valérie Mangin est la scénariste qui a imaginé et raconté cette (ou ces?) sombre(s) mais si ingénieuse(s) histoire(s) de mise en abyme. Petit rappel :

«  La mise en abyme est un procédé consistant à représenter une œuvre dans une œuvre similaire, par exemple dans les phénomènes de « film dans un film », ou encore en incrustant dans une image cette image elle-même. » Wikipédia

Les trois volumes ont été dessinés chacun par un dessinateur différent et dans des styles différents. Aucun dessinateur ne m'a réellement enthousiasmée, mais aucun ne m'a déplu non plus. Je dirais qu'à mon goût, ils sont bons tous les trois.

Dans le premier volume, dessiné par Griffo, nous rencontrons Balzac, le grand romancier, qui justement ici ne deviendra jamais si grand que cela car sa carrière sera interrompue par les crimes qu'il a commis. Or, le journal auquel il fournit habituellement ses feuilletons, raconte également ces meurtres dans ses faits divers. Première mise en abyme. La dernière page donne la solution mais on ne la comprend pas encore vraiment.

Avec le deuxième tome, dessiné par Malnati, nous changeons de siècle et d'art, puisque nous trouvons Henri-Georges Clouzot qui, à la libération, entreprend de faire un film qui racontera les crimes de Balzac. Mais les rushes de la journée qu'il visionne le soir montrent des scènes qu'il n'a pas filmées et qui sont loin de le glorifier. Seconde mise en abyme. Comme la première fois, tout finira mal. Enfin, pas pour tout le monde.

Le troisième et dernier volume, dessiné par Bajram, mènera l'histoire à son terme et, en une dernière mise en abyme, nous donnera toutes les clés. Lisez tout attentivement si vous voulez tourner la dernière page en ayant enfin tout compris. Vous pourrez ainsi admirer l'habileté et la richesse du scenario de Valérie Mangin.






978-2800153452 

04 octobre 2022

 Tananarive

Scenario : Mark Eacersall

Dessin : Sylvain Vallée

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Roman graphique 12O pages.

Notre héros, notaire à la retraite vieillit paisiblement dans son pavillon confortable auprès d'une épouse bienveillante. Mais il s'ennuie. Heureusement il a fait de son voisin son meilleur ami. Tous les soirs il va chez lui boire un dernier verre et celui-ci, ancien baroudeur ayant vécu des aventures incroyables dans le monde entier, le régale de ses souvenirs exotiques. Hélas, un jour, l'ami meurt. Son seul héritier serait un fils inconnu qu'il aurait peut-être eu dans sa prime jeunesse... Mais personne ne sait rien de ce fils alors, moitié pour tromper son ennui, moitié pour apaiser son deuil, notre notaire va quitter son havre de paix et se lancer sur les traces- de son aventureux voisin.

Dès le début, des divergences apparaissent entre ce qu'il trouve et la version dont le voisin a nourri ses soirées et des aventures, lui aussi va en vivre, moins africaines, mais tout de même pas sans danger.

J'ai beaucoup aimé ce road movie de vieux avec une grosse charge humaniste.

Sur un scenario bien sympathique de Mark Eacersall, nous nous attachons vite à ses héros du troisième âge et nous intéressons vraiment tant à leur passé qu'à ce qui va arriver. Les surprises sont suffisamment nombreuses et touchent suffisamment juste pour garder le lecteur en laisse jusqu'à la fin.

Le dessin, clair harmonieux, dans de jolies teintes douces mais jamais mièvres, arrive à instiller une bonne part d'humanité dans chaque personnages, même tous les secondaires que l'on rencontrera en cours de route, sans pour autant les idéaliser graphiquement. Chacun est émouvant à sa manière.

Les baby boomers ont passé 70 ans et comme ils sont toujours actifs (drôle de génération!), qu'ils sont aussi en train de mourir et d'enterrer les copains, ce genre de livres, films, récits se multiplie. L'art est le reflet de la vie.


978-2344038390



25 août 2022

Ne m’oublie pas

Dessins et Scénario d'Alix Garin

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Sortie en janvier, 2021, cette BD de 220 pages est la première de cette nouvelle auteure de bande dessinée, Alix Garin. C'est l'histoire de Clémence, ado à l'allure non genrée, qui rêve de devenir comédienne et suit les cours d'une école de théâtre. Elle vit seule avec sa mère, médecin, avec laquelle elle refuse d'échanger, lui reprochant principalement son manque de disponibilité ; mais en ce moment, leur souci commun, c'est la grand-mère qui est atteinte d'Alzheimer et que l'on a dû mettre dans un établissement car elle était devenue trop difficile à gérer. Clémence et sa mère culpabilisent et souffrent de cette situation d'autant que la grand-mère ne songe qu'à "s'évader", si bien qu'un jour, Clémence va se lancer dans la grosse prise de risque et la kidnapper. L'idée est de lui faire revoir sa maison d'enfance à des centaines de km de là...

C'est cette fugue que nous allons suivre. Les différentes péripéties nous feront aussi bien rire que pleurer. A. Garin est très forte pour émouvoir, dans un sens comme dans l'autre, et elle va épaissir le récit de cette aventure par des réflexions sur les relations mère-fille, et plus encore par la découverte et l'acceptation par Clémence de son homosexualité, elle qui perdait jusque là son temps dans des liaisons hétéro frustrantes. Epaisseur supplémentaire encore, ces personnages si bien croqués, tant au dessin que sur le plan psychologique, qui croiseront leur route. Le patron de bistrot, la voisine d'hôtel Michel et même sa femme... Quant à Alzheimer, très finement, plus que d'en parler, l'auteur nous le montre en action H24 et ça n'est vraiment pas une sinécure. Même Clémence comprend que le retour à l'établissement va être inéluctable et la grand-mère aussi, dans ses rares moments de lucidité. Ce voyage, au fil des kilomètres, submerge son lecteur dans de grosses bouffées d'émotion. Et je me suis prise de sympathie pour cette Clémence qui a du cran.

Le dessin, simplifié, et sur une gamme de couleurs limitée, sert bien son sujet et s'en tient lui aussi à l'essentiel. Il est efficace et beau. Il est un vecteur, jamais un obstacle. Il renforce, aussi. Cette histoire et son traitement forment vraiment un tout harmonieux.

J'espère qu'Alix Garin, auteure de BD débutante nous offrira encore beaucoup de moments comme celui-là.

978-2803676231 



21 avril 2022

 Chiisakobé

de Minetarô Mochizuki et Shügorô Yamamoto

***+


Bien pour ados

Vous lirez partout le plus grand bien de ce manga qui a de surcroît obtenu le Fauve de la meilleure série au festival d'Angoulème 2017, et mon commentaire sera peut-être le seul plus réservé que vous aurez l'occasion de lire, alors profitez-en bien.

L'histoire est l'adaptation d'un roman de l'écrivain populaire Shügorô Yamamoto (1903-1967) écrit en 1957, et sa transposition à notre époque, alors que le roman original situait l'action à l'époque d'Edo – 17ème au 19ème siècle, c'est large ! - (source éditeur, car je n'ai pas lu le roman source, les autres commentateurs non plus, d'ailleurs, mais moi, je le dis). Bon, poursuivons.

Le héros, Shigeji Daitomé, qui travaille sur le chantier paternel après ses études qui viennent de se terminer, apprend brutalement la mort de ses deux parents dans un gigantesque incendie qui a ravagé leur quartier et, par là même, qu'il devient le nouveau patron de cette entreprise de charpenterie dont dépendent plusieurs ouvriers et employés. Il a l'aspect d'un hippie et même un peu le look de Chewbacca (en moins décidé) et personne ne croit qu'il va être capable de mener cette tache à bien. (évidemment, tout le monde se trompe, je me demande si vous l'aviez deviné). Il termine son chantier, montrant ainsi sa force de caractère, puis retourne dans la maison familiale. Il s'y est adjoint les services d'une jeune et jolie jeune femme qui se chargera du ménage et de la cuisine (et avec laquelle on est sensé se demander s'il va s'entendre) Elle a logé dans la maison quelques orphelins dont l'orphelinat voisin a brûlé (ainsi que les responsables, car ils sont à la rue). Shigeji n'apprécie guère cette invasion, d'autant que les garnements sont loin d'êtres sages et demande aux services sociaux de venir les récupérer au plus vite. Les services sociaux viennent, mais finalement...

Voilà, nous avons là le début d'une série qui comportera cinq volumes, dont quatre que je ne lirai pas. Vous aurez peut-être deviné que je trouve l'histoire bien trop convenue et que j'y vois pour ma part l'accumulation d'une tonne de clichés. Je pense qu'il serait bon de préciser que ce manga vise un public adolescent. Au delà, il doit avoir plus de mal à convaincre.

Le dessin est très beau mais extrêmement statique. On a l'impression de voir, non un film, mais une série de photos. C'est un parti pris de l'auteur et on doit l'accepter. Beaucoup de cases montrent des détails, et parmi ces détails, beaucoup de poings fermés, de mains crispées, d'attitudes raidies. On a constamment une impression de forts sentiments contenus. Un procédé que je trouve un peu lourd pour nous faire comprendre qu'il y a beaucoup de sous-entendus ou de non-dits. C'est un peu moins vrai quand il y a les enfants. Les dialogues sont brefs, les expressions de visages le plus souvent neutres.

Incontestablement, c'est un manga seinen (ce qui signifie qu'il est destiné à des adolescents ou jeunes adultes). De ce point de vue, il n'est pas mauvais. Au-delà, non, ça ne va pas.

978-2353480791




07 décembre 2021

 Aberzen   

de Marc N'Guessan

****+


Je me plains si souvent du manque d'imagination et d'originalité des scenarii des quelques  BD que je lis que j'accroche tout de suite les 4½ étoiles sur celle-ci, malgré ses quelques défauts dont je parlerai plus loin.

Ce qu'il faut savoir avant même d'entamer cette lecture, c'est qu'il ne s'agit pas d'une série qui se prolongerait sur 4 albums, mais bien d'une seule histoire dont le récit a nécessité 4 albums. La différence, vous l'aurez compris, c'est qu'on ne peut pas lire ces albums dans le désordre ni même juger "Aberzen" avant d'avoir tourné la dernière page du dernier opus. C'est tout particulièrement vrai ici car les 3 premiers albums nous font découvrir une histoire extraordinaire avec les yeux étonnés des personnages qui tentent de comprendre un peu ce qui se passe dans ce monde plus qu'étrange où ils ont été projetés. Nous faisons leurs erreurs, nous tentons comme eux de nous repérer dans cette avalanche d'évènements étonnants (très). Alors que le quatrième album met à jour l'explication qui nous permettra de remettre en ordre et comprendre tout ce qui s'est passé avant.

La meilleure solution étant de trouver l'édition groupée des 4 albums en un seul (notre couverture et il y a une autre édition avec une couverture un peu différente) Mais là encore, méfiez-vous! (notre vie de bdphiles est aussi aventureuse que celles de nos héros) il y a semble-t-il une étonnante édition regroupant les 3 premiers albums seulement (une sorte de couteau sans lame, quoi). Il sera sans doute prudent de vérifier que vous avez les 4 titres:

    1) Commencer par mourir

    2) Plusieurs noms pour le bleu

    3) Au-delà des mers sèches

    4) Un temps par dessus l'autre

Ce qu'il faut savoir ensuite, c'est que cette bande dessinée ne se prête pas à une lecture distraite, Si vous avez l'habitude de lire vos BD d'un œil et très vite, il vous faudra changer vos manières ou pleurer que celle-ci est incompréhensible. 

C'est d'ailleurs là le léger défaut de l'ouvrage: les personnages étant des êtres bizarres proches d'animaux ou de machines (plusieurs ressemblant beaucoup à des ours bruns humanoïdes). Il est difficile de les distinguer les uns des autres. (car reconnaître une tête d'ours d'une autre...) L'auteur a fait ce qu'il pouvait mais cela demande tout de même une attention soutenue du lecteur. Pensez à noter les pièces de vêtements et autres repères qui pourront vous éviter un malentendu. Car si vous ajoutez les erreurs de lecture à une histoire déjà bien complexe, vous irez dans le mur. C'est le risque ici.

De même, il vous faudra lire l'intégralité des bulles, faute de quoi là encore, vous rateriez l'histoire et perdriez rapidement le fil.

Voilà le seul défaut de cette BD: la lisibilité. C'est vrai que Marc N'Guessan aurait pu (et dû) différencier davantage ses personnages (ours, gorbin etc.) Il n'en reste pas moins que nous avons là une très intéressante et très belle (d'un point de vue esthétique) bande dessinée, qui nous console des Nièmes histoires de vampires ou de "nouvelles-existences-dans-un-monde-détruit" qui semblent être les seules qui viennent  inspirer la plupart des auteurs actuels. Ici l'imagination est vraiment très riche, aussi bien pour l'histoire elle-même que pour les décors, les personnages et la foule des créatures, petites et grosses, inventées avec beaucoup d'originalité tant pour les rôles principaux que pour la figuration d'arrière-plan. 

Pour toutes ces raisons, je vous la recommande sans réserve. Elle mérite même l'achat si vous ne la trouvez pas en bibli, mettez-là sur votre liste de cadeaux de bédéphile, et n'oubliez pas: les quatre, sinon rien!

978-2845651524