09 octobre 2024

La Désolation

Scenario : Appollo

Dessin : Gaultier

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Jean-Louis Payet, auto-rebaptisé Évariste Payet, instit à La Réunion, a vendu le peu qu’il possédait sur un coup de tête et a disparu du jour au lendemain sans rien dire à personne. Il a acheté un billet sur le Marion Dufresne, en partance pour les Kerguelen. Le Marion Dufresne n’est pas un navire de croisière mais un bateau ravitailleur qui fait le trajet en emportant le fret et quelques passagers. Parmi ceux-ci, les scientifiques qui travaillent aux Kerguelen et quelques touristes en quête de périples un peu moins fréquentés que les autres. Quant à Évariste, c’est une vieille chanson de Dave qui lui avait mis ce nom dans la tête et au moment de faire un break, il lui avait semblé que c’était la destination idéale.


 La première partie de la BD évoque la vie qui s’instaure à bord à l’occasion de cette cohabitation de hasard, chacun se racontant (les distractions ne sont pas si nombreuses), les scientifiques essayant de faire prévaloir une sorte de supériorité sur la valetaille touristique… Le trafic social ordinaire et commun à tout microsome, quoi. Chacun occupe ses journées comme il peut ou veut, s’ennuie un peu. C’est assez reposant, introspectif et je crois que j’adorerais ça. Sans doute plus que le séjour sur place. Bref, on finit quand même par arriver. On échange les T-shirt contre des doudounes et on débarque sur l’île de La Désolation. Faut toujours écouter ce que disent les noms. Ils ne sont jamais donnés au hasard.

Les passagers découvrent ou retrouvent la base, se mettent au travail pour les uns, se font expliquer les lieux pour les autres. Evariste apprend que cette île de la Désolation est tout particulièrement éco-protégée. On lui propose bientôt une randonnée dans une zone inhabitée, c’est un peu sportif (6 heures de marche) mais c’est une occasion exceptionnelle de découvrir les vraies Kerguelen et il accepte, bien sûr. Seulement, alors qu’il sont au cœur de cette zone réputée totalement désertique, voilà qu’ils sont sauvagement attaqués par des agresseurs qui ressemblent à des hommes préhistoriques. Il y a des morts et Évariste a une jambe cassée. Il est capturé ainsi qu’un autre touriste et ils sont emportés. Ce qui va lui arriver ensuite, vous le découvrirez si cela vous intéresse.

Un dessin coloré et sombre à la fois, assez violent, expressif, très réussi. Il convient parfaitement à ce récit.

Évariste est un personnage principal qui reste assez neutre au cœur du lecteur. Les gens qui disparaissent comme ça du jour au lendemain sans prévenir personne livrent lâchement leur entourage à tous les tourments (Ils vont commencer par chercher partout s’il leur est arrivé malheur) et les empêchent de se reconstruire (ils ne savent pas si cette disparition est volontaire ou non, si elle va durer quelques jours ou longtemps ou toujours…). Le lecteur suit donc les aventures d’Evariste d’un œil plutôt objectif et compte les points sans préjugé. C’est le parfait angle de vue pour découvrir tout ce qui va se passer sur ces peu hospitalières îles Kerguelen.

Suspens !

 9782205085167



06 octobre 2024

 Samuel Paty a été assassiné le 16 octobre, il y a 4 ans. Un dossier complet est sorti sur cette affaire sous forme graphique. 9782958292782 Je propose que nous fassions un hommage en postant nos billets le 16 octobre. C’est un peu juste, mais c’est faisable. Qui participe?



05 octobre 2024

  La Route 

de Cormac McCarthy

et Manu Larcenet

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C'était en 2006 que Cormac McCarthy avait publié "La route", 2008 en français, et, par chance, je l'avais lue tout de suite. Cela avait été un vrai choc, une fascination. Pour une fois, un roman post apocalyptique me parlait vraiment, non pas tant qu'il soit plus ou moins réaliste que tous les autres, cela tenait plutôt à l'ambiance et à sa focalisation sur les questions réellement essentielles: deux personnages dont l'un entièrement dévoué à l'autre plus faible, un monde vide, plus aucune plante ni animal mais encore quelques rares humains qui errent et peinent énormément à se nourrir. Et parce que l'humain a survécu, ne serait-ce qu'un peu, les grandes problématiques sont toujours là: le bien, le mal, l'abnégation, les limites repoussées de l'instinct de survie, le juste et l’injuste, les éthiques individuelles réduites à l'os, la cruauté, la générosité, le carnage et le don de soi. McCarthy avait su dire tout ça, Pas vraiment en le disant d’ailleurs, plutôt en le montrant à travers ce qu’il faisait vivre à ses héros et en théorisant tout de même un peu dans ce que le père disait au fils. La transmission, réduite à l’ultra strict nécessaire, puisqu’il ne reste rien du monde. Et tout de même, pour eux du moins mais pas pour tous, dans ce presque rien qui reste, pas juste l’instinct de survie, mais une éthique, une morale… Passionnant et poignant. Ce roman est un chef d’œuvre.

Je n'avais pas été la seule à être envoûtée, en 2007, le prix Pulitzer de la fiction lui avait été attribué. Nous avons été très nombreux à le lire et à succomber et chacun se demandait, "Et moi, qu'est-ce que j'aurais fait?" et tous voulaient savoir comment tout cela allait se terminer et après quelles mésaventures et choix cornéliens. Un film en avait été tiré avec Vigo Mortensen dans le rôle du père. D’après les photos, il me semble convenir pour ce rôle, mais je n'ai pas voulu le voir parce que je ne voulais pas qu'on touche à l'expérience que j'avais eue avec le roman. Pour la même raison, je ne me suis pas précipitée pour lire l'adaptation que Manu Larcenet en avait fait en bande dessinée, mais à force de la voir mise en avant à la bibli, il a bien fallu que je cède, et finalement, je l'ai lue. 

J'estime que Manu Larcenet a réussi ce challenge extrêmement difficile. Il a produit une vraie œuvre graphique. Il a su rendre par le dessin, les personnages, le décor, l'ambiance, et quinze ans après cette lecture si marquante qu'elle me semble ne remonter qu'à bien moins, j'ai retrouvé la majeure partie de ce qui fait "La route". Le dessin est parfait, tant pour les personnages que pour tous les choix de décors. Quant à l’œuvre elle-même, je ne l'ai jamais jugée trahie. Rien que cela, c'est une grande réussite. Et cette bande dessinée mettra l’œuvre de McCarthy à la portée de certains qui ne liraient pas le roman.

978-2205208153

01 octobre 2024

Shadow Life

Scenario : Hiromi Goto

Dessin : Ann Xu 

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Présentation de l'éditeur:

"Kumiko est placée à Pâturages Verts, une maison de retraite prisée. Ses filles étaient certes bien intentionnées en choisissant cet endroit pour elle, mais la veuve de soixante-seize ans s’enfuit au bout de quelques jours. Rebelle et indépendante, elle refuse qu’on lui dicte sa condition et emménage seule dans un appartement, gardant le lieu secret. Kumiko se délecte des petits plaisirs quotidiens : décorer à sa guise, manger ce qu'elle veut et aller nager à la piscine. Sauf que quelque chose l'a suivie dans ses bagages : l'ombre de la mort… "


Noir, blanc et quelques nuances de gris (seule la couverture est colorée) pour ce roman graphique de 368 pages extrêmement émouvant, grave, mais pas triste à mon avis. Un graphisme simple et tout à fait adapté. Cela commence quand Kumiko quitte discrètement et nuitamment la maison de retraite où ses filles l'ont installée pour être rassurées à son sujet. Elle avait accepté d'y aller, mais maintenant, elle se rend compte qu'elle ne veut pas de cette vie où les autres décident tout pour elle jusqu’à l’heure de ses repas, même si c’est avec un soin permanent de sa sécurité. Alors elle part et, pour couper court à toute discussion, elle se loue un petit appartement dont elle ne révèle l'adresse à personne. Elle a le sentiment réconfortant de reprendre en main les rênes de sa vie (ce qui est l'exacte réalité d'ailleurs). Kumiko a trois filles. La cadette, immature et exigeante, ne cesse de la harceler par téléphone pour être rassurée. Elle n'accepte pas ce que la vieille dame a fait, elle exige d'être rassurée (au moins, quand elle était dans la maison de retraite, elle n'avait plus à s'inquiéter). Kumiko essaie de lui expliquer que ce n'est pas ainsi que les choses se font et lui demande de respecter ses choix comme elle même a respecté les siens quand elle était jeune. Bien sûr, c'est peine perdue, mais Kumiko ne cède pas et poursuit sa nouvelle vie. Sont nouvel appartement lui plaît. Elle occupe ses journées en allant à la piscine et à la bibliothèque.


Il y a cependant une ombre au tableau, et c'est bien d'ombre qu'il s'agit. Sans jamais parvenir à la voir en face, Kumiko aperçoit du coin de l’œil une ombre qui la suit en permanence et marque même sa peau, prenant des formes diverses et ne la quittant pas. C’est l'ombre de la mort. Kumiko a 76 ans, quand même, son corps faiblit. Il est normal qu'elle commence à y penser... Mais pas tout de suite! Aussi décide-t-elle d'acheter un aspirateur pour faire le ménage chez elle et profiter de sa nouvelle vie dans un logement propre. Et voilà qu'elle parvient à aspirer l'intruse! L'ombre de la mort est prisonnière du sac de l'aspirateur que Kumiko s'empresse de cadenasser autant qu'elle le peut. Kumiko perd-elle un peu la boule? Cela changerait la donne et il faudrait alors voir cette histoire autrement... Mais une fois l'ombre enfermée, elle reprend ses activités avec un meilleur moral, même si sa santé semble se dégrader un peu. Quand l’ombre de la mort rôde autour de vous, ce n’est pas pour rien. Et voilà bientôt qu'elle tombe et se blesse! Elle qui est seule, là où personne ne la connaît.

Voilà, je vous en ai assez dit sur l'histoire, vous découvrirez la suite si vous le voulez. Ce que j'ai le plus admiré, c'est la justesse du récit. Comment l'auteure a-t-elle pu savoir avec autant d'exactitude ce qui se passe dans la tête d'une vieille dame? Les jeunes n'en ont généralement aucune idée. Un coup d’œil à Wikipédia m'a appris qu'elle était née fin 1966. Elle a donc vingt ans de moins que son personnage et cependant, tout est juste dans ce qu'elle montre. Juste et délicat. J'ai beaucoup apprécié ce roman graphique qui éclaire une problématique que nous connaissons ou connaîtrons tous, pour nous même ou des proches. Elle rappelle aux jeunes que ce n'est pas parce que les plus anciens se mettent à avoir besoin d'aide qu'ils perdent pour autant leur droit à l'égalité et à la liberté. Elle rappelle aux vieux qu'il arrive un moment où on ne peut plus se débrouiller complètement tout seul.

C'est ainsi.

Bonne lecture!

9791033513414