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27 décembre 2025


L'homme qui lisait des livres

de Rachid Benzine

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978-2260056867


Comment peut-on dire et faire comprendre autant en si peu de pages?

En une belle langue poétique, Rachid Benzine nous raconte l’histoire du libraire de Gaza et, à travers lui, celle des Palestiniens. Pour le libraire, nous nous le représentons d’autant plus aisément qu’il évoque irrésistiblement cette photo célèbre du libraire de Rabat (je ne me risque pas à vous la montrer ici, il doit y avoir des droits d’auteurs, mais vous la trouverez sans peine). Ce n’est pas de lui qu’il s’agit mais l’image est là. Pour le narrateur, c’est un photographe français, venu faire des photos du conflit. Les journalistes étant devenus charognards, il sait qu’il vendra mieux des photos violentes ou poignantes, mais au détour d’une rue il tombe sur le spectacle d’un vieux libraire qui lit assis sur une chaise, à l’entrée de sa boutique qui déborde de livres, et cette vue le subjugue, touche une part de lui qui n’est pas dans le spectaculaire-marchand. Une oasis au cœur de la guerre. Il veut prendre une photo mais le vieil homme refuse, disant qu’on ne peut prendre une photo de quelqu’un dont on ne sait rien, dont on ne connaît pas l’histoire, ce qui est faux, bien sûr, mais sans doute a-t-il besoin de parler, de raconter une fois encore son histoire, de réveiller ses souvenirs. Le libraire lui offre une tasse de thé s’il veut bien prendre le temps de l’écouter. Séduit, le photographe accepte, il lui faudra plusieurs visites et de nombreuses tasses de thé pour arriver au moment où la photo sera prise.

C’est l’histoire désespérée d’un homme qui est allé de perte en perte depuis sa naissance au village, son enfance passée dans des camps de plus en plus dangereux, et voyant au fil des années, tous ses proches mourir de mort violente. C’est un récit sans une once de haine, sans jugement non plus.

« Une soixantaine d’habitants a ainsi été massacrée. Surtout des hommes, mais aussi quelques femmes et enfants. Pour venger des Juifs tués par des Arabes à la raffinerie de pétrole, parait-il. Des Arabes qui eux-mêmes avaient été victimes de Juifs de l’Irgoun. Cette terre est une litanie de représailles sur représailles, de haines empilées, de tristesse recouverte de tristesse. »

Bien sûr, venant d’un libraire fou de livres, qui donne autant qu’il vend, qui a, à vrai dire, dans cette zone dévastée, dépassé le stade du commerce et semble se nourrir de thé, le récit est littéraire. De nombreux écrivains sont évoqués, Mohamed Dib, Mourid al Barghouti, Frantz Fanon et d’autres. Et surtout, il parle si bien de la lecture ! C’est un enchantement au milieu des ruines et du deuil. Lui aussi croit depuis son enfance que les livres nous sauveront de tout, à commencer par l’ignorance.

« Je voulais tout lire. Toujours plus. Comme si j’étais pris d’une fièvre. Des histoires, des essais, des textes religieux, des revues. Même les vieux journaux abandonnés. Je voulais comprendre, m’évader, grandir, respirer, m’envoler. Et en même temps être utile aux autres.»

Et il est là, maintenant, pour un temps encore, témoignant de tout et, envers et contre toutes les horreurs, n’ayant jamais lâché ses livres qui sont sa foi, sa seule vie, et son âme.

« Mais moi, je les attends. Je les attends tous, mes lecteurs. Imaginaires ou réels, qu’importe. Je ne suis pas seul. Les mots des livres déchirent tous les silences. »

Un texte beau et utile.

« Les mots des livres déchirent tous les silences. »

  128p