Affichage des articles dont le libellé est Kingsolver Barbara. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Kingsolver Barbara. Afficher tous les articles

07 février 2021

Un autre monde

Barbara Kingsolver

*****


Titre original :The Lacuna, 2009

Orange Prize for Fiction 2010.

Encore des heures excellentes passées avec ce roman de Barbara Kingsolver. Encore un thème différent, elle ne se répète jamais. Changeant de lieu, d'époque, de problématique et de types de personnages. B. Kingsolver, c'est l'écrivain de toutes les causes justes. Le contexte historique est ici particulièrement riche et, inutile de la préciser avec cette auteure, particulièrement bien documenté et maîtrisé.

Nous suivons Harrison Shepherd de ses douze ans à sa mort. Le fil rouge du récit est sa secrétaire Violet Brown, qui dispose des journaux intimes que Sheperd a tenus tout au long de sa vie. Il avait commencé jeune, quand à douze ans, sa mère avait quitté son mari pour partir s'installer au Mexique auprès d'un amant plus riche. C'était un enfant solitaire, petit américain soudainement balancé dans une île mexicaine, et solitaire, il le restera toujours. Nous découvrons derrière ce gamin le Mexique du début du XXème siècle. Non scolarisé mais dévoreur de livres, il est envoyé en pension à Washington pour parfaire son éducation. Ses études s'y interrompront brutalement sans que la cause soit jamais clairement donnée mais le lecteur soupçonne un scandale homosexuel. Il aura pourtant eu le temps de découvrir l'oppression et les limites de ce que l'on peut espérer de la démocratie en assistant aux révoltes de la « Bonus Army » en 1932 et à son écrasement par l'armée.

De retour auprès de sa mère au Mexique, Harrison trouve une situation bien dégradée car le nouvel amant de celle-ci est moins riche qu'espéré et solidement marié. Il traîne dans les rues à la recherche de petits boulot et est fasciné un jour par une femme autoritaire qui s'avérera être Frida Kahlo et avec laquelle il nouera ensuite des relations d'amitiés qui surmonteront le passage du temps. Il rencontre aussi Diego Rivera pour lequel il deviendra préparateur de plâtre pour ses fresques.

Chez Rivera, il rencontrera Trotski nouvellement réfugié, pour lequel il travaillera également. Après la mort de ce dernier il retournera aux Etats Unis où il deviendra écrivain à succès, jusqu'à ce que s'instaure la sinistre ère du Maccarthysme, au climat oppressant particulièrement bien rendu, nouveau tremplin passionnant du récit.

Pour accompagner cette histoire passionnante, le style est beau et la profondeur psychologique des personnages réelle (le pudique et phobique Sheperd, la non moins pudique mais plus déterminée Violet...). Encore un vraiment excellent roman que je découvre sous la plume de cette écrivaine.

"Un roman! Pourquoi dis-tu que ça ne va libérer personne? Vers quoi un homme se dirige-t-il pour être libre, qu'il soit pauvre ou riche ou même en prison? Vers Dostoïevski! Vers Gogol!"


978-2743638665

26 décembre 2020

  Des vies à découvert 

de Barbara Kingsolver 

*****


Entre deux confinements, cet été 2020 nous a offert la parution en français d'un nouveau roman de Barbara Kingsolver. Nous avons plus de temps pour lire ? Profitons-en au mieux, et en voilà l'occasion.

Par l'entremise d'un maison familiale commune, nous allons suivre deux familles, l'une au 19ème siècle, l'autre au 21ème. Nous verrons que l'Amérique, ou du moins sa mentalité, n'a pas tant changé qu'on pourrait le croire entre les deux périodes. La maison non plus n'a pas fondamentalement changé. Nous la découvrons au 21ème siècle menaçant ruine et défiant toute tentative de réparation, mais nous découvrirons qu'au 19ème, elle empoisonnait déjà la vie de ses occupants par ses perpétuels (et coûteux) besoins de colmatage. Le problème étant qu'elle a depuis le début été construite en dépit du bon sens par des gens qui n'y connaissaient rien bien que se targuant du contraire.

Le personnage que nous suivons principalement à l'époque actuelle est Willa Knox, la cinquantaine, journaliste et même rédactrice en chef mais au chômage, en pleine période pré-Trump dont le nom ne sera jamais cité mais qu'on l'on subodore derrière le candidat baptisé « Grande Gueule » dont la montée invraisemblable inquiète Willa et autres gens sensés autant qu'elle réjouit toute une frange de petits blancs racistes, sexistes, ignorants, parfois eux-mêmes miséreux. Willa et sa famille en ont un insupportable représentant à domicile en la personne du beau père grabataire qui pourtant ne survivra un peu que grâce aux aides de l'Obamacare que son idole désire tant abroger. La famille, malgré un père professeur d'université (mais n'étant jamais parvenu à se faire titulariser car tel est le système américain), un fils trader (pour simplifier) et une mère journaliste, est dans une misère noire incluant de nombreux jours de frigidaire vide. Le fils vient d'avoir un bébé dont le décès de la mère l'a laissé responsable, charge qu'il ne peut assumer et Willa héritera du bébé. Leur fille, altermondialiste agissante, vient justement de les rejoindre.

Willa, à la recherche d'un passé historique à sa maison pour pouvoir prétendre à des aides pour la réparer, découvre les habitants du 19ème siècle, à savoir Thatcher Greenwood, sa jeune et très belle épouse, sa belle-soeur et sa belle-mère. Thatcher vient de se marier et, bien qu'éperdument amoureux des charmes de sa conjointe, commence à subodorer qu'il n'a peut-être pas fait un choix très judicieux... Par ailleurs, petit prof de science dans une école ultra conservatrice il se heurte au fanatisme religieux du principal (et de la majorité de la population), lui, adepte des toutes nouvelles théories de Darwin. Hélas pour Willa, ce n'est pas lui qui deviendra célèbre, mais sa voisine Mary Treat, scientifique proche de Darwin et d'autres, mais dont les travaux ne seront jamais salués et récompensés, du simple fait qu'elle est une femme et donc, à l'époque, même jamais tout à fait majeure...

Tout cela va-t-il bien se finir ? Pas sûr.

Les admirateurs habituels de Barbara Kingsolver ne seront en rien déçus par ce nouveau roman, qui est magnifique. Précipitez-vous si vous ne l'avez pas encore lu. Il est vraiment remarquable.


EXTRAITS :

« - Une famille de six a droit aux soins gratuits si le revenu familial est inférieur à quarante-quatre mille neuf cents dollars.

C'était largement supérieur à leurs gains conjoints. Willa se sentit à la fois soulagée et désorientée. Mettre un nom sur cette asphyxie prolongée qui la transformait en mort-vivante : la pauvreté. »


« Le tremblement de terre, les flammes, le déluge, la fonte du permafrost, c'était maintenant, et tout le monde continuait à se mettre des briques dans les poches au lieu de fuir le naufrage et de chercher la lumière. »

978-2743651077

 Keisha l'a lu (Si vous l'avez aussi chroniqué, échangeons nos liens)

14 décembre 2020

  Les yeux dans les arbres  

de Barbara Kingsolver

*****


Un excellent roman de Barbara Kingsolver sur le Congo à la veille de son indépendance, une époque où elle y a séjourné elle-même, ayant l'âge d'une de ses jeunes protagonistes. Heureusement pour elle, son père n'était pas Nathan Price, ce prêcheur hystérique qui, dans le roman, allant contre tous les conseils,  emmène sa femme et ses quatre filles dans un village du Congo dans l'intention hautement affirmée de baptiser tous les Congolais qu'il pourrait attraper. Nathan Price est un fanatique, avec tous les caractéristiques du genre, et un homme violent maltraiteur de femme et d'enfants. Il ne verra jamais rien d'autre que ce qui rentre dans le cadre étroit de ses œillères et n'apprendra rien de l'Afrique. Il en ira autrement de sa famille qui, malgré le très lourd tribut qu'elle devra payer à la psychose paternelle, saura voir le monde autour, et les gens auxquels elles s'attacheront, certaines définitivement. 

En dehors de cette saga familiale passionnante et magnifiquement peinte par Barbara Kingsolver, sans négliger le sexisme universel, nous découvrons les horreurs sans noms de la colonisation au Congo. Celle assumée des Belges et de leurs crimes odieux (mains coupées etc.) puis, après l'indépendance qu'ils ont dû concéder, celle plus sournoise des grandes compagnies, principalement américaines, avec le soutien de la CIA, qui assassinera Patrice Lumumba (président élu) au profit d'un fantoche corrompu (Tshombé).

C'est un roman remarquable par la qualité de la peinture psychologique et par l’intérêt documentaire qui ne néglige pas les péripéties qui maintiennent toujours l'attention depuis l'arrivée de ce prêcheur et de sa famille démunie sur le sol africain, jusqu'à l'âge adulte des enfants. Ce qui fait que ses plus de 600 pages se dévorent sans perdre leur lecteur un instant.

Je déteste le titre français que je trouve sot, le titre original « The Poisonwood Bible » est bien meilleur mais nécessite la lecture du roman pour être compris et aussi apprécié qu'il le mérite.

Trois extraits entre mille:
Là mère : « En fin de compte, mon sort se confondit avec celui du Congo. Pauvre Congo, épouse aux pieds nus d'hommes qui lui ont arraché ses bijoux tout en lui promettant le paradis. »

Une fille : « J'avais remarqué que les Congolais ne traitaient pas leurs propre  épouses et filles comme si elles étaient très intelligentes ou importantes. Bien que, pour autant que j'aie pu en juger, je me fusse rendu compte que les épouses et les filles se chargeaient de presque tout le travail. »

et encore « Mon père est convaincu que le Congo est à la traîne et qu'il peut l'aider à être à la hauteur. C'est dingue. C'est comme s'il voulait monter des pneus sur un cheval. »



978-2743607708