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28 août 2025

L'art de perdre

d’Alice Zeniter

*****

978-2290155158

J'aurais dû lire depuis longtemps ce gros roman d’Alice Zeniter, mais je ne me décidais pas. J’avais pourtant beaucoup aimé son «Juste avant l'oubli », mais là, je craignais une énième saga familiale sur fond de "narration du moi" avec interprétations psychologiques, allez savoir pourquoi. Puis, je l'ai trouvé en audiolivre et j'ai voulu tenter le coup en me disant que je n'étais pas obligée d'aller jusqu'au bout si cela ne me m'intéressait pas. Mais jusqu'au bout je suis allée, et ce, sans difficulté. Tout d'abord, parce qu'à mon grand soulagement, je n'ai trouvé aucune trace de nombrilisme dans ce récit. C'est une saga familiale, oui, sur trois générations mais quelles générations! Celles qui ont scellé l'Histoire entre la France et l'Algérie et nous savons où nous en sommes aujourd’hui.

Le récit nous est fait par Naïma, personnage le plus proche de l’auteure et commence avec le grand-père de la narratrice. Naïma, Française, bien intégrée et travaillant dans une galerie d’art, est gênée par le non-dit familial concernant leurs liens avec l’Algérie et comme son physique lui vaut d’être constamment ramenée à cette question, du moins le pense-t-elle, elle s’interroge de plus en plus sur ce passé dont ses parents et grands-parents n’aiment pas parler. Concernant le grand-père, je dirais que c’est plutôt parce qu’il a le sentiment de ne pas avoir maîtrisé quoi que ce soit, ni même compris et même le sentiment qu’il n’a pas été récompensé de ses choix. Lui, bien établi, ancien combattant pour la France, amoureux de l’ordre et croyant en la toute puissance de l’armée, a choisi la France contre les rebelles en la victoire desquels il ne croyait pas.

"C'est ça, une guerre d'indépendance. Pour répondre à la violence d'une poignée de combattants de la liberté qui se sont généralement formés eux-mêmes dans une cave, une grotte, ou un bout de foret, une armée de métier étincelante de canons en tous genres s'en va écraser des civils qui partaient en promenade."

Ce faisant, il a tout perdu, sa maison, ses terres, sa place de notable pour ne sauver que sa vie, et de justesse. Combien de milliers de Harkis sont restés sur le quai quand le dernier bateau est parti emportant une foule qui avait même dû renoncer à ses bagages. Arrivé en France, « sa Patrie », qui avait déjà bien du mal à intégrer ses Pieds Noirs, il s’est retrouvé dans des camps de rétention. Alors non, il ne sait plus trop comment tout ça s’est passé.

Son fils, grandira dans ces camps puis dans une cité de l’Orne, apprendra l’humilité, pour ne pas dire l’humiliation

"Pourquoi est-ce que tu t'humilies? La politesse se rend, l'amitié se partage. On ne fait pas des sourires et des courbettes à ceux qui ne nous disent même pas bonjour."

il aura des métiers humbles et difficiles, mal payés affrontera le racisme et fera tout pour s’intégrer. Il ne sera bien sûr jamais désireux de se souvenir ni de transmettre les coutumes du pays qu’il a quitté si jeune, dont il ne lui reste que peu de choses et où il sait qu’il ne remettra jamais les pieds. Tout son être est tourné vers la France et l’intégration, même s’il ne progresse pas vite. Il sait maintenant qu’on ne se vante pas d’être harki, mais il sait aussi qu’en face, les purs de la rebellions ont été eux aussi bien vite éliminés par les postulants dictateurs. Il préfère dire qu’il a tout oublié, et c’est de plus en plus vrai.

Mais avec le début des attentats à Paris, le regard des autres renvoient Naïma à la question de son identité. Elle est française, c’est sûr, mais est-elle aussi algérienne ? A-t-elle envie ou non, d’aller voir la terre de ses ancêtres ? Elle n’en est pas sûre mais une obligation professionnelle l’y envoie et elle en profitera pour retourner jusqu’à la maison familiale, voir ce qui reste de ce passé occulté. Et en fait, c’est autre chose qu’elle va découvrir.

Dès son premier pas sur ce sol, elle va être confrontée à ce qu’implique là-bas, sa condition de femme. Elle, femme libre, se heurte aux dictacts sexistes du lieu. Elle s’y plie de son mieux, ne fume pas dans la rue, ne porte pas de short, se couvre la tête, marche tête baissée… comme on fait quand on est en visite et qu’on veut être polie. Mais accepter ça comme mode de vie ? Accepter définitivement que n’importe quel gugusse puisse l’agresser dans la rue parce que sa tenue ne lui plaît pas ? Sûrement pas. L’évidence s’impose d’emblée. Elle ne veut pas de cette vie-là. Sa grand-mère n’avait jamais été consultée sur les choix de son grand-père, même si toute sa vie en avait été totalement bouleversée et la famille dispersée. Sa mère coincée entre fascination pour la modernité française et nostalgie du pays perdu n’avait jamais suffisamment quitté l’appartement et la cité pour parler convenablement le français et se faire une vie française. Naïma, elle, a fait des études, a organisé sa vie professionnelle et sentimentale. Gère son indépendance, sa vie privée et sa liberté. Elle ne va pas y renoncer. Au contraire, la quête identitaire qu’elle vient de mener lui a permis de mettre les choses au clair pour poursuivre son chemin avec plus de sûreté.

Pour porter cette histoire importante, il faut enfin parler de l’écriture d’Alice Zeniter, qui est belle, fluide et maîtrisée. La structure en trois parties est simple mais colle parfaitement au propos, et sur le plan historique, on apprend ou révise comment tout cela s’est passé. C’est important et intéressant aussi, parce que loin d’être une histoire personnelle, c’est celle de trois générations de familles qui sont maintenant françaises pour la plupart.

608p


25 novembre 2021

Juste avant l'oubli  

d'Alice Zeniter

****+

Paru pour la rentrée littéraire 2015, le thème de ce roman m'intéressait bien. Il y avait un couple à un tournant crucial de son histoire (pourra-t-il continuer sa route, ou pas), une réunion d’universitaires spécialistes d'un écrivain solitaire à la forte personnalité, venus autopsier

« un cadavre littéraire offert en pâture à leurs études, à leurs esprits analytiques, à leurs méthodes de dissection. »

une île déserte, ou presque,

« C'est une île cuirassée, protégée par une armure d'impossibilité-d'y-vivre. »

 où s'était retiré le dit-écrivain et uniquement peuplée d'un gardien étrange et inquiétant, la mort mystérieuse de l'écrivain des années auparavant, corps non retrouvé, et le flot des conjectures qui avaient suivi et suivaient encore... C'était simple : Je devais absolument lire cela.

Et je ne regrette pas de l'avoir fait. Si ce n'est pas un coup de cœur absolu, cela à tout de même été un excellent moment de lecture. L'histoire ne suit pas tout à fait les voies que l'on pouvait supposer (elle reste plus réaliste que le genre « Dix petits nègres ») sans pour autant décevoir. Réaliste. C'est cela. J'étais prête à embarquer pour des licences romanesques bien plus aventureuses (et qui n'auraient sans doute mené nulle part, tout a déjà été fait dans ce sens-là) mais Alice Zeniter, dans l'original, certes, est néanmoins restée dans le réalisme le plus vraisemblable. Et tout compte fait, elle a sans doute eu raison.

Nous commençons par faire la connaissance de l'élément mâle du couple : Franck, infirmier, très sympathique, et que nous ne quitterons plus jusqu'à la dernière page. Puis ce sera sa compagne, qui prépare une thèse sur Galwin Donnel (l'écrivain). Franck est très complexé par son prénom (personnellement, je me serais plutôt attendue à ce que ce soit Galwin) mais nous comprenons vite que c'est plus exactement son infériorité intello-sociale qui peut poser problème. Le confinement sur une minuscule île peu hospitalière de ce gardien taciturne, de la jeune thésarde inquiète, de notre infirmier incertain et de cette fournée de spécialistes d'un auteur de polar, dans l'ambiance de sa mort mystérieuse sur les lieux-mêmes risquait fort d'aboutir à un drame, et cela ne manquera pas.

J'ai bien aimé qu'Alice Zeniter se pique au jeu de donner toutes les marques de la réalité à son écrivain célèbre. Elle indique sa bibliographie en détail, nous livre des citations avec titre et numéro de la page, elle nous livre des extraits de la page Wikipédia qui lui est consacrée... J'ai trouvé cela amusant. 

Galwin Donnel avait créé un détective récurrent, qui prenait le contrepied de tout ce que l'on peut espérer chez ce genre de personnage. Il avait tellement de défauts qu'il devait être drôlement difficile pour les lecteurs de s'attacher à lui. Mais ils l'ont néanmoins fait et les aventures se sont multipliées. J'ai aimé tous les petits clins d’œil qui font par exemple que Donnel étant fasciné par Conan Doyle avait appelé son héros Adrian Dickson Carr. J'ai adoré cette idée du dernier roman resté orphelin à l'avant dernier chapitre, qui fait que le lecteur a toute l'intrigue, mais pas le nom du coupable ! 

« Car les polars habituels entretenaient le lecteur dans l'illusion qu'il existait partout dans le monde des génies prêts à résoudre n'importe quelle affaire, alors même que les systèmes policiers et judiciaires affrontaient en réalité des monceaux de dossiers classés sans résolution aucune. »

Beaucoup de petits détails de la narration m'ont absolument enchantée (comme, par exemple, le tracé de la route, pages 57-58 de mon édition pour ceux qui liront). Et tout cela se termine comme cela devait se terminer, si l'on y réfléchit bien, et il y a même à mon sens, un crime littéraire...

Si vous êtes comme moi, vous passerez un très bon moment avec ce livre.

978-2290126486