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30 septembre 2023

Les autres ne sont pas des gens comme nous

de J.M. Erre

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Un livre pour se détendre, un livre pour rire, un livre pour s'amuser. Et pourtant, on partait de loin puisque Julie la narratrice est une jeune femme tétraplégique de naissance. "Je suis prisonnière d'une carcasse inerte, avec le regard torve, la bouche ouverte et la bave abondante comme équipements de série. (...) Je suis clouée à vie à un fauteuil high-tech connecté à un ordinateur que je suis capable de manier grâce à l'unique morceau de ce corps inutile que je parviens à bouger: mon majeur de la main droite, dressé en permanence vers le ciel comme pour lui adresser un message (mais lequel, mystère)." Là, vous vous dites, "Attention à ne pas trop charger non plus", "Peut-on rire de tout?" et toute cette sorte de choses... Voilà que notre narratrice handicapée a décidé de devenir écrivaine. Elle va créer un personnage de femme valide, appelée Mado et lui faire mener une vie normale, elle veut dire, valide, qu'elle fera vivre dans sa petite ville. On ne quitte pourtant pas l'humour noir, parce que Julie a surtout décidé de faire rire pour ne plus avoir a subir les regards navrés qu'on lui lance sans arrêt. Elle fera rire dans ses écrits et dans la vie, le tout dans le plus parfait mauvais goût. On est plus près de l'humour noir et de la blague de carabin que des nonsense et understatement de l'humour anglais. Donc, il faut savoir à quoi s'attendre et si on peut apprécier ou non.

Si vous n'avez pas refermé le livre, notre Julie nous dresse donc une galerie de portraits de personnages rencontrés dans sa ville, et sans trop se soucier de vraisemblance, nous conte quelques anecdotes à leur sujet. Les lecteurs qui ont lu les précédents romans de J.M. Erre, s'apercevront que plusieurs références y sont faites quand ce n'est pas leur héros lui-même que l'on retrouve. Ainsi le premier rencontré, Félix Z, avait-il animé "Série Z". Ces brefs récits sont hantés par l'apparition répétée en arrière plan d'un certain Michel H. "dépressif intégriste", mais que vient-il faire dans cette galère ? Nous le saurons bientôt.

Voilà, je ne vais pas crier au génie et ce n'est pas du tout mon roman préféré chez J.M. Erre, mais si l'outrance ne vous effraie pas et qu'une envie de rire sainement de tout vous vient, c'est une lecture qui peut s'envisager, d'autant que nous n'avons pas tant que ça d'auteurs comiques, surtout si on exclut ceux qui ne savent amuser qu'en agressant autrui (système qui me déplaît fortement).

A vous de voir.

9782283036532

23 juillet 2021

 Le mystère Sherlock

de J.M. Erre

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Erre, candidat sérieux à la chaire d’holmésologie

"Dans ce cas, si Holmes n’est pas Holmes, qui est Holmes?"

Nous sommes en Suisse dans un chalet luxueux mais bien éloigné de tout et difficile d’accès en hiver ; et ce n’est pas sans risquer leurs vies que les holmésiens les plus brillants du monde le rejoignent pour répondre à l’invitation de l’éminent Professeur Bobo qui a une chaire d’ holmésologie à attribuer et compte profiter de ce huis clos pour déterminer qui est le plus apte à occuper ce poste. Pour ce faire, il a convoqué en ce lieu les neuf meilleurs spécialistes du sujet tandis qu’à son insu, une journaliste déguisée en servante est parvenue à s’introduire dans les lieux. C’est elle qui mène le récit par l’intermédiaire de son journal qu’elle tiendra à jour jusqu’au dernier moment. Elle nous montre avec la plus cruelle objectivité les éminents participants et leur mentor, le prestigieux professeur Bobo qui, malheureusement, est complètement gâteux (alors que les autres Gentils Membres ne sont que partiellement atteints).

"Tout avait commencé comme un week-end de détente au milieu d’une troupe de passionnés gentiment fêlés. Je m’étais amusée à observer comment des cerveaux adultes et éduqués pouvaient régresser face au gros lot en jeu, jusqu’à retrouver les gestes et les attitudes des enfants qu’ils avaient été… Et puis nous avons subi l’avalanche et ramassé deux morts."

Car avalanche il y eut, qui recouvrit le chalet et les lieux passèrent de «difficiles d’accès» à «totalement coupés du monde». Au même moment, tout aussi malencontreusement, commencèrent les décès et l’inexorable réduction du nombre des participants… Autant dire que nous ne sommes plus chez Conan Doyle, mais chez Agatha, et que nos dix petits holmésiens n’en mènent pas large.

J.M. Erre manifeste dans le traitement de son roman une plus qu’excellente connaissance du sujet et de la littérature y afférant, aucune page du «canon»* ne semble pouvoir échapper à sa mémoire, aucune variation sur le thème de S.H, aucun écrivain ayant tenté de s’approprier le personnage ne semble lui être inconnu. Et le lecteur, lui-même très probablement holmésien (sinon il ne serait pas là ) – niveau 2 présumé-, a plaisir à reconnaître les évocations et les clins d’œil et à se sentir entre amis.

Ce roman traite son sujet sous deux angles : le comique et l’énigme policière.

Le comique m’a parfois fait sourire, jamais rire, et relève d’un humour dont je ne suis pas très friande (je le trouve lourd).

Par contre, l’énigme policière de type Whodunit est parfaite. Elle se tient très bien et si on y réfléchissait un peu on pourrait parfaitement trouver la (ou les) solution(s) en même temps que ce cher Lestrade, chose que les holmésiens aiment bien dans une histoire policière.

Autre chose encore : on ne peut lire ces évocations des cruelles luttes entre universitaires pour les meilleurs postes sans songer à David Lodge et à ses peintures au couteau de ce milieu.

"Chacun se l’(Holmes) appropriait, se voyait comme le gardien jaloux de sa mémoire, et vivait douloureusement les prétentions des autres à la garde du bébé… C’était une passion qui les habitait, qui les grandissait, qui les faisait vivre.

Mais qui était aussi en train de les détruire."

Tout comme l’on songe aux différents chapitres de «l’art de la fiction» du même Lodge recensant les différentes techniques narratives. Car de même que tous les procédés comiques, J.M. Erre met en œuvre tous les procédés du récit (journal, correspondance, compte rendu, notes etc. et même post-it), cela tient un peu du pari ou de l’exercice de style amusant.

Mais il reste Sherlock. Encore insoumis.

"Au fond, c’est peut-être ça un mythe : un personnage dont le talent dépasse celui de son créateur, un être qui a davantage d’ampleur dans l’imaginaire collectif que dans celui de son géniteur, une figure que des écrivains successifs vont s’approprier dans l’espoir d’être celui qui saura enfin se hisser à son niveau.

Un personnage qui fait naître un auteur et non l’inverse."


* Canon : les quatre romans et cinquante-six nouvelles que Conan Doyle consacra à Sherlock Holmes


978-2266233552

20 juillet 2021

Le bonheur est au fond du couloir à gauche 

de J.M. Erre

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On ne partait pas gagnants sur ce coup-là. Pris pour m'amuser un peu et parce que J.M. Erre me fait habituellement rire ou au moins sourire, j'ai eu une première déception en voyant le bouquin, qui est petit ! 182 pages. L'auteur ne fait habituellement pas des pavés, mais enfin, moins de 200 pages, ça me paraissait mesquin. Ensuite, quand j'ai commencé, j'ai réalisé que cela allait être de bout en bout un monologue de narrateur dépressif chronique mené de manière à nous faire rire. Et là, je dois avouer que j'ai pensé que ce genre de truc devient vite lassant et qu'il n'allait pas arriver à me retenir longtemps.

Mais j'avais tort.

En fait, j'ai lu jusqu'au bout et avec assez souvent le sourire aux lèvres. C'est drôlement bien fait.

D'abord l'histoire est amusante, le dit narrateur s'appelle Michel H. , facétie de l'état civil, « H. » est son patronyme et non pas une abréviation. Ceci dit, s'il vous prenait l'idée de vous le représenter physiquement sous la forme d'un Michel Houellebecq jeune dont il est fan, pour vous faciliter la visualisation, eh bien, vous ne seriez sans doute pas très loin du compte bien que notre Michel H. ne soit pas écrivain. Pour tout dire, il est sans emploi, et, on le verra bientôt, à peu près inemployable, mais pour le moment, son souci est autre, la femme de sa vie (Bérénice, trois semaines de vie commune, un record absolu pour lui) vient de le quitter. D'elle il ne reste que les livres qu'elle a lus ou consultés dernièrement. Notre narrateur est dans le déni total, ayant toujours une vision aussi inexacte que décalée de toute situation. Il cherche bien sûr d'abord à se suicider mais y renonce par crainte de se réincarner et de devoir recommencer une autre vie à zéro tandis qu'il a déjà fait un bout de celle-ci (deux secondes pour bien apprécier l’absurdité du raisonnement, j'aime l'humour absurde). Il entreprend donc plutôt de la reconquérir par tous les moyens imaginables ne reculant pas devant le recours à un marabout africain sur lequel il fonde les plus grands espoirs. Il se trouve par ailleurs que les livres que Bérénice lui a laissés sont de ces ouvrages de développement personnel tellement à la mode en ce moment. Il espère trouver en eux les conseils qui lui permettront d'être un homme meilleur et en conséquence, de garder Bérénice, et se lance dans l'exécution de leurs programmes.

Notre cohabitation avec Michel H. ne va durer que 12 heures, mais elle nous permettra néanmoins de tester beaucoup de ces méthodes (que l'on reconnaît au passage). Michel en fait une application sans nuance qui met bien en valeur leurs « qualités » et contribue grandement au comique du livre. Tout comme ses relations de voisinages, fréquentes. Très. On se régale aussi au passage des clins d’œil houellebecquiens, du système d'appréciations laissées sur Amazon ou autres sites, de l'usage des discours électoraux comme antidépresseurs et des applications informatiques de commande vocale comme Siri.

Bref, vite lu mais bien aimé en fin de compte et qui a parfaitement gagné son pari de m'amuser, alors OK, je valide, et avec le sourire.



978-2283033807