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10 mai 2023

Les jardins de lumière

d'Amin Maalouf

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J’ai encore une fois retrouvé avec beaucoup de plaisir ce conteur hors pair qu’est Amin Maalouf.

Comme vous le savez sans doute, plusieurs de ses romans sont ce que l’on pourrait qualifier de «biographies romancées». C’est le cas de ces «jardins de lumière». Maalouf nous fait suivre ici depuis dès avant sa naissance jusqu’après sa mort, la vie de Mani, artiste et philosophe mésopotamien du 3ème siècle dont la pensée fut déformée au fil des âges et des malveillances, jusqu’à donner naissance au terme «manichéen» alors qu’elle était justement tout sauf manichéenne, du moins dans l’acception actuelle du terme.

C’est justement la grande, l’énorme qualité d’Amin Maalouf de nous expliquer avec clarté la réalité et la subtilité de ce que fut cette philosophie exposée aux malentendus -et ce, dès sa première expression puisqu’il était impossible d’être philosophe, il fallait être prophète; impossible d’avoir une éthique, une philosophie, il fallait que ce soit une religion. L’on tolérait mieux les activités sectaires qu’une philosophie sans dieu. Et ce n’étaient là que les premiers dévoiements, ils seraient suivis de bien d’autres. L’énorme qualité de l’auteur, disais-je, de savoir nous l’expliquer, non seulement avec clarté, mais encore avec la légèreté et le suspens d’un roman ou, selon ce que je ressens moi quand je lis Maalouf, d’un conte passionnant. Si la culture est partout, le cours n’est nulle part. On apprend les innombrables choses que nous révèle ce livre sans le moindre effort, tout simplement parce qu’elles font partie de l’histoire passionnante qu’on nous raconte là.

Une chose encore qui plaît aux lecteurs d’Amin Maalouf, c’est le choix de ses personnages principaux. Qu’ils soient réels ou imaginaires, ils ont tous ces qualités du cœur et de l’esprit qui font les vrais humanistes et ce Mani tient haut le flambeau de cette cause-là. Maalouf nous dresse tout cela, avec son talent incomparable de conteur, son art consommé du portrait qui sait faire surgir à notre esprit le personnage très net, tel qu’il apparaîtrait si on le rencontrait. On le voit; et ce, aussi bien pour les seconds rôles que pour les vedettes.

Voilà pourquoi c’est avec plaisir et délassement que je me suis immergée dans ce monde ancien, pas si différent du nôtre au fond, pour les grands problèmes et où se posent les questions encore tout à fait d’actualité comme: Le sage peut-il composer avec les puissants? S’approcher du pouvoir l’aidera-t-il à rendre le monde plus sage ou à affaiblir sa sagesse? Il aurait fallu deux vies à Mani, une pour essayer chacune des tactiques, mais nous sommes tous dans cette situation-là et nous avons déjà notre idée sur la question, que l’expérience de Mani confortera ou non.

9782253061779


Extraits :

- " La Lumière qui est en vous se nourrit de beauté et de connaissance, songez à la nourrir sans arrêt. Ne vous contentez pas de gaver le corps. Vos sens sont conçus pour recueillir la beauté, pour la toucher, la respirer, la goûter, l’écouter, la contempler. Oui, frères, vos cinq sens sont distillateurs de Lumière. Offre-leur parfums, musique, couleurs. Epargnez-leur la puanteur, les cris rauques et la salissure.


"- Pour tout ce que j’ai à faire combien de temps m’est-il accordé?

- Cela, tu n’en sauras rien, lui dit l’Autre

(…)

Tu as l’éternité et l’instant, quelle importance? Le temps est l’hameçon des Ténèbres. Ne te laisse pas leurrer, n’aie d’autre souci que ta mission, chaque jour! (153)


"Sois traître à l’Empire, s’il le faut, et rebelle aux décrets du Ciel, mais fidèle à toi-même, à la Lumière qui est en toi, parcelle de sagesse et de divinité. (216)


"Pour un mage qui se dévoue, il en est quarante qui rêvent de puissance et ne vivent que de complots et d’intrigues. A chacun ils dictent comment s’habiller, manger, boire, tousser, roter, pleurer, éternuer, quelle formule marmonner en toute circonstance, quelle femme épouser, à quel moment la fuir ou l’enlacer, et de quelle manière. Ils font vivre grands et petits dans la terreur de l’impureté et de l’impiété.

Ils se sont approprié les meilleurs terres de chaque contrée, ils ont amassé des richesses, leurs temples débordent d’or, d’esclaves et de grains; quand la disette sévit, ils sont les seuls à ne jamais en souffrir. Au fil des règnes, ils ont accumulé les prérogatives. Pas un adolescent qui sache aligner deux caractères sur une tablette sans qu’un mage lui tienne la main. Pas un acte de vente qui puisse être conclu sans qu’ils prélèvent leur part. Pas un litige qui puisse être réglé sans leur arbitrage. C’est encore aux mages de décider si un décret royal est conforme à la loi divine, loi qu’ils interprètent bien évidemment à leur convenance. (…) Crois-tu que tout cela leur suffise? (169)



14 mars 2021

 Les Echelles du Levant 

d'Amin Maalouf

****+


Hymne à la tolérance

   Tout d'abord, ce livre est UN Amin Maalouf, c'est-à-dire un récit rapporté avec le brillant talent de conteur de cet auteur. Si vous aimez que l'on vous raconte des histoires, si vous aimez (comme moi, parfois) vous contenter de vous laisser emporter par un récit habile et sans faiblesse à travers les époques, les pays, les drames et les joies, vous aimerez ce roman. 

       Il commence au Liban avec la naissance, au début du 20ème siècle, du personnage principal qui raconte sa vie au narrateur qui va nous la rapporter. Cet homme, né sur la plaque tournante des échanges oriento-européens, de l'union d'un Turc et d'une Arménienne, est le fruit de la tolérance, du multiculturel et de l'ouverture d'esprit, Son père est riche et il acquiert ainsi l'aisance et l'éducation. Parti sur ces bases a priori favorables, il ne va connaître que les guerres et les haines. Depuis celles qui opposent les Turcs aux Arméniens jusqu'à celles qui sévissent encore en Palestine. Le voilà débarquant en France pour y poursuivre ses études et devenant un personnage de la Résistance, le voilà amoureux fou (d'une Juive lui, l'Arabe), le voilà retournant au pays, le voilà perdant la raison dans un monde fou et nous voyons ainsi défiler toute sa vie qu'il narre à l'auteur, à la veille du tournant décisif qu'elle va prendre... 

       Pour la fin, je vous laisse découvrir, je vous laisse deviner, et je ne suis pas la seule. Vous me comprendrez. 

       Le récit est doux et tellement attachant ! Pour ma part, je ne me suis pas identifiée au héros, ni à aucun autre personnage, mais j'ai éprouvé de la sympathie pour lui, pour eux, même peut-être, pour le frère détesté. 

       Ce que j'aime chez Amin Maalouf, hormis ses dons de conteur, c'est cet humanisme qui est la base de son mode de pensée et qui structure ses récits, son évidence de la tolérance et du multiculturel. On les retrouve dans tous ses récits et c'est ce qui en fait le goût, je devrais dire, la saveur. C'est le monde, l'Histoire et la vie vus comme j'aime qu'on les voie. 

       «Les échelles du Levant» n'est pas mon Maalouf préféré, qui serait plutôt «Le périple de Baldassare» ou «Le premier siècle après Béatrice», mais c'est tout de même un très très bon. 

978-2253144243