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07 mars 2021

 L'Œuvre au Noir 

de Marguerite Yourcenar

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   Quand j’ai commencé à lire “L’œuvre au noir”, je suis tout d’abord restée étrangement extérieure au récit. C’est sans doute ce que l’on appelle la «froideur» du style Yourcenar. C’est vrai que dans un premier temps il nous semble qu’elle s’adresse plus à notre cerveau qu’à nos sens. Elle n’agit pas sur les ressorts habituels qui activent nos émotions et celles-ci ne s’éveillent pas tout de suite. Mais cela vient néanmoins et on ne comprend bientôt plus pourquoi on ne les avait pas senties immédiatement.

      Pourtant, si on sent, il me semble que l’on regarde davantage encore. Certains auteurs nous rendent presque acteurs de leurs fictions, je trouve que Marguerite Yourcenar nous en fait plutôt spectateurs. Ce n’est ni un compliment, ni un reproche, c’est juste ainsi que je ressens ce qu’elle écrit. Cependant, plus je progressais dans ses œuvres, plus cette impression s’estompait et il m’est bien difficile maintenant de dire si, et dans quelle mesure, cela est dû aux œuvres que j’ai successivement rencontrées ou à l’amélioration de ma compréhension de ce qu’elle écrit. Tout cela pour vous dire : si vous n’ «accrochez» pas tout de suite à l’écriture de Marguerite Yourcenar, insistez, laissez-lui le temps de s’installer, cette expérience vous enrichira.

     Nous suivons ici Zénon, bâtard de la puissante famille Ligre, devenu homme et parti sur les routes d’Europe. Il est l’archétype de l’Humaniste de la Renaissance, s’intéressant à tout (y compris aux fumeuses recherches de l’alchimie), à une époque où l’esprit scientifique n’est pas encore en place. Il a fait partie d’une grande lignée d’intellectuels, soumis pour éviter la misère, au bon vouloir des riches et pour éviter la torture à celui de l’église. Tenir à distance ces deux fauves dangereux nécessitait prudence et concessions alors que leur intelligence, leur curiosité et je me dis parfois aussi, leur extraordinaire courage, leur témérité, les tiraient vers les risques insensés des recherches et du savoir.

     Il est certain que Zénon est inspiré de tous les grands humanistes de la Renaissance, quel qu’ait été leur champ d’investigation, à une époque où tous les champs se confondaient d’ailleurs ; qu’ils aient eu de la chance comme Vinci aimé de François 1er, ou qu’ils n’en aient pas eu et aient dû subir la question et le bûcher.

     Ce roman se divise en trois parties, intitulées par M. Yourcenar : “La vie errante”, “La vie immobile” et “La prison”.

     “La vie errante” nous montre Zénon alors qu’il voyage sur les routes du sud au nord de l’Europe, trouvant à s’employer ici ou là à diverses tâches et faisant son apprentissage intellectuel, formant son esprit par ses études et ses expériences de tout ordre. Il publie quelques ouvrages, qui le mettent en danger.

     “La vie immobile” nous le montre revenu et installé à Bruges. De nombreuses années ont passé et, présenté sous un faux nom (Sébastien Théus), on ne le reconnaît pas. S’il est devenu athée, il a l’élémentaire prudence de le cacher à tous et il s’y lie d’amitié avec un autre intellectuel, le prieur des Cordeliers.

     Dans la troisième partie, “La prison”, Zénon est reconnu et emprisonné à Bruges qu’il n’a pas voulu fuir et l’histoire s’achève d’une façon que je crois “énorme” pour l’époque et qui prouve à quel point il s’était intellectuellement libéré.

     Il me faut dire encore que, tout au long de cet ouvrage –comme de plusieurs autres de cet auteur-, j’ai admiré son énorme culture. Qui nous permet d’apercevoir cette époque et son personnage de façon fort intelligente.

     Le livre se termine par une courte postface de l’auteur. Ce serait une erreur de ne pas la lire. On y découvre la genèse de ce livre exceptionnel.


978-2070402670