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25 février 2023

Docteur Fischer de Genève

de Graham Greene

***+

Le Dr Fischer, fort riche, vit comme un roi à Genève. Il a sa cour. Il n’aime personne, même pas sa fille. On peut même dire qu’il méprise tout le monde. Il dit que la cupidité des gens est telle que l’on trouve toujours un prix pour lequel ils feront n’importe quoi. Que sa fille, Anna-Luise, échappe justement à ce schéma ne l’amène pas à revoir sa théorie, il se contente de l’ignorer. Ce qui lui évite la contradiction. (Procédé commode que je recommande à chacun en cas de besoin, c’est tellement mieux que d’être contrarié.)

Sa fille donc, est tombée amoureuse d’un homme bien plus âgé qu’elle, manchot et pauvre (tout pour plaire) : Alfred Jones, qui vit de traductions et est le narrateur. Pour l’épouser et vivre avec lui, elle a quitté l’opulente demeure paternelle nantie juste d’une petite valise et sans même lui faire ses adieux. Le Dr Fischer a affecté de ne même pas s’être aperçu de son absence. Jones, ignorant tout du bonhomme estime qu’il faut néanmoins lui faire savoir qu’il a épousé sa fille et se rend chez lui pour le lui annoncer. Snobé par le majordome, il repartira cependant avec une invitation pour une des fameuses soirées du Dr Fischer sur lesquelles courent les plus honteuses rumeurs. C’est à ces occasions en effet que le magnat teste ses conceptions de l’ignominie humaine (sans envisager que ses expérimentations puissent en être une forme). Durant les dîners du Dr Fischer, les rares invités, tous riches eux-mêmes, mais moins que le Docteur, subissent d’horribles humiliations mais, s’ils font bonne figure jusqu’à la fin de la soirée, ils reçoivent un cadeau toujours somptueux.

G. Greene répète plusieurs fois que ces gens sont riches et que ce qui est prouvé est que la cupidité de l’homme déjà riche est sans limite. J’ai eu l’impression qu’il soulignait ce trait pour qu’on ne lui reproche pas de railler des gens qui auraient un besoin tout à fait justifié de gagner les cadeaux promis. Facile de se moquer de l’envie des pauvres quand on ne manque de rien. Mais je me trompe peut-être, il est aussi possible qu’il ait voulu examiner la cupidité détachée de tout besoin rationnel d’où : la cupidité des riches. L’accent mis sur l’opposition riches-pauvres en matière de cupidité m’a tout de même fait tiquer car elle s’exprime ainsi:

"Tous mes amis sont riches, et il n’y a pas plus cupide que les riches. La seule fierté des riches vient de ce qu’ils possèdent. C’est uniquement avec les pauvres qu’il faut faire attention."

Si ce n’est pas de la démagogie, là… Vilain riche jamais gavé et gentil pauvre honnête et fier. Hum, hum… il y aurait à discuter. Je crains que le monde ne soit un poil plus complexe.

Pour ma part, j’ai trouvé que ce distinguo était artificiel et détruisait une partie du raisonnement. On étudie la cupidité et non ses causes. Le rappel omniprésent de type « ils sont prêts à tout pour gagner leur cadeau alors qu’ils n’en ont même pas besoin » affaiblit plutôt la démonstration -car qu’est-ce que le besoin en cette matière?-, d’autant qu’il n’aboutit jamais à la question suivante qui aurait dû être « Mais alors, pourquoi le font-ils ? ». La seule question envisagée est « jusqu’où iront-ils ? » et, la réponse est, on le verra comme on s’en doutait : très loin. Trop loin pour certains. Mais ce n’est pas très intéressant, ça. Les pantins cupides ne nous montrent pas leur profondeur, leur possible ambivalence, et se limitent à leurs actes. Oui, mais et alors ? quelle leçon en tirons-nous ? Ni réponse, ni piste de réponse.

De son côté, Anna-Luise n’a pas d’états d’âme, Jones sera testé. Fischer est un monstre de la plus belle eau sans plus de complexité que cela. Tout finit mal bien sûr et j’ai été intéressée mais frustrée et contrariée… Le genre de bouquin qu’on referme avec un claquement de langue réprobateur, d’autant qu’il a été publié en 1980, époque où ce genre de récit un peu existentialiste était déjà dépassé et remplacé par plus complexe. Plus ambivalent.

9782221130476


06 avril 2022

 Voyages avec ma tante  

de Graham Greene

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«Un virus dans le sang des Pulling»

Le narrateur, Henry Pulling, célibataire, entame une paisible retraite de directeur de banque anglaise avec une seule passion : les dahlias et le confort douillet d’une vie bien organisée. Pourtant, nous faisons sa connaissance dans une triste circonstance : l’enterrement de sa mère. Il n’est pas effondré de douleur car elle semble avoir été davantage femme de devoir que femme de cœur. Son père, mort plusieurs années plus tôt, c’était autre chose, plutôt un séducteur nonchalant. A cet enterrement, il fait la connaissance de sa tante, sœur de sa mère, qui ne l’a pas revu depuis son baptême et elle lui annonce d’entrée de jeu que sa sœur n’était pas sa mère biologique. Elle ne va cependant pas jusqu’à lui en dire plus sur cette dernière…

La tante a plus de 75 ans mais n’en reste pas moins une femme fort active et décidée. C’est également une femme qui « a vécu » (et fait encore la vie) comme Pulling va le découvrir de plus en plus au fil des souvenirs qu’elle va égrener avec lui. Tout d’abord, il va se rendre chez elle pour lui découvrir un invraisemblable compagnon, Wordsworth, un noir de plusieurs décennies son cadet et loin de maîtriser l’anglais aussi bien que quantité de trafics quasiment invraisemblables pour un vieux directeur de banque amoureux des balances comptables et des dahlias. Et tout de suite, la vie d’Henry prend un tour inattendu puisque sa visite chez sa tante avec encore dans les bras l’urne funéraire de sa mère, va être immédiatement suivie de sa première descente de police car qui dit connaître Wordsworth et la tante Augusta, dit avoir de fréquents contacts avec la justice et la police, et pas toujours du même côté de la barrière. H. Pulling va découvrir sans peur, car il jouit du flegme britannique et sa position sociale l’a habitué à un sentiment de sécurité, mais avec une certaine incrédulité un monde qui a pour lui plus des allures de roman que de réalité.

Et tout au long du roman, comme le titre le laissait bien prévoir, Tante Augusta va entrainer son neveu qui n’a jamais entrepris le moindre périple loin de son « sweet home », dans des voyages de plus en plus lointains et incertains, remontant ses souvenirs amoureux (nombreux et mouvementés) à l’aide de l’Orient Express et autres moyens de locomotion.

"C’était comme si je m’étais évadé d’une prison ouverte, à la faveur d’un enlèvement où l’on m’eut fourni une échelle de corde avec une voiture prête à m’emporter, pour plonger ensuite dans le monde de ma tante, un monde de personnages surprenants et d’évènements imprévus."

Le rythme est enlevé, le ton est humoristique, la vraisemblance est en option et c’est avec le sourire que nous suivons les tribulations de nos deux héros (ou trois avec Wordsworth) (puis quatre ? Mais je ne vous en dirai pas plus). Aucune des péripéties n’est considérée sous son possible angle sombre (geôles du dictateur, butin de guerre etc.) Pour ce qui est des faits, Greene a choisi de n’en avoir qu’une vision humoristique, mais le sérieux apparait cependant sans lourdeur sous les questions existentielles que notre banquier est peu à peu amené à se poser. Il compare la valeur et la vigueur des différentes façons de mener sa vie. Il a toujours été honnête et consciencieux, elle a toujours mené une vie de bâton de chaise mais… "Tout se passait comme si le monde tordu de ma tante eut été destiné à une sorte d’immortalité." Il les trouve bien vigoureux et doté d’un solide appétit de vivre, ces voyous. Ils ont de l’audace, ils font de vieux os ou non, mais ils lui paraissent mieux profiter de leur existence le temps qu’elle dure. Alors lui, honnête et vieillissant, les observe et s’interroge. On n’a qu’une vie. Et elle passe vite…

La fin est expédiée d'un coup et montre que les choses avaient progressé en sourdine bien plus avant qu'il n'y paraissait.

On reste sur l'impression d'un livre très attachant.

978-2221145340


 

01 novembre 2021

L'agent secret 

de Graham Greene

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« Un monde brutal et soupçonneux »

D. (nous ne saurons que son initiale) arrive en Angleterre, débarquant de son pays en guerre dont le nom ne sera jamais cité mais qui est de toute évidence l’Espagne de la Guerre Civile. Il est chargé d’une mission secrète vitale pour son camp (les Républicains) : obtenir d’industriels britanniques la livraison de grandes quantités de charbon, livraison qui est une question de vie ou de mort tant pour son camp que pour l’adversaire qui a, lui aussi envoyé sur place un de ses agents.

D. est un ancien professeur, spécialiste mondial des langues romanes, ayant consacré sa vie à la découverte du « manuscrit de Berne », la meilleure version d’époque de la Chanson de Roland. On est loin de Bruce Willis et consorts. De plus, il a déjà un certain âge et c’est un homme détruit. Il a été enseveli sous un bombardement et son épouse bien aimée a été fusillée par l’ennemi. Il ne sent en lui aucun courage particulier, pas la moindre trace d’héroïsme ni de goût du combat. Pour autant, il est totalement incorruptible car rien n’éveille plus en lui le moindre désir si ce n’est le désir d’aider ses camarades de lutte et d’empêcher la victoire de la force injuste. D. est un idéaliste sans illusion. Ce type de héros désabusé est moderne et plaît encore beaucoup, c’est en quoi ce roman a bien vieilli. Ce que nous allons suivre sur 300 pages, c’est sa lutte parmi les pièges, meurtres, poursuites etc. parmi une foule d’ennemis étonnants, pour arracher ces contrats charbonniers à des industriels anglais qui se vendront sans le moindre état d’âme, au plus offrant. Lui peut-être. Ou pas.

Tenant à confirmer l’adage qui dit que les auteurs ne sont pas bons juges de leur propre production, Graham Greene avait une piètre opinion de tous ces romans qu’il avait écrits pour le succès rapide et l’argent et qu’il plaçait bien au-dessous de ses œuvres à thème métaphysique. C’est pourtant bien là, débarrassé de tout pathos et lourdeur idéologique, vide de tout désir de convertir, qu’on goûte sa peinture du monde. On voit s’animer la scène de l’immédiat avant-guerre dans ses différentes strates sociales. La photo en est juste et précise, même si l’action elle, relève du roman d’aventure. Ce roman par exemple nous en dit beaucoup sur cette Angleterre dont les habitants, du cheminot au Lord, sont totalement persuadés d’être d’une nature différente de tous les autres humains : il y a eux, et les « métèques » autour ; eux, dans l’ordre et la paix et les étrangers qui s’entre-tuent comme on ne peut guère s’étonner de voir des sauvages le faire. Une vision du monde si réconfortante qu’on peut dire qu’ils s’y sont cramponnés de toutes leurs forces jusqu’aux ultimes limites du vraisemblable et ma foi, on les comprend.

J’ai encore apprécié aussi l’écriture parfaite de Greene et le ton qui oscille constamment entre drame et humour fin. Les scènes cocasses sont bien vues. Notons au passage la mise en scène du groupe Entrenationo de Londres qui est directement inspiré de l’Esperanto qui faisait pas mal parler de lui alors, (« parlons la même langue pour nous comprendre au lieu de nous battre ») dans un monde qui appréhendait la guerre qu’on sentait bien approcher à grands pas. De fait, « L’agent secret » sera publié en 1939.

Je me suis également régalée de quelques assertions époustouflantes et toujours inattendues telle que par exemple "Les maîtres d’école, en général, lisent des romans policiers." qui est plaisant. La palme allant à « Et –on dit que c’est un signe de névrose- elle ne portait pas de bagues. »

978-2020069427