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08 novembre 2022

Cher connard

Virginie Despentes

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Je fais partie des gens qui ont un a priori favorable en ouvrant un livre de Virginie Despentes. Je ne dis pas que cet a priori ne pourrait pas disparaître en vol, il le pourrait ; mais en tout cas, ce n'était pas encore pour cette fois.

Nous avons ici un roman épistolaire, le joyeux facteur apportant à grands coup de pédales les feuillets enclos dans l'enveloppe prometteuse est remplacé par les messageries automatiques, mais cela ne change rien au principe. Un soir de déprime, de hargne et d’abus d'alcool (mais c'est tous les soirs), Oscar Jayack, écrivain connu, a craché sur Instagram un portrait hyper insultant de l'actrice Rebecca qui lui répond par un mail destructeur. A partir de là, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, le dialogue s'engage, d'autant qu'Oscar révèle tout de suite qu'il a bien connu Rebecca quand il était enfant et qu'il a toujours été amoureux d'elle... Ensuite, Oscar révèle aussi qu'il est en plein cœur d'un scandale Metoo qui détruit sa vie et il se met à se raconter. De son côté, Rebecca, actrice solaire n'ayant jamais connu que les succès, n'a plus été sollicitée par un réalisateur depuis longtemps. Le cinéma n'aime que les femmes jeunes et, si elle est toujours belle (bien qu'un peu ronde) elle est de moins en moins jeune... Elle ne se laisse pas abattre, mais néanmoins, les réalités bancaires sont ce qu'elles sont... Tout deux s’adonnent volontiers à l'alcool et même aux drogues. Pour Oscar, c'est une nécessité vitale et il pense que cela facilite sa vie sociale et ajoute à son charme, pour Rebecca, elle pense qu'elle peut arrêter facilement et que c'est un choix qu'elle fait à chaque fois.

Sur ce, à la stupéfaction générale, arrivent le COVID et les confinements...

Dans le récit que V. Despentes nous fait, les lettres des deux protagonistes sont entrecoupées des chroniques que Zoé Katana (la femme qui a subi les harcèlements d'Oscar) publie sur le net.

Despentes aborde donc ainsi plusieurs enjeux majeurs de notre société et ce que je peux dire, c'est qu'elle le fait avec une grande habileté, une grande justesse et même une grande finesse. Le phénomène Metoo, avec ses victimes qui se rebellent et ses bourreaux qui se croient plus ou moins sincèrement innocents, le monde du spectacle et son microcosme, les réalités des addictions et de leurs sevrages, le confinement et l'irruption de la science-fiction dans la vie quotidienne de chacun. L'auteur aurait pu se perdre dans la richesse des problématiques utilisées mais il n'en a rien été. Elle maîtrise bien son ouvrage. Elle prend parfois le temps de détailler les thèses comme par exemple, le rôle du cinéma (auquel je n'avais pas encore pensé de façon aussi systématique et qui m'a pleinement convaincue) ou les causes du maintien du patriarcat (moins convaincue, ayant ma propre thèse que je continue à trouver plus convaincante que celle de Zoé). Ces développements argumentés s'intègrent bien dans le roman, et puis si vous vouliez de l'action pure, sans réflexion, fallait prendre un autre auteur.

On voit par ailleurs, les deux caractères évoluer au fil des pages, même Rebecca qui, au début, est une boule de certitudes et d'énergie assez destructrice, acquiert de la nuance. Oscar quant à lui, découvre progressivement son déni. Cette peinture des évolutions est subtile et juste. Virginie Despentes est LE témoin de notre époque. Elle en prend les thèmes à bras le corps et sait quoi en faire. Elle l'est depuis longtemps et elle l'est toujours. Son absence des prix littéraires en cet automne est incompréhensible pour moi.

Que des compliments ? Direz-vous. Eh bien à vrai dire, si je devais mettre un bémol, je dirais que par moment, le style m'a paru un peu plus chaotique que l'auteur ne l'avait sans doute voulu. Mais je peux me tromper.

PS : Le rap nous suit tout au long de l'ouvrage, les références sont nombreuses et permanentes. Pour moi, c'est terra incognita, mais cela n'a pas gêné ma lecture. Je suppose tout de même que ce sera un plus pour les aficionados.


Deux petits extraits (c'est Oscar qui parle):

« Je lis le texte de Katana et je suis tellement soulagé qu'elle ne parle plus de moi que je commence à écouter ce qu'elle dit. Et je me dis que je n'ai jamais cité une femme dans la liste des auteurs qui m'ont influencé. Et on ne m'en a jamais fait la réflexion. Je ne cite jamais de femmes parce que je sais que ça me discréditerait. Ca ne se fait pas. »


« Pendant ce temps, les ventes s'envolaient. Visiblement, acheter mon livre est devenu un geste de résistance aux attaques féministes. Je réalise que j'ai reçu beaucoup de courrier de soutien. Qui n'étaient pas seulement envoyés par des mecs solidaires. Les femmes sont là aussi, pour moi. C'est déprimant d'être soutenu par des cons. Mais impossible de ne pas me réjouir quand je vois 'afficher la somme des droits qu'il me reste à percevoir. »

9782246826514

Si vous l'avez lu aussi, mettez un lien vers votre chronique dans les commentaires, c'est sympa de comparer les avis.




16 décembre 2020

Vernon Subutex - 1 

de Virginie Despentes

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« C'est le troisième millénaire, tout est permis! »
Je salue particulièrement dans ce roman le tableau de notre monde moderne. Certes, elle ne nous montre qu'une certaine société, tout ne se passe pas partout comme dans le monde des rockers, des hardeuses et de leurs fans, mais tout se passe partout avec ces outils-là, et le choix de ce microcosme excessif par ses pulsions exacerbées au lieu d'être tenues en laisse, permet un rendu bien plus spectaculaire de vérités universelles, ailleurs dissimulées. Ici, on sort la coke comme ailleurs on sort le whisky, qu'est-ce que ça change, fondamentalement?
  
   Virginie Despentes sait donner vie à son monde, à ses personnages. On les suit bien, on les sent, on les devine, aussi éloignés de nous qu'ils puissent être. Parmi ces personnages, nous retrouverons La Hyène, qui avait mis un peu d'animation dans "Apocalypse bébé" que j'avais aimé, mais je trouve "Vernon Subutex" encore mieux. On voit le personnage du rôle-titre partir à la dérive tout aussi bien que partirait n'importe quel cadre moyen viré à la fin de la quarantaine. Je vous l'ai dit : une différence de forme, pas de fond entre ce monde-là et le vôtre. L'âge d'or a passé, on fait le bilan, et il y en a des vies ratées! et donc, peut-être pas plus d'ailleurs que chez les gens qui ont choisi des parcours moins spectaculaires, mais justement ici, la lose se fait mieux voir (quoique j'aie quelques exemples en tête d'équivalence chez des pékins lambda) et peut-être surtout plus vite. Bref, quand vient l'heure des bilans...
   - On savait pas qu'on allait se planter à ce point, hein?
   - Si on avait su, qu'est-ce que ça aurait changé?"
  
   Pendant que les tenants de la pensée classique continuent à nous soutenir que l'internet ce n'est pas la "vraie vie", qu'il y aurait une "vie virtuelle", dénuée de sens, de fondement et même de réalité, et une "vraie vie" dont il serait très dangereux de s'éloigner, sans qu'ils se rendent compte que ce discours n'a même pas de sens : quand nous jouons, parlons, montrons, regardons, que ce soit autour d'une table ou d'un écran, comment peut-on soutenir qu'une des deux activité est réelle et l'autre non? Elles le sont forcément toutes les deux. C'est une évidence. Différentes, oui ; mais que l'une soit irréelle, impossible. Bref, je ne vais pas repartir sur ce que certains ne comprennent pas du tout à propos du Net, quand je démarre, il y en a pour des heures.
  
   Je disais donc : pendant que les tenants de la pensée classique continuent à ne pas voir ce qu'est internet, Virginie Despentes elle, comprend parfaitement tout cela. Elle sait ce que sont nos vies actuelles avec le web (son personnage La Hyène gagne même sa vie en y faisant et surtout défaisant des réputations – ce qui nous permet au passage à ses victimes de bien constater si on est dans le réel ou pas) et c'est un plaisir de lire un roman vraiment juste sur le monde actuel. J'ai hâte de lire la suite. Je me suis parié ce qu'il y avait sur les bandes enregistrées si recherchées... je verrai si j'ai raison.*
  
   Dommage qu'elle n'ait pas eu le Prix RTL-LIRE.
  
   PS : Petit rappel, le Subutex est un médicament qui sert de traitement substitutif aux drogues opiacées.
  
   Morceaux choisis :
   (parlant des jeunes filles) "A notre époque, si on aimait faire chier le monde, on faisait du X, mais aujourd'hui, porter le voile suffit."
  
   "Elle avait pour ambition d'écrire quelque chose de bien. C'est toujours un problème. Ce n'est pas parce qu'on se dit "je vais dessiner un pur-sang au galop" qu'on y parvient. Le plus probable est qu'on finisse par gribouiller un machin qui ressemble à peine à un rat écrasé. La gamine voulait un livre qui serait comme une cathédrale en plein ciel, elle ne réussirait probablement qu'à délivrer un cabanon en contreplaqué."
     
   "Mais Facebook est passé par là et cette génération de trentenaires est composée de psychopathes autocentrés, à la limite de la démence. Une ambition crue, débarrassée de tout souci de légitimité."
  
  
   * Non, j'avais tort


978-2253087663

12 décembre 2020

Apocalypse bébé 

de Virginie Despentes

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Prix Renaudot 2010

Les jeunes filles de bonne famille ne sont plus ce qu'elles étaient mais le monde alentour non plus, il faut bien le dire. Non pas les familles qui, on le sait, ont toujours été un sacré nid de névroses et de secrets répugnants, rien de neuf là-dedans, mais l'environnement social qui, en particulier avec l'aide de l'alcool et de la drogue pour tous, prend un bel envol vers le cauchemar XXL.
  
   Nous voilà donc à suivre Lucie, la trentaine solitaire assez quelconque, employée pas hyper motivée d'une agence de détectives traitant en particulier des adultères et des ados difficiles. Et depuis une bonne quinzaine de jours, Lucie suit avec un peu d'ennui les multiples errements et dérapages d'une très jeune Valentine, riche et pas mal débridée avec toutes les amertumes que cela suppose. Mais voilà qu'un beau jour, Lucie a perdu de vue Valentine qui justement n'a plus réapparu depuis. Fugue ou enlèvement? Le papa (dont le beau rôle d'écrivain actuel est si réussi qu'on pourrait y reconnaître plusieurs de nos auteurs, ce n'est donc plus un roman à clé) très préoccupé par sa célébrité et ses amours (tous deux incertains) se fait un peu de souci mais il ne peut s'en occuper lui même. On le comprend bien. La mère a disparu à la naissance de Valentine. La grand-mère elle, veut la récupérer absolument. Il faut dire que dans la famille, tout le monde adore cette difficile petite Valentine; et puis, c'est elle qui a l'argent, et il y en a beaucoup.
  
   Ne voyant pas du tout comment elle pourrait retrouver la gamine, Lucie décide d'employer un électron libre assez sulfureux mais bien introduit, partenaire redoutable et lesbienne affirmée connue sous l'élégant pseudo de La Hyène. Seulement d'entrée de jeu, l'"employée" prend la main, c'est elle qui mènera la danse de Paris à Barcelone en passant par les cités, et à un sacré rythme!
  
   Et la religion dans tout ça? Me direz-vous sûrement (si,si)
   "Sur le plan spirituel, Valentine était moins éveillée qu'une courge. Mais elle était attachée, émotionnellement, à des souvenirs de prières en famille."
   Alors, au terme de cette grande virée, Valentine va-t-elle finalement rencontrer Dieu??? En tout cas le clergé, oui.
   "Autour d'elle, les sœurs arborent toutes le même sourire patient. Le niveau de sincérité caché derrière la grimace varie, d'un individu à l'autre. Il n'y a pas que des crevures dans le cercle. Il y en a aussi à qui il manque une case, purement et simplement. L'hygiène de vie austère à laquelle elles se soumettent n'interdit pas l'éveil ardent d'une foi supérieure, mais encourage le plus souvent l'idiotie la plus aride."
   Et même une diabolique bonne sœur! N'en doutez pas, les termes vont bien ensemble.
  
   Ce qui participe à l'intérêt de ce roman, en dehors du rythme extrêmement vif, ce sont les multiples milieux traversés et toujours observés d'un œil acéré ainsi que les jugements, remarques et considérations parfois audacieux qui séduisent le plus souvent. Virginie Despentes nous rappelle au passage ce que sont l'homophobie, les hommes qui frappent, le racisme mais aussi les musulmans mâles, l'argent, la drogue, le sexe etc. Elle n'hésite jamais à consacrer deux pages à bien dépeindre une situation telle qu'elle la voit et c'est cette vision que pour ma part j'aime beaucoup. Ce qui me fait passer sur quelques petites fautes, que je regrette malgré tout.
  
   Et n'oubliez pas! "On croit mourir pour ses idées et on tue pour un baril de pétrole."
    
   Courts extraits:
  
   (Politique) - "- Qu'ils ne soient pas affiliés à un groupe précis ne les empêche pas d'être politiques, si?
   - Si t'as pas d'interface avec le politique, que ton groupe est pas très connu et que tu restes entre potes dans une cave... C'est plus comme si t'étais poète, en un sens. La poésie, on ne peut pas en vouloir aux gens d'avoir envie d'en faire, si?"
  
  
   - "Carlito disait toujours que les enfants ne se mettent pas à se droguer parce que c'est bon, parce qu'ils s'ennuient ou parce qu'ils ont besoin d'oublier leur souci, ni parce que le boum hormonal les bouleverserait, ils se défoncent pour écraser l'intelligence."
  
  
   (concert) - "Maintenant, les gamins, ils viennent, tout ce qui les intéresse, c'est de boire. Le groupe... le groupe, ils le voient pas, ils sont trop déchirés quand le concert commence, ils ne rentrent même pas dans la salle. Ils ont pris leur billet, c'est pas une question d'argent. Ils s'en foutent. Ils se déchirent la tête, ils vomissent et ils pissent..."
  
  
   - "Les enfants sont les vecteurs autorisés de la sociopathie des parents. Les adultes geignent en faisant mine d'être dépassés par la vitalité destroy des petits, mais on voit bien qu'ils jouissent d'enfin pouvoir emmerder le monde, en toute impunité, au travers de leur progéniture. Quelle haine du monde a bien pu les pousser à se dupliquer autant?"


978-2253159711

10 décembre 2020

 King kong théorie 

de Virginie Despentes

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Il y a quelques années,  une interview de Virginies Despentes dans l’excellente émission de France 5 « Le bateau-livre », m’avait étonnée et amenée à lire « King-kong théorie » dont elle avait su parler avec beaucoup d’intelligence et de façon convaincante.
   
   Ca commence très fort et je me régale, tout en me disant que ce n’est pas possible que cela continue comme ça. Et effectivement, ce n’est pas possible. Aux analyses d’ensemble qui m’avaient emballée succèdent des thèmes spécifiques approfondis plus précisément : le viol, la prostitution, la pornographie
   C’est très intéressant aussi, libre et intelligent mais évidemment, une étude plus approfondie ne permet pas le punch des pages de mise en route. On ne saurait le reprocher.
   
   Je n’avais plus lu de bouquin féministe depuis un bon moment et cela fait tout de même du bien de s’y replonger de temps en temps. Pour ma part, cela m’a donné l’occasion de réfléchir et faire le point sur ce qui avait changé au long de la dernière trentaine d’années. Alors des progrès, il y en a eu. C’est indéniable. Pourtant, on ne peut davantage nier que le fond du problème est toujours là et qu’on n’arrive pas tellement à le faire bouger. Il est devenu plus sournois, il s’affiche moins franchement (enfin, en général) mais il est toujours là. C’est un poison qui a imprégné le sol et il s’avère extrêmement difficile de s’en débarrasser. Plus difficile que je ne l’avais cru il y a 30 ans. Je n’irai pas jusqu’à dire avec elle que «la seule avancée notoire, c’est que maintenant, on peut les entretenir.» Mais les blagues sexistes sévissent toujours. On dit «les blondes» au lieu de dire «les femmes» et ça passe. Et gare à la femme qui ne trouve pas cela drôle!… Et les blagues, ce n’est qu’un signe entre mille. Tiens, j’aperçois du coin de l’œil un vieux n° du Nouvel Obs. qui traîne. Je regarde la date : 11/17 Mai 2006 (pour ceux qui veulent vérifier). Ca s’intitule « Ces intellos qui veulent changer la gauche » et s’accompagne de 11 photos d’ «intellos». Combien de femmes à votre avis ? Zéro. No comment.
   
   Bref, pour en revenir à notre livre, c’est un pamphlet revendicatif, excessif parce que le genre l’exige, mais juste fondamentalement. J’ai ri à certains passages car le ton est vif (par exemple au sujet des hommes qui se plaignent que les féministes soient castratrices : «C’est tout de même épatant, et pour le moins moderne, un dominant qui vient chialer que le dominé n’y met pas assez du sien…» )
   Virginie Despentes frappe juste, elle a de la verve, l’œil aigu et ses remarques font mouche «Dans un tiers de production cinématographique blanche contemporaine, regardez ce qu’on leur fait aux filles. »

   J’ai ri, mais pas toujours.


978-2253122111