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20 novembre 2020


Souvenirs de l'avenir 

de Siri Hustvedt

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Un livre un peu difficile que le dernier roman de Siri Hustvedt, ce qui explique sans doute qu'on n'en parle pas tant que cela sur les blogs littéraires. Un roman qui va demander à ses lecteurs un effort intellectuel et donc perdre assez vite ceux qui ne cherchaient qu'une bonne histoire à lire.
  
   Déjà, sous ses airs de récit autobiographique, nous avons bien un roman, mais si proche cependant de la Siri Hustvedt de cette année-là, l'année 78-79, à New York- que le lecteur est sans arrêt sur le fil entre réalité et fiction. Cette instabilité était peut-être bien justement la meilleure façon de lui faire éprouver l'une des thèses de l'auteur, à savoir que le souvenir n'est pas la vision d'un moment inaltérable de notre passé, mais une vue toujours changée depuis notre présent. Nous avons changé, l'époque a changé, ainsi que le contexte tant personnel que social, notre expérience et nos connaissances ; l'oubli a fait son œuvre aussi, ainsi que les déformations de la mémoire. Le passé que l'on a si souvent dit non-modifiable est au contraire une chose toujours au moins partiellement différente...
  
    Ce que la narratrice constate en retrouvant son journal intime d'alors. Elle avait vingt trois ans, alors qu'elle en a maintenant plus de soixante, ce sont deux femmes différentes et elle sait exactement ce que sont devenus tous ses espoirs, projets et craintes. Et je ne parle là que d'une même personne. Quand vous comparez les souvenirs de plusieurs personnes (comme S. Hustvedt le fait avec son amie de toujours, Whitney, et d'autres), vous multipliez les variations par dix ou cent...
   "Dans la mémoire, il n'y a pas vraiment d'avant ni d'après, n'est ce pas? La mémoire surgit dans le maintenant, dans un temps vertical. Et le temps remémoré, comme tu le sais, est teinté par l'imagination."
  
   Je pense que l'on peut considérer cette réflexion sur le passé, le temps et le souvenir comme l'axe majeur du roman. C'est d'ailleurs à ce point que se réfère le titre. Mais d'autres réflexions sont conduites parallèlement. D'abord, l'écriture. La narratrice (S. H.) s'est accordé une pause d'un an dans ses études pour tenter d'écrire son premier roman. Elle en a déjà les personnages et un vague projet en tête, ce sera une enquête policière à la Sherlock Holmes, menée par deux détectives adolescents... Le projet ne progressera pas selon son souhait malgré ses efforts, mais elle se trouvera rédiger en tant que nègre un roman ne la concernant en rien, si bien qu'ainsi, elle se trouvera avoir écrit son premier roman, publié et pas trop mal reçu par la critique, mais qui ne lui est rien...
  
   Et puis bien sûr, la défense féministe. Les temps ont changé. L'époque et la place de la femme ont changé, mais la narratrice a évolué plus encore. La jeune fille vulnérable et inconsciemment soumise à des critères machistes est devenue une femme méfiante et éclairée, qui constate sans même plus pouvoir les comprendre vraiment, ses soumissions imperceptibles (ou non) d'alors... Nous en sommes toutes là, nous les anciennes, ou du moins, je vous le souhaite. Il y a du règlement de compte là-dedans, au moins avec elle-même.
  
   A cela se mêle un peu de drame et de sorcellerie (eh oui), au moins une mort suspecte (le thème du détective réapparaît)... et pourtant, si je devais conseiller Siri Hustvedt à quelqu'un (ce qui m'arrive souvent) ce ne serait pas avec ce roman-là. Il y a des longueurs (le repas chez Patty !), surtout dans le dernier tiers, des complexités jamais éclaircies, une avalanche de références intellectuelles ou artistiques, des changements d'optique un peu brusques que j'avais ratés et qui m'ont demandé un réajustement, et globalement une fusion que j'ai trouvé trop grande entre l'auteur et son personnage principal, trop grande si l'on considère en même temps que ce n'est pas elle. Je ne suis jamais à l'aise avec ces "autofictions" et j'ai d'ailleurs été étonnée de voir S. Hustvedt s'y essayer. Bref, un livre qui aura peut-être du mal à trouver son lectorat, mais que les admirateurs/rices de l'auteur devront bien sûr tout de même lire. On ne peut pas s'en dispenser.
  
   PS: Oups ! Et j'ai oublié de parler de La Baronne (et de Marcel Duchamp) ! Vraiment beaucoup de choses dans ce roman. On ne peut pas tout évoquer.
   PPS: Et les dessins !!! Je n'ai pas parlé des dessins non plus. Finalement, c'est peut-être là que le bât blesse : trop riche, ce roman.re.


978-2330125806