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24 avril 2024

Rwama, Mon enfance en Algérie (1975-1992)

de Salim Zerrouki

***+


Après Riad Sattouf et son enfance au Moyen-Orient lu il y a peu, me voici avec Salim Zerrouki et son enfance en Afrique du Nord, et plus précisément car lui ne se déplacera pas, en Algérie. Mais j'avais tort de comparer les deux albums car ils n'ont en fait pas grand chose en commun (à part que je les ai lus l’un après l’autre). Salim Zeerouki s’est davantage orienté vers le contexte historique et a choisi de faire de l'immeuble dans lequel il a passé son enfance le personnage principal de l'album plutôt que du petit garçon qu’il a été. Rwama, c’est le nom de ce beau bâtiment. Boumédiène avait fait construire une Cité pour les Jeux méditerranéens qui se sont déroulés à Alger en 1975. Dans cette cité-vitrine, on avait mis le summum du confort moderne algérien de l'époque, l'immeuble baptisé Rwama accueillait les familles du personnel de l'Institut National du Sport. C'est là que débarqua Selim âgé de 6 mois.

(pour lire les phylactères, cliquer sur l'image)


Il y a grandi dans un confort très enviable mais au bout de quelques années, le pouvoir algérien étant en déliquescence, l'entretien de l’immeuble se réduisit jusqu'à disparaître tandis que s'implantait tout près une cité d'appartements pour familles plus que nombreuses et nécessiteuses qui envièrent tout de suite le luxe (relatif) qui s'étalait sous leurs yeux. De l'envie à la haine, de la haine à l'attaque, les choses vont vite...

S. Zerrouki a également choisi d'axer principalement son récit sur l'aspect historique. Ce qu'il nous raconte ici, c'est surtout l'Histoire de l'Algérie depuis le début des années 70 jusqu’à la fin du 20ème siècle. Il apparaît rapidement que c'est un portrait à charge. Il montre comment la dictature a entraîné la corruption puis, un peu plus tard, la montée des Islamistes intégristes du FIS. Il parle de la ruine, de la perte progressive, d'abord des biens matériels avec les pénuries de plus en plus graves, de la sécurité avec les émeutes puis de la liberté individuelle avec la montée de l'intégrisme qui imprègne de plus en plus profondément la population.


Ce tome 1 s'achève quand Selim va entrer au lycée. Il a grandi en nourrissant un sentiment d'injustice de plus en plus puissant, au sein d'une famille qui est progressivement devenue intégriste... L'adulte qu'il est devenu raconte en soulignant gâchis et absurdités, et porte un regard sévère (et peut-être justifié) sur son pays, l'Algérie. Un album à conseiller à ceux qui s'intéressent à l'Histoire moderne de ce pays et à son évolution.

Il y aura une suite.


978-2205204551 

02 avril 2024

La vie sans fards

de Maryse Condé

****+


En hommage à Maryse Condé , morte aujourd’hui 2 avril 2024 à 90 ans.

Autobio

Dans cet ouvrage, Maryse Condé a entrepris de raconter sa vie depuis la fin de son adolescence jusqu'à ses débuts en littérature, plusieurs décennies plus tard. Car Maryse Condé n'est pas de ces auteurs qui vous expliquent que depuis leur plus tendre enfance, ils ont su qu'ils étaient écrivains. Elle, tout au contraire, vous dira plutôt qu'elle n'y a pas songé avant la quarantaine, et encore, par souci de gagner sa vie, bien que cela ne soit peut-être pas tout à fait exact.

"La principale raison qui explique que j'ai tant tardé à écrire, c'est que j'étais si occupée à vivre douloureusement que je n'avais de loisir pour rien d'autre ."

Toujours est-il qu'elle nous explique comment, française de Guadeloupe, fille de "grands nègres" (classe la plus aisée des noirs guadeloupéens), elle était venue finir ses études, en commençant par le lycée Fénelon à Paris. Héla pour elle, comme pour beaucoup de cette préhistoire de la contraception, celles-ci devait se terminer très vite et avant tout diplôme, pour cause de grossesse indésirée et abandon par le père. Commencèrent alors de nombreuses années d'une vie très difficile, au point que le gite et le couvert étaient loin d'être toujours assurés, un retour en Afrique, un mariage bancal avec Condé, le Guinéen, dont elle gardera toujours le nom mais pas toujours la compagnie, des difficultés, des hommes, des difficultés, des enfants, des difficultés, des déménagements plus précaires les uns que les autres d'un pays d'Afrique à l'autre, des difficultés... une vie rude et qui lui a assurément laissé le matériel pour des dizaines de romans.

Maryse Condé ne se raconte pas dans ses romans, mais ils sont truffés de scènes vécues et ré-adaptées au récit en cours. Son œuvre est nourrie de sa vie tumultueuse. Et son origine "Grand nègre" lui donne accès à des endroits parfois dangereux, mais toujours placés dans les sphères où les choses se jouent, ce qui rend ses récits d'autant plus intéressants ; et elle ne se gène pas pour donner les noms. On n'aura pas ici à s'épuiser à chercher qui peut se cacher derrière tel ou tel pseudo.

Ici, elle se raconte, et "Sans fard", assurément. Elle y tient. Elle ne se fait pas de cadeau et assume tout comme ça vient, comme c'est venu, en son temps, avec les preuves de son courage et de ses faiblesses, ou errements et les conséquences de tout cela. Quatre enfants et une vie internationale.

"Je n'étais pas seulement orpheline ; j'étais apatride, une SDF sans terre d'origine."

Une vie pour confirmer, que le racisme n'est pas le pire ennemi, il y a encore au-dessus de cette plaie, le sexisme qui fait que l'homme noir (comme le blanc) opprime sans vergogne la femme noire. Elle en connaîtra maints exemple, hélas. Et s'il faut faire un bilan, aucun des hommes de sa vie ne lui aura vraiment réussi (du moins dans la période ici décrite), pas plus ceux qu'elle a choisis que ceux qui se sont imposés à elle.

Et puis un jour, se sera un emploi dans un journal, de petits articles d'abord, puis plus longs, se faire un nom et une voix, et un jour, écrire un peu plus, à la maison, et alors...

"On aurait cru qu'un coup de lance m'avait été donné au flanc et que s'en échappait un flot bouillonnant, charroyant pêle-mêle souvenirs, rêves, impressions, sensation oubliées."

Pour qu'un jour, encore quelques décennies plus tard, en 2018, le Prix Nobel Alternatif, pas le vrai, mais celui qui ne vécut que brièvement mais dit quand même quelque chose de l'importance d'un écrivain, lui soit attribué.

Maintenant, dans ses interviews, Maryse Condé porte un œil un peu différent sur cette période et son appréciation peut avoir changé. Mais tout est juste. Ce livre était sa vie comme elle la voyait alors, et ses interviews, comme elle la voit maintenant. Une belle vie de femme. Si rude, pleine d'accrocs, de combats sanglants, de défaites abyssales et de triomphes éclatants.

978-2266238373



03 mars 2024

Vie et mort de Vernon Sullivan

de Dimitri Kantcheloff

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Quatrième de couverture :

"Un soir d'été de 1946, Boris Vian parie avec son éditeur qu'il peut écrire un "bestseller américain" qui trompera les critiques. Ce sera J'irai cracher sur vos tombes, qui paraît sous le nom de Vernon Sullivan dans une "traduction" de Boris Vian. Le livre fait scandale. Dans les caves de St-Germain, on s'interroge et Vian jubile. Hélas, en parallèle, la carrière d'écrivain de Boris ne décolle pas. L'Écume des jours est un échec alors que le public redemande du sulfureux, du Sullivan. Vian ne cache ni son amertume, ni sa fatigue."

Je me suis laissé tenter par cette biographie partielle de Boris Vian et je ne le regrette pas. On dit "biographie romancée" comme c'est la mode en ce moment pour pouvoir rendre le récit moins austère sans se faire pinailler pour tel ou tel détail incertain, tel ou tel dialogue qui n'aurait peut-être pas eu lieu ou pas exactement dans ces termes, mais je n'ai pas remarqué de points trop suspects. Certes, ce livre ne m'a pas non plus appris grand chose, car Vian m'intéressant beaucoup, je connaissais l'histoire depuis fort longtemps, mais j'ai apprécié qu'on me la remette en mémoire et aussi, qu'on me rappelle les noms des protagonistes qui eux, avaient été oubliés. Ahh, cher Office Professionnel des Industries et des Commerces du Papier et du Carton, cher Cartel d'Action Sociale et Morale, chers Grosjean , Paulhan, Arland, Parker... si justement par moi oubliés.

Je vous conseille ce court (161 pages) ouvrage qui relate tout en détail, vous permettra de briller en société*, et qui nous rappelle que Vian, c'est SURTOUT "L'écume des jours", "L'automne à Pékin", "Vercoquin" mais également ces polars de Vernon dont le succès l'agaçait tant par moment, mais qui sont remarquables aussi, surtout dans le contexte.

Vian, c'était du vif argent, créant perpétuellement, toujours au-delà des limites du conformisme et des siennes propres. Il brûlait la chandelle par les deux bouts et savait bien où cela le mènerait. Cette biographie qui va de l'après guerre à sa mort m'a encore une fois donné envie de le relire. C'est une bonne chose. Il faut lire et relire Vian. On y gagne toujours quelque chose.


*


 


978-2363391940



#VieetmortdeVernonSullivan #DimitriKantcheloff  #  BorisVian  #Biographie   #LapetiteLISTE   #sibyllinelecture   #bookstagramfrance  #lecture  #littérature 


19 novembre 2023

Mourir avant que d'apparaître

de Rémi David

****+


Quatrième de couverture:

"Lorsque Jean Genet rencontre Abdallah, qui sera un jour la figure centrale de son magnifique texte Le Funambule, le jeune homme a dix-huit ans à peine et vit à Paris. Genet, à quarante-quatre ans, est déjà un écrivain consacré. Il est aussitôt ébloui par le charme de cet acrobate, qui a travaillé plusieurs années au cirque Pinder. Il entreprend le projet fou de le hisser jusqu'à la gloire : son agilité, son expérience du cirque devraient lui permettre de devenir un artiste hors pair"

Nous avons là un "docu-roman" que pour ma part, j'ai trouvé passionnant car, si Rémi David a bien dû inventer un peu, imaginer, supposer, deviner... il s'est surtout appuyé sur une documentation extrêmement sérieuse et précise pour rédiger cet ouvrage.

« Si le texte met en scène des personnages ayant réellement existé, s’appuie sur des témoignages, s’inspire d’une histoire vraie, il offre de cette histoire une réécriture qui ne s’interdit ni de combler par la fiction les silences des biographies en inventant certaines scènes manquantes, ni de prendre des libertés avec les faits en faisant par exemple prononcer par Genet des paroles qu’il a en réalité écrites. C’est donc une interprétation qui est livrée ici et qui ne saurait prétendre au mieux qu’à la vérisimilitude. »

Dans la France des années cinquante, avec en arrière-plan envahissant la guerre d'Algérie, par le plus grand des hasards, Jean Genet rencontre Abdallah ; et Genet crée et tombe amoureux du jeune homme et de ce qu'il peut en faire. Les grands créateurs créent tout le temps et ne s'intéressent vraiment qu'à la création. Impossible pour Genet d'aimer Abdallah sans créer quelque chose avec lui. Impossible de l'aimer encore quand plus rien ne se crée. La relation est dangereuse pour Abdallah, mais formidablement enrichissante aussi. « Si vous pensez que l'aventure est dangereuse, essayez la routine, elle est mortelle. » disait Paulo Coelho. Je trouve que les remarques que je lis ici ou là sur la toxicité de Genet n'ont pas de sens. Il prend beaucoup et donne énormément. Imaginez la vie de l’analphabète Abdallah s'il n'avait pas rencontré Genet et dites-moi s'il a quelque chose à regretter. Une relation toxique est une relation qui vampirise, qui prend sans donner, qui enlève mais n'apporte rien. On en est bien loin. C'est d'autre chose qu'il s'agit ici et ce livre est d’une justesse remarquable et se garde bien de juger, surtout avec des critères de comportement moyen. Il n'y a rien à juger, juste à voir et essayer de comprendre. Et on sent la parfaite objectivité et excellente compréhension de la part de l'auteur.

Cette période avec Abdallah  inspirera à Genet un très beau texte "Le funambule" que Rémi David utilise avec art dans ce roman.

J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre et je le recommande chaudement à ceux que la littérature, la prise de risque  et la création intéressent.

Extrait : 

"Quand un objet, un événement, un art ou une personne l'intéressait, Genet s'y engouffrait alors à corps perdu. Il écrivit des textes d'une très grande justesse sur la peinture, sur Rembrandt, sur la sculpture, sur Giacometti, sans rien connaître à la peinture, pas plus qu'à la sculpture avant de s'y jeter de tout son être. Il avait une curiosité qui se nourrissait du hasard et s'exprimait dans la rencontre. Tout pouvait se faire, pour lui, objet de curiosité.

Ce fut le cas du fil.

Genet, pour entraîner Abdallah, l'avait fait dévaler une montagne en skiant, puis pagayer en canoé avant de lui faire nager le crawl dans une piscine. Il devait éprouver des sensations de glisse pour comprendre réellement que l'air était solide et qu'il était possible de prendre appui sur lui. L'enseignement de Genet se faisait dans l'action. C'était un homme d'action; il bougeait tout le temps d'une ville à une autre, d'un hotel à un autre, d'un projet à un autre, d'un pays à un autre, il gigotait sans cesse. C'était donc par l'action qu'il formerait celui qu'il aimait à marcher sur le fil."

978-2072967108

20 septembre 2023

Peste & Choléra 

de Patrick Deville

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Poursuivant ce qu'il nomme ses "romans sans fiction" (notion hélas, juste un peu au-delà de ce que je peux comprendre) Patrick Deville nous narre ici la vie extraordinaire d'Alexandre Yersin, grand voyageur, explorateur mais surtout découvreur du bacille de la peste (Yersinia pestis) et à qui l'on doit la préparation du premier sérum anti-pesteux, ainsi que l'étude de la toxine diphtérique. Il a fait partie de "La bande à Pasteur" dont il fut disciple. C'est pour l'auteur l'occasion de nous faire découvrir la vie aventureuse et passionnante de cet homme ainsi que tout un pan de l'histoire de l'Europe et même au-delà puisque Yersin a passé sa vie à voyager, principalement en Asie, en gros de la fin de la Commune aux années 1950.

La vie de Yersin a été passionnante et sa biographie l'est naturellement tout autant. Il est à Berlin avec Koch, à Paris avec Pasteur, Céline, Calmette Doumer et tant d'autres devenus également célèbres dans leurs branches. C'était un monde sans femmes. Yersin lui-même était misogyne (rumeurs de pédophilie, mais Delville n'en parle pas). C'était la belle époque où !'on pouvait priver les filles d'études, les cantonner et encourager dès leur plus jeune âge à la superficialité, la joliesse, les niaiseries, la dépendance en tout, où dans chaque champ du savoir, tout un aréopage de messieurs en poste était prêt à appuyer sur la moindre tête féminine qui dépassait un peu; ensuite, on les traitait de guenons parce qu'elles gloussaient en bandes sans jamais rien dire de profond (comme c'est étonnant!). Yersin n'était pas grand dans tous les domaines et son esprit pas toujours en avance sur son temps, mais il le fut dans plusieurs et c'est déjà bien intéressant à suivre qu'il combatte les maladies fléaux de l'humanité ou qu'il se lance dans l'élevage ou l'agriculture, qu'il invente l’ancêtre du coca-cola ou qu'il crée un énorme phalanstère.

Ce qui fait l’intérêt de ce livre, c'est la vie aventureuse du personnage principal et la peinture d'une époque où l'on croyait au progrès et à une science 100% bienfaisante, même si déjà la physique nous menait à la guerre nucléaire et si la "nature humaine" faisait des millions de morts. Patrick Deville semble tout savoir de cette époque et a ainsi écrit plusieurs ouvrages dont les personnages sont ceux que l'on retrouve dans nos livres d'histoire, de science et de littérature. A lire donc pour améliorer sa culture générale, ce qui ne fait jamais de mal.


Mapero l'a lu aussi 

978-2757883174


23 février 2023

Sur les chemins noirs

de Sylvain Tesson

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Est-il besoin de rappeler les faits? Sylvain Tesson étant tombé d'un toit, a cassé en lui un certain nombre de choses auxquelles il n'avait pas été suffisamment conscient de tenir autant. Ayant failli ne plus jamais marcher, il décide au contraire de marcher beaucoup et par des chemins que seules les cartes IGN les plus précises indiquent. L'idée lui en était venue alors qu'il était encore hospitalisé : "Un des lointains premiers ministres de la Vè République (Jean-Marc Ayrault - période Anatole-France) avait commandé en son temps un rapport sur l'aménagement des campagnes françaises. Le texte avait été publié sous le mandat d'un autre ministre (Manuel Valls - période Offenbach) et sous le titre "Hyper-ruralité". Une batterie d'experts, c'est à dire de spécialistes de l'invérifiable, y jugeait qu'une trentaine de départements français appartenait à "l'hyper-ruralité". pour eux, la ruralité n'était pas une grâce mais une malédiction: le rapport déplorait l'arriération de ces territoires qui échappaient au numérique, qui n'étaient pas assez desservis par le réseau routier, pas assez urbanisés, ou qui se trouvaient privés de grands commerces et d'accès aux administrations. Ce que nous autres, pauvres cloches romantiques, tenions pour une clé du paradis sur terre - l'ensauvagement, la préservation, l'isolement - était considéré dans ces pages comme des catégories du sous-développement. (...) Le texte était illustré de cartes. Les départements hyper-ruraux (...) occupaient une large zone noire. (...) A l’hôpital, rivé au banc de peine, contemplant ces cartes, il m'avait été facile d'imaginer l'itinéraire."

Cet extrait aura l'avantage de présenter la genèse de l'aventure et, pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, le style d'écriture de l'auteur. Le style est important. On va au train de marcheur, c'est lent, joliment dit, les considérations diverses sur le monde tel qu'il va s'invitent volontiers, les citations et doctes références abondent. Si vous n'aimez pas, passez tout de suite votre chemin (c'est le cas de le dire). Moi, j'aime bien, de temps en temps. Et j'ai donc suivi notre valeureux marcheur. Je marchais à son pas, lisant une étape ou deux chaque jour, pas plus, ce qui renforçait l'illusion de cheminer avec lui et je dois dire que je n'ai jamais rechigné à reprendre les godillots, ce qui est signe d'intérêt, mais pas davantage à me déchausser, ce qui n'est pas signe de passion.

Mais moi,  je suis hyper pragmatique, et au fond, ce qui m'a manqué, c'est la vraisemblance. Quand on relève de multiples fractures et qu'on entreprend une marche de plusieurs centaines de kilomètres au sortir de rééducation, je ne peux pas croire que les détails techniques soient secondaires. Dormir à la belle étoile, c'est bien. Oui, mais couché sur quoi? Parce que sur un simple tapis de sol c'est ne pas être sûr de pouvoir se relever le lendemain, et sur une couche plus confortable, c'est avoir à régler le problème des charges à porter. Idem pour le ravitaillement sur plusieurs jours, se régaler des mûres des ronciers, c'est joli à raconter, mais ça ne tient guère au corps, pique-niquer, c'est mieux, mais nous ramène au problème du transport. L’intendance est le nerf de la guerre. Bien sûr que Tesson a souffert et qu'il a parfois dû lui être bien difficile de se déplier au matin; bien sûr qu'il  a eu tous ces problèmes, et bien sûr qu'il les a réglés d'une façon ou d'une autre, mais en ne les évoquant même pas, il nous maintient à distance et à mon sens, limite notre empathie, c'est la faiblesse de cet ouvrage. Il nous offre les paysages et la belle histoire courageuse qu'on pouvait espérer, mais ça manque de tripes. Il fait des phrases, se cache derrière, et ne se laisse ni approcher, ni voir. On n'a droit qu'à son personnage.

Mais c'était un beau voyage.

978-2072823428

22 janvier 2023

L'inventeur 

de Miguel Bonnefoy

***+


Quelque peu romancée pour être plus attractive, cette biographie de l'inventeur méconnu Augustin Mouchot, parvient à retenir notre attention et notre intérêt tout au long de ses deux cents pages même si l'on n'est pas très porté sur les sciences physiques. 

Nous sommes dans la seconde moitié du 19ème siècle. A cette époque-là, la tendance était à la science et aux inventions scientifiques. Les savants étaient à la mode. C'était l'époque de Jules Verne, on rêvait beaucoup à tout ce que la science apporterait et rendrait possible. L'imagination se débridait, tout semblait possible. On croyait à la toute puissance de la science et du progrès.

Miguel Bonnefoy nous raconte donc comment un petit professeur de mathématiques de province qu'il nous décrit comme fort terne (mais n'oublions pas tout de même qu'inventer est une opération de l'esprit qui demande audace et imagination) suit son inspiration qui lui dit que la fantastique puissance du soleil pourrait être utilisée. Il avait inventé l'énergie solaire, ou du moins son usage moderne car l'on pouvait faire remonter les débuts de l' l'invention à l'Antiquité. Après de nombreux essais, de nombreux fiascos et d’enivrants succès, il parvient à organiser des miroirs de façon à concentrer les rayons solaires et à chauffer ce qu'on leur confie au point de le cuire (projet d'alimentation des voyageurs et des troupes en déplacement) puis à porter à ébullition de grandes quantités d'eau qui, couplées à des machines à vapeur, les actionneront sans nécessiter de feu et ou de bois. Les honneurs attendus depuis si longtemps commencent à lui arriver. L'industrie commence à s'intéresser à ses trouvailles, Mouchot regarde enfin l’avenir avec confiance lorsque soudain la large diffusion du charbon, pas gratuit mais moins sensible à la météo, vient réduire à néant ses ambitions.

La vieillesse est un naufrage, la sienne le fut tout particulièrement, mais elle fut pourtant longue, car cet homme qui n'avait jamais été en bonne santé, avait néanmoins la vie chevillée au corps. Le récit des hauts et des bas de cette vie qu'on a tendance à plaindre mais qui fut tout de même bien remplie, les détails et péripéties de ses aventures et mésaventures livrés ici par Miguel Bonnefoy, retiendront le lecteur jusqu'au bout. Si vous aimez vous cultiver en lisant sans ennui, ce livre est pour vous.


Je lis je blogue l'a lu aussi


‎ 978-2743657031

31 juillet 2022

Nulle part dans la maison de mon père 

d'Assia Djebar

***


Souvenirs d’enfance et d’adolescence

"Je n’ai plus de «maison de mon père». Je suis sans lieu, là-bas, non point seulement parce que le père est mort, affaibli, dans un pays dit libéré où toutes les filles sont impunément déshéritées par les fils de leurs pères."

Cet ouvrage est un ouvrage de souvenir qui couvrirait la période qui va de la petite enfance aux 17 ans de l’auteur. Nous y découvrons une petite fille maghrébine mais fille d’une famille aisée et dont le père a de plus la fonction très honorifique d’instituteur. Sans doute n’est-il pas l’égal des enseignants français (et l’on sent là une gène pas approfondie) mais il occupe néanmoins une fonction prestigieuse aux yeux des Algériens, car il est de plus celui qui peut permettre à leurs enfants de s’élever socialement. Le père est donc entouré ainsi et par son aisance financière, d’une aura qui le met au-dessus des autres, comme il est déjà au-dessus des femmes en tant qu’homme musulman et au-dessus des membres de sa famille en tant que pater familias. Son image est magnifiée, il est LA référence. Assia Djebar, en tant que fille et qu’aînée, sera celle qui devra se libérer de cette chape, d’autant qu’aussi évolué soit-il, ce père reste un musulman pratiquant pour qui la liberté des femmes est loin d’être chose acceptable. Ainsi, l’une des scènes marquantes de la jeune enfance d’Assia est-elle celle où son père, la voyant découvrir ses mollets en apprenant à faire du vélo, lui interdit de façon traumatisante car absolue et porteuse d’un lourd non-dit, de se livrer à cette activité. Sans le comprendre vraiment, la petite découvre alors le poids des tabous. Elle avait vu sa mère sortir soigneusement voilée mais le luxe des dits voiles et la supériorité sociale de sa mère sur les autres femmes arabes, ainsi que l’amour réel qui unissait ses parents, lui avaient caché la réalité oppressive de la situation. Cette leçon de vélo est une première alerte.

Pourtant, la jeune fille poursuivra ses études bien plus loin qu’il n’est habituel pour une jeune femme et se libérera de plus en plus de l’emprise paternelle, sans rébellion ouverte, mais par l’esquive. Elle parviendra ainsi à sauvegarder une grande partie de sa liberté.

Après cette première scène de la bicyclette, nous progressons dans ses souvenirs, découvrant une réalité maghrébine bien éloignée de celle de "La grande maison" de Mohamed Dib par exemple. On est dans un milieu aisé, cultivé et proche des Français. On y fait des études, on y apprend le piano etc. on n’a pas de problèmes financiers graves. Assia grandit et déroule le fil de ses souvenirs jusqu’à une scène marquante et fondatrice vers laquelle on s’aperçoit que le livre tend depuis le début et qui, vécue par l’auteur à l’égal de la scène du vautour pour Léonard de Vinci, donne lieu à de nombreuses pages, récits et commentaires. Je pense qu’il vaut mieux que je ne vous en dise pas plus, il est préférable que vous découvriez (éventuellement) par la main de l’auteur cet évènement qui aurait –pense-t-elle- marqué et influencé la totalité de son existence.

Mon avis sur ce livre ? Je dois dire qu’il est très mitigé. J’ai été très moyennement intéressée par les souvenirs évoqués, somme toute assez banals, et la peinture (peu visible par ailleurs car le sujet est totalement Assia Djebar) de cette société algérienne bourgeoise. D’autre part, j’ai été plutôt rebutée par le lyrisme -revendiqué- du style de l’auteur. Là, c’est un goût personnel, mais vraiment, quand je lis : « Ma passion pour Lucrèce n’est pas retombée après tant de décennies, plus pure que tant d’autres enthousiasmes, comme si l’imagination stimulée par la vision du grand poète –tel un ciel rempli de constellations chatoyantes- m’entrainait vers un état d’enchantement… »

ou

« Car tu as beau tourner, te retourner, te laisser porter à l’oblique, par un rythme presque incontrôlé, tu ne veux plus de jeu. Tu veux pouvoir dormir, et tu dors, et tu oublies, et tu regardes devant, derrière toi. La main qui écrit attend de ta tête –machine à rêves- l’impulsion, la vitesse d’un départ. Mais plus de toiles d’araignée au plafond ! »

J’ai plus tendance à fuir qu’à être séduite. C'est lourd. On a perdu la beauté poétique de l'écriture habituelle d'Assia Djebar. Pour moi, l’œuvre romanesque de l’auteur est plus intéressante. 

978-2742784851 

31 mai 2022

  H.G. Wells Parcours d'une œuvre 

de Joseph Altairac

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Indispensable !

Cet ouvrage a obtenu le Grand prix de l'Imaginaire 1999, catégorie essai.

Tout à fait différent de la biographie de Wells publiée plus tard par Laura El Makki, cet ouvrage m'a tout autant plu. Et en effet, pourquoi choisir ? Il n'est pas bien difficile de lire les deux. Ils sont tous deux excellents.

Joseph Altairac est un critique littéraire spécialiste de la science-fiction. Son ouvrage n'est pas sous-titré « Parcours d'une œuvre » sans raison (on s'en doute bien). Ici, la biographie de Wells, qui fait le début de l'ouvrage, est menée assez rapidement pour donner tout de suite accès à une présentation et même étude de ses œuvres. La documentation est extrêmement précise et les thèses argumentées. Vous y apprendrez sur chaque ouvrage des détails qui vous permettront de mieux le comprendre.

La biographie s'y mêle bien évidemment tout au long. Wells était un homme de convictions et ses romans, tout autant que ses essais (nombreux, tant en sociologie qu'en politique ou éducation) exprimaient ses idées, idées qui ont évolué tout au long de sa vie, d'où l’intérêt de la référence biographique.

Autant l'ouvrage de Laura El Makki était intéressant car Wells a rencontré de grands personnages (Gorki, Staline, G.B.Shaw, Roosevelt etc.) autant celui de Joseph Altairac l'est parce qu'il nous fait pénétrer dans les coulisses de la création puis de la publication des romans dont nous avons tous entendu parler à défaut de les avoir tous lus. Car l’œuvre de Wells, n'est pas une œuvre parmi d'autres, elle est unique. Par sa richesse, son abondance et sa diversité d'une part (allant de la vulgarisation scientifique aux pamphlets politiques en passant par romans, nouvelles et essais), mais surtout parce qu'il a été le premier à rationaliser par un vernis de science moderne les différents fantasmes plus ou moins répandus dans les imaginaires depuis l'antiquité, et à leur donner une forme qui depuis, est dans les imaginaires d'absolument tout le monde.

Comme je le disais, c'est l'aspect bibliographique qui domine très largement ici et il me semble qu'il a été mené de façon parfaitement détaillée et complète et je ne vois pas comment on pourrait faire mieux. Alors le risque, quand on est à ce point précis et exhaustif, c'est d'être rébarbatif et fastidieux à lire, mais par une formidable habileté (qui lui a sans doute valu son Grand prix de l'Imaginaire) J. Altairac a complètement évité cet écueil. Je disais que la biographie de Laura El Majkki se lisait comme un roman, eh bien, il en est de même de cet essai qui a réussi contre toute attente à être pointilleux ET passionnant ! Lui aussi se lit comme un roman et ses 200 pages se dévorent. Elles rejoignent là leur modèle qui arrivait à faire des best sellers populaires avec des ouvrages de sociologie ou de prospective.

Alors en fait, ce n'était pas « Vous pouvez lire les deux », c'est « Il faut lire les deux ». D'ailleurs, ils ne font pas double emploi. Quel plaisir de ne pas avoir à s'imposer les frustrations d'un choix !


9782906389885

27 mars 2022

 Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie

Nick Flynn

***+


Titre original : Another Bullshit Night in Suck City

Le social, sans fard

Après avoir lu « Contes à rebours » et l'avoir beaucoup apprécié, je me devais de découvrir ce premier roman au titre si percutant. Ici encore, il s'agit d’une quasi autobiographie, mais elle couvre la période qui a précédé celle décrite dans « Contes à rebours ». Il s'agit de la jeunesse de l'auteur.

Nick Flynn a été élevé par sa mère. Séparé de son père, un escroc alcoolique, soit en vadrouille, soit en prison. C'est donc sans père qu'il est devenu un homme. A 27 ans, au moment dépeint par ce livre, il est en bonne voie de devenir lui-même alcoolique, mais pas escroc. Bien au contraire, il travaille pendant son temps libre dans un refuge pour SDF et c'est sans dégoût ni mépris qu'il traite ces laissés pour compte bien souvent crasseux, agressifs, malades mentaux etc. On est dans la vraie vie, et bien loin du clochard philosophe des romans. L'auteur témoigne d'une bienveillance aussi profonde et sincère que sans illusion, face à ces épaves qu'il côtoie, dont il s'occupe, qu'il douche, dont il n'exclut même pas de faire partie un jour. Il ramasse les clochards, dans la rue, les amène à l'asile, y fait des gardes etc. et lors d'une nuit au refuge, "il arrive que tout se passe bien, mais c'est rare."

En dehors de ce travail, Flynn étudie et écrit des poèmes. Un jour, un SDF particulièrement instable, violent et agressif débarque au refuge... et c'est le père de l'auteur. Qui voit ainsi ce qu'il est devenu et qui fait le point sur sa relation réelle ou fantasmée à son père, et sur sa propre évolution. Cette confrontation sera rude, mais permettra à N. Flynn de réaliser qu'il lui faut se désintoxiquer et lui donnera la force de le faire.

C'est un récit où tout est dit avec franchise, sans dissimulation et plutôt crûment comme savent souvent le faire les Américains. C'est le portrait des dessous d'une mégapole (Boston) et aussi de ce qu'est une société humaine du tout bas de l'échelle sociale. C'est également le récit d'un garçon dont le père est une épave nuisible, qui "avance vers la vieillesse" et qui -un comble pour un fils lui-même auteur!- se présente comme écrivain, auteur d'un livre génial, que personne n'a jamais lu...

Mais ce père, n'est-il pas la face affreuse de son propre possible échec ? Flynn doit surmonter tout cela pour parvenir à se construire. Cela ne se termine pas en happy end rose bonbon, mais tout de même sur une progression et un message d'espoir. C'était une étape difficile mais nécessaire et Flynn pourra poursuivre sa vie d'homme dont il nous parle dans deux autres livres :

The Ticking Is the Bomb: A Memoir (Contes à rebours) 2010

The Reenactments: A Memoir (Reconstitutions) 2013

« Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie » est un livre poignant, éclairant et passionnant.

Ayant donc, poursuivi sa trajectoire et dépassé – forcément blessé- tous ces obstacles, Nick Flynn a terminé ses études, est devenu lui-même enseignant et a publié. Il est avant tout un poète et auteur de « non-fiction » comme disent les Américains, avec ses trois volumes de mémoires. En tant que poète, il est tout à fait reconnu et a reçu de très nombreux prix.


978-2070773404

10 février 2022

Avant la nuit  

de Reinaldo Arenas

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Mémoires d'un oiseau de feu

Cet ouvrage de Reinaldo Arenas est son autobiographie qui remonte à ses tout premiers souvenirs (à 2-3 ans) et le suit jusqu'à son suicide qui met fin en 1990 à sa lutte perdue contre le Sida alors qu'il avait 47 ans. Il n'a pas été écrit mais dicté par l'auteur en fin de vie. Je n'ai aucune intention de vous en faire ici un résumé car je pense que, soit cela vous intéresse et vous préférerez le lire vous-même, soit il vous faut juste un renseignement biographique et vous n'aurez pas besoin de moi pour le trouver. Comme d'habitude, je vais plutôt vous faire part des réflexions qui me sont venues à cette lecture.

Tout d'abord, à peine avais-je lu trois pages, que je savais que ce livre ferai partie de ceux que je garde précieusement et non de ceux que je sème, et la raison en était en tout premier lieu que s'y donnaient à voir une sincérité, une humanité et un appétit de vivre tout à fait admirables. Quand je trouve ces trois qualités, je ne peux que m'incliner. Reinaldo Arenas est un homme bourré de qualités et tout autant de défauts. La mesure et l'objectivité n'en font pas partie. A plusieurs reprises, à la lecture du récit de ces nombreuses années, on pourrait le reprendre sur des inexactitudes, des oublis ou des interprétations, mais c'est un être de feu et de passions et ces êtres-là ne sont jamais des observateurs objectifs ou raisonnables. De toute façon, au fil de ces aventures débridées, on sent bien que le cas échéant, l'auteur n'hésiterait pas longtemps entre une bonne histoire et une histoire scrupuleusement exacte.

A la prise de pouvoir de Castro, Arenas, comme la plupart des Cubains, est heureux et plein d'espoir et dans un premier temps il se trouve bien du changement de régime qui permet à l'enfant pauvre qu'il est de faire des études. Mais dès cette époque cependant, il note que ces "études" comportent une part importante endoctrinement pur et simple. Le régime forme ses futurs missi dominici. Dans les premières années aussi, cette révolution est également une révolution des mœurs et l'avènement d'une totale liberté. R. Arenas, qui s'est découvert homo et nanti d'un énorme appétit sexuel, en profite autant qu'on le peut alors et, parallèlement commence à écrire. Comme il le dit lui-même, pour lui écriture et sexualité vont de pair, quand tout va bien, les deux élans emportent tout et remplissent sa vie. Mais bientôt, le castrisme comme toutes les dictatures entend régenter aussi la vie privée des gens et, se basant sur le schéma familial classique, s'en prend en premier lieu aux homosexuels. C'en est fini de la jouissance sans entraves, l'heure est venue de la dissimulation, du danger, de l'exclusion et de la répression violente. Les écrits d'Arenas ne plaisent pas non plus. Il a obtenu des Prix pour ses deux premiers romans mais n'a pas pu les faire publier à Cuba. Ensuite, les ayant "passés" à l'étranger et étant parvenu à les faire éditer en France, il est considéré comme un ennemi potentiel du régime. Toute perspective de carrière lui est bouchée. Encore une fois: les deux élans vont de pair.

Reinaldo Arenas parle abondamment de ses collègues écrivains cubains (surtout les homosexuels il est vrai, mais ils semblent nombreux). Cela est très instructif pour le lecteur qui s'intéresse à la littérature cubaine. Il cite les noms sans retenue et raconte toutes leurs petites histoires, les magouilles peu glorieuses, leurs actes de bravoure et d'honneur aussi, et les défaites face au pouvoir comme Heberto Padilla qui après un séjour dans les locaux de la Sécurité revient au monde à un poste important avec une autocritique ravageuse et avant la production d'écrits dont selon Arenas il ne peut plus que rougir. Arenas les critique vertement et tout autant, leur pardonne tout car il sait la faiblesse humaine.

"Ce fut le début de la paramétrisation, c'est à dire que tout écrivain, tout artiste, tout dramaturge homosexuel, recevait un télégramme l'informant qu'il ne réunissait pas les paramètres politiques et moraux pour occuper son poste; par conséquent on le privait d'emploi, ou bien on lui en offrait un autre dans un camp de travaux forcés"

Castro a besoin de main d’œuvre agricole. Arenas ira travailler aux champs comme des milliers d'étudiants et d'intellectuels. Il perdra aussi son emploi à la bibliothèque. Il perdra son logement, il finira même en prison, luttant toujours, avec souvent ces poussées irrationnelles qui le caractérisent. Et quand il finira par réussir à quitter l'île, ce sera pour se heurter à une autre puissance, celle de l'argent, qui ne fait pas de cadeaux non plus. Aux Etats-Unis, il conclura:

"La différence entre le système communiste et  le système capitaliste? Tous les deux nous donnent des coups de pied au cul, mais dans  le système communiste tu dois applaudir, tandis que dans le capitaliste tu peux gueuler; je suis venu ici pour gueuler."

Si la courte vie de Reinaldo Arenas a dû être assez difficile à vivre, elle est par contre passionnante à lire. Il a mené son existence avec beaucoup de courage et d'inconscience, de vigueur et de fragilité, mélange scabreux et tonique d'honneur, de franche rigolade et d'histoires de cul. C'est tellement humain! A lire, vraiment.


PS :  Ce récit autobiographique fut porté à l'écran par le cinéaste Julian Schnabel. N'ayant pas vu le film, je ne saurais vous en dire plus.

9782742730964



04 octobre 2021

Black Boy  

de Richard Wright

****+


Autobiographie T1

J'ai intitulé ma chronique « Autobiographie Tome 1 » car il faut savoir que ces souvenirs d'enfance vont de la naissance jusqu'à un peu plus de 20 ans quand il quitte le Sud pour Chicago, et qu'il était dès le départ prévu qu'il serait suivi d'un tome 2, même si de nombreuses années devaient séparer les deux parutions. Le second tome s'intitulait « American Hunger » traduit en français pas « Une faim d'égalité ».

L'enfance de Richard Wright a été placée sous le signe de la pire misère. Il a pratiquement tout le temps souffert de la faim, parfois au pont de s'évanouir. Plus tard, quand il a commencé à  gagner quelques sous, cela a continué car d'une part, il était très peu payé, et de l'autre, il voulait à tout prix économiser pour ses projets d'une vie meilleure et, considérant qu'il était bien entraîné pour jeûner, il a continué à se priver et là encore, souvent trop. Je pense que cette malnutrition permanente de toutes sa jeunesse a pu jouer un rôle dans sa mort prématurée par « crise cardiaque ». Mais je ne suis pas médecin. 

Cet ouvrage nous ouvre donc un monde comme on voudrait tant qu'il n'en existe pas. Un père qui, bien sûr décide bien vite qu'il serait mieux loti à garder sa maigre paie pour lui seul et laisse femme et enfants (deux frères) survivre seuls comme ils peuvent. Une mère qui elle, ne songe jamais à les abandonner mais qui a bien du mal à élever seule deux fils turbulents et qui ne se rendront compte que plus tard de son mérite. Mais cette mère pratique aussi les châtiments corporels extrêmes, comme elle l'a toujours vu faire... Une maison où l'on a froid et faim, heureux encore quand on a un toit. Voilà la vie qu'a connue l'auteur. La famille aide parfois mais en échange d'une soumission complète à leurs convictions d'une bigoterie absolue, le fanatisme religieux ordinaire rajoutant encore des chaînes à celles déjà portées par tout Noir. 

« Chaque fois que je rencontrais la religion dans ma vie, je trouvais le désaccord, la lutte, la tentative d'un individu ou d'un groupe de gouverner l'autre au nom de dieu. La convoitise du pouvoir semblait toujours marcher dans le sillage d'un cantique. »

Mais Richard est fort réfractaire à tout cela. Il est la brebis galeuse d'un troupeau misérable.

Et puis il y a l'incroyable découverte de la lecture et toute une vision du monde qui bascule.

« Les intrigues et l'action des romans m’intéressaient moins que le point de vue qu’ils révélaient. Je me donnais sans réserve à chaque roman, sans chercher à le critiquer. La lecture était comme une drogue, un stupéfiant. Les romans créaient en moi des états d'âme qui persistaient durant des semaines. »

Entraînant la soif d'études.

Bientôt suivi de la découverte du monde des Blancs, dont il avait été jusqu'alors séparé et de leur incroyable racisme qui vaut à tout Noir d'être perpétuellement en danger de mort.

« Il fallait dire "oui Monsieur, non Monsieur" , et me comporter de façon que les Blancs ne pensent pas que le m'imaginais être leur égal. »

 Il est même obligé de faire semblant de ne pas savoir lire et d'emprunter des livres à la bibliothèque comme commissionnaire avec la carte d'un Blanc (les bibliothèques ne prêtent pas aux Noirs et malheur à celui qui donnerait l'impression de vouloir s'instruire!). On comprendra que son départ vers le Nord sera tout simplement une fuite. Nous le quittons au moment où il part pour Chicago.

Un récit poignant de bout en bout mais aussi, plein d'espoir. Dans les pires conditions, on trouve des hommes qui redressent la tête et même parviennent à surmonter tous les obstacle car on sait déjà que Richard Wright connut tout de suite un grand succès. Il fut le premier noir américain à publier des best sellers. Quand on songe d'où il est parti...

978-2070369652 

07 août 2021

  Une tentative d'autobiographie 

Découvertes et conclusions d'un cerveau très ordinaire

de Herbert George Wells

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Ecrit entre 1932 et 1934, alors que l'auteur a de 66 à 68 ans, et donc, 12 ans avant sa mort, cet ouvrage n'a pas été réédité en français depuis 1936 ce qui, disons-le, est une honte. On le trouve encore chez les soldeurs.

Sa carrière est faite et c'est avec une grande et simple franchise, qu'il raconte ce que fut sa vie. Wells a choisi de s'y exprimer dans un style particulièrement naturel, ce qui fait que pénétrer dans ce livre, c'est comme avoir une très longue discussion avec un vieil ami qui vous raconterait son passé. Je m'y suis immergée des heures sans le moindre ennui, et toujours avec cette impression de vraie rencontre amicale. Bien évidemment, il ne se contente pas de dévider platement une succession d'évènements avec leurs dates, ni même d'ailleurs de vous faire connaître son état d'esprit à ce moment-là. Bien souvent son discours dévie (je ne dirais pas s'égare, car ce serait faux) vers d'autres sujets. L'occasion amènera à développer ses idées sur les thèmes les plus divers.

Or, par chance, H.G. Wells est un homme très intelligent et à l'esprit original et libre. C'est ce qui fait accessoirement que je l’apprécie tant, mais c'est surtout ce qui fait ici que cet ouvrage soit si intéressant et agréable à lire. Il a choisi de faire la part belle à ses rencontres féminines – ce qui est à l'image de sa vie. Mais évoque également la genèse de sa pensée et de sa philosophie de la vie. Ce qui a toujours rendu les romans de science-fiction de Wells si passionnants, c'est qu'ils prenaient racine dans une vision sociale et politique du monde et de son évolution ; et cette vision était toujours portée vers le futur. L'imagination envisageant sans cesse les diverses possibilités d'évolution, et ce, pas seulement pour ses romans, mais parce que c'était ainsi qu'elle fonctionnait toujours. Il développe ses idées à ce sujet, d'autant qu'il a consacré une bonne part de son énergie à les faire entendre. Il avait une vision, et, pourrait-on dire, un projet de monde meilleur et même une idée assez nette de la façon dont on pourrait l’atteindre. Et même s'il s'était irrémédiablement égaré dans la gestion des exclus de ses sociétés idéales, il y croyait encore au moment où il a écrit ces pages. Ce n'est qu'avec la seconde guerre mondiale qu'il a perdu son optimisme à ce sujet...

Lisez-le, vous ne serez pas déçu. Quant à son sous-titre de "cerveau très ordinaire", n'y voyez que coquetterie, ce n'est pas ce qu'il pensait vraiment, ne serait-ce déjà que pour sa mémoire

9782070266500


04 août 2021

 H.G. Wells 

de Laura El Makki

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Se lit comme un roman

   Comme H.G. Wells est un auteur qui m'intéresse beaucoup, c'est tout naturellement que j'ai également voulu lire les biographies qu'on lui avait consacrées. J'ai ainsi lu celle-ci de Laura El Makki, ainsi que celle de Joseph Altairac, avant de passer à l'auto-biographie pour laquelle Wells lui-même a rédigé 520 pages sous le titre modeste de "Une tentative d'autobiographie". Trois ouvrages extrêmement différents dont je vous parlerai ici. 

       Cette biographie d'un des pères de la science-fiction, se lit absolument comme un roman. Le ton en est le même, ainsi que l’intérêt. C'est vrai que notre Herbert George ne s'est guère ennuyé dans sa vie et qu'on ne s'ennuie donc pas en la lisant. Pas de jugement. Point trop d'analyse des états d’âme supposés ; du circonstanciel, voilà ce que nous offre L. El Makki, chose que j'apprécie beaucoup. 

       Suivant l'ordre chronologique, depuis son enfance très pauvre jusqu'à son succès et sa mort dans l'opulence après avoir côtoyé les plus grands, et la reconnaissance universelle (malgré une légère baisse bien normale sur la fin), nous suivons pas à pas le cheminement de cette existence captivante. Cela m'a fait penser à l'excellente biographie de Philip K. Dick par Lawrence Sutin*. En premier lieu parce qu'on retrouve chez les deux hommes cette extraordinaire puissance imaginative qui fait que le problème de l'inspiration ne s'est jamais posé pour eux. Ils avaient beaucoup plus d'idées de récits que de temps pour les écrire, d'où, l'avalanche de nouvelles et autres short stories. J'apprécie ces auteurs-là, c'est pourquoi, quand j'entends un auteur se plaindre de la page blanche, j'ai juste envie de lui demander pourquoi il se met devant, dans ce cas là. Mais pour en revenir à ma comparaison, Wells a eu une reconnaissance officielle que ce pauvre Dick n'a jamais connue. Et à la différence de P.K. Dick il a voulu plus, il a voulu agir sur son temps en faveur du progrès, il a voulu être un chercheur de vie meilleure, une sorte de guide. Il croyait très fort avoir ce rôle à jouer non plus dans la fiction, mais dans le monde réel. 

       Wells a été un homme très intéressant, avec plein de défauts (racisme) et encore plus de qualités (intelligence, désir de changer le monde, de diffuser l'éducation, de créer une société meilleure etc.), avec ses errements, ses erreurs, ses corrections, ses changements d'opinion, sa réactivité au monde, ses passions, ses désirs et sa capacité à payer le prix pour les assouvir. Il a mené une vie bien remplie et j'ai passé un excellent moment en sa compagnie. Vous devriez faire sa connaissance. 

       Dans quelques jours, je vous parle de l'ouvrage de Joseph Altairac, lisez celui-ci, en attendant. 

    

   * "Invasions divines"


978-2070462308

18 janvier 2021

  Invasions divines – Philip K. Dick, une vie 

de Lawrence Sutin

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Grand Prix de l'Imaginaire, catégorie Essais en 1995
   
   
    "Philip K. Dick (19281982) reste un trésor enfoui dans le domaine de la littérature américaine parce que la grande majorité de ses œuvres a vu le jour dans le cadre d'un genre – la science-fiction- qui ne retient pratiquement jamais l’intérêt des gens sérieux. Car on ne saurait être sérieux en racontant des histoires de vaisseaux spatiaux, n'est-ce pas ? Une baleine blanche, voilà qui peut faire office de grande figure littéraire ; mais comment en dire autant d'un fongus de Ganymède télépathe ?"
   
   "Phil avait la réputation d'être – pour dire les choses crûment – un cinglé à la cervelle grillée par les drogues."
   
   Bon, l'action est posée.
   
   Ayant lu peu de temps auparavant le roman de C. Miller "L'univers de carton", j'y avais retrouvé avec plaisir un des fantômes de ma jeunesse : Philip K. Dick. Dans ce roman, cette biographie de L. Sutin était donnée comme la plus réussie qui existe et même comme étant quasiment parfaite. Avais-je une chance de résister ? Bien sûr que non, vous l'aurez compris. Ce fut donc mon achat suivant et une nouvelle lecture, qui me permit de mieux connaître un des papes de la SF américaine, d'une façon, cette fois plus réaliste. Je dois tout de suite dire, que je trouve en effet cette biographie à peu près parfaite. Lawrence Sutin ne semble pas ignorer le moindre détail de l'existence de Dick, il est allé interroger tous les témoins et leur a permis d'exprimer leurs points de vue, il n'a pas émis de jugement de valeur sur l'homme dont il ne nous cache ni les hauts, ni les bas, se bornant à manifester son admiration de l’œuvre accomplie. Je pense donc en effet que cette bio est un must. Indispensable à qui s’intéresse à l’œuvre de Philip K. Dick. C'est un assez gros bouquin, plus de 700 pages, mais édité chez Folio SF, il est à la portée de toutes les bourses, et écrit dans un style fluide, il ne génère jamais ni ennui, ni difficulté.
   
   Cet ouvrage suit l'ordre chronologique et donne des renseignements sur tous les titres de l'auteur, ce qui paraît impossible quand on sait à quel point il était prolifique. Nous découvrons ainsi quelle était sa situation matérielle et mentale lorsqu'il les écrivit. Et ce n'est pas rien, tant l'existence du Maître fut agitée et pleine d'imprévus. Il suivit plusieurs religions et connut plusieurs satori pour finir par discuter assez familièrement avec Dieu. Tout cela rend certains des cheminements de sa pensée un peu abscons. Pour ne rien dire de cette manie charmante qu'il avait et qu'ont dû maudire tous ses autres chroniqueurs, de toujours donner immédiatement (comme plus tard) plusieurs version différentes (et souvent incompatibles) du moindre fait et événement de sa vie, ce qui rendait le tout tellement compliqué et ingérable qu'il ne savait bientôt plus lui même quelle était la version exacte et d'ailleurs, y en avait-il une? puisque, c'est bien connu, la réalité n'est pas une, voire même, n'existe pas. (surtout avec l'usage immodérée de substances bizarres et mélanges incongrus).
   
   On aura compris que ses relations avec ses proches tant professionnels que personnels, (pour ne pas dire avec lui-même) ne furent jamais simples, mais il plaisait néanmoins et se maria cinq fois. Il ne m'a pas semblé particulièrement sympathique, mais c'est strictement une question de goût et je ne peux que m'incliner par contre devant l'écrivain, son énorme capacité de travail et sa fantastique imagination*. Parti des pulp et des fins de mois difficiles, il connut le succès en tant qu'auteur reconnu bien qu'il ne le fut jamais comme écrivain (ce qu'il méritait), mais toujours considéré comme le "meilleur-d'un-genre-mineur", ce qui fit son désespoir. Néanmoins, ses histoires étaient telles que le cinéma ne pouvait l'ignorer longtemps et c'est donc largement à l'abri du besoin qu’il finit ses jours. Au point de pouvoir se permettre le luxe de refuser un contrat hollywoodien dont il craignait qu’il dénature son œuvre. Qui serait encore capable de faire cela aujourd'hui ?
   
   En dehors de toutes ces données factuelles, Lawrence Sutin met en relief les questions primordiales que Philip K. Dick a toujours voulu explorer et illustrer par ses nouvelles et romans :
      Que se passerait-il si ?
   Qu'est-ce que la réalité ?
   Qu'est-ce qui constitue l'humain ?  
   Avouez que ces questionnements relèvent de la plus haute philosophie et qu'il est peu de domaines de la fiction qui se prêtent aussi bien à leur exploration poussée que la science-fiction.
   
   Et pour couronner le tout, l'auteur maintenait en permanence dans tous les esprits (y compris le sien) la question finale: "Et si c’était vrai" ?
   

   * Pour ne rien dire de sa folle vélocité dactylographique.


978-2070422364