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22 février 2024

Ils abusent grave 

Du féminisme et des sciences humaines

de Erell Hannah

Illustrations Fred Cham

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240 pages

Nous avions les BD classiques, dans un format d'environ 50 pages, puis sont venus les romans graphiques avec leurs plus de 200 pages et il va maintenant falloir inventer un nouveau mot pour les essais graphiques, ces vraies études sérieuses et documentées, faites par des scientifiques compétents et alignant les faits réels, les études et les chiffres et soutenant leurs thèses, mais en bande dessinée. Dans un domaine tout à fait différent, j'avais lu avec beaucoup d’intérêt le "Le Monde sans fin" de Blain et Jancovici et c'est avec un intérêt égal que j'ai dévoré le "Ils abusent grave" de Hannah et Cham que je vous conseille vivement. C'est la couverture qui m'a attirée. Cette réponse angélique que vous vous êtes déjà attirée mille fois quand vous essayez de parler un peu de l'oppression des femmes. Le pire étant que ceux qui vous disent ça sont de bonne foi. Ils pensent combien ils sont gentils avec leur épouse, leurs filles, leurs mères... et se sentent sincèrement totalement innocents. Ils ne pensent pas à combien ils gagnent de plus que leur collègues-femmes de même niveau, ils n'ont pas admis qu'ils ont été promus à la place d'une autre qui aurait dû l'être, qu'ils ont les postes de commandements (parce que les hommes sont meilleurs pour l'autorité), qu'ils sont servis les premiers à table et plus copieusement etc.

Erell Hannah, diplômée de sociologie et de psychologie, a voulu disséquer ici les mécanismes profondément ancrés dans nos sociétés et qui font qu'une moitié de l'humanité exploite plus ou moins férocement l'autre moitié et que cette seconde moitié accepte généralement et même participe à cette exploitation, alors que les rares qui tentent d'y échapper se heurtent à des difficultés quasi insurmontables. Tout cela démarre dès le plus jeune âge, par l'inculcation du fait que les garçons sont plus capables et plus intelligents que les filles, que leur intelligence est de qualité supérieure à celle des filles car plus apte à s'élever à la théorie et à la conception d'idées alors que les rares filles intelligentes disposaient d'une intelligence pratique et non conceptuelle comme la leur, ainsi que de sensibilité, bien sûr (bah voyons). C'était les savants (hommes) qui avaient établi ce fait. Etabli? Montrez-nous donc ça, ont fini par dire quelques femmes après un certain nombre de siècles.

Seront aussi examinés :

- ce qu'il en est de la violence masculine envers les femmes, comment elle s'exerce, comment elle est perçue, par les victimes et par la société.

- les réponses sociales, policières et judiciaires à cette violence globalement bien acceptée, mais de moins en moins, c'est vrai (mais on n'en est pas encore à l'égalité).

- Un monde macho sous couvert de science et même dans des milieux qui se croient libérés voire libertaires comme dans le domaine des arts.

- Examen des travaux de trois femmes scientifiques ayant étudié le sujet à différentes époques : Leta Hollingworth, Andrea Dworkin et Linda Silverman.


- Brutal ou plus sournois, le rapport de domination est partout, dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Le célibat serait-il le seul garant de la liberté? 

Erell Hannah répond à un certain nombre de "Pourquoi?". Fred Cham illustre avec un grand naturel. Cet album se dévore. Une étude (pas une charge) vraiment bien menée et passionnante et cette révélation que nous sommes tous encore porteurs de parts de cette oppression sournoise (même moi - je me suis prise en flagrant délit il y a peu) alors, lisons cet album, prêtons-le, offrons-le, aux garçons comme aux filles, pour que les choses évoluent et que plus personnes ne tombe innocemment dans le panneau. Changeons le monde.


978-2019466138



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29 décembre 2023

Un été avec Montaigne

d'Antoine Compagnon

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Cela faisait longtemps que je les voyais passer sur les rayons des bibliothèques et des librairies ou encore sur les blogs,  ces petits volumes aux couleurs vives qui vous invitaient à passer un été avec Montaigne, Pascal ou Jankélévitch. Ils étaient bien tentants, pas trop épais ce qui permet de se persuader que malgré la PAL himalayenne, on va aisément trouver un peu de temps pour les avaler entre deux lectures plus longues (ce qui est d'ailleurs arrivé) , alors un jour que l'un d'eux est passé trop près de ma main, hop! Je suis repartie avec et du coup, je l'ai dévoré sitôt rentrée. Comme ça, c’était réglé. On était fin décembre, en plein dans les préparatifs de Noël, je l'avais croisé en faisant les derniers achats de cadeaux... On commençait fort pour passer un été avec...

Mais le philosophe est au-dessus de ces contingences.

Pour le dire tout de suite, j'ai beaucoup apprécié ce petit livre qui regroupe quarante très courts chapitres (5 pages), chacun consacré à un point relevé dans les Essais. Le travail est dû à Antoine Compagnon, académicien et professeur au Collège de France qui a ainsi préparé ces courtes chroniques pour une émission quotidienne de 5 mn sur France Inter. Ces chroniques lues par Daniel Mesguich m'avaient échappé mais l'on peut facilement les retrouver en podcast ici, même si moi, je les ai lues.

Cela commence généralement par une citations de quelques lignes en langage de l'époque (que j'avais du mal à saisir pleinement) qu'il explique d'abord par la paraphrase et des considérations contextuelles et annexes. Cela n'a pas le temps d'être fastidieux qu'on a déjà bien vu l’intérêt et qu'on arrive à la dernière phrase  qui résume en quelques mots l'idée maîtresse, en donne le miel,  et l'on est content de l'avoir parfaitement saisie en si peu de temps et sans effort. Je trouve que cette initiative est bien conforme aux idées de Montaigne qui déjà, écrivait en français et non en latin pour toucher des lecteurs moins doctes (et sans doute aussi  moins rassis de certitudes) que ceux capables de pratiquer la langue de Virgile. Ce petit livre, comme ces chroniques radiophoniques estivales, parle à tout un chacun, sans faire appel à des connaissances antérieures particulières. C'est ce qui fait son charme; Pour ma part, j'aime beaucoup à chaque fois que la culture s'invite ainsi dans la vie quotidienne et les discussions à bâtons rompus. Je suis toujours partante pour 5mn de philo ou de science entre la poire et le fromage. Cet ouvrage sera d’une grande utilité également aux élèves de terminale, tout en comprenant bien qu’on n’a ainsi qu’un vernis de connaissance et qu’en ce qui concerne les étudiants, il leur faudra aller plus loin.


PS: Je relève une des idées originale de notre Michel national, son vœu de mourir "à cheval, en voyage, loin de chez lui et des siens." Tiens, oui, pourquoi pas? Je n'ai pas de cheval, mais je suppose qu'on peut transposer.

PPS : Ayant passé un si bon moment avec Montaigne, j’ai écouté "Un été avec Jankélévitch" (très intéressant également) mais en conclusion, je préfère la lecture à l’écoute qui s’interrompt à chaque chronique et qu’il faut sans cesse relancer, alors que les pages s’enchaînent sans délai quand on lit.



978-2849902448 

29 novembre 2023


Le Studio de l'inutilité 

de Simon Leys

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Quatrième de couverture:

"Dans sa jeunesse, Simon Leys passa deux ans dans une cahute de Hong Kong en compagnie de trois amis, une période bénie où l'étude et la vie ne formaient plus qu'une seule et même entreprise .

C'est en souvenir de ce gîte régi par l'échange et l'émulation, surnommé Le Studio de l'inutilité , qu'il a baptisé ce recueil consacré à ses domaines de prédilection : la littérature, la Chine et la mer."

Cet ouvrage regroupe des articles ou essais publiés par le critique littéraire et sinologue Simon Leys. Il se divise en trois parties: Littérature, Chine, Mer

La première partie évoque huit écrivains et ont été pour moi d’intérêt inégal mais souvent grand, car si l'éloge éperdu du Prince de Ligne m'a laissée de marbre, il en est allé tout autrement des articles sur Michaux, Orwell et particulièrement du dernier : "Nabokov et la publication posthume de son roman inachevé". Conrad, Chesterton, Weil et Segalen seront également traités. C'est vraiment très instructif et intéressant.

La seconde partie est consacrée à la Chine dont Leys était spécialiste. Les textes qui y sont regroupés permettent à l'auteur, qui ne céda jamais aux sirènes de la Révolution culturelle, même à l'époque où c'était tellement à la mode, de rétablir les faits et de dire les choses comme il les voyait, L'Histoire allait lui donner le plus souvent raison.

La troisième partie est constituée de textes relatifs à la mer, autre passion de Simon Leys. Il est, rappelons-le, l’auteur d’une anthologie intitulée "La Mer dans la littérature française". Il traitera ici d’"écrivains et la mer", de l'histoire des périples de Magellan et des naufragés sur l'île Auckland. Tous les amateurs de récits marins se régaleront, je n'en fais pas spécialement partie mais j'ai tout de même lu tout cela avec intérêt. 

Ces trois parties sont suivies du texte du discours qu'il a prononcé en 2005 lors de la remise de son doctorat et portant sur son idée de l'université. Je vous laisse le découvrir.

Je crois que si je devais résumer cet ouvrage en deux mots, ce serait "intéressant" (tous les sujets traités ont su capter mon attention puis éveiller mon intérêt) et "instructif" (j'y ai appris vraiment beaucoup de choses). Je recommande donc vivement cette lecture à tous les esprits curieux. Il est venu à moi en version brochée gondolée (météo humide), par l'intermédiaire d'une boite à livres mais il existe en format poche et je pense qu'il peut aussi tout à fait faire office de cadeau. Je l'ai lu par fragments, un article après l'autre, à un moment ou à un autre et maintenant que j'ai tourné la dernière page, je me félicite d'avoir mené cette lecture à bien. Il m'a semblé décerner chez Leys une personnalité avec laquelle je serais moins en accord que je ne le pensais avant de commencer, mais il n'en reste pas moins un érudit qu'il est enrichissant de lire. 

Comme son nom l'indique, la culture générale, ça se cultive. Ne l’oubliez pas ! Bonne lecture à vous!

978-2081303287 



04 novembre 2023

Beyrouth-sur-Seine

de Sabyl Ghoussoub

***+


Prix Goncourt des Lycéens 2022

Sabyl Ghoussoub est né en 1988 à Paris dans une famille libanaise. Il souligne que l'émigration libanaise à Paris a été importante, d'où le titre en forme de boutade mais qui, dit-il, circulait vraiment dans son quartier : Dans cet ouvrage, il entreprend de faire raconter à ses parents leurs souvenirs de leur vie au Liban. Cela s’avérera être une entreprise ardue puisqu'il procède sans vraie méthode, parce que ses parents rechignent à s'y prêter et parce qu'il apparaît immédiatement que leurs souvenirs divergent au point qu'on ne peut plus être sûr de rien. On devine qu’il y a d’énormes non-dits. Ajoutez à cela que les faits évoqués ne suivent aucun ordre et que l'on fait des bonds avant et arrière dans le temps. Il faut dire que là, rien n’est simple : 

« La vie de mes parents, c’est comme la guerre du Liban. Plus je m’y plonge, moins j’y comprends quelque chose. J’arrive à situer les protagonistes, quelques moments marquants me restent, puis, ensuite, je me perds. Trop de dates, d’événements, de trous, de silences, de contradictions. Parfois, je me demande si cela m’intéresse vraiment d’y comprendre quelque chose. Finalement, à quoi bon ? Qu’est-ce que cela m’apporterait de plus de tout savoir, tout comprendre, tout analyser ? Rien, je crois fondamentalement que je n’y gagnerai rien, à la limite je perdrais mon temps. »

Vous comprendrez que si vous espérez saisir un peu la situation historique et politique au Liban, il vaudrait mieux chercher un autre livre. On est plutôt ici sur le plan sentimental et anecdotique. 

 Les parents parlent donc de leur vie à Beyrouth et de leurs familles. On est stupéfait d'entendre parler des cousins qui ont massacré des familles, enfants compris pour des idées (nébuleuses). Elles doivent donc être bien  importantes pour eux, ces idées, au point de leur faire perdre la raison, se dit-on. Eh bien non, parce qu'ils sont également prêts dans le même temps à accorder tous les passe-droit à des proches. Donc en fait, ils massacrent parce que la vie de gens qui ne sont pas des leurs n'a aucune valeur à leurs yeux. Ils sont incapables d'empathie un peu élargie. La définition même du sociopathe à mon avis, mais sociopathes, ils sont nombreux à l'être. Et ce que je vous dis-là, ce sont les réflexions que je me suis faites, car l'auteur, lui, n'approfondit jamais rien, ne fait pas de recherches, accepte sans difficulté d'abandonner tout sujet délicat sans interroger davantage ses parents. Il se cantonne strictement au relevé d'anecdotes, de souvenirs mais n’interprète jamais, ne commente pratiquement pas, même s’il est quand même choqué par le cousin. De même pour ce qui est des exilés et du fossé qui s’élargit avec le pays natal. C’est évoqué, mais pas creusé. L’ensemble n'a donc pas une grande valeur documentaire.

C'est une chronique familiale plutôt qu'un livre sur le Liban. Si ce n'est qu'on sent bien que la paix ne progresse pas d'un pas. J’ai écouté ce livre en livre-audio, lu par l’auteur, ce qui me permet de connaître maintenant le son de sa voix. Il apparaît ici comme un homme jeune, gentil, bon fils, bien élevé et ne heurtant personne. Tout le monde doit bien l'aimer. Il ne prête pas à polémique. On peut comprendre que des lycéens se soient laissé séduire car cette vision sentimentale, familiale et anecdotique correspond bien à leur âge. Le lecteur plus âgé risque cependant de ne pas y trouver son compte.


4ème de couverture :

« La vie de mes parents, c'est comme la guerre du Liban. Plus je m'y plonge, moins j'y comprends quelque chose. J'arrive à situer les protagonistes, quelques moments marquants me restent, puis, ensuite, je me perds. Trop de dates, d'événements, de trous, de silences, de contradictions. »

Sabyl a la trentaine. Il est né à Paris de parents libanais, tenus éloignés de leur pays par la guerre. Pourtant, à Paris, Beyrouth est partout. La famille élargie est restée là-bas. Seuls quelques allers-retours et WhatsApp les relient. Une part manque. Sabyl veut la combler. Micro en main, il leur demande de raconter.

979-1041410996



10 septembre 2023

Blanc

de Sylvain Tesson

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Après le noir, vient le blanc. Les chemins noirs cèdent la place sous mes yeux aux chemins blancs et j'ai suivi Sylvain Tesson dans ce second périple, mais je pense qu'il n'y aura pas de troisième lecture pour moi car je me suis plutôt ennuyée. "Les chemins noirs", 176 pages, "Blanc" , 240. Que j'ai regretté ces soixante pages de rabiot! C'est long, la marche dans la neige, et pas mal répétitif, mais qu'allais-je faire en ces pa(ra)ges, moi qui ne skie pas, n'escalade pas et n'aime même pas la neige? J'ai eu ici l'occasion de me le demander, croyez-moi, mais vous me connaissez, quand je suis partie, c'est parti, j'ai tendance à m'accrocher et à aller au bout, un de mes rares points communs avec l'auteur.

Donc, tout d'abord, j'ai trouvé le récit bien répétitif et monotone. Faut dire, la neige, quand tu as dit que c'est blanc, très blanc, blanc partout... et froid, très froid, tu as un peu fait le tour de la question. Je parle pour moi, bien sûr, Sylvain Tesson lui, trouve motif à descriptions, jolies phrases, évocations et digressions Le matin, départ à l'aube dans des températures polaires, on s'arrache au refuge rustique mais dont on ne va pas tarder à regretter le confort sommaire. Marche, ski, prise de risques inutiles et arrivée soulagée au refuge suivant, chaque jour se déroule ainsi. Je peux comprendre le désir de se mettre à l'épreuve, de chercher ses limites, de les visiter et de se surpasser, j'ai déjà plus de mal à admettre de parier sa vie pour rien, mais bon, si c'est son truc, je m'incline mais j'aurais par contre aimé être éblouie par ce qu'il en tire. Je crois que j'attendais des pensées plus profondes sur la neige, le risque, l'hibernation, la vie, la mort, le blanc... Bref, Michel Pastoureau aurait sans doute mieux comblé mes attentes. Là, j'aurais lu autre chose que des banalités.

On crapahute donc. Les étapes sont l'occasion de lectures. Un ouvrage historique emporté permet à l'auteur de développer son admiration pour la Maison de Habsbourg ou de Hohenzollern, le Saint Empire romain germanique et l'ordre teuton (c'est propre). Chacun ses goûts, je respecte. Moi, je songe aux portraits de Charles Quint (être Habsbourg a un prix) et modère mon admiration.

 Les lectures sont l'occasion de citations, nombreuses*. Stendhal est largement mis à contribution, avec Rimbaud, et quelques autres. Tesson ne peut pas s’arrêter dans une zone déserte sans y rencontrer un lettré avec lequel échanger des vers et des citations. Quand je pense que je n'arrête pas de discuter avec des tas de gens et qu'ils peinent à citer deux vers de La Fontaine... je me demande comment il fait. La soirée est aussi l'occasion de réviser ses subjonctifs, présent comme imparfait, merci, ça ne me gène pas, au contraire, j'aime bien.

Il m'a semblé enfin, que dans cet ouvrage, les pensées de l'auteur se dévoilaient plus réactionnaires que je ne l'avais vu dans les Chemins noirs, ou alors, je n'avais pas été attentive? C'est assez triste. Je ne parlerai pas de l’absurde et grotesque micro-nouvelle qu'il nous balance vers la fin d'ouvrage faute d'avoir même compris s'il avait voulu faire de l'humour. Mais j'en suis gênée pour lui. Je ne parlerai pas de sa critique de la gestion de la pandémie sur le thème classique de tous-des-moutons en se gardant bien de dire comment il pense que cela aurait dû être géré (parce que tout de même, tout le monde ne peut pas aller se réfugier au sommet d'une montagne). Je ne parlerai pas non plus de sa critique de l'individualisme (des trottinettes!) alors que lui même ne fait jamais rien d'autre que de l'individualisme. Bref non, je souhaite à Sylvain Tesson de belles randonnées et la meilleure santé possible mais je doute de retourner un jour entre ses pages.

Bye


* Hélas pas toutes exactes, voir la critique d'Arnaud Viviant dans Le masque et la Plume.

978-2072960635

02 janvier 2023

Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique

de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici

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Description de l'éditeur

"Été 2018. Alors qu’une canicule s’abat sur la France, Christophe Blain roule en direction de la Normandie, tandis que sa compagne lui lit à voix haute un article sur le réchauffement climatique.

Pour l’auteur de Gus et de Quai d’Orsay, les conclusions de cette lecture sont un choc. En 2050, la température à Paris flirtera avec les 50 °C… De cette prise de conscience est né ce livre, réalisé en collaboration avec Jean-Marc Jancovici, spécialiste des énergies et du climat.

Le constat de celui-ci est simple et sans appel. Nous vivons dans une société qui a besoin de flux physiques titanesques. Ces flux ne peuvent exister que grâce à "quelque chose" qui joue un rôle essentiel et dont on ne mesure pas toute l’importance : l’énergie. Celle-ci nourrit des machines qui sont devenues le pilier de notre civilisation. Pour autant, l’énergie ne pourra augmenter indéfiniment.

Et par voie de conséquence, l’économie non plus. Que faire, comme disait Lénine ?"


Tout au long de ses presque 200 pages, ce gros album met en scène Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici en une bande dessinée hautement technique et documentée qui parvient néanmoins à se lire sans effort ni ennui. Le dessinateur joue le rôle du Candide à qui le savant montre l'historique  puis  explique les problématiques d'un monde entièrement dépendant de l'énergie dont il fait une consommation toujours plus grande alors qu'a contrario, la fourniture de cette énergie est de plus en plus problématique, ainsi que les conséquences de son usage de plus en plus délétères. Les explications de Jancovici sont claires et à la portée des non-techniciens et non-scientifiques (dont je suis), tandis que les dessins de C. Blain aident encore à visualiser les choses. 

L’énorme chiffre de vente de cet album dit assez à quel point la population a maintenant pris conscience de la réalité du problème*, il annonce aussi une cohorte de jeunes moins aveugles que la précédente. En espérant que cela suffise à nous tirer d'affaire, ce qui n'est pas sûr.

Et puis, alors même que je venais de terminer ma lecture et que je m’apprêtais à rédiger ce billet, survint la rocambolesque affaire des "Rectificatifs"!!!  Pour ceux qui ne sont pas aux courant: des librairies ont reçu soit par mail, soit par la visite de démarcheurs, un erratum qu'on leur demandait d'insérer dans cet album avant de continuer à le vendre. Cet erratum était signé de sa maison d'édition, mais c'était un faux, Dargaud n'ayant bien évidemment jamais émis rien de tel. Cet avis ne contestait pas les données fournies dans l'album (à part le nombre des victimes de Tchernobyl et Fukushima mais personne ne le connait), mais récusait l'angle de vue. C'est une charge contre J.M Jancovici. En réalité, la pierre d'achoppement est le nucléaire. Jancovici pense qu'on ne doit pas tout miser sur les énergies renouvelables qui risquent d'être encore longtemps insuffisantes. Il pense qu'il faut également utiliser le nucléaire. "Si l'on regarde les faits, le nucléaire doit contribuer à la décarbonation" (du fait qu'il ne produit pas de CO2). Ses adversaires rétorquent (mais pas dans ce faux erratum, je me demande pourquoi)  que le nucléaire produit pour sa part d'autres substances dangereuses dont on ne sait que faire (bien qu'elles ne partent pas dans la nature comme le fait le CO2). Bref, les deux positions peuvent être défendues, admises ou comprises, ce qui ne le peut pas à mon sens, c'est la diffusion de faux.

En conclusion, une plainte est en cours et l'affaire a été évoquée un peu partout ce qui a, on s'en doute, fait une grosse publicité à l'ouvrage. Il affichait déjà d'excellentes ventes, il est maintenant carrément en tête des palmarès. Vraiment, ce qui me frappe, c'est la maladresse de cette "Opération erratum".  Qui a pu se lancer dans une telle histoire?  Pour l'instant, personne ne revendique. (Tu m'étonnes)


* Oui, je sais, il y en a encore qui ne l'ont pas compris mais je parle de façon générale. Si vous allez par là, il y en a encore qui croient que la terre est plate ou qu'ils fument parce que c'est leur choix.

‎ 978-2205088168



12 novembre 2022

Il faut une révolution politique, poétique et philosophique:

 Entretien avec Carole Guilbaud

d'Aurélien Barrau 

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"Astrophysicien, directeur du Centre de Physique Théorique Grenoble-Alpes, Aurélien Barrau est un ardent défenseur de la planète, une voix incontournable de l’écologie aujourd’hui.

Carole Guilbaud est professeure de lettres."


J'avais découvert Aurélien Barrau par ses vidéos sur les réseaux sociaux (j'en ai d'ailleurs partagé une ou deux sur mon mur). Etant convaincue par ses thèses, j'ai décidé d'acheter son dernier paru, fascicule de peu de pages, de le lire et d'en distribuer ensuite à ceux qui me demanderaient quelles étaient ses idées. J'ai réalisé les deux premiers tiers du projet, mais ensuite... à la lecture, j'ai découvert un texte pas si facile d'accès et qui ne conviendrait pas à certains en raison du vocabulaire utilisé. En clair, ce n'est pas à portée de tous. Sans aller jusqu'à limiter son audience à quelques savants, cela demande une lecture attentive et un certain nombre de connaissances. Ce n'est pas l'ouvrage de vulgarisation que je croyais. Son précédent ouvrage (« Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité ») est plus accessible et c'est donc ce dernier que je conseillerais le plus souvent pour une découverte.

Ensuite, la forme étant celle d'une interview, j'ai découvert des questions à l'énoncé trop long et détaillé. Je sais que c'est censé fournir au lecteur les connaissances qui lui permettront de mieux apprécier la réponse, il n'empêche que ce qui l'intéresse, c'est la réponse, pas la question et j'en aurais souhaité certaines plus concises. Elles m'ont aussi paru moins claires que les réponses (qui elles, le sont parfaitement). Mais c'est juste un bémol. Pour ce qui est des réponses, par contre, j'ai continué à être pleinement convaincue par les raisonnements suivis et les thèses soutenues. Je pense que tout le monde devrait s'informer des thèses d'Aurélien Barrau. 

Depuis que l'on nous dit que nous détruisons la planète et que nous courons à notre perte si nous continuons ainsi, tous ceux qui ne souffrent pas d'un blocage irrationnel sur le sujet ont bien compris qu'en effet... il allait falloir faire quelque chose.

Mais plus tard. 

On avait le temps de voir venir et de trouver des aménagements et des solutions. Aujourd'hui, nous découvrons soudain avec horreur que ça va BEAUCOUP plus vite qu'on ne l'avait pensé et qu'on a bel et bien déjà les pieds dedans. Nous voilà talonnés par l'urgence. Quelques aménagements et améliorations n'y changeront rien, «une seule solution, la révolution» comme disaient déjà vos grands-parents. En changeant le mode de vie, en multipliant les gestes écologiques (ce qui déjà est loin d'être acquis pour certains), on obtiendra des «améliorations» mais on ne résoudra pas le problème.

« Il s’agit de refondre les valeurs et les symboles. Si la direction ne change pas, le chemin suivi importe peu. »

Ailleurs :

« Les petits gestes et autres "initiatives individuelles" sont certainement bienvenus. Mais ce n'est plus la question de fond. Un problème systémique ne peut avoir de solution que systémique. Il faut une révolution politique, poétique et philosophique. »

Mais surtout :

« Le temps a-t-il été pris de s'interroger sur la direction que nous considérons comme méliorative ? En quoi l'affaissement culturel et biologique est-il un progrès ? »


« Non, il ne faut pas renoncer à la croissance, il faut la redéfinir. Je pense sincèrement qu'il y a quelque chose de profondément débile -je n'ai pas de mot plus poli- à nommer croissance une éradication systématique de la vie sur terre. La croissance vraie ne pose aucun problème : l'amour, la créativité, l'entraide, la connaissance, les explorations artistiques et scientifiques peuvent évidemment croître. Elles le doivent ! Mais la production délirante d'objets inutiles, devenue une fin et non plus un moyen, doit être nommée pour ce qu'elle est : une maladie. S'il faut la nommer croissance, alors voyons-la comme une croissance tumorale. »


Cette lecture nous amène à examiner bien des sujets, à nous poser parfois des questions qu'on n'avait pas encore envisagées. Que vous soyez convaincu ou non, la lecture de cette brochure est indispensable pour savoir au moins de quoi vous parlez et, plus largement, pour savoir ce que vous vivez. Je pourrais pratiquement citer la totalité de cet ouvrage... Il vaut mieux que vous le lisiez  vous-même, et après hop ! Dans une boite à livres !

9791038701298



01 avril 2022

Mike 

d'Emmanuel Guibert

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Emmanuel Guibert est un dessinateur de bandes dessinées (Le photographe, La guerre d'Alan) mais il n'y a pas un seul dessin dans cet ouvrage. Rien que des mots. Mais quels mots ! Ce n'est pas un roman non plus, c'est un récit, le récit d'une mort annoncée. L'auteur y raconte son accompagnement de la fin de vie de son ami Mike, dessinateur et architecte. J'avais cueilli ce livre sur la table de présentation de la bibliothèque parce que je m'intéresse au dessin. En fait, il allait aussi me parler de bien d'autres choses, de la fin de vie et de la mort en particulier, qui m'intéressent tout autant. Il est assez peu question de dessin pendant le premier tiers, puis bien davantage ensuite. Je me suis vraiment trouvée en résonance avec ce livre, si bien que je l'ai déjà offert et que je vais me le racheter pour le conserver étant donné qu'il va bien falloir que je restitue cet exemplaire-là à la bibliothèque. Je vous dis cela tout de suite pour situer mon niveau d'attachement à cet ouvrage.

Emmanuel Guibert avait déjà raconté la vie d'un de ses amis dans "La guerre d'Alan", mais c'était une bande dessinée. Ici, deux dessinateurs parlent sans dessin. Mike qui vit à Mineapolis et qui meurt d'un cancer du foie a manifesté le désir de revoir son ami Emmanuel. Ensemble, ils ont déjà beaucoup et longuement parlé dessin, mais ils n'ont encore jamais dessiné ensemble et Mike, bien que très affaibli, voudrait le faire avant de mourir. Emmanuel nous racontera cette ultime réunion.

Ce qui m'a frappée, c'est la parfaite justesse de tout ce qui est dit et de ce qui est pensé. Beaucoup de ses réflexions ont fait écho à des choses que je m'étais déjà dites. Mieux encore, d'autres m'ont amenée un peu plus loin. Le texte est très beau aussi et on a sans cesse envie d'en copier des extraits...

"Les gens bien parlent bien. Et plus ils sont au pied du mur, mieux ils parlent."

Le livre lui-même en est l'illustration.

"C'est toujours bon de faire attention à ses mots. Pas pour maîtriser sa parole, pour se maîtriser soi. Parler comme il faut, c'est réguler son souffle, sa voix, son vocabulaire, ses mains, les traits de son visage. Ça fait du bien à celui qui parle et c'est la condition suspensive pour faire du bien à celui qui écoute."

Comme je le disais, la première partie parle surtout d’amitié, de relations humaines, de famille aussi, d'amour, de transmission des savoirs, de vie, de mort et de fin de vie, et c'est passionnant car les commentaires qui sont faits sont tous intelligents, voire profonds. Cela parle de compassion aussi, d'accompagnement, du cadeau de la compagnie, de la parole, de l'attention et du temps offert.

De façon éclairante puisqu'on est par le fait, de plus en plus près de la mort de Mike, le dernier tiers parle beaucoup de dessin et d'architecture, de techniques et de savoirs. Le dessin qui est leur vie et qui les a rassemblés, les accompagne et les soutient jusqu'au bout. Il est leur vie.

C'est un de ces livres dont on a envie de presque tout recopier. Je suis parvenue à me retenir, mais voici tout de même... :

"Tôt ou tard, si je ne meurs pas brutalement, je serai face à quelqu'un que j'aime et qui continuera la route qui, devant moi, s'arrête. Si je ne suis pas gaga, je me dirai : ses affaires sont en ordre, il est en train de gagner sa pitance avec son travail, d'élever sa fille, de prévoir tel ou tel voyage qu'il fera dans quelques mois... tant mieux. Et j'y trouverai une dernière occasion de me réjouir."


"Le savoir qui se transmet du vivant de quelqu'un est très peu de choses en regard du savoir qui se perd à sa disparition."


"Moins il y a de savoir-faire, moins il y a de savoir-vivre."


Et le mot de la fin :

"Je ne dessine pas pour obtenir des dessins, la preuve : je ne les regarde plus quand je les ai finis. Je dessine pour vivre le moment où je dessine. Je dessine pour être présent à moi-même, aux autres et à l'entour."


Vous l'aurez compris : indispensable.


9782072830525



07 avril 2021

 Hommage à la Catalogne 

de George Orwell

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Témoignage essentiel


   Il s'agit ici d'un texte extrêmement vivant. On est loin des dissertations et des études historiques fruits de l'étude des documents ou de la récolte de témoignages. Nous avons ici le récit, à chaud, par un témoin honnête et intelligent, d'une de ces périodes qui ont fait tourner l'Histoire.
 
   George Orwell, digne anglais, de bonne famille quoiqu'un peu désargentée, devait tout de même être un type extraordinaire! Un co-internaute m'a parlé de son romantisme. Romantique, sûrement, il l'était. Je dirais même plutôt idéaliste...et courageux, car il fallait l'être pour braver les dictats de son monde, de sa société, dans sa vie en Angleterre. Il fallait l'être plus encore pour aller s'engager en Espagne.
 
   Ce n'est pas tout le monde qui a dans sa vie l'occasion, puis le courage de risquer son existence par pur idéalisme; puis, l'ayant fait, d'avoir survécu (de justesse) et de disposer des mots et du talent qu'il faut pour le raconter quelques mois après. Mais c'est peut-être tout le monde qui en aurait rêvé, comme à une sorte de point d'orgue.
 
   Un petit rappel historique: Nous sommes en 1936. En Espagne, un gouvernement républicain est au pouvoir légalement. Les Fascistes tentent un coup d'état pour le renverser et établir leur dictature. Dans un premier temps, ils sont vaincus et font appel à leurs alliés internationaux : Hitler et Mussolini qui leur envoient un soutien logistique conséquent qui leur permet de renverser la situation. Les Républicains font à leur tour appel à l'aide des gouvernements démocratiques, mais ceux-ci préfèrent regarder en l'air en sifflotant d'un air dégagé. Pourtant, dans tous ces pays, des hommes se lèveront pour rejoindre les forces républicaines et tenter d'empêcher les Fascistes de mettre fin à la République en Espagne. Orwell était de ceux-là. On les a appelés les Brigades Internationales. Nous savons qu'ils ont échoué, mais Orwell, au moment où il rédige «Hommage à la Catalogne», revenu en Angleterre depuis sept mois, à cause d'une sérieuse blessure, ne le sait pas encore. Quand il écrit ce livre, il croit que tout n'est pas encore joué. Pourtant, il a perdu à Barcelone une partie de ses illusions. «Je pense qu'il est impossible que personne ait pu passer plus de quelques semaines en Espagne sans être désillusionné. (...) La vérité, c'est que toute guerre subit de mois en mois une sorte de dégradation progressive, parce que tout simplement des choses telles que la liberté individuelle et une presse véridique ne sont pas compatibles avec le rendement, l'efficacité militaire.»
 
   Arrivé plein de conviction, prêt à donner sa vie pour défendre son idéal de liberté, il s'enfuira, gravement blessé, poursuivi par ses propres compagnons (les communistes) qui se sont mis à exterminer les anarchistes pour s'assurer plus fermement d'un pouvoir qu'il ne garderont d'ailleurs pas.
 
   C'est ainsi qu'Orwell quittera l'Espagne et rédigera en Angleterre cet «Hommage à la Catalogne» alors même que tout n'est pas encore joué là-bas, en Espagne.
 
   Cependant je retiens surtout ce final: "Quand on a eu un aperçu d'un désastre tel que celui-ci (...) il n'en résulte pas forcément de la désillusion et du cynisme Il est assez curieux que dans son ensemble cette expérience m'ait laissé une foi, pas seulement non diminuée, mais accrue, dans la dignité des êtres humains."
 
   Ce qui m'a frappée à la lecture de ce texte, c'est le point d'honneur qu'Orwell met à relater avec toute la sincérité et la vérité possible, tout ce qu'il a vu. Ainsi n'hésite-t-il pas à parler du gaspillage et des pertes dues à l'inorganisation de son propre camp, quand ce n'était pas la victoire manquée, ni même des blessés morts d'avoir été mal soignés par les siens. Cela ne l'empêchera pas, en fin d'ouvrage, d'exhorter encore ses lecteurs à ne pas oublier qu'un récit n'est jamais totalement objectif. C'est pour toute cette honnêteté que j'adore Orwell.

978-2264030382

28 janvier 2021

  Bill the Kid 

Ma fabuleuse enfance dans l'Amérique des années 1950

de Bill Bryson

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 Titre original : The Life and Times of the Thunderbolt Kid
  
   Bill Bryson, c'est un journaliste et écrivain américano-britannique qui s'est spécialisé dans les récits dans lesquels il traite nombre de sujets variés, avec, toujours, une vision un peu humoristique (le côté anglais, sans doute). Une sorte d'auteur de vulgarisation bien plaisant à lire. S'il vit son âge adulte a Royaume uni, c'est bien aux USA qu'il est né et a passé son enfance, à Des Moines, plus précisément, et c'est lui le Bill du titre. Il veut nous donner à voir une Amérique en plein âge d'or (qu'elle n'a plus connu depuis), celle des années 50. Il est né en 1951, c'est donc son enfance qu'il nous conte, nous donnant à voir à travers elle, l'Amérique qui l'entoure, en particulier celle de la paisible ville de Des Moines.
  
   Il nous montre la naissance dans l'enthousiasme général de la société de consommation. C'était un monde où les découvertes les plus modernes débarquaient tous les jours dans tous les foyers et amélioraient les vies, ou au moins donnaient l'impression de le faire : lave-linge, lave-vaisselle, télévision, automobile pour tous etc. Le monde devenait de plus en plus formidable et l'avenir souriait à tous, porteur de promesses d'amélioration du sort de chacun. "Les gens attendaient l'avenir avec une impatience qu'on n'était pas près de revoir de sitôt." On y allait gaiement avec toutes sortes d'inventions, l'ère des gadgets naissait, dont certains, joyeusement radioactifs, devaient tout de même hypothéquer gravement l'avenir de leurs utilisateurs. C'était l'époque où l'on faisait les essais nucléaires en s'estimant largement protégé par quelques kilomètres (voire centaines de mètres) de distance (et peut-être, un petit mur) et on aimait aussi beaucoup cette amusante particularité qu'avaient les objets irradiés de briller dans le noir, leur phosphorescence... "Il y avait une sorte d'innocence touchante dans l'air du temps."
  
   Les USA eux aussi sortaient juste de la guerre, mais la grosse différence, c'est qu'elle n'avait pas eu lieu sur leur sol, les civils n'avaient pas été tués, et leur bilan était loin des villes rasées et de l'économie détruite de l'Europe.
   "Au sortir de la guerre, les Etats Unis possédaient 26 milliards de dollars sous la forme d’usines qui n'existaient pas avant le conflit, 140 milliards sous la forme d'épargne et de titres d'emprunts de guerre qui n'attendaient que d'être dépensés, sans aucun dégât sur leur territoire, ni pratiquement aucune concurrence à l'échelle mondiale. Tout ce que les entreprises américaines avaient à faire, c'était d’arrêter de produire des tanks et des cuirassés pour produire à la place des Buick et des frigidaires, ce qu'elles firent massivement."
  
   Comme vous le voyez déjà un peu, Bryson aime les chiffres, et il les connait. Il donne toujours beaucoup de renseignements chiffrés à l'appui de ce qu'il dit. C'est son côté vulgarisateur scientifique, et j'ai apprécié de voir que ce n'était pas juste la vision optimiste d'un jeune enfant sur le monde qui l'entoure, mais que c'était bel et bien la situation objective, au moins pour les Blancs intégrés. On voit que derrière le ton très humoristique, les anecdotes d'enfance du Bill qui était très dégourdi (l'âge qu'il annonce pour les diverses péripéties me paraît toujours un peu trop jeune), se cache une vraie étude très documentée et approfondie. Evidemment, ce fut également l'époque du maccarthysme, mais il fut sans doute bien moins sensible dans les milieux populaires qu'intellectuels, même si Bryson souligne plusieurs fois qu'il était absolument impossible de faire quoi que ce soit qui put avoir l'air "communiste", quoi qu'on puisse penser...
  
   Comme la vie, l'ambiance, étaient totalement différentes en France à la même époque, ce livre est d'autant plus utile car il nous aide à mieux comprendre nos "alliés" lointains. Comme de plus, sa lecture est agréable, je le conseille sans hésiter, d'autant qu'on sourit tout le temps... Exemples :
   "A l'exception de son corps médical, l'Iowa avait peu à offrir en termes de périls naturels."
  
   "A cette époque, une "chaise longue", désignait exclusivement une sorte de méridienne ajustable qui connut alors une vogue éphémère. Elle possédait un coussin matelassé qu'il fallait rentrer tous les soirs si vous pensiez que quelqu'un risquait de vous le voler. Le nôtre avait un dessin représentant une diligence et quatre chevaux au galop. Il n'avait pas besoin d'être rentré la nuit."


978-2228905619