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11 juin 2023

Le Bœuf clandestin

de Marcel Aymé

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Marcel Aymé n’a pas son pareil pour cerner les grandes questions existentielles sous le masque de la petite anecdote commune, voire familiale. Il sait les mettre en situation, les tourner et les retourner selon les angles des différents protagonistes et nous en donner à voir les tenants et les aboutissants tout en nous amusant avec les détails cocasses du réalisme quotidien et simple. Et dans ces peintures, la justesse et l’humanisme de son coup d’œil font mouche avec précision et efficacité. C’est le sourire aux lèvres que nous redécouvrons que « nul n’est grand pour son valet »*.

Ici, l’action se passe dans une famille bourgeoise, papa banquier, maman au foyer et grande fille unique en train de se choisir un mari. Dans cette famille, pour une raison qui n’est pas précisée, Monsieur a choisi depuis deux ans d’être végétarien. Cela lui vaut une sorte d’aura de pureté et de supériorité morale. Il est très strict sur son régime et chacun à table sait qu’il ne risque pas de faire un écart, même pour une cuillerée de jus de viande sur ses légumes. On admire sa force morale et sa position familiale en sort grandie. Or voilà que, rentrant à l’improviste, sa fille le découvre en train de dévorer un beefsteak (ici orthographié biftèque comme à l’époque) qu’il vient de se passer à la poêle profitant de la maison vide. Elle repart sans qu’ils aient échangé un mot et ils n’en parleront jamais ouvertement, mais à partir de ce moment, c’est tout l’équilibre familial => professionnel => social environnant qui est perturbé et rien ne se passera plus comme il se serait passé avant .

Tout blanc ou tout noir ? Est-on franc, honnête, irréprochable ou sournois, hypocrite, manipulateur d’un bloc ou peut-on l’être pour de petites choses sans que la majeure partie de la psychologie ne soit du même tonneau ? Un petit accroc à la règle est-il une peccadille ou le signe d’une défectuosité profonde ? Tricheur un jour, tricheur toujours ? Tenants de la moralité monolithique et des nuances psychologiques, des détentes du mental, des faiblesses humaines ont chacun des arguments sérieux. Le tout mis en scène dans des situations à la fois familières et amusantes, sans rien perdre de la précision et de la justesse du questionnement. Ah, ce Marcel Aymé !

« Ses parents sont désolés et ont peur qu’il se lance dans la littérature car c’est une chose qui arrive souvent quand on n’a pas su se faire à temps une bonne situation. Espérons qu’il saura encore se ressaisir. »


* Hegel, Phénoménologie de l'esprit

Une lecture commune autour de Marcel Aymé a été co-organisée par Ingannmic et  Marilyne
Marilyne a lu Uranus.
Ingannmic a lu Le vin de Paris
Le Bouquineur a lu Brûlebois
Passage à l'Est! a lu La jument verte



21 mai 2022

Les tiroirs de l'inconnu

de Marcel Aymé

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Cette Histoire suit le personnage principal qu’est Martin. Il vient juste de sortir de prison après deux ans pour avoir tué un voisin. Ce n'est pas cher payé mais il avait sans doute fait valoir que c'était plus un accident qu'un meurtre, ce qui était exact, et le dit voisin était par ailleurs connu pour être désagréable et querelleur. Bref, le voilà dehors et renouant avec son monde d'avant.

 Chez lui, sa femme s'est mise en ménage avec son frère ils ne font pas plus d'histoires à le voir revenir qu'ils n'en ont fait à se passer de lui. Martin retrouve aussi une amie d'enfance qu a toujours été folle de lui, ce dont il n'a jamais daigné se rendre compte. Cette dernière, Tatiana, a abandonné une agrégation de math qu'elle a ratée deux ans de suite en faveur d'une très rémunératrice carrière de mannequin (et plus si affinités) . C'est Tatiana qui, TRÈS amie avec un PDG, lui trouve très vite du travail, ce qui, on le sait n'est pas le plus facile pour un assassin libéré. Comme on l'a simplement collé seul dans un petit bureau sans lui donner le moindre travail à faire, Martin s'ennuie et en vient finalement à examiner son mobilier sous toutes les coutures. C'est ainsi qu'il découvre, écrit au dos des tiroirs, un extraordinaire récit fait par le précédent occupant des lieux, un pâle voyou d’ailleurs, mais qui tenait à narrer ses exploits, d’autant que les exploits en question l'amenaient à craindre pour sa vie... Je vous laisse découvrir la suite des aventures de notre assassin.

Ce roman est le dernier de mon bien aimé Marcel Aymé. Ecrit après plus d'une décennie consacrée au théâtre, c'était peut-être le roman de trop, ou du moins, le roman dont l'écriture ne s'imposait pas. On a d'ailleurs l'impression qu’il est un peu fait de bric et de broc, qu'il contient des pièces rapportées dont l'inclusion peut étonner. Je pense en particulier aux extraits des cahiers de l'énigmatique Porteur. Parlons-en de ces extraits: Le cahier bleu nous inflige une "étude" sur l'amour et une seconde sur les femmes assez consternantes, terriblement datées, et qu'on ne peut lire sans se fâcher qu'en les imaginant dites par une voix de vieux film, un peu celle d'Alphonse Allais, qui était quand même plus fin que Porteur. La troisième inclusion provient d'un "cahier jaune" du même Porteur et est tout simplement un morceau de pièce de théâtre sans rapport avec le reste du roman. Et que viennent faire dans l'histoire ces considérations? Mystère. Peut-être sont-ce en fait des brouillons dont l'auteur ne savait que faire. Peut-être le roman n'était-il pas assez épais...? Je n'ai rien trouvé à ce sujet. On a l'impression que M. Aymé n'est plus motivé pour écrire des romans. On peut imaginer qu'ayant eu une bonne idée (les tiroirs) il se soit tout de même lancé (il n'en avait plus écrit depuis douze ans) mais que la magie n'a pas repris et qu'il l'a un peu bâclé pour finir. J'espère que vous avez noté que je suis en pleine spéculation sans garantie. Néanmoins, il n'y aura pas d'autre roman alors qu'il restait à l'auteur sept ans à vivre.

Et pourtant. Un roman de Marcel Aymé, c'est toujours une petite pépite. un style inimitable, cet humour pince-sans-rire qui touche toujours si juste, ces formules percutantes, ces "petites phrases" qui sont des chefs-d’œuvre; et puis il y a des passages très drôles et même au fond, de quoi réfléchir sérieusement. Alors,  à l'occasion lisez tout de même "Les tiroirs de l'inconnu", ne serait-ce que pour savoir ce qui va arriver à notre assassin. 

Et en attendant, florilège :

- "Son courage, son opiniâtreté, sa conscience, c'était ce qui faisait d'Adrien un être si obtus."

- "Pour les sans un rond, il n'y a qu'une morale: passer à travers."

- "Je sais qu'Adrien me trompait assez souvent. Et moi, jamais, sauf quelquefois, mais c'était pour me rendre compte."

- "Les larmes qu'au petit matin les femmes versent sur leur destin sont celles d'un chagrin lucide que les effusions ne sauraient apaiser."

- "A la S.B.H., Lormier (le PDG) m'a tenu dans son bureau jusqu'à midi et demi à me parler de la chance qu'avaient "les gens de mon espèce" de n'avoir pas à porter le fardeau de la fortune et son cortège de soucis. Il a même rêvé tout haut devant moi au bonheur de prendre le métro..."

- "Vous les sans-un, vous avez droit à la vertu. Une femme, un amour et la semaine de quarante heures. Et dites-vous que c'est déjà bien beau et que c'est grâce à Pinay que ça dure."

9782070377244