28 mars 2024

 La Cité de la victoire

de Salman Rushdie

****

Ce roman fera le bonheur de ceux qui aiment les contes, ici, les contes indiens, pleins de Shiva, Ganesh, Hanuman, sultans, ermites et magiciennes ; aux autres, il ne parlera pas.

De toute façon, "Les mots sont les seuls vainqueurs" Eux seuls resteront quand la gomme du temps aura tout fait disparaître, et des mots, en voilà :

Le narrateur prétend recopier une épopée ancienne, trouvée enterrée, et rédigée un peu à la manière du Mahâbhârata par Pampa Kampana qui en est également la vedette. Il nous dit comment, alors qu'elle avait 9 ans, Pampa vit sa mère mourir et, n'ayant plus personne pour veiller sur elle, se trouva recueillie par un sage ermite qui l'éduqua, mais non sans également abuser d'elle. Si elle sut tirer bénéfice de l'enseignement qu'il lui prodigua, elle ne lui pardonna jamais ce qu'il lui avait imposé en contrepartie. Une déesse de la forêt ayant investi son corps, Pampa Kampana se trouva nantie de pouvoirs spéciaux, comme de pouvoir créer Bisnaga (La Cité de la Victoire) et sa population  à partir d'un sachet de graines, et le don de vivre 250 ans sans afficher de signes de vieillissement. Elle vit ainsi la ville prestigieuse sortir du sol et plusieurs générations de sultans s'y succéder, agrandissant leur royaume jusqu'à le voir s'effriter et s'effondrer. Le récit porté par la belle écriture de Rushdie maintient l’intérêt grâce aux luttes de pouvoir souvent violentes et aux retournements de situations. Il ne recule pas devant parfois une pointe de magie, à ce titre, il revendique bien son statut de conte et comme tout conte, il est porteur d'un message et d'une philosophie qu'il prétend illustrer.

Les idées de Salman Rushdie transparaissent dans l'opposition d'une Pampa Kampana porteuse de valeurs progressistes et humanistes, et œuvrant chaque fois qu'elle en avait le pouvoir pour l'émancipation des femmes, le développement des arts, la laïcité et la monarchie éclairée, et de ses ennemis, dictatoriaux, fanatiques religieux et amateurs de valeurs virilistes.

Si vous saisissez la plume qu’on vous tend et vous laissez emporter sur les ailes du milan, avec ce roman, vous voyagerez loin dans le temps et dans l'espace, vous découvrirez un autre monde, réel ou pas, d'autres histoires, d'autres manières de vivre, et l'éternel humain, que l'on retrouve toujours partout, en Inde au XIVe siècle ou aujourd'hui, autour de vous. Si vous ne vous laissez pas emporter, vous ne verrez rien et vous vous ennuierez. C'est ainsi.


"Il est dans ma nature de vieillir. Je ne peux pas l'éviter.

Il est dans ma nature de connaitre la maladie. Je ne peux pas l'éviter.

Il est dans ma nature de mourir. Je ne peux pas l'éviter.

Il est dans ma nature d'être séparé de ceux que j'aime et de tout ce qui m'est cher.

Mes actes sont la seule chose qui m'appartienne vraiment. Mes actes sont la terre ferme sur laquelle je me tiens."

(Les 5 remémorations de Bouddha)



978-2330181222



23 mars 2024

Le cas Malaussène -2- Terminus Malaussène

de Daniel Pennac

****+

J'en avais entendu des échos assez variés mais plutôt réservés dans l'ensemble, c'est pourquoi je ne m'étais pas précipitée pour le lire. Et puis, j'avais lu le premier tome de ce Cas Malaussène qui s’interrompt de manière tellement abrupte! Il fallait bien que je finisse par savoir comment tout cela se terminait. Fan des premières heures, j'avais passé trop d'excellentissimes heures de lecture avec cette tribu chaleureuse pour ne pas continuer à lire tant que Pennac continuerait à raconter.

J'ai pourtant eu du mal pendant toute la première moitié. Pas que ce soit inintéressant, il y a beaucoup de choses bien intrigantes qui se mettent en place, beaucoup de personnages surprenants et intéressants qui se précisent et captent l’intérêt mais je ne sais pas... une question de rythme plutôt. J'avais sans arrêt l'impression qu'on nous racontait une deuxième fois quelque chose qu'on venait de nous dire. Des sortes de récapitulations à répétition d'autant plus longuettes qu'elles étaient inutiles. C'était contrariant. On se sentait ralenti. D'autant plus contrariant que ce tome ultime n'avait pas besoin d’être aussi gros. Normalement, c’est plutôt une petite cuisine d’auteur qui tire à la ligne, ça. Peut-être en fait, Pennac renaclait-il à approcher de la fin... Bref, tout de même, il y avait tellement de choses qui titillaient ma curiosité, et des choses originales aussi, pas du « déjà vu », que je n'ai jamais envisagé d'abandonner et à peu près au milieu, ça y est, le récit s'est envolé et on a enfin filé jusqu'au bout sans rabâchage. Il y avait un point très important concernant Pépère que j'avais deviné très tôt et je voulais absolument voir si je me fourrais le doigt dans l’œil ou si j'avais raison. Ca motive. Ce n'était d'ailleurs pas la seule hypothèse que j'avais à vérifier car, comme dans tout bon roman à suspens, j'avais envisagé des réponses aux divers problèmes (assez nombreux ici) et je voulais voir comment les choses allaient tourner. Tout cela fait qu'une fois lancée et le rythme retrouvé, les 450 pages se dévorent très bien. Je ne regrette pas d'avoir tenu à finir cette saga familiale unique. Il aurait été dommage de ne pas aller jusqu'au bout. Bravo Daniel Pennac !

Et bonne nouvelle pour ceux qui ont patienté : Terminus Malaussène sortira en poche début juin

978-2072743863

18 mars 2024


La Nuit du renard 

de Mary Higgins Clark

*****


Grand prix de littérature policière

Présentation de l'éditeur:

"Ronald Thompson doit mourir sur la chaise électrique. Témoin terrorisé, le petit Neil a affirmé, au cours du procès, le reconnaître comme le meurtrier de sa mère. Mais Ronald a toujours clamé son innocence. À quelques heures de la sentence, l'enfant est enlevé avec une jeune journaliste amie de son père, par un déséquilibré qui se fait appeler Renard. Il les séquestre dans la gare centrale de New York. Le kidnappeur menace de faire sauter une bombe au moment précis où le condamné sera exécuté. Existe-t-il un lien entre ces deux terribles faits divers ? Un innocent va-t-il payer pour le crime d'un autre ? Une course contre la montre s'est engagée..."


De temps en temps, en lecture aussi, on a besoin d'un petit break, d'une récréation. Dans ces cas-là, il faut un livre drôle (mais ils sont si rares!), ou un livre d'aventure ou un polar. Je choisis le plus souvent cette troisième solution. J'aime bien quand ils sont un peu déjantés, originaux dans l'intrigue, avec du recul, ou surprenants. Ici, je vous le dis tout de suite, rien de tout cela. Le contraire, même. On a un bon polar pas du tout moderne, de forme et de fond très classiques au contraire, où rien ne vous surprendra beaucoup, mais attention! Qu'est ce que c'est bien fait! Mary Higgins Clark n'a pas volé son titre de Reine du suspens.

On se doute bien que le méchant (mentalement dérangé qui plus est, mais extrêmement malin et prudent) ne va pas gagner, que la belle jeune femme ne va pas être horriblement assassinée (même si plusieurs autres l'ont été peu auparavant des mains du même méchant). On se doute que le bel homme qui est épris d'elle va la sauver, tout comme seront sauvés son fils de 8 ans et l'innocent tout prêt à s'asseoir sur la chaise électrique, mais comment tout cela se fera-t-il?

Une fois la situation bien mise en place (j'avais tout de même noté les noms parce qu'il y a une bonne quinzaine de personnages et au début, on peut avoir des moments de confusion), l’intérêt ne se relâche jamais et ce vraiment jusqu'à la dernière page. Des failles apparaissent bientôt dans le système de l’assassin que le lecteur voit agir dans un premier temps, puis identifie alors que les enquêteurs eux, ignorent tout à fait qui il est. Cette façon de raconter permet au lecteur captivé de voir les enquêteurs converger vers lui, parfois à le frôler alors qu'ils continuent à ne pas comprendre. On se demande comment finalement, ils vont le démasquer, puisque plusieurs possibilités sont apparues, puis, dans un sprint final vraiment palpitant, on se demande comment ils vont encore pouvoir empêcher le pire!!!

Bref, on avait beau savoir depuis le début, pour rien au monde on n'aurait lâché ce livre sans l'avoir lu jusqu'à la dernière ligne. Chapeau. Beau boulot.

978-2253025481


15 mars 2024

   Lecture commune

Le dernier roman de Paul Auster vient de paraître, il s’intitule "Baumgartner", je propose d’en faire une lecture commune que nous mettrons en ligne sur nos blogs le 30 avril. Qui participe? 

Comment cela se passe-t-il?

1° On lit le même livre
2° On met son commentaire de lecture (au moins 12-15 lignes) en ligne le 30 avril, soit sur son blog, soit sur ici, sa page
3° On met à la fin de son billet les liens vers  https://la-petite-liste.blogspot.com/search/label/En%20cours
 (obligatoire pour y être référencé avec lien) et éventuellement vers les autres participants qui ont publié leur commentaire le même jour. (Ca nous vaudra de la visite)
4° On prévient ici dans les commentaires pour que tout le monde puisse vous rendre la politesse
Qui veut participer? : (SVP Dites dans les commentaires si vous en êtes)
 

13 mars 2024

Treize minutes

de Nicolas Rey


Court roman (120 pages) péché dans une boite à livres parce qu'il me fallait un nombre pour mon Petit Bac et qu'il ne me restait pas beaucoup de temps. Me tenant scrupuleusement à l'écart de la moindre info sur le showbiz littéraire, j'ignorais tout de l'auteur (même son nom).

Publié en 1998, ces Treize minutes sont le premier roman de Nicolas Rey et témoignent bien d'un temps désormais totalement révolu. C'était l'époque où l'on pouvait dire, écrire, et parfois faire n'importe quoi sans conséquences. Il a peut-être été bon que cette période ait lieu, mais il nous est aujourd'hui difficile de même la comprendre. Les temps changent. Fini le règne sans vergogne des prédateurs. La page est tournée au point qu'on a même du mal à croire ce que l'on lit lorsqu'on tourne les pages de ce roman. Mais c'était ainsi, une fiction toxique qu'on lisait sans la croire mais qui, si elle ne dépeignait pas des faits réels, témoignait quand même d'une ambiance sacrément pourrie jusqu'à la moelle. Ces temps sont révolus.

Le "héros" et narrateur s'appelle Simon, vit d'on ne sait quoi, sans doute aux crochets de son meilleur ami lui-même épave mais fils à papa, et combine le fait d'être totalement obsédé sexuel à celui d'être tout aussi totalement accro à tout alcool et stupéfiant. Il s'imagine constamment être éperdument amoureux d'une femme ou d'une autre, ce qui lui permet de belles envolées lyriques, et en attendant d'être payé de retour, harcèle et plus, toute femme passant à sa portée. Son meilleur ami a la même attitude. C'est glauque, cynique, hyper cru (pour adultes avertis), malsain, ça va jusqu'au viol et au meurtre que le narrateur considère plutôt comme des preuves d'amour ou d'amitié. Pour lui, les femmes ne sont que marchandises consommables, seuls les hommes sont des personnages. C'est totalement socialement incorrect et même tout à fait psychotique. C'est l'histoire d'une dérive totale, avec une épave principale qui continuerait à se voir comme "du Simon grand style : ironie, cynisme, élégance" alors que si une chose est sûre, c'est qu'en le voyant, on ne pense pas "élégance". Le problème, c'est que littérairement, ça m'a semblé très bien fait. Dommage que l'auteur ait quelque peu suivi les traces de son héros et qu'au lieu d'accoucher ensuite d'une œuvre littéraire, il se soit retrouvé à même pas 50 ans avec "un corps de septuagénaire, cabossé par des années d'excès" (Marianne, 16 mars 2018) , chroniqueur chez Hanouna et plagiaire…

Comme je suis malgré tout une scrupuleuse, je me demande aussi "Est-ce que je ne manque pas de recul ?", "Est-ce que je ne prends pas ça trop au pied de la lettre ?" Quand on lit Histoire d’O ou Les infortunes de la vertu, on ne se pose pas tant de questions. Oui, mais le problème, là, c’est le manque de recul justement, mais de l’auteur cette fois, on se demande si c’est du lard ou du cochon... Il y croit?

Bref, je ne sais pas. Je tourne la dernière page sans regret. Je ne le relirai pas. Je ne vais même pas le remettre dans une boîte à livres.

9782290351451



08 mars 2024

Lune captive dans un œil mort

Pascal Garnier

*****


Présentation de l'éditeur:

"Martial et Odette viennent d’emménager dans une résidence paradisiaque du sud de la France, loin de leur grise vie de banlieue. Les Conviviales offrent un atout majeur : protection absolue et sécurité garantie – pour seniors uniquement.

Assez vite, les défaillances du gardiennage s’ajoutent à l’ennui de l’isolement. Les premiers voisins s’installent enfin. Le huis clos devient alors un shaker explosif : troubles obsessionnels, blessures secrètes, menaces fantasmées du monde extérieur. Jusqu’à ce que la lune, une nuit plus terrible que les autres, se reflète dans l’œil du gardien…

Avec beaucoup d’humour et de finesse, malgré la noirceur du sujet, Pascal Garnier brosse le portrait d’une génération à qui l’on vend le bonheur comme une marchandise supplémentaire. Une fin de vie à l’épreuve d’un redoutable piège à rêves."


Je suis une fan de Pascal Garnier, sa finesse, son humour noir et même féroce, son talent de narrateur. J'avais presque tout lu de lui, il y a des années et depuis, régulièrement, j'en relis un, pour le plaisir et pour la nostalgie. Ce thème a été beaucoup repris, mais P. Garnier a été un des premiers à le traiter , et de façon tout à fait réussie.

Moi j'ai vu cette histoire comme le récit de la montée de la folie en milieu clos. Ils ont tous une petite fêlure et, l'âge et les circonstances (vase clos)  aidant, cette fêlure devient une crevasse puis un abime dans lequel ils se perdront. L'une croit de plus en plus que son fils n'est pas mort, l'autre est totalement subjugué par l'idée de tuer, un troisième développe une paranoïa aiguë fixée sur les Gitans etc. Sans parler de celle qui est arrivée déjà fêlée... Aucun n'est indemne. Tout dérape bientôt, doucement d'abord puis de plus en plus vite. D'autant que l'élément extérieur qui pourrait les raccrocher à la réalité s'adonne à la fumette de façon compulsive ce qui, tout le monde vous le dira, n'améliore ni la lucidité, ni l'efficacité. Pour tout arranger, l'alcool, d'abord discret, se répand de plus en plus librement sous couvert d'apéritifs et repas entre voisins, et ça non plus, question lucidité et efficacité... ça n'aide pas.

J'ai aussi lu cette histoire comme une histoire drôle, un humour noir et féroce, soit, mais terriblement présent. Certaines scènes (comme le tour de rein de Maxime par exemple) ne vous laisseront certainement pas insensibles. Et même l'explosion finale a un côté grand-guignolesque qui stupéfie les sauveteurs eux-mêmes (à qui il sera quand même bien difficile de tout expliquer).

Non, quoi qu'on fasse, la fin de vie vue par Pascal Garnier -un de ses thèmes favoris- c'est salissant et ça éclabousse un peu.


9782843044656

#Lunecaptivedansunœilmort  #PascalGarni


er   #LapetiteLISTE   #sibyllinelecture   #bookstagramfrance  #lecture  #littérature #romanpolicier  #polar   #romanspoliciers #romannoir #romansnoirs 

03 mars 2024

Vie et mort de Vernon Sullivan

de Dimitri Kantcheloff

****


Quatrième de couverture :

"Un soir d'été de 1946, Boris Vian parie avec son éditeur qu'il peut écrire un "bestseller américain" qui trompera les critiques. Ce sera J'irai cracher sur vos tombes, qui paraît sous le nom de Vernon Sullivan dans une "traduction" de Boris Vian. Le livre fait scandale. Dans les caves de St-Germain, on s'interroge et Vian jubile. Hélas, en parallèle, la carrière d'écrivain de Boris ne décolle pas. L'Écume des jours est un échec alors que le public redemande du sulfureux, du Sullivan. Vian ne cache ni son amertume, ni sa fatigue."

Je me suis laissé tenter par cette biographie partielle de Boris Vian et je ne le regrette pas. On dit "biographie romancée" comme c'est la mode en ce moment pour pouvoir rendre le récit moins austère sans se faire pinailler pour tel ou tel détail incertain, tel ou tel dialogue qui n'aurait peut-être pas eu lieu ou pas exactement dans ces termes, mais je n'ai pas remarqué de points trop suspects. Certes, ce livre ne m'a pas non plus appris grand chose, car Vian m'intéressant beaucoup, je connaissais l'histoire depuis fort longtemps, mais j'ai apprécié qu'on me la remette en mémoire et aussi, qu'on me rappelle les noms des protagonistes qui eux, avaient été oubliés. Ahh, cher Office Professionnel des Industries et des Commerces du Papier et du Carton, cher Cartel d'Action Sociale et Morale, chers Grosjean , Paulhan, Arland, Parker... si justement par moi oubliés.

Je vous conseille ce court (161 pages) ouvrage qui relate tout en détail, vous permettra de briller en société*, et qui nous rappelle que Vian, c'est SURTOUT "L'écume des jours", "L'automne à Pékin", "Vercoquin" mais également ces polars de Vernon dont le succès l'agaçait tant par moment, mais qui sont remarquables aussi, surtout dans le contexte.

Vian, c'était du vif argent, créant perpétuellement, toujours au-delà des limites du conformisme et des siennes propres. Il brûlait la chandelle par les deux bouts et savait bien où cela le mènerait. Cette biographie qui va de l'après guerre à sa mort m'a encore une fois donné envie de le relire. C'est une bonne chose. Il faut lire et relire Vian. On y gagne toujours quelque chose.


*


 


978-2363391940



#VieetmortdeVernonSullivan #DimitriKantcheloff  #  BorisVian  #Biographie   #LapetiteLISTE   #sibyllinelecture   #bookstagramfrance  #lecture  #littérature