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17 juillet 2024

Le Couteau 

Réflexions suite à une tentative d'assassinat

de Salman Rushdie 

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Il y a presque 40 ans, des illuminés à la recherche de boucs émissaires et ayant mal lu un roman, ont décidé de condamner un écrivain à mort. On est restés sans voix. Ça avait l'air d'une histoire de fou, ou d'une blague. Mais ce n'en était pas une et ces gens qui croient qu'ils peuvent massacrer tous ceux qui disent un mot qui leur déplaît avaient bel et bien l'intention de passer à l'action. La vie de l'écrivain en a été changée, mais notre vie à nous tous, également. On était passés dans une ère où l'obscurantisme le plus opaque et le plus criminel pouvait sévir jusque dans les pays occidentaux. Et tout ce que certains (même des écrivains, Rushdie nous rappelle leurs noms) ont trouvé à dire, c'est que l'on n'aurait pas dû les contrarier! et qu'il fallait respecter leur sensibilité (!). Apparemment plus que la vie des athées. Heureusement, d'autres ont tenté de rappeler que nous étions au 21ème siècle, et leurs noms sont aussi cités*. J'ai décidé de lire et commenter ici un des romans de chacun d’eux, même si j'ai en même temps constaté que c'étaient des gens que j'avais déjà lus et aimés, et plus aucun livre de ceux du premier groupe.

Je rappelle cela pour le contexte historique car le 12 août 2022, un fanatique est finalement parvenu à poignarder Salman Rushdie, 75 ans, qui a frôlé la mort et qui après des mois de soins, gardera des séquelles de la lâche agression. Je considère que ce livre fait partie des soins. Pour dépasser ce traumatisme, il a fallu à l'écrivain, le déposer en ces pages et c'est ce qu'il a fait. Et fort bien fait.

« Je compris qu’il fallait que j’écrive ce livre que vous etes en train de lire avant de pouvoir passer à autre chose. Ecrire serait pour moi une façon de m’approprier cette histoire, de la prendre en charge, de la faire mienne, refusant d’être une simple victime. J’allais répondre à la violence par l’art. »

Nous n'avons donc pas là un roman, ni même une des ces horribles "autofiction", mais bel et bien un témoignage et un bilan de ce qui s'est passé. Cela prend 268 pages, c'est précis, humain, émouvant et intelligent. C'est profond et juste, comme l'est Rushdie, pour ce qui est de la réflexion et de l'analyse. C'est détaillé pour ce qui est des évènement et des soins.

C'est également, et de façon inattendue, une très belle histoire d'amour. Car Salman a sur le tard enfin rencontré la femme de sa vie! et cette terrible épreuve a projeté leur relation à un autre niveau, lui faisant atteindre ce qui normalement met des années, voire des décennies, à se construire. Ces écrivains, tout de même, semblent tous finir par trouver leur alter-ego!

De toute façon, que vous le lisiez ou non, il faut acheter ce livre et l’avoir dans votre bibliothèque, pour montrer qu’on ne se laissera pas museler. Et rappelons-le :

« Selon moi, la croyance privée de quelqu’un ne regarde personne d’autre que l’individu concerné. Je n’ai aucun problème avec la religion dès lors qu’elle occupe la sphère privée et ne cherche pas à imposer ses valeurs aux autres. Mais lorsque la religion devient politique, quand elle devient une arme, c’est l’affaire de tous en raison de son pouvoir de nuisance. (…) Quand les croyants estiment que leurs croyances doivent être imposées à ceux qui ne les partagent pas, ou quand ils pensent qu’il faut empêcher les non-croyants d’exprimer avec vigueur ou avec humour leur incroyance, il y a un problème. (…) Dans la vie privée, croyez ce que vous voulez. Mais dans le monde tumultueux de la politique et de la vie publique, aucune idée ne saurait être protégée et soustraite à la critique. »


* Paul Auster, Colum Mccann, Hanif Kureichi, Martin AmisOrhan Pamuk, Ian McEwan et j’en oublie peut-être. Dites-le moi.

978-2073033987



28 mars 2024

 La Cité de la victoire

de Salman Rushdie

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Ce roman fera le bonheur de ceux qui aiment les contes, ici, les contes indiens, pleins de Shiva, Ganesh, Hanuman, sultans, ermites et magiciennes ; aux autres, il ne parlera pas.

De toute façon, "Les mots sont les seuls vainqueurs" Eux seuls resteront quand la gomme du temps aura tout fait disparaître, et des mots, en voilà :

Le narrateur prétend recopier une épopée ancienne, trouvée enterrée, et rédigée un peu à la manière du Mahâbhârata par Pampa Kampana qui en est également la vedette. Il nous dit comment, alors qu'elle avait 9 ans, Pampa vit sa mère mourir et, n'ayant plus personne pour veiller sur elle, se trouva recueillie par un sage ermite qui l'éduqua, mais non sans également abuser d'elle. Si elle sut tirer bénéfice de l'enseignement qu'il lui prodigua, elle ne lui pardonna jamais ce qu'il lui avait imposé en contrepartie. Une déesse de la forêt ayant investi son corps, Pampa Kampana se trouva nantie de pouvoirs spéciaux, comme de pouvoir créer Bisnaga (La Cité de la Victoire) et sa population  à partir d'un sachet de graines, et le don de vivre 250 ans sans afficher de signes de vieillissement. Elle vit ainsi la ville prestigieuse sortir du sol et plusieurs générations de sultans s'y succéder, agrandissant leur royaume jusqu'à le voir s'effriter et s'effondrer. Le récit porté par la belle écriture de Rushdie maintient l’intérêt grâce aux luttes de pouvoir souvent violentes et aux retournements de situations. Il ne recule pas devant parfois une pointe de magie, à ce titre, il revendique bien son statut de conte et comme tout conte, il est porteur d'un message et d'une philosophie qu'il prétend illustrer.

Les idées de Salman Rushdie transparaissent dans l'opposition d'une Pampa Kampana porteuse de valeurs progressistes et humanistes, et œuvrant chaque fois qu'elle en avait le pouvoir pour l'émancipation des femmes, le développement des arts, la laïcité et la monarchie éclairée, et de ses ennemis, dictatoriaux, fanatiques religieux et amateurs de valeurs virilistes.

Si vous saisissez la plume qu’on vous tend et vous laissez emporter sur les ailes du milan, avec ce roman, vous voyagerez loin dans le temps et dans l'espace, vous découvrirez un autre monde, réel ou pas, d'autres histoires, d'autres manières de vivre, et l'éternel humain, que l'on retrouve toujours partout, en Inde au XIVe siècle ou aujourd'hui, autour de vous. Si vous ne vous laissez pas emporter, vous ne verrez rien et vous vous ennuierez. C'est ainsi.


"Il est dans ma nature de vieillir. Je ne peux pas l'éviter.

Il est dans ma nature de connaitre la maladie. Je ne peux pas l'éviter.

Il est dans ma nature de mourir. Je ne peux pas l'éviter.

Il est dans ma nature d'être séparé de ceux que j'aime et de tout ce qui m'est cher.

Mes actes sont la seule chose qui m'appartienne vraiment. Mes actes sont la terre ferme sur laquelle je me tiens."

(Les 5 remémorations de Bouddha)



978-2330181222



01 décembre 2022

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits

Salman Rushdie 

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… soit mille et une nuits

« Nous sommes la créature qui se raconte des histoires pour comprendre quelle sorte de créature elle est. »

Si vous voulez comprendre un peu cette histoire, il faut commencer par vous mettre dans l'ambiance des contes des mille et une nuits car, vous le savez sûrement, mille et une nuits font deux ans, huit mois et vingt-huit nuits. Dans un sens les deux œuvres ont donc le même titre, et ce n'est pas pour rien.

Au 12ème siècle, un philosophe du nom d'Ibn Rushd (notez la parenté) eut la bonne fortune de séduire une jinnia (féminin de jinn -que personnellement j'écrivais plutôt djinn, mais vérification faite, les deux sont possibles). Ils vécurent heureux et eurent en effet vraiment beaucoup d'enfants. Tant qu'au bout d'un moment le sieur Ibn jugea plus reposant d'aller vivre sa vie tout seul, abandonnant, n'ayons pas peur de le dire, femme et enfants. Mais nous sommes dans un conte et donc, tout cela ne fut pas trop grave et la belle jinnia était de taille à se passer de lui, tout comme le firent ses enfants. Le philosophe n'étant qu'humain, ne tarda pas à mourir, tandis que sa belle, quasiment immortelle se désolait de son abandon et de son veuvage.

Les siècles passèrent et les enfants de Dunia, la Princesse jinn, et d'Ibn Rushd le philosophe, s'étaient bien multipliés et s'étaient dispersés à travers le monde. Ils avaient tous la particularité d'être dotés d'oreilles sans lobes. Ils avaient encore une autre particularité mais ils ne le surent que neuf siècles plus tard, pour ceux qui le surent, quand Dunia, se reprenant d’intérêt pour sa progéniture devenue un peuple, se mit en tête de les retrouver et de le leur dire.

Du temps que le philosophe était vivant, il soutenait des idées humanistes et rationnelles. Il s'était pour cela opposé violemment à l'autre grand penseur de son époque, Ghazali, qui incarnait lui, la superstition, le dogmatisme, le fanatisme, la passion des interdits, des restrictions et des brimades. Neuf siècle après, les idées de ce dernier redevinrent à la mode, alors même que la jonction entre le monde parallèle des jinns et celui des humains, se reproduisait, permettant le passage des premiers chez les seconds. L'invasion des jinns que rien ne pouvait empêcher de jouer de sales tours, d'être cruels, méchants, vindicatifs et hyper destructeurs, perturba énormément le monde des humains et leur infligea bien des douleurs au point que certains, "lorsque la réalité cessa d'être rationnelle ou ne serait-ce que dialectique, pour devenir aussi entêtée qu'insaisissable et absurde", ne sachant plus que faire, se tournèrent vers les idées de Ghazali ; tandis que Dunia, et ses descendants, promouvaient celles d'Ibn Rushd.

Si vous pouvez retrouver votre âme rêveuse d'enfant qui aimait les contes au point de ne jamais en être rassasié, ce roman vous enchantera et vous emportera très loin, sur des tapis volants ou plutôt ici, des "urnes volantes". Vous découvrirez les figures plus ou moins attachantes des descendants de Dunia et celles, effrayantes et consternantes, des fanatiques et des "jinns obscurs". Vous assisterez à leurs combats. Tout cela, comme tous les contes, ne pourra pas ne pas vous faire songer à certains points obscurs du réel... Vous apercevrez les échos d’autres histoires passant à l'arrière-plan, tant la fiction est un monde universel et partagé: "Dans un village de Roumanie, une femme se mit à pondre des œufs. Dans une ville française, les habitants commencèrent à se transformer en rhinocéros. De vieux Irlandais se mirent à vivre dans des poubelles. Un Belge se regarda dans le miroir et y vit refléter l'arrière de son crâne. Un officier russe perdit son nez et le vit qui se promenait tout seul dans Saint-Pétersbourg." etc.

Et puis, au bout de deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, l'histoire connaîtra sa conclusion.

Comme il se doit.

« Il fut attrapé par l’hameçon de l'histoire qui vint se planter dans son oreille sans lobe et captiva son attention. »


« Si cette histoire est vraie dit-il, s'efforçant de faire la conversation par politesse et de dissimuler son manque d’intérêt pour ces sornettes d'un autre âge, nous sommes tous un petit peu de tout, non ? Judéo-arabes chrétiens, façon patchwork. » Le père Jerry fronça avec force ses sourcils fournis « Etre un peu de tout, c'était la façon de vivre à Bombay, murmura-t-il, mais c'est passé de mode. L'étroitesse d'esprit remplace la largeur de vues. La majorité gouverne et la minorité se contente de regarder. Nous devenons des marginaux dans notre propre pays et quand les troubles se produisent, ce qui ne manquera pas d'arriver, ce sont habituellement les marginaux qui trinquent avant tout le monde. »

 9782330109486



09 septembre 2020

Quichotte

de Salman Rushdie

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M. Smile, VRP vieillissant et totalement solitaire qui n'a d'ailleurs plus de domicile fixe, habitant des motels au gré de ses tournées de prospection, passe des heures à regarder la télévision et ce qui devait arriver arrive : il tombe amoureux fou d'une vedette du petit écran, Salma R., la seule personne qu'il voit tous les jours. Il décide alors de lui écrire et d'aller la rejoindre en passant par « les sept vallées » qui représentent les étapes de sa purification. Durant ce périple, en période de doute ou d'hésitation, toutes ses références sont télévisuelles et même feuilletonnesques. Sancho apparaîtra bientôt comme étant son fils

Le chapitre suivant nous fais découvrir Brother, alias Sam Duchamp, un écrivain de romans populaires qui vient de crée ce personnage qu'il a baptisé Quichotte et avec lequel il entreprend un roman plus exigeant. Les aventures et mésaventures qu'il fera vivre à son personnage seront en parallèle étroit avec ce qu'il vit lui même, en particulier avec une similarité des « seconds rôles ». Ce qui entraîne une mise en abîme assez vertigineuse, d'autant que la lectrice que je suis se charge de rajouter un étage avec les liens entre Salman Rushdie et tout ce petit monde...

« J'ai l'impression qu'il y a quelqu'un au-dessous, virgule, derrière, virgule, au-dessus du vieil homme. Quelqu'un, oui, qui le crée de la même façon que lui m'a créé. Quelqu'un qui déverse en lui sa vie, ses pensées, ses sentiments, ses souvenirs exactement comme lui a fourré tout cela en moi. »

Ai-je oublié de dire que chacun pense que c'est la fin du monde qui est au bout de leurs histoires ? 

C'est tout à fait passionnant.

En dehors des références à des séries télé il y a des clins d’œil plus littéraires (Ionesco, par exemple) ou/et plus politiques. Il y a une vraie réflexion sur les liens entre le réel et la fiction, la créature et son créateur ; une réflexion aussi sur le monde tel qu'il évolue aujourd'hui aussi bien aux USA qu'ailleurs. C'est comme la vie, souvent drôle et souvent dramatique, on perd du temps et on en gagne, les choses se déroulent comme prévu ou pas. On est loin du formatage stéréotypé des romans de moindre qualité. Je trouve que le monde littéraire français ne rend pas suffisamment hommage à Salman Rushdie, un des rares grands grands écrivains contemporains.

Mapero l'a lu aussi.

978-2330139421