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11 décembre 2021

 Le musée du silence  

de Yoko Ogawa

*****

Que préserve un musée?


Le narrateur, un homme jeune et solitaire, a une passion pour les musées. Cette passion est aussi son métier: il aide à leur installation. Il arrive ici en un lieu retiré, en réponse à une petite annonce passée par une vieille femme acariâtre qui veut ouvrir un musée tout à fait particulier. Depuis son enfance, elle vole à chaque décès dans son village, un objet représentatif du défunt. Ces objets s'accumulent fort nombreux dans une remise poussiéreuse mais elle se souvient de tous les détails de chaque objet et de chaque défunt. Elle veut que ce bric-à-brac soit organisé en un musée bien agencé et ouvert aux visites.

Comme en général avec Yoko Ogawa, on ne peut situer exactement ni le lieu ni l'époque, sans doute parce que l'auteur vise des constantes humaines non dépendantes d'un contexte historique ou géographique. Les personnages principaux sont donc le jeune muséographe dont la préoccupation essentielle, obsessionnelle pourrait-on même dire, est de parvenir à ordonner "les fragments constitutifs de ce monde.". Le musée lui semble le meilleur moyen de "ranger" et de donner sens à tous ces éléments que l'existence fait pleuvoir sur nous, à tous ces évènements que l'existence fait pleuvoir sur lui. Vient ensuite l'étrange très vieille dame ni bonne ni méchante selon sa fille, mais tout de même très agressive et ne connaissant que les insultes voire les coups de canne pour alimenter ses relations au monde. Son maigre entourage lui est néanmoins très attaché et le muséographe le deviendra aussi. Il y a tout d'abord "la jeune fille", très jeune, presque une enfant, adoptée on ne sait pourquoi ni comment par la vieille dame; et un couple jardinier-cuisinière, très polyvalents tous les deux. Ils vivent tous dans le manoir à l'écart de la ville et ne fréquentent personne. Sauf peut-être parfois les étranges moines du silence qui partagent la montagne avec les non moins étranges "bisons des roches blanches".

 Le muséographe se passionne au rangement et à l'archivage des pièces hétéroclites de l'étrange musée. Le soin méticuleux du travail d'archivage des objets dont Yoko Ogawa donne une description extrêmement précise est le rituel de prise de possession des choses et, à travers elles, des évènements. Ce travail l'apaise. Sa vie personnelle se limite à l'envoi de lettres à son frère aîné adoré. Quand la vieille dame n'est plus en état de le faire, il accepte de prendre la relève et d'aller à sa place dérober des objets chez les morts. Entreprise non sans risque et à propos de risques, le monde extérieur est violent. Une fête populaire peut dégénérer, il peut y avoir des bombes dans les endroits publics et voilà que frappe un tueur en série... la police est sur les dents mais au manoir, la vie continue, entièrement orientée vers la création du musée.

Un grand roman porté par une écriture superbe et dont je ne veux pas déflorer davantage les éléments tous très originaux. Une réflexion approfondie sur les tentatives de donner sens aux vies humaines, même si au monastère, on pense qu'il n'y a vraiment rien à dire.


Citations :

Musée

"Quand j'étais jeune, j'ai visité les musées du monde entier. De toutes sortes, allant du national, énorme, dont trois jours de visite ne viennent pas à bout, au cabanon bricolé par un vieillard obstiné à seule fin de rassembler des outils agricoles. Ce ne sont que des débarras. Ils ne révèlent aucune trace de la passion qui mène à faire une offrande aux déesses de la sagesse. Ce que je vise, c'est un musée qui transcende l'existence humaine. "


Eté

"L'été se termine brusquement. Sans laisser de regret, d'un seul coup. Quand on se retourne et que l'on s'en rend compte, c'est trop tard. Plus personne ne peut se rappeler même sa silhouette vue de dos."

978-2742754915

08 octobre 2021

 Le Petit Joueur d'échecs  

de Yôko Ogawa

****+


Un roman original et très beau. C'est vraiment l'aspect esthétique qui m'a le plus marquée ici. Nous avons un conte dont le thème serait le danger qu'il y a à grandir ou grossir. Physiquement d'abord mais aussi mentalement à l'image de ce "petit joueur d'échecs". (Notez "petit", pas jeune). 

C'est parce qu'elle avait trop grossi que l'éléphante Indira n'a jamais pu repartir de sa terrasse d'immeuble où elle faisait un séjour publicitaire. C'est parce qu'elle avait trop grandi que la petite Miira est restée coincée entre les deux maisons. C'est parce qu'il était trop gros que le maître d'échecs n'a pas pu être secouru ni même sorti de son logement lors de sa crise cardiaque. Et enfin, le petit joueur d'échecs ne pourrait plus actionner l'automate s'il devenait plus grand... Sa crainte est telle que son corps cesse sa croissance et qu'il restera petit, à son grand soulagement. 

Orphelin élevé par des grands-parents simples et aimants, il restera aussi une sorte de petit garçon, sage, silencieux, ignorant du monde, sans curiosité de l'extérieur, sans éveil sexuel. Il vivra toujours dans un univers volontairement restreint au maximum, tant matériellement que mentalement. Seuls l'intéressent les échecs, découverts dans son jeune âge et aimés à jamais. Il deviendra un champion sans titre, ne pouvant supporter la présence réelle d'une autre personne en face de lui. (Mais à ce propos, précisons qu'on peut tout à fait apprécier le roman même si on ne connaît pas les échecs.)

Un conte silencieux et lent. Beau. Je vois sur les commentaires que certains ont moins aimé la dernière partie (quand il est "adulte") mais ça n'a pas été mon cas. D'abord parce que j'adore les microcosmes et que j'ai trouvé celui-là parfaitement à la hauteur de l'originalité du reste du récit, et parce qu'il fallait bien qu'il quitte le cocon familial (même si c'est pour en retrouver un autre).

Je recommande ce roman de Yoko Ogawa


 978-2330053277