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10 octobre 2023

 Animal du cœur

de Herta Müller

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Dire l'oppression

Ce roman magnifique est fortement autobiographique. On y retrouve ce que Herta Müller s’acharne à peindre : le totalitarisme et ses effets sur la population.

La narratrice termine ses études dans un pensionnat. Une de ses camarades de dortoir se suicide, agissant ainsi en mauvaise citoyenne et tous les élèves et professeurs doivent participer à une cérémonie grotesque et odieuse où la lâcheté de la suicidée est fustigée. Aucun ne se permet de s’y refuser. C’est ainsi que le totalitarisme détruit les gens par le remords et la honte de leurs lâchetés, pas forcément les pires, qu’ils trainent ensuite. C’est ainsi qu’ayant obtenu d’eux ces premiers renoncements il les met en position d’en faire d’autres, plus significatifs. De plus, ici, il démontre que nulle amitié ne lui résiste.

A la suite de ce drame, la narratrice commence à fréquenter trois jeunes gens qui étaient des amis de la morte. Ils tentent de préserver une forme de résistance à l’oppression et se donnent beaucoup de mal, (cachette, dissimulation, code secret etc.) pour très peu de choses réalisées. Tout acte de rébellion est si difficile qu’un simple geste discrètement symbolique demande courage et prise de risque considérable. Ce qui frappe, c’est la non-violence des amis qui, quoi qu’ils subissent n’envisagent aucune action violente ou agressive, ils rêvent juste de parvenir à exprimer quelques bribes… on reste au niveau du samizdat le plus simple.

Immédiatement repérés, ils subissent la surveillance et les brimades permanentes de la police secrète si proche et familière qu'ils n’arrivent même plus à croire qu’elle ne sait pas tout d’avance. Mais ils tentent tout de même de résister, sourdement, faisant de leur vie un enfer d’angoisse. Tout de suite, il n’y a plus d’amis en dehors d’eux quatre, la pression est si forte qu’ils savent que chacun est prêt à les trahir à tout moment.

Le but finit donc par être de parvenir à émigrer en Allemagne, ce qui n’est théoriquement pas interdit mais réclame d’abord qu’ils renoncent à leur patrie, à leurs proches, ensuite qu’ils obtiennent les autorisations d’une bureaucratie incompréhensible alors que dans le même temps, les gardes-frontière s’amusent beaucoup à abattre tous ceux qui, rendus fous par les tracasseries, tentent de passer la frontière clandestinement.

Et même en Allemagne, même pour ceux qui y parviennent avec autorisation, la police roumaine en civil les suit et continue à exercer sur eux son oppression. C’est intolérable.

En même temps qu’elle nous raconte cela, elle se remémore ses souvenirs d’enfance (où elle est «l’enfant») et nous montre l’élan vital qu’elle portait alors, ses espoirs et sa liberté ; et elle nous montre aussi sa famille, un peuple roumain sous la férule, qui quitte peu à peu les campagnes et qui survit… à quel prix?! Transmettant sa soumission à ses enfants. L’animal du titre, c’est le cœur qui bat dans les poitrines, comme une petite bête chaude qui s’agite et pulse, pleine de vie, puissante et fragile aussi. Que l’on garde, écoute et protège en son sein : le trésor de la vie.

On retrouve la superbe écriture de Herta Müller dont la prose est un langage poétique. On retrouve l’étau de la dictature. Personne ne sait comme elle dire l'oppression. Mais si vous voulez tenir votre rôle de lecteur, il vous faut accepter de vous livrer totalement à sa plume, recevoir. Lire, tout, sans discuter, vous laisser emporter. Vous en reviendrez changé car vous y serez allé, vous aurez réellement éprouvé l’étouffement du totalitarisme. Une expérience poignante.

"La chanson finie, elle croit que l’enfant dort à poings fermés. Elle dit : repose-bien l’animal de ton cœur, tu as tellement joué aujourd’hui."


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PRIX NOBEL DE LITTERATURE

9782070129706