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27 mars 2023

Variations de Paul

de Pierre Ducrozet

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Tout d’abord, ne vous laissez pas désarçonner par la structure du récit. Ce que Paul dit de lui, l'auteur le retranscrit dans son mode narratif: "Toujours sa vie Paul la vivra au présent, l'entendra au présent, l'écrira dans l'instant. Il ne déteste pas les autres temps mais il ne sait pas les employer. Une histoire vieille de dix ans, il la racontera au présent de l'indicatif comme si elle se déroulait sous ses yeux. Il fera de même pour l'avenir, puisque tout est là partout, et dans le même temps."

et plus loin:

"Comme le cerveau et le corps de Paul, nous sommes toujours dans plusieurs lieux et plusieurs temps à la fois. D'hier nous passons à aujourd'hui en un claquement de doigts, un regard, une fausse note, c'est comme ça."

Pensez à cela quand vous vous sentez un peu perdu.

Pierre Ducrozet a composé ici une symphonie en cinq mouvements qui suit une famille de musiciens, les Maleval, sur trois ou quatre générations. Le noyau en est Paul (avec lequel l'auteur s'est reconnu des similitudes). Nous verrons également ses parents, grands-parents, et ses enfants. Leur monde est la musique dont nous verrons les énormes évolutions sur ces quelques décennies. Je dirais que le premier tiers est tout à fait brillant et captivant. Grace aux facilités des la 4G, on peut trouver et écouter les morceaux de musique au fur et à mesure que leurs titres sont cités et poursuivre notre lecture en leur compagnie. On débute avec Antoine Maleval qui a appris le piano avec un élève de Debussy. Les Maleval suivants seront séduits par le jazz, le rock, le punk, pour finir aux synthés. Toujours progressistes, attirés par les nouveautés, de génération en génération, c'est une tradition familiale. Le paradoxe n'est qu'apparent, comme le reconnaît Paul.

Les morceaux évoqués éveillent en nous aussi des émotions et des sentiments. A sa suite, nous nous souvenons du contexte et de notre propre vie, et un roman dans lequel le lecteur se voit est un roman qui plaît. Notre mémoire affective joue à plein, que l'on soit musicien ou simple auditeur. Mais trois générations, c'est long, et 460 pages sont nécessaires. Sans vraiment s'ennuyer, le lecteur peut tout de même songer que cela dure un peu... Il faut par ailleurs admettre que ce n'est pas une Histoire de la musique, le lecteur aurait bien tort de le croire, ainsi, des éléments majeurs sont ignorés ou à peine évoqués alors que d'autres, mineurs pour le coup, sont montrés en détail. Il faut l'accepter. C'est un roman, pas une anthologie.

L'autre bémol, pour rester dans le musical, qui a bloqué mon empathie à un niveau restreint, c'est le coté Bobo. Parce que là, on est en plein dedans. Personne ne travaille en usine ou en open space, personne n'est limité dans ses déplacements à travers le monde, personne dans le RER ou les embouteillage aux heures de pointe, personne n'a de problème de logement, personne ne doit sacrifier des mois années de sa vie à un travail qui l'amoindrit. On ne fait que ce qui nous plaît. On a parfois besoin de l'aide d'un ami, mais en gros, on n'a pas de problème de fin de mois non plus. Bon... Eh bien, tant mieux. On est content pour eux. Ca fait plaisir au lecteur de les voir si libres, mais là, pour le coup, il ne s'y reconnaît pas.

J'ai pris la synesthésie pour un attrape gogo qui allait beaucoup plaire aux lecteurs et cristalliser leur attention (un truc marrant avec un nom qui en jette dans les conversations, j'aurais parié qu'on allait beaucoup en parler). Et puis, les "petites morts" de Paul ne m'ont hélas, ni attendrie ni convaincue.

"Et puis - et cela commence à devenir gênant- Paul meurt de plus en plus souvent. Ce sont des morts légères, de celles qui passent inaperçues, qu'on ne remarque guère. Il est peut-être d'ailleurs exagéré de parler de morts, ce serait plutôt des décrochages, de brèves sorties de route vite négociées, des temps ratés sur la mesure; mais tout de même, le cœur de Paul s'arrête. La dernière fois c'était tout à fait fugace, à peine un petit hoquet." Pour moi, on est plus près de l'hypocondrie que du drame humain. Mais je ne suis pas médecin.

Ceci dit, c'est un beau et bon roman que j'ai lu d'un bout à l'autre, et pas en diagonale. Mais je l'ai moins aimé que "Le grand vertige" et "l'invention des corps".


PS : Ayant relevé "Peu importe la quantité de vents contraires qui peuvent souffler dans notre dos." (101) Je déconseille à l'auteur de se lancer en mer avant d'avoir pris quelques leçons de navigation.

978-2330169244



13 décembre 2022

Requiem pour Lola rouge

de Pierre Ducrozet

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Court roman attrapé dans une boîte à livres sans consulter la quatrième de couverture, parce que j'apprécie Pierre Ducrozet. J'étais partie sur l'idée, fondée sur le titre, que ce devait être un polar. Il n'en était rien. Il s'agit au contraire d'une œuvre littéraire plutôt ambitieuse, totalement basée sur le lyrisme,  l'irrationalité et la poésie.

 Le narrateur nous apparaît comme un voyou toxicomane et artiste. Le lecteur confiant, l'écoute faire le récit de ses journées avant de réaliser progressivement que tout cela n'est guère cohérent et d'essayer de corriger sa vision des choses pour mieux comprendre sa lecture. Ces chants de Maldoror dont la lecture avait si fort bouleversé le personnage au début du livre seraient-ils la clé permettant de mieux comprendre? Peut-être, mais on ne trouve pas dans ce livre-ci les aspects sadiques et écœurants, il y est au contraire question de recherche d'amour et d'absolu. Cependant, le lecteur y est bel est bien brutalement brinquebalé, déstabilisé et... disons-le, perdu. Il vaut mieux lâcher prise et se laisser emporter.

Reprenons. Notre narrateur, parisien dilettante, gagnant sa vie quand le besoin s'en fait sentir,  de façon malhonnête, passe son temps  à dériver dans les rues de Paris avec des haltes dans des bistrots portuaires. Le temps et l'alcool passant, sa schizophrénie se développe et le voilà rencontrant l’envoûtante Lola qui n'a pas froid aux yeux, et se mettant à la suivre. Sur ses talons, il constatera qu'au passage de n'importe quelle porte, il peut se retrouver dans n'importe quel lieu du monde et y vivre amours et aventures. Sa "dérive parisienne" chère aux Surréalistes, atteint ainsi un tout autre niveau. Le jeu n'est pas sans risques mais cela signifie peu de choses pour qui a perdu le sens des réalités.

"- Oui, mais ces portes-là que tu ouvres, il faudrait m'expliquer quand même.
- Il n'y a rien à expliquer, P. Je me sens juste un peu enfermée, alors je pousse des portes et puis je débarque ailleurs. Je prends l'air, c'est tout.
- C'est plutôt étrange, non?
- Etrange? Ce sont les autres qui le sont. Saute, tu verras."

C'est un ouvrage brillant et poétique. C'est beau, et ça finit mal. Forcément.


9782330139148


08 novembre 2020

L'invention des corps

de Pierre Ducrozet
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Roman d'aventure surfant sur deux arrière-plans/thèmes de réflexion: les incroyables avancées des possibilités médicales et de l'internet.
Nous démarrons avec le récit puissant du massacre par la police de 43 étudiants à Iguala (Mexique) en 2014. Histoire vraie et je pense que Pierre Ducrozet tenait à leur rendre un nouvel hommage. On le comprend. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Enlèvements_d%27Iguala) Leur professeur, Alvaro, en réchappe par miracle et parvient non sans peine à passer aux Etats Unis où il tente de se faire une place grâce à ses talents exceptionnels de hacker.  

Il parviendra à rencontrer un des pontes de la Silicon Valley, Parker Hayes, personnage fictif mais côtoyant des pontes réels. Ce dernier, mégalomane, a des projets tout à fait grandioses pour l'avenir du monde (nanti) et finit par l'embaucher, mais pas dans sa spécialité. Loin de là. 

​Il y a de l'action, de l'amour, de l'aventure, du drame, des retournements de situation au point que tout est possible dans ce roman qui se dévore comme n'importe quel "cliffhanger", mais s'il n'y avait que cela, ce ne serait rien. Il y a aussi et surtout la réflexion intelligente et documentée dont je vous parlais en introduction, sur notre monde et son évolution la plus moderne. C'est cela qui retient l'attention et qui reste après la dernière péripétie. 

Un vraiment excellent roman que je conseille donc vivement aussi bien à ceux qui aiment la fiction active qu'à ceux qui préfèrent ne pas lire pour rien. *
* Lire pour rien, c'est quand on a peut-être passé un bon moment avec un livre, mais qu'on en ressort inchangé. Je n'interdis, ni ne condamne, mais j'indique que ce ne sera pas le cas ici."


978-23300817 

20 octobre 2020

 

 Partir léger

de Pierre Ducrozet
***+


 Quatrième de couverture :

"Alors voilà, on est partis. Un aller simple, sans date de retour précise. Du Népal au Japon, en passant par l’Inde, le Sri Lanka, la Birmanie, la Thaïlande et l’Indonésie. On pourrait chercher des motifs, des buts, mais ce serait mentir, en réalité il n’y en a jamais qu’un seul : le goût de se déplacer dans l’espace.”

Septembre 2019. Dans la dernière ligne droite de l’écriture de son roman Le grand vertige, Pierre Ducrozet se lance dans un voyage de plusieurs mois à travers l’Asie, sur les traces de certains de ses personnages.

Sous forme de chroniques bimensuelles, il envoie des cartes postales à Libération : récits, impressions, sensations – des “notes pour plus tard“ qui prennent le pouls de cette planète en surchauffe et des humains qui y vivent.

L’ensemble forme une sorte de contribution réelle au réseau Télémaque fictif de son livre, un atlas intime des lieux traversés en mouvement et à l’arrêt, un inventaire du précieux, du fragile et de l’immuable. Et nous rappelle tout ce qu’il reste encore à sauver."

​Dans la foulée de l'excellent "Grand vertige", mes semblables et moi-même qui venions de nous régaler avec le roman,  étions clairement la cible visée par cet agencement éditorial. La quatrième de couverture insistant sur les rapports entre cette recension de billets de voyages et le livre. Je m'attendais donc à une sorte de journal de l'écriture, mais il n'en est rien. J'en ai donc été déçue, faute à l'éditeur qui n'a pas été assez franc.

Ces billets, calibrés à trois pages, et au format de leur emplacement dans libération, format facile et fluide, sont plaisants, parfois intéressants, et se lisent d'une traite. Mais je n'en dirais pas beaucoup plus. Un an de voyage, vingt-trois chroniques pour Libé. Bon. Ils nous parlent des régions visitées, mais, m'a-t-il semblé, sans offrir un regard radicalement neuf. A l'image de la couverture. Ça n'est pas aussi original que le roman qui a suivi. C'est ça, l'indéniable supériorité de la fiction.

Si vous aimez les notes de voyage, vous l'aimerez. Vous jetterez quelques coups d’œil sur l'Asie du Sud-Est actuelle. Si vous aimez les journaux d'écriture ou les notes littéraires, moins. Si vous pensez trop au "grand vertige", vous ne l'y retrouverez pas.





978-2330141516

21 août 2020

 Le grand vertige 

dPierre Ducrozet

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Je ne voulais pas entrer dans la librairie, je ne voulais pas acheter de livre de la rentrée littéraire avant Quichotte de Rushdie pas encore sorti. Je ne connais pas Pierre Ducrozet, je n'ai encore rien lu de lui. J'ai jeté un œil sur son Grand vertige et je suis repartie avec.

Monsieur le juge, je ne sais pas comment tout ça est arrivé. Pourvu que je ne le regrette pas!
Je vous en dirai plus bientôt.

...

Quatrième de couverture :

« Pionnier de la pensée écologique, Adam Thobias est sollicité pour prendre la tête d’une “Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel”. Pas dupe, il tente de transformer ce hochet géopolitique en arme de reconstruction massive. Au cœur du dispositif, il crée le réseau Télémaque, mouvant et hybride, constitué de scientifiques ou d’intuitifs, de spécialistes ou de voyageurs qu’il envoie en missions discrètes, du Pacifique sud à la jungle birmane, de l’Amazonie à Shanghai... Tandis qu’à travers leurs récits se dessine l’encéphalogramme affolé d’une planète fiévreuse, Adam Thobias conçoit un projet alternatif, novateur, dissident.

Pierre Ducrozet interroge de livre en livre la mobilité des corps dans le monde, mais aussi les tempêtes et secousses qui parcourent notre planète. Sa narration est vive, ludique, rythmée. Elle fait cohabiter et résonner le très intime des personnages avec les aspirations les plus vastes, la conscience d’un pire global, d’une urgence partagée. Le grand vertige est une course poursuite verticale sur une terre qui tourne à toute vitesse, une chasse au trésor qui, autant que des solutions pour un avenir possible, met en jeu une très concrète éthique de l’être au monde. Pour tous, et pour tout de suite. »

J'ai apprécié ce roman et n'ai pas trouvé la fin décevante comme c'est souvent le risque avec ce genre de récit. J'ai mis ci-dessus la quatrième de couv' intégrale parce que pour une fois, elle dit exactement ce qu'il faut. Il y a bien en plein milieu vingt pages de docu qui interrompent le récit, et je me suis dit que ce n'était peut-être pas la façon la plus habile de fournir les renseignements, mais c'est rédigé de façon à ne pas bloquer le lecteur- la preuve, je les ai lues et je dois reconnaître qu'elles étaient utiles.

Je découvre Pierre Ducrozet avec ce livre mais du coup, j'ai déjà acheté d'autres de ses romans car je pense que c'est un auteur avec lequel je devrais encore passer des moments captivants et instructifs.

Extrait :

« Il y a une guerre à l’œuvre. Je ne l'ai pas choisie, tout comme vous ne l'avez pas enclenchée, mais nous en sommes tous les victimes. Nous avons décidé, en tant que société, de nous diriger vers un système économique fondé sur la prétendue abondance des ressources, la domestication de ce qu'on a appelé notre 'milieu naturel' et un flot constant d'énergie. Nous avons très lentement pris conscience de notre erreur, et lorsque nous aurions pu embrayer vers un autre système, plus souple et moins avide, la poignée d'entrepreneurs à la tête des compagnies multinationales de pétrole, de gaz, de charbon, d'agro-alimentaire, d'armement et d'automobile ont tout mis en œuvre pour consolider cette société thermo-industrielle basée sur l'énergie fossile, sachant dès lors qu'elle conduirait très probablement à la destruction de la planète et du monde tel que nous le connaissons. Ils ont déclaré unilatéralement une guerre au reste des êtres humains et du vivant. »



9782330139261