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09 juin 2025

Vivre, Le compte à rebours

de Boualem Sansal

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9782073044778


J'ai lu ce livre pour reparler un peu sur mon blog de Boualem Sansal car je trouve important de ne pas laisser tomber dans l'oubli les écrivains emprisonnés pour délit d'opinion, que cette opinion soit la mienne ou non. La place des écrivains n’est pas en prison.

Au plus profond de son sommeil, Paolo, agrégé de mathématiques, sent son cerveau "hacké" par une entité qui y installe certaines connaissances, très parcellaires mais dont la principale n'est pas anodine puisqu'il s'agit de l'annonce de la fin du monde dans 780 jours et la seconde, qu'il est chargé de regrouper des personnes de son choix qui seront sauvées au moment ultime. Comment, pourquoi, qu'est-ce? et qui parle??? De tout cela il n'a pas la moindre idée et c'est donc un Paolo plus que perplexe qui reprend le lendemain sa routine quotidienne sans trop savoir quoi faire de ce rêve ou de cette Révélation. J'avoue que je n'avais aucune chance de résister à un tel point de départ. Je m'imagine immédiatement à sa place, que faire ? que penser? Que croire? 780 jours, c'est court quand même et d'abord, est-il bien utile de retourner travailler?

Plongé dans ses pensées, notre héros découvre un jour une affichette "-780" collée à la fenêtre d'un appartement parisien. Stupéfait, il se dit que cela ne peut être une coïncidence sans signification et entre en contact avec l'auteur de l'avis, découvrant ainsi qu'il n'est pas le seul à avoir reçu cette révélation. Nos deux "Appelés" sympathisent et se mettent en tête de rechercher d'éventuels confrères de par le monde…

Ça aurait pu être génial, et pourtant, dans un premier temps, j'ai vraiment détesté ce roman; mais vraiment détesté, au point de l'abandonner... pendant une bonne dizaine de jours. Puis je me suis dit que c'était Sansal quand même, que je ne pouvais pas ne pas lui donner entièrement sa chance, et je l'ai repris.

Pourquoi je l'avais détesté? Parce que notre Paolo, se prend pour un trublion plein d'esprit et veut à tout prix nous faire profiter de sa verve et que pour moi, ça tombait à chaque fois à plat. Il multiplie les remarques annexes qui, non seulement diluent le récit mais de plus sont parfois douteuses voire ridicules. Comme par exemple page 64 quand il utilise l'expression "Fouette cocher" et fait ensuite semblant de craindre les attaques des défenseurs des animaux ce qui nous vaut une note de 6 lignes! 6 ! Pour cette blague vaseuse ? Et ce n'est pas le seul exemple. 

Au moment de choisir qui il va sauver ou non, il consulte des "Sages", ce qui nous vaut une galerie de portraits ni très clairs, ni très bien vus (à mon sens) et s'oriente vers un choix des Sauvés en reproduction du monde actuel. Ce qui m'a semble aussi peu clairvoyant que peu audacieux. Mais bon, notre Paolo libère ses détestations et comme toujours, la haine l'égare. Il lance des piques un peu dans tous les sens comme si son esprit pétillait mais hélas, je ne trouvais pas cela drôle, même pas amusant, des remarques qui ne tombaient pas justes ou des enfonçages de portes ouvertes, des simplifications, bref de la pacotille. C'était bavard, verbeux, il jacassait, Paolo. J’espère qu’il ne représente pas l’auteur. Je me suis tout de même fait la réflexion que Sansal devait être depuis trop longtemps entouré d'une cour de flatteurs trop empressés à s'esclaffer de ses moindres mots. Mais qu'en sais-je? Et qu'importe d'ailleurs, ce temps est loin hélas et je remettrais bien volontiers Sansal parmi ses admirateurs mais là, le livre au si bon sujet m'ennuyait au lieu de me passionner. Et c'est ainsi que j'avais abandonné ma lecture, plutôt agacée qu'autre chose par ce gâchis.

Mais j'ai déjà vendu la mèche, je suis revenue. Pas tant par attirance que par une sorte de "sens du devoir". Pennac a beau dire, il y a des lectures qu'on n'a pas vraiment le droit d'abandonner.

Et le temps avait passé. De -780, nous étions passés à -365, j'avais fait mon deuil du chef-d’œuvre de SF espéré et j'étais prête à me contenter de bien moins, peut-être aussi que je m'étais habituée, peut-être que de son coté, l'auteur avait usé le plus gros de son stock de traits d'esprit et commençait à se calmer, je ne sais, mais au final, la fin du livre s'est mieux passée. Bon, il a quand même éludé tout le socio-politique, il est resté dans le flou quant aux critères de choix et a fait abstraction de deux ou trois continents, bref, raté au niveau SF. Mais, il y a quand même eu des moments plus intéressants où j'ai retrouvé le Boualem Sansal que j'aime..

"... l'humanité est entrée dans un temps inversé dans lequel l'intelligence, les sciences et les arts, se développent dans les mémoires vives des ordinateurs pendant que l'ignorance et la bêtise s'agitent pompeusement dans les cerveaux stériles des hommes. Entre les deux, il y a encore des passeurs, des traducteurs, des défenseurs des droits humains, et plein d'invisibles agents de service chargés des utilités, mais arrive le jour, pas si loin, où les machines devenues quantiques n'auront plus besoin des hommes, pas même pour leur brosser les câbles, déboucher les grilles de ventilation, les épouiller, les débarrasser de leurs virus, les rafraîchir. Et, comme allant de soi, une fois abrités dans leurs blockhaus aseptisés, ils ne se laisseront plus approcher…"

L’IA m’intéresse et je me demande moi aussi si ça va se passer comme ça.

Bref, sûrement pas le meilleur Sansal, mais à lire quand même en espérant qu'il recouvre très bientôt la liberté, la sécurité et son stylo. Le monde a besoin d'écrivains.

21 novembre 2024

 Depuis le 16 Novembre, date de son arrestation à l'aéroport.


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 Depuis le 16 Novembre, date de son arrestation à l'aéroport.


14 février 2021


2084 - La fin du monde  

de Boualem Sansal

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Protégeons notre langue et notre liberté !

Certains disent que ce roman n'est pas facile à lire, et je pense que c'est vrai. C'est qu'il faut accepter dès le départ de se plier au style et à l'optique choisis par l'auteur. Il a pris le chemin du conte, pas celui du roman de SF comme le fit son prédécesseur. Et ensuite, il s'agit d'un conteur africain. La concision n'est pas leur maître. Ils se régalent de leurs propres mots, de leurs images, de leurs scènes, les développent en poésie, les tournent sous nos yeux pour en examiner les différentes faces... Le plaisir est dans les mots autant que dans le message et le fait que le message soit clair, net et moderne, ne doit pas nous le faire oublier.

Sur ce roman, le titre 2084 désigne l'année de la naissance du nouveau monde que nous allons découvrir dans les pages suivantes. Bien sûr, il établit également un lien avec le chef d’œuvre de Georges Orwell. Les clins d'œil se multiplieront d'ailleurs en cours de récit comme l’ineffable "bigaye", tandis que la trame est nettement calquée : Abi comme Big Brother a créé le dogme, les portraits omniprésents mais imprécis, la novlang etc. Je ne vais pas tout énumérer mais il faut avoir une mémoire encore assez bonne de l’œuvre d'Orwell pour bien goûter toutes les finesses de Sansal. Si ce n'est pas votre cas, cela ne vous empêchera pas de prendre plaisir à ce nouveau roman, mais il en sera moins riche, dommage. Allez hop ! On relit George. Ça ne peut pas faire de mal. Et comme il faudrait des pages pour tout dire de ce roman, je ne vais examiner qu'une face : Orwell avait écrit 1984 pour alerter sur les dérives totalitaires staliniennes que ses frottement avec le parti communiste, notamment en Espagne, lui avaient permis de bien voir. Sansal écrit "2084" pour alerter sur les dérives totalitaires religieuses que ses frottements avec le pouvoir algérien lui ont permis de bien voir. C'est la religion qu'il dénonce, surtout quand elle s'impose au plus intime des vies de chacun, puis de tous, quand elle s'impose du plus intime au plus général, modifiant les lois et même la langue, comme chez Orwell. Aussi vous ai-je réuni un petit florilège: 

"On le formerait dès la prime enfance et, avant que la puberté pointe à l'horizon et révèle crûment les vraies vérités de la condition humaine, il serait devenu un parfait croyant, incapable d'imaginer qu'il put exister une autre façon d'être dans la vie."


"Et comment aller contre son éducation de croyant soumis, pas un fidèle ne savait le faire."

"… l'abilang n'était pas une langue de communication comme les autres puisque les mots qui connectaient les gens passaient par le module de la religion, qui les vidait de leur sens intrinsèque et les chargeait d'un sens infiniment bouleversant, la parole de Yolah..." (on pense à l'arabe)

(l'abilang) "Elle ne parlait pas à l'esprit, elle le désintégrait, et de ce qu'il restait (un précipité visqueux) elle faisait de bons croyants amorphes ou d'absurdes homoncules."


"C'est son regard qui attira celui d'Ati, c'était le regard d'un homme qui, comme lui, avait fait la perturbante découverte que la religion peut se bâtir sur le contraire de la vérité et devenir de ce fait la gardienne acharnée du mensonge originel."


"Ceux qui ont tué la liberté ne savaient pas ce qu'est la liberté, en vérité ils sont moins libres que les gens qu'ils bâillonnent et font disparaître..."


"L'ignorance domine le monde. Elle est arrivée au stade où elle sait, tout, peut tout, veut tout."

En bref : 

"La religion, c'est vraiment le remède qui tue."


978-2072713989

09 décembre 2020

  Le train d'Erlingen ou La métamorphose de Dieu 

de Boualem Sansal

****+


 Ce livre de Boualem Sansal est un cri d'alarme et je me demande s'il sera entendu. Je suis assez pessimiste quand je vois tout le monde faire comme si de rien n'était. Ce roman ne semble pas avoir été l'électrochoc qu'il faudrait et que l'auteur sans doute, espérait. Je pense que c'est parce qu'il n'a pas été assez "ressenti". Il aurait peut-être fallu du premier degré, de l'épidermique. Nous sommes dans le cérébral, le réfléchi. Ça fera moins de bruit.
  
   Un prologue, deux parties, chacune suivie de plusieurs notes de lecture, un épilogue, un post-scriptum. Cela fait beaucoup me direz-vous. En effet, mais cette construction est habile et sert bien son but. "La construction du roman s'éloigne notablement des cadres habituels de la narration romanesque et peut dérouter, mais ainsi est le chemin de la vérité, bien fait pour nous perdre."
  
   Après donc, un court prologue pour nous mettre en condition, la première partie, "la réalité de la métamorphose", nous conte ce qu'il advint de Ute Von Ebert, richissime héritière et femme d'affaire, habitant Erlingen, charmant village de Bavière. Enfin, en temps normal. Mais justement, rien n'est normal au moment où nous la découvrons. Un ennemi étrange, mal identifié (l'a-t-on même vu?) envahit tout le pays, peut-être même l'Europe. Le monde ? On ne sait. Les informations manquent presque totalement. Il gagne du terrain par encerclement, étouffement, pourrait-on même dire. On imagine tout, on ne sait rien, il est partout une fois passé les limites du village et l'on ignore quelles sont ses intentions exactes. Pourtant, tout le monde pense avoir compris qu'il n'aura de cesse d'avoir étendu son contrôle à la totalité du territoire. Le pouvoir officiel est d'autant plus totalement désarmé face à ce nouveau mode d'agression, qu'il est miné par la corruption et le seul culte de l’intérêt personnel. Par sa fortune et son caractère, Ute Von Ebert, malgré son âge avancé, est aux première loges et, en partie, aux commandes de ce qui se joue. Le lecteur surpris de découvrir ce monde étrange, apprend tout cela par les lettres qu'Ute écrit à sa fille Hannah, vivant à Londres, bien qu'elle ne puisse les lui envoyer, tout contact avec l'extérieur étant rompu.
  
   La seconde partie, "la métamorphose de la réalité", nous fait découvrir une histoire bien différente. Léa, qui vit à Londres, vient d'apprendre l'agression très grave dont sa mère a été victime dans le métro parisien et qui met sa vie en danger. Elisabeth Potier est maintenant dans le coma. Elle est une prof d'allemand qui agrémente sa retraite en étant préceptrice d'une petite Allemande que sa famille richissime ne sait pas éduquer. Elle vit dans une cité où elle a vu les islamistes imposer leur loi et leurs règles et où les libertés ne sont plus du tout respectées, toute désobéissance aux dictats extrémistes exposant à de graves dangers. Face à cette situation, ni la police, ni l'état français ne font rien, se limitant au contraire à minimiser tout ce qui s'y passe. Pris entre des voyous qui imposent et interdisent ce que bon leur semble et une police qui nie le problème, les citoyens n'ont que le choix entre la soumission (bonjour, M. H.) et la fuite. Elisabeth n'était pas encore partie...
  
   Nous découvrirons peu à peu les liens entre les deux histoires et aurons à y réfléchir.
  
   Il me semble plus juste de dire que ce roman est "complexe", plutôt que "difficile". Car qu'y aurait-il de difficile ? Vous lisez les deux parties comme on vous les raconte, chose que vous n'aurez aucun mal à faire. Et tout le monde est en mesure de comprendre les deux histoires. La complexité, c'est d'être capable de saisir toutes les implications, les réflexions qui en découlent. Là, chacun fera selon ses moyens et de toute façon, tout le monde progressera par cette lecture que je vous conseille vivement.
  
   "Il ne s'agit pas de combattre un ennemi mais de démonter une fantasmagorie dont nous ne voyons que la partie émergée, que l'on découvre si profondément enfouie dans son inconscient que l'on voudrait plutôt l'aider à s'en guérir qu'à la combattre. Il saute vite aux yeux que l'outil de démontage ne peut être qu’une autre fantasmagorie aussi puissante. Qui va l'inventer, qui saura la manipuler ? Des penseur des l’extrême peut-être, des contre-prophètes si le moule qui les fabrique existe."



978-2072798399