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03 novembre 2025

La Montagne magique 

de Thomas Mann

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978-2253237594


La montagne était magique, magique aussi le séjour au sanatorium entre vie et mort, hors du monde qui basculait dans la Grande Boucherie, et magicien, l’auteur.

Hans Castorp se tient en équilibre à son sommet. C’est un tout jeune adulte qui vient d’obtenir son diplôme d’ingénieur et qui est sur le point de commencer sa carrière dans l’entreprise d’un ami de la famille. Commencer sa carrière, commencer sa vie … mais sa carrière, il ne l’a pas choisie par intérêt réel, plutôt un concours de circonstances, et puis, il en faut bien une. De même sa vie, bientôt, on lui trouvera une fiancée. Il se contente de suivre son cours et pourtant, quelque chose le trouble. Il sent, sans parvenir à identifier le problème, que quelque chose ne tourne pas exactement rond. Mais quoi ?

Il y a des œuvres littéraires, comme celle-ci que leur réputation précède de très loin et dont on a entendu parler de tout temps semble-t-il, au moins depuis qu’on s’intéresse aux livres, et bien avant qu’éventuellement, on s’aventure à les lire ; il en est ainsi de La Montagne magique. Tout impressionne dans ce bouquin, sa réputation, mondiale, colossale, son auteur, Prix Nobel, carrière internationale bien avant la mondialisation, et même son ampleur : 1133 pages dans la version poche que j’ai lue. Tout cela a de quoi vous fasciner, vous attirer, mais aussi, vous tenir à l’écart. Et à l’écart, je m’en suis bien tenue pendant quelques décennies… 

Seulement voilà, tout à fait indépendamment, il se trouve que j’adore toutes les histoires qui se déroulent dans un microcosme, hôtel, pension de famille, sanatorium, etc. Il se trouve aussi que j'ai lu l’excellent Banquet des Empouses d’Olga Tokarczuk  qui est un immense clin d’œil à la Montagne magique, et que cela m’amène à me dire encore une fois, qu’il est bien dommage que je n’aie toujours pas lu l’original… mais je n’ose toujours pas. Mais peu auparavant, Le Magicien de Colm Tóibín était sorti en format poche. 672 pages, un gros livre là encore, mais d’un accès facile et qui se dévore, alors je l’ai lu  et une fois terminé, il m’a semblé que Thomas Mann n’était plus le monstre sacré inaccessible qu’il était avant. Il m’a semblé que je pouvais, au moins partiellement, le comprendre. L’homme, du moins, alors son œuvre… qui sait ? Et c’est là que je me suis souvenu comment je lisais les gros ouvrages rébarbatifs au temps lointain de mes études : dose quotidienne obligatoire sans aucune exception entourée de lectures plus récréatives. La Montagne étant toujours aussi impressionnante, alors j’ai fixé la dose quotidienne très bas : 15 à 20 pages. Et pour la récréation, ça a été Le journal d’un assaSynth

Avouez que je ne risquais pas de confondre.

Et j’ai lu.

Longtemps.

Sans jamais déroger. Et j’y ai pris du plaisir, et de l’ennui aussi. Parfois, c'est très long (les disputes de Settembrini et Naphta!). D’innombrables scènes se sont gravées dans ma mémoire, les tables du réfectoire, les radiographies, les excursions en carriole, le pantalon jaune de Settembrini, l’impuissance niée des médecins, la sottise des uns, la méchanceté des autres (mais souvent les mêmes), la misère des rôles sociaux (le soldat, l’ingénieur), les rapport de richesse (en avoir ou pas), les séances de spiritisme, les vieilles luttes inépuisables entre la droite et la gauche, le duel etc. etc. La Montagne magique, c’est tellement de choses! Thomas Mann a réussi à tant y mettre ! A parler de tout, mais sans en parler. Tout est allusion, tours de passe-passe est transpositions dans ce roman. Le Magicien montre en cachant. Comme l’épouse qui avait amené T. Mann a séjourner dans un sanatorium, a été transposée en cousin (changement de sexe),sans doute la captivante Madame Chauchat n’a-t-elle pas été inspirée par une belle dame… et quand Settembrini intime à son élève de ne jamais céder à son goût pour le «charme oriental passif» et de lutter au contraire contre ce penchant découvert au lycée, sans doute n'évoque-t-il pas seulement l’indolence, les yeux en amande et les pommettes hautes des deux séducteurs.

L'éditeur a beaucoup fait mousser sa nouvelle traduction de Claire de Oliveira qui serait bien meilleure que celle de Maurice Betz qui datait de 1931. Il se trouve que je disposais des deux versions et que je me suis souvent amusée à comparer des passages de l'un et de l'autre et il se trouve aussi que j'ai bien aimé les deux. Je ne suis pas tombée sur de grosses différences et c'est tant mieux, on part tout de même du même texte. Je trouvais parfois l'une plus habile que l'autre, mais ce n'était pas toujours la même. Toutefois, cette modernisation a eu le mérite de remettre ce chef-d’œuvre sur le devant de la scène. Tant mieux.



 

05 août 2025

Le Magicien

de Colm Tóibín

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978-2246828259

Bien que romancée, ce qui permet d'assister à des scènes, de lire des dialogues et d'avoir entre les mains un récit extrêmement vivant et captivant, c'est bien une biographie que nous avons là, et une excellente. Elle retrace en détail et avec beaucoup de finesse psychologique, la vie du Prix Nobel de littérature que fut Thomas Mann. Elle est reconnue pour être exacte à part peut-être quelques erreurs de date (j’en ai relevé une) mais ne tirant pas à conséquence. C’est en tout cas une excellente façon de faire connaissance avec ce maître de la littérature allemande. Pour tout vous dire, une fois ce livre lu, je me suis enfin décidée à lire « La montagne magique » sur laquelle je lorgnais depuis des années sans me décider. Et j’ai eu raison car maintenant, le retrouver tous les jours est un vrai plaisir et non pas la lecture difficile que je craignais. Bref, aujourd’hui, je parle du Magicien. D’abord, pour information, pas seulement inspiré par le titre de son chef-d'œuvre, le titre vient du surnom attribué à Thomas Mann car, non content d’être un magicien des mots et des phrases, c’était aussi un père de famille qui aimait amuser ses enfants de ses tours de prestidigitation. Ils furent les premiers à l’appeler ainsi.

Nous allons donc suivre Thomas Mann de son enfance privilégiée de fils de notable (père sénateur) à sa mort, riche mais expatrié en Suisse, après une vie bien remplie qui connut deux guerres mondiales auxquelles ils fut même mêlé. Le T. Mann qui démarra la guerre de 14, non enrôlé mais acquis aux idées de son empereur, était bien différent de celui qui mourut à 80 ans, en 1955 en refusant de retourner vivre dans une Allemagne où il ne voyait plus que des complices d’un crime contre l’humanité.

Il obtint le Prix Nobel de littérature en 1929 ; il avait alors 54 ans et il ne bouda pas son plaisir, jouissant pleinement de son succès et de sa richesse. On doit avouer qu’il était plutôt snob et n’avait aucune pensée pour les démunis. Il ne voyait ni la misère autour de lui, ni les mouvements de contestation qui s’amplifiaient. Fin explorateur de l’individu, les faits de société lui échappaient eux, totalement. Cela lui sera reproché. Mais à cette époque, il donnait de nombreuses conférences partout, qui plaisaient beaucoup et il était enchanté de la vie qu’il menait. C’était une période durant laquelle il ne vit même pas monter le nazisme, lui dont l’épouse était d’origine juive. Mais quand il le vit enfin, il opta immédiatement pour un refus complet. Position dont il ne varia jamais et qui entraînera sa fuite en Suisse puis aux USA avec sa famille. A ce moment-là, les États Unis n’avaient pas encore déclaré la guerre à l’Allemagne et il était même loin d’être sûr qu’ils le feraient. L’opinion publique y était plutôt hostile, ainsi qu’à l’accueil des réfugiés. C’est dire. Mais finalement, cela se fit et Thomas Mann (envisagé par les Américains comme pouvant devenir numéro 1 après l’écrasement du nazisme) pensait que « L’Allemagne devait impérativement être vaincue et forcée à reconnaître ses crimes. Ceux qui avaient occupé le moindre poste de responsabilité allaient devoir etre jugés. Le pays lui-même était déjà en ruine »

A ce moment-là T. Mann ne s’y sentait plus chez lui. Il ne voulut jamais s’y réinstaller. Il ne pouvait oublier que tous ceux qu’il y voyait avaient bon gré, mal gré participé à tout cela et il ne pouvait plus s’y sentir à l’aise. Les USA le fatiguaient aussi, le vent ayant tourné avec la mort de Roosevelt, et c’est en Suisse que le Magicien a finalement choisi de finir ses jours avec ce qui restait de sa famille.

Je m’aperçois avec surprise que j’ai résumé sa vie à très grand traits sans évoquer du tout son homosexualité refoulée. Pourtant, impossible de comprendre son œuvre sans avoir cela à l’esprit. Toibin en parle très bien.

Conclusion : La courte biographie que je viens de vous tracer ne vous dispense pas de lire « Le Magicien » de Colm Tóibín car ce n’en est que le large canevas vidé de sa chair. Ce livre vous offre bien plus, une ambiance, des scènes, des dialogues qui vous permettent de vivre une période hautement historique en compagnie de tous ces personnages pendant les quelques jours que durera votre lecture, et d’en garder un souvenir satisfait. 600 pages qui se lisent avec facilité et sans ennui. Une totale réussite selon moi.


   
608p