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19 novembre 2023

Mourir avant que d'apparaître

de Rémi David

****+


Quatrième de couverture:

"Lorsque Jean Genet rencontre Abdallah, qui sera un jour la figure centrale de son magnifique texte Le Funambule, le jeune homme a dix-huit ans à peine et vit à Paris. Genet, à quarante-quatre ans, est déjà un écrivain consacré. Il est aussitôt ébloui par le charme de cet acrobate, qui a travaillé plusieurs années au cirque Pinder. Il entreprend le projet fou de le hisser jusqu'à la gloire : son agilité, son expérience du cirque devraient lui permettre de devenir un artiste hors pair"

Nous avons là un "docu-roman" que pour ma part, j'ai trouvé passionnant car, si Rémi David a bien dû inventer un peu, imaginer, supposer, deviner... il s'est surtout appuyé sur une documentation extrêmement sérieuse et précise pour rédiger cet ouvrage.

« Si le texte met en scène des personnages ayant réellement existé, s’appuie sur des témoignages, s’inspire d’une histoire vraie, il offre de cette histoire une réécriture qui ne s’interdit ni de combler par la fiction les silences des biographies en inventant certaines scènes manquantes, ni de prendre des libertés avec les faits en faisant par exemple prononcer par Genet des paroles qu’il a en réalité écrites. C’est donc une interprétation qui est livrée ici et qui ne saurait prétendre au mieux qu’à la vérisimilitude. »

Dans la France des années cinquante, avec en arrière-plan envahissant la guerre d'Algérie, par le plus grand des hasards, Jean Genet rencontre Abdallah ; et Genet crée et tombe amoureux du jeune homme et de ce qu'il peut en faire. Les grands créateurs créent tout le temps et ne s'intéressent vraiment qu'à la création. Impossible pour Genet d'aimer Abdallah sans créer quelque chose avec lui. Impossible de l'aimer encore quand plus rien ne se crée. La relation est dangereuse pour Abdallah, mais formidablement enrichissante aussi. « Si vous pensez que l'aventure est dangereuse, essayez la routine, elle est mortelle. » disait Paulo Coelho. Je trouve que les remarques que je lis ici ou là sur la toxicité de Genet n'ont pas de sens. Il prend beaucoup et donne énormément. Imaginez la vie de l’analphabète Abdallah s'il n'avait pas rencontré Genet et dites-moi s'il a quelque chose à regretter. Une relation toxique est une relation qui vampirise, qui prend sans donner, qui enlève mais n'apporte rien. On en est bien loin. C'est d'autre chose qu'il s'agit ici et ce livre est d’une justesse remarquable et se garde bien de juger, surtout avec des critères de comportement moyen. Il n'y a rien à juger, juste à voir et essayer de comprendre. Et on sent la parfaite objectivité et excellente compréhension de la part de l'auteur.

Cette période avec Abdallah  inspirera à Genet un très beau texte "Le funambule" que Rémi David utilise avec art dans ce roman.

J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre et je le recommande chaudement à ceux que la littérature, la prise de risque  et la création intéressent.

Extrait : 

"Quand un objet, un événement, un art ou une personne l'intéressait, Genet s'y engouffrait alors à corps perdu. Il écrivit des textes d'une très grande justesse sur la peinture, sur Rembrandt, sur la sculpture, sur Giacometti, sans rien connaître à la peinture, pas plus qu'à la sculpture avant de s'y jeter de tout son être. Il avait une curiosité qui se nourrissait du hasard et s'exprimait dans la rencontre. Tout pouvait se faire, pour lui, objet de curiosité.

Ce fut le cas du fil.

Genet, pour entraîner Abdallah, l'avait fait dévaler une montagne en skiant, puis pagayer en canoé avant de lui faire nager le crawl dans une piscine. Il devait éprouver des sensations de glisse pour comprendre réellement que l'air était solide et qu'il était possible de prendre appui sur lui. L'enseignement de Genet se faisait dans l'action. C'était un homme d'action; il bougeait tout le temps d'une ville à une autre, d'un hotel à un autre, d'un projet à un autre, d'un pays à un autre, il gigotait sans cesse. C'était donc par l'action qu'il formerait celui qu'il aimait à marcher sur le fil."

978-2072967108