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16 novembre 2022

La ligne de nage 

de Julie Otsuka

****


De  Julie Otsuka, j'avais déjà lu "Certaines n'avaient jamais vu la mer" que j'avais beaucoup aimé et qui m'avait fait découvrir une page de l'histoire des USA que j'ignorais totalement, à savoir  la déportation et l'incarcération d'environ 120 000 civils ressortissants japonais et américains d'origine japonaise dans des camps pendant la seconde guerre mondiale. Cette page noire de leur histoire a traumatisé la famille de l'auteur et on la retrouve évoquée ici, Alice, la grand-mère l'ayant vécue. On retrouve ici le même style d'écriture, la même façon de raconter que dans le précédent. Comme je l'avais beaucoup apprécié, j'ai été contente qu'on me raconte une nouvelle histoire de cette façon calme, faite de petites touches impressionnistes.

Ce roman est divisé (assez abruptement, je trouve) en deux parties que l'on ne peut pas relier, si ce n'est par la présence d'Alice. La première partie nous présente la piscine en sous-sol qu'elle fréquente et les autres usagers réguliers de ces bassins. Il s'agit de nageurs quotidiens pour qui cette parenthèse aquatique (placentaire) est extrêmement importante. Elle est un des piliers de leurs journées. Pour les désigner, l'auteur dit "nous". Après des centaines et des milliers de longueurs de bassin, voilà qu'une fissure apparaît au fond de la piscine. Fine, mais qui s'avère irréparable. D'autres apparaissent bientôt, et l'inconcevable a lieu: Il faut fermer définitivement la piscine. La seconde partie nous présente à nouveau Alice, que nous avions aperçue à la piscine. Tout le monde avait remarqué, ses absences, ses erreurs et ses oublis et y palliait avec bienveillance, mais voilà que le phénomène s'est aggravé et que notre Alice de plus en plus désorientée, doit rejoindre un établissement spécialisé. Le récit est fait par sa fille.

Comme on le voit, la première partie était à la fois un élément important de la vie d'Alice et la métaphore de ce qui se passait. Les fissures dans la piscine font écho à celles qui détruisent sa mémoire et son autonomie. C'est un récit lent mais sans ennui grâce au découpage en courtes touches. On éprouve de la fascination pour cette narration sinueuse qui saute de l'un à l'autre. un récit non dénué d'humour et sans jugement ni analyse, mais cependant profond en ce qu'il voit tout ce qu’il faut voir, et rien que cela. Une lecture paisible qui parle de destruction et de mort. L'oxymore ne serait-il qu'apparent?

978-2072958588


11 juillet 2021

 

Certaines n'avaient jamais vu la mer 

Julie Otsuka

****+


Titre original : “The Buddha in the Attic”

PEN/Faulkner Award for fiction 2011

Je me plaignais un peu de l'écriture conventionnelle de J.M Guenassia lu juste avant ce roman-ci, eh bien c'est comme si j'avais été entendue, car la façon dont Julie Otsuka a écrit son livre est tout à fait originale et remarquable. D'autant que je ne suis pas non plus une styliste absolue, l'effet de style pour l'effet de style me lasse assez vite et je n'ai jamais réussi à m'intéresser profondément à l'écriture à contraintes arbitraires, mais là... là nous avons la découverte d'une forme originale parfaite pour soutenir le fond même du récit. Une interaction perpétuelle et perpétuellement bénéfique de la forme et du fond. Une vraie réussite.

Le narrateur est «NOUS», et ce «NOUS» désigne des femmes japonaises « importées » pour mariage par des hommes japonais immigrés aux Etats Unis. Evidemment dans leurs lettres, présentées par les marieuses, ils se disent tous jeunes et riches et promettent tous une vie de rêve à leurs promises. Evidemment, sur les photos qui les accompagnent, ils sont tous beaux ou au moins acceptables et posent devant de belles maisons ou des voitures… qu’ils disent leur appartenir.

« Car si nos maris nous avaient dit la vérité dans leurs lettres – qu’ils n’étaient pas négociants en soieries mais cueillaient des fruits, qu’ils ne vivaient pas dans de vastes demeures aux pièces nombreuses mais des tentes, des granges, voire des champs, à la belle étoile- jamais nous ne serions venues en Amérique accomplir une besogne qu’aucun Américain qui se respecte n’eût acceptée. »

De leur côté, les jeunes femmes, se disent toutes vierges (et le sont le plus souvent) et espèrent obtenir une vie moins rude en échange de leur expatriation et de la perte de leurs familles.

Tous les chapitres racontés par «NOUS», nous font voir, dans l’ordre où elles l’ont-elles-mêmes découvert, les diverses étapes de cette émigration et de cette adaptation à cet homme et à ce monde si nouveau, depuis le voyage en bateau jusqu’à l’intégration, puis son échec, en passant par la découverte le plus souvent catastrophée des vrais époux sur le quai. Ce récit est parsemé de phrases en italique qui sont ce que l’on pouvait entendre parmi les «NOUS», révélant chaque fois des histoires personnelles, le «NOUS» étant constitué de nombreuses entités individuelles ayant une existence, des désirs et des traumatismes propres.

Le «NOUS» tient à ce que, globalement, et si on néglige les détails des modalités, elles ont toutes la même vie : nées au Japon, « importées » aux USA, mariées à des Japonais, vivant une existence rude, portant, donnant le jour puis éduquant des enfants (« Ils ») qui eux, se sentiront plus américains que japonais et auront honte d’elles, mais qui n’en auront pas pour autant une intégration facile. Le «Nous» permet de dire comment toutes ces vies uniques et qui semblent liées à des évènements très personnels ne sont en fait que des variations secondaires sur une trame tissée d’avance pour tous.

Et puis la guerre! Le Japon bombarde Pearl Harbour et rien ne va plus.

Jusqu'au dernier chapitre, peut-être même dernier paragraphe, j'ai cru que j'allais mettre 5 étoiles pour exprimer mon sentiment pour ce livre si habilement écrit, mais voilà qu'à ce dernier chapitre le «NOUS» change de porteur et ne désigne plus les Japonais mais les Américains et à ce titre ne peut nous dire que leur ignorance de ce que sont devenus les premiers! Nous laissant là, aussi ignorants qu'eux alors qu'il aurait été facile à l'auteur de nous le dire. Pour cette énorme frustration finale (aggravée par le sentiment qu'elle ne se justifiait en rien), j'en veux beaucoup à l'auteur, et c'est bien dommage car je m'étais régalée jusque là. Julie Otsuka a déjà écrit un roman sur ce qui, justement, est arrivé aux Japonais d’Amérique, et que ses grands parents ont vécu ( « Quand l'empereur était un dieu »). Je pense que c’est pour éviter de raconter la même histoire qu’elle n’a pas voulu être plus explicite dans ce roman-ci, mais je trouve quand même qu’elle ne l’a pas été assez. A part cela, une vraie réussite, lisez-le!

Julie Otsuka qui avait laissé passer 9 ans entre ses deux premiers romans nous fera attendre plus encore pour le troisième (2022)

978-2264060532