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23 février 2023

Sur les chemins noirs

de Sylvain Tesson

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Est-il besoin de rappeler les faits? Sylvain Tesson étant tombé d'un toit, a cassé en lui un certain nombre de choses auxquelles il n'avait pas été suffisamment conscient de tenir autant. Ayant failli ne plus jamais marcher, il décide au contraire de marcher beaucoup et par des chemins que seules les cartes IGN les plus précises indiquent. L'idée lui en était venue alors qu'il était encore hospitalisé : "Un des lointains premiers ministres de la Vè République (Jean-Marc Ayrault - période Anatole-France) avait commandé en son temps un rapport sur l'aménagement des campagnes françaises. Le texte avait été publié sous le mandat d'un autre ministre (Manuel Valls - période Offenbach) et sous le titre "Hyper-ruralité". Une batterie d'experts, c'est à dire de spécialistes de l'invérifiable, y jugeait qu'une trentaine de départements français appartenait à "l'hyper-ruralité". pour eux, la ruralité n'était pas une grâce mais une malédiction: le rapport déplorait l'arriération de ces territoires qui échappaient au numérique, qui n'étaient pas assez desservis par le réseau routier, pas assez urbanisés, ou qui se trouvaient privés de grands commerces et d'accès aux administrations. Ce que nous autres, pauvres cloches romantiques, tenions pour une clé du paradis sur terre - l'ensauvagement, la préservation, l'isolement - était considéré dans ces pages comme des catégories du sous-développement. (...) Le texte était illustré de cartes. Les départements hyper-ruraux (...) occupaient une large zone noire. (...) A l’hôpital, rivé au banc de peine, contemplant ces cartes, il m'avait été facile d'imaginer l'itinéraire."

Cet extrait aura l'avantage de présenter la genèse de l'aventure et, pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, le style d'écriture de l'auteur. Le style est important. On va au train de marcheur, c'est lent, joliment dit, les considérations diverses sur le monde tel qu'il va s'invitent volontiers, les citations et doctes références abondent. Si vous n'aimez pas, passez tout de suite votre chemin (c'est le cas de le dire). Moi, j'aime bien, de temps en temps. Et j'ai donc suivi notre valeureux marcheur. Je marchais à son pas, lisant une étape ou deux chaque jour, pas plus, ce qui renforçait l'illusion de cheminer avec lui et je dois dire que je n'ai jamais rechigné à reprendre les godillots, ce qui est signe d'intérêt, mais pas davantage à me déchausser, ce qui n'est pas signe de passion.

Mais moi,  je suis hyper pragmatique, et au fond, ce qui m'a manqué, c'est la vraisemblance. Quand on relève de multiples fractures et qu'on entreprend une marche de plusieurs centaines de kilomètres au sortir de rééducation, je ne peux pas croire que les détails techniques soient secondaires. Dormir à la belle étoile, c'est bien. Oui, mais couché sur quoi? Parce que sur un simple tapis de sol c'est ne pas être sûr de pouvoir se relever le lendemain, et sur une couche plus confortable, c'est avoir à régler le problème des charges à porter. Idem pour le ravitaillement sur plusieurs jours, se régaler des mûres des ronciers, c'est joli à raconter, mais ça ne tient guère au corps, pique-niquer, c'est mieux, mais nous ramène au problème du transport. L’intendance est le nerf de la guerre. Bien sûr que Tesson a souffert et qu'il a parfois dû lui être bien difficile de se déplier au matin; bien sûr qu'il  a eu tous ces problèmes, et bien sûr qu'il les a réglés d'une façon ou d'une autre, mais en ne les évoquant même pas, il nous maintient à distance et à mon sens, limite notre empathie, c'est la faiblesse de cet ouvrage. Il nous offre les paysages et la belle histoire courageuse qu'on pouvait espérer, mais ça manque de tripes. Il fait des phrases, se cache derrière, et ne se laisse ni approcher, ni voir. On n'a droit qu'à son personnage.

Mais c'était un beau voyage.

978-2072823428