27 mars 2022

 Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie

Nick Flynn

***+


Titre original : Another Bullshit Night in Suck City

Le social, sans fard

Après avoir lu « Contes à rebours » et l'avoir beaucoup apprécié, je me devais de découvrir ce premier roman au titre si percutant. Ici encore, il s'agit d’une quasi autobiographie, mais elle couvre la période qui a précédé celle décrite dans « Contes à rebours ». Il s'agit de la jeunesse de l'auteur.

Nick Flynn a été élevé par sa mère. Séparé de son père, un escroc alcoolique, soit en vadrouille, soit en prison. C'est donc sans père qu'il est devenu un homme. A 27 ans, au moment dépeint par ce livre, il est en bonne voie de devenir lui-même alcoolique, mais pas escroc. Bien au contraire, il travaille pendant son temps libre dans un refuge pour SDF et c'est sans dégoût ni mépris qu'il traite ces laissés pour compte bien souvent crasseux, agressifs, malades mentaux etc. On est dans la vraie vie, et bien loin du clochard philosophe des romans. L'auteur témoigne d'une bienveillance aussi profonde et sincère que sans illusion, face à ces épaves qu'il côtoie, dont il s'occupe, qu'il douche, dont il n'exclut même pas de faire partie un jour. Il ramasse les clochards, dans la rue, les amène à l'asile, y fait des gardes etc. et lors d'une nuit au refuge, "il arrive que tout se passe bien, mais c'est rare."

En dehors de ce travail, Flynn étudie et écrit des poèmes. Un jour, un SDF particulièrement instable, violent et agressif débarque au refuge... et c'est le père de l'auteur. Qui voit ainsi ce qu'il est devenu et qui fait le point sur sa relation réelle ou fantasmée à son père, et sur sa propre évolution. Cette confrontation sera rude, mais permettra à N. Flynn de réaliser qu'il lui faut se désintoxiquer et lui donnera la force de le faire.

C'est un récit où tout est dit avec franchise, sans dissimulation et plutôt crûment comme savent souvent le faire les Américains. C'est le portrait des dessous d'une mégapole (Boston) et aussi de ce qu'est une société humaine du tout bas de l'échelle sociale. C'est également le récit d'un garçon dont le père est une épave nuisible, qui "avance vers la vieillesse" et qui -un comble pour un fils lui-même auteur!- se présente comme écrivain, auteur d'un livre génial, que personne n'a jamais lu...

Mais ce père, n'est-il pas la face affreuse de son propre possible échec ? Flynn doit surmonter tout cela pour parvenir à se construire. Cela ne se termine pas en happy end rose bonbon, mais tout de même sur une progression et un message d'espoir. C'était une étape difficile mais nécessaire et Flynn pourra poursuivre sa vie d'homme dont il nous parle dans deux autres livres :

The Ticking Is the Bomb: A Memoir (Contes à rebours) 2010

The Reenactments: A Memoir (Reconstitutions) 2013

« Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie » est un livre poignant, éclairant et passionnant.

Ayant donc, poursuivi sa trajectoire et dépassé – forcément blessé- tous ces obstacles, Nick Flynn a terminé ses études, est devenu lui-même enseignant et a publié. Il est avant tout un poète et auteur de « non-fiction » comme disent les Américains, avec ses trois volumes de mémoires. En tant que poète, il est tout à fait reconnu et a reçu de très nombreux prix.


978-2070773404

22 mars 2022

 Sœur 

d'Abel Quentin

****


Ayant beaucoup apprécié le dernier roman d'Abel Quentin, j'ai voulu savoir ce qu'il avait publié auparavant et c'est ainsi que je me suis retrouvée avec ce livre entre les main. Pourtant, pour dire vrai, le sujet ne me tentait guère : comment des jeunes et spécialement ici des jeunes filles se retrouvent à choisir de se voiler, de partir en Syrie ou même de commettre un attentat. Ce n'était pas quelque chose dont j'avais vraiment envie qu'on me parle, mais je voulais encore davantage voir ce qu'il en était du premier roman de cet auteur. Alors, je me suis lancée.

Jenny a quinze, elle est fille unique et n'aime pas ses parents pourtant plutôt accommodants et qui lui assurent une vie confortable. Elle n'a ni beauté, ni charisme, ni gentillesse et fatalement, ses relations avec ses camarades de collège sont mauvaises. Une belle crise d'adolescence, quoi. Le monde est injuste, personne ne la comprend, les garçons ne s'intéressent pas à elle, elle rejette l'aide des adultes et tout va très mal dans sa tête jusqu'à ce qu'elle entende enfin une voix amicale et compréhensive, celle de Dounia qui lui donne raison sur tout et, accessoirement, prône un Islam radical. (J'ai beaucoup pensé à la clairvoyante Virginie Despentes disant jadis "Les choses ont changé. A notre époque, si on aimait faire chier le monde, on faisait du X, mais aujourd’hui porter le voile suffit.")

Autour d'elle, la France est celle du moment où le vieux Président prestigieux se voit détrôné par son protégé aux dents longues. Aucun nom n'est donné, mais on a Sarkozy et Chirac en tête. C'est bien rendu. Un peu plan-plan mais sans que cela pose problème car ces chapitres sur le monde politique jouent le rôle de pauses dans le parcours chaotique de notre Jenny devenue Chafia et qui peine à distinguer le Coran des aventures de Harry Potter. Chafia la gamine, et "son ego boursouflé et meurtri", qui se voit "Chafia Al-Faranzi, surgie du néant pour étonner le monde."

Au final, je trouve que c'est un bon roman, qui a eu le courage de s'emparer d'un sujet délicat et difficile et de bien le traiter, mais qui a des problèmes de rythme. Ca ne file pas comme ça devrait. A certains moments, ça freine trop, à d'autres, on a l'impression d'avoir sauté une étape. On voit le gain en maîtrise de l’écrivain entre cette "Sœur" et "Le voyant d'Etampes". Tout de même, cela vaut la lecture et surtout ! l'attente du troisième Abel Quentin...


979-1032905913


17 mars 2022

La tresse 

de Laetitia Colombani

****+


Pas encore lu parce que trop vanté en son temps (chacun sait que ces louanges dithyrambiques ont un effet rebond), ce roman m'a été mis en main quatre ans après sa parution avec obligation de le lire. Bon. Pour être honnête, je n'en attendais pas grand chose. Toujours l'effet rebond. Et effectivement, ça commence un peu moyen. Le nœud de ce roman, est son objet et sa structure et ces deux choses n'en font qu'une, c'est pourquoi je parle de nœud et non de nœuds. Il s'agit bien sûr de la tresse qui sera le point commun à trois histoires de femmes fortes. Ces trois récits s'entrelaceront un brin après l'autre comme s’entrelacent les trois brins de la tresse.

Smita est une Intouchable. On n'imagine pas que de telles conditions de vie puisse encore exister à notre époque. On le découvre, ainsi que la cruauté et l'injustice insensées de la société indienne. Mais Smita ne veut pas que sa fille connaisse le même sort qu'elle. Il est impossible d'y échapper mais elle mettra tout de même leurs deux vies en jeu pour tenter d'y parvenir. C'est elles qui fourniront les cheveux de la tresse postiche.

Giulia est Sicilienne. Active, elle n'envisage pas de mener une vie de femme au foyer mais n'est pourtant pas émancipée de sa famille**6. Elle seconde son père dans son entreprise ancestrale de confection de perruques, mais tout va mal. Le pater familias colérique mais adoré, chef d’entreprise paternaliste, tombe dans le coma et l'entreprise se retrouve sur les épaules de Giulia. C'est elle qui confectionnera la tresse postiche.

Sarah avocate, executive woman de pointe, a réussi à percer le plafond de verre et se retrouve associée dans un cabinet prestigieux. Elle est bien sûr entourée de loups mais elle a toujours vécu ainsi. Il a fallu faire des choix. Cette place, tant convoitée, elle l'a obtenue au prix de tout le reste de sa vie. Quand le cancer frappera, c'est elle qui utilisera la tresse postiche

Cette structure très technique pourrait nuire au naturel du récit et c'est bien ce qui se passe au début. La mise en place des trois récits ne laisse apparaître que des êtres manquant de chair, presque des ébauches. Je soupçonne ceux qui font ce reproche au roman de ne pas avoir lu plus loin, car peu à peu, la chair, le sang, le cœur y viennent et y prennent bel et bien leur place. Au final, on ne peut qu'admirer la maîtrise de l'auteure.

Ce livre est une réussite sur le plan technique, humain et littéraire. Il a su montrer avec une totale vraisemblance, trois mondes totalement différents, trois forces et courages, trois combats et les tresser pour en faire un roman remarquable qui fut couronné de nombreux prix tant en France qu'à l'étranger.


« Smita a déjà entendu ce chiffre, qui la fait frissonner : deux millions de femmes, assassinées dans le pays, chaque année. Deux millions, victimes de la barbarie des hommes, tuées dans l'indifférence générale. Lee monde entier s'en fiche. Le monde les a abandonnées.*

Qui croit-elle donc être, face à cette violence, cette avalanche de haine ? Pense-t-elle pouvoir y échapper ? Se croit-elle plus forte que les autres. »



978-2253906568



12 mars 2022

Là où chantent les écrevisses

de Delia Owens

****


« - Va aussi loin que tu peux. Tout là bas, où on entend le chant des écrevisses. »

« - Ça veut dire aussi loin que tu peux dans la nature, là où les animaux sont encore sauvages, où ils se comportent comme de vrais animaux. »


Très apprécié dans la blogosphère, ce roman nous raconte l'histoire de Cathrine Clark, dite Ria. Au début du récit, elle a six ans et vit avec sa famille dans une cabane misérable dans les marais de Brakley Cove en Caroline du Nord. Le père, raté alcoolique et violent, fait vivre l'enfer à sa femme et ses quatre enfants sans que quiconque ne songe à les aider, si bien qu'ils n'ont d'autre issue que de s'enfuir l'un après l'autre et disparaître. Il ne reste alors plus que la petite fille qui apprend à esquiver les coups et ne mange pas souvent à sa faim. A sept ans, les services sociaux s'aperçoivent que cette enfant devrait être scolarisée et vont la chercher. Ria, passée maîtresse dans l'art de se dissimuler dans les maris, pourraient aisément s'échapper mais se laisse appâter par la promesse d'un bon repas à la cantine. Hélas, elle se heurte dès ce premier jour à la cruauté et au rejet des autres enfants. Ces enfants reproduisent les comportements de leurs parents qui eux aussi, loin d'avoir de la pitié et de désirer aider l'enfant si visiblement en danger, ne pensent qu'à la repousser, la chasser loin du village et de leurs yeux. Elle appartient à « la racaille des marais », ils n'en veulent pas près d'eux. Elle ne restera donc qu'un jour dans cette école. Les services sociaux ne parviendront plus jamais à l'y ramener et ses relations avec les autres humains ne se développeront pas...

« Les gens du bourg l'appelaient « La fille des marais » et colportaient des histoires à son sujet. Venir furtivement jusqu'à sa cabane, courir dans le noir et la barbouiller de graffitis était désormais une tradition, un rite d'initiation pour les garçons qui devenaient des hommes. Ça en disait long sur les hommes... »

Ria grandit donc sans aucune éducation et même, pire encore, sans aucune compagnie. Son père est absent ou dangereux, personne ne vit dans leur environnement. Quand je dis personne, je parle des humains, car s'il n'y a pas d'animal domestique qu'ils seraient incapables de gérer, il y a foule pour ce qui est de la faune sauvage. Ria va donc leur consacrer toute son attention, ainsi qu'au marais lui même et n'apprendra à lire que bien plus tard.

Parallèlement au récit de cette existence difficile qui deviendra vite précieuse au lecteur, d'autres chapitres datés d'une période bien plus récente, racontent la découverte du corps de Chase Andrews, coq vedette du village qui semble être tombé d'une vieille tour. Mais le shérif a un doute : accident ou meurtre ? Il ne peut trouver aucune preuve de meurtre, et pourtant, il est persuadé que s'en est un d'autant que la mère de la victime refuse de croire à une fin si banale. Il insiste donc en fouillant dans ce sens.

Voilà de quoi vous parlera ce roman de tout de même presque 500 pages. Mais le personnage principal, en dehors de Ria, ce sera le marais, sa faune et sa flore, explorés en de très belles pages. On apprend comment vivre en harmonie avec son milieu et non en lutte contre lui pour imposer sa loi. C'est un bon roman, très bien fait et prenant ; et pour ce qui est de la mort de Chase Andrews, vous n'en saurez pas le dernier mot avant la dernière page, comme il se doit dans un bon polar.

978-2757889978



07 mars 2022

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes

de Lionel Shriver

****

C'est ma première lecture de cette auteurE (car ce Lionel-là est unE Lionel). Je dis tout de suite que le style ne m'a pas emballée. Ce n'est pas ce que j'aime en littérature, si bien qu'au début il a fallu que je me force pour poursuivre ma lecture. Des phrases brèves, sans recherche, sentiments abrupts... Pour vous dire, ça commence comme ça : /

«- J'ai l'intention de courir un marathon.

Dans une mauvaise sitcom, elle aurait recraché son café sur la table du petit déjeuner. Mais Serenata était quelqu'un de posé, alors entre deux gorgées, elle glissa un "Quoi ?" sur un ton acerbe mais poli.

-Tu m'as très bien entendu

Dos à la cuisinière, Rémington l'examina avec une assurance déconcertante. »

Les prénoms ridicules, la vulgarité des sentiments, on en était à la ligne six et j'avais déjà une grosse envie de refermer le livre. Mais je ne l'ai pas fait et je suis même allée jusqu'au bout sans en passer une phrase. Même si, je ne sais pas si c'est la traduction, mais des phrases comme « Ses jambes étaient une tout autre paire de manches. » me laissent un peu songeuse... Arrivée au terme des 383 pages, je ne regrette pas ma lecture mais je ne prévois pas d'aller plus avant dans ma découverte de cette auteure, tout en sachant qu'il ne faut jamais dire jamais.

Pourquoi je ne regrette tout de même pas d'avoir lu ce roman ? Parce que les thèmes évoqués sont nombreux et intéressants. D'abord, je situe l'histoire : Serenata et Remington donc, milieu aisé, sont depuis peu à la retraite. Serenata a toujours été très sportive, mais voilà que ses genoux lâchent et qu'elle est très handicapée. Elle poursuit des entraînements déraisonnables et refuse l'idée des interventions nécessaires qu'elle voit comme des mutilations. Lui, adorait son métier mais vient de perdre son emploi pour cause de wokisme abusif, premier sujet traité avec une bonne objectivité. J'ai apprécié.

Ils se sentent tous deux vieillir mais en refusent l'idée même, c'est ainsi que notre Remington désœuvré qui ne s'est jamais intéressé au sport, va soudain se lancer dans une dinguerie de marathon survitaminé qui ne va pas tarder à tout mettre en danger: sa santé, leur aisance matérielle, leur couple et plus encore. Les thèmes modernes de la terreur du vieillissement, du sport vu à la fois comme panacée anti-âge, comme outil de sélection et comme marqueur social, sont bien explorés et on suit avec intérêt le fonctionnement de l'engrenage. Il est aussi question des relations parents-enfants quand elles sont difficiles. Ce sont tous des thèmes actuels intéressants et bien observés. C'est la grosse qualité de ce roman. Mais attention, c'est traité à l'américaine, beaucoup de gros mots, un fonctionnement de groupe plutôt sadique, des relations sociales différentes. La bande de "copains" même pas proches qui débarquent plus que très régulièrement pour manger chez vous tout en se servant eux-mêmes dans les réserves et en n'hésitant pas en cours de conversation à traiter la maîtresse de maison de grosse feignasse et autres insultes pires, sans se retrouver directement sur le paillasson... Je ne sais pas si je suis trop old school, mais pour moi, on est dans la science-fiction. Ben là, non. Personne ne tique. C'est normal.

En conclusion, un roman tout de même intéressant, même s'il ne m'a pas séduite.


Kathel l'a lu aussi.


978-2714494375

02 mars 2022

La ballade d'Iza 

de Magda Szabó

*****


Les "forts" sont peu aimés

Vince est mort. Sa vieille épouse, Etelka est complétement perdue. Heureusement, leur fille, Iza accourt de Budapest où elle est rhumatologue et elle va s'occuper de tout avec le parfait sang froid et la grande efficacité qui la caractérisent. Elle souffre elle aussi, fille unique, elle est très attachée à ses parents. Néanmoins, en un tour de main, elle organise l'enterrement, envoie sa mère pour un séjour mi-cure mi-vacances dans la maison de repos qu'elle a jadis contribué à fonder et organise la vente de la maison que la vieille dame ne peut continuer à "faire tourner" seule et de presque tout ce qu'elle contient. Sa mère est perdue face à ce deuil et au bouleversement de son existence. Elle s'en est toujours remise à autrui, son époux le plus souvent, pour les décisions et la résolution des problèmes pratiques.

"Elle n'osait pas ouvrir la bouche, sa vie durant quelqu'un d'autre avait pris les décisions à sa place."

On comprend que cette attitude est à la fois facile et génératrice de regrets. Iza de son côté, habituée à décider et voulant éviter à sa mère les choix difficiles, organise tout sans la consulter.

Ce retour à sa ville natale amène Iza à retrouver Antal, son ex-époux qui est le médecin de ses parents. Ils étaient collègues à l'hôpital et ils vivaient chez Vince et Etelka. Les liens affectifs réciproques entre les parents et lui ont toujours été très forts. Iza et Antal, couple sans enfants, ont divorcé après 7 ans de mariage, sans éclat ni querelle, on ne sait pas pourquoi. C'est lui qui a désiré rompre et qui est parti. Mais maintenant qu'elles partent et vendent, il désire racheter la maison car il s'y était attaché. Ce qui est fait.

Pour Iza, il n'y a pas d'hésitation: sa mère est incapable de vivre seule, elle va donc l'emmener et l'installer chez elle à Budapest. Finie pour Iza sa liberté et sa tranquillité de célibataire, mais comme toujours, elle suit à la lettre ce que lui dicte son devoir et son affection aussi car Iza est presque aussi attachée à sa mère qu'elle l'était à son père.

Mais comme on pouvait s'en douter, la cohabitation est difficile. Iza voudrait préserver son mode de vie alors qu'Etelka, dans cette appartement moderne régi par une domestique qui ne lui laisse aucune tâche, se sent totalement déracinée et inutile. Sa vie devient d'une vacuité effrayante. Cela ne va pas.

Pendant tout ce temps, on se demande ce qui a pu faire rompre Iza et Antal, les premiers points de vue présentés dans le récit, ceux d'Etelka et d'Iza ne permettent pas de le deviner. Le mystère de cette histoire d'amour court souterrainement alors que l'on suit en fait les difficultés d'adaptation de la mère et de la fille à leur vie commune à Budapest. On comprend peu à peu qu'Iza a vraiment regretté le départ d'Antal auquel elle est toujours attachée et qu'elle ne l'a pas compris elle non plus.

"Elle était une épouse parfaite, pourquoi l'avait-il abandonnée?"

Je ne vous en dis pas plus sur la fin du roman si ce n'est qu'il se clôture avec un terrible réquisitoire d'Antal qui s'exprime enfin et c'est pour attribuer au caractère d'Iza à peu près tous les malheurs qui ont pu survenir dans l'histoire. Il lui reproche en particulier son manque de spontanéité et son désir de tout maîtriser, de se préserver et je ne doute pas qu'un bon pourcentage des lecteurs lui donnent raison, mais je ne partage pas ce point de vue pour ma part. Je ne nie pas les défauts d'Iza mais il m'a semblé voir très bien chez elle la sensibilité sous l'efficacité, la justice sous la rigueur, le désir d'aimer derrière le retrait prudent. Elle a des défauts certes, mais elle a à chaque fois la qualité (précieuse aussi) qui y correspond. En fait, j'ai vraiment eu un sentiment d'injustice vis à vis d'Iza, non pas dans ce qui lui arrive car elle sait se protéger, mais dans l'attitude de son entourage envers elle. On ne lui pardonne rien alors qu'on aime même leurs défauts chez les personnages plus faibles. Le roman se terminant par le point de vue d'Antal, le lecteur aurait tendance à rester sur cette opinion.

Je remarque cependant (d'après "Le vieux puits") que les parents d'Iza évoquent largement ceux de Magda Szabó, tout comme elle lui attribue des souvenirs d'enfance qui sont les siens. C'est dire que l'auteur ne se met pas si évidemment du côté de cet Antal qu'elle a fait si ouvertement sympathique. Les choses ne sont pas si simples et Iza a trop d'elle-même pour que l'on puisse se contenter de la condamner sans voir la complexité du personnage, et ses qualités également.

J'aime davantage ce roman que "La porte" qui a pourtant été celui que les jurés du Fémina ont couronné. Je le trouve plus profond. La psychologie des personnages est passionnante.


PS : Avait d'abord été édité sous le titre "La ballade de la vierge".

978-2253070214