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12 décembre 2020

Apocalypse bébé 

de Virginie Despentes

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Prix Renaudot 2010

Les jeunes filles de bonne famille ne sont plus ce qu'elles étaient mais le monde alentour non plus, il faut bien le dire. Non pas les familles qui, on le sait, ont toujours été un sacré nid de névroses et de secrets répugnants, rien de neuf là-dedans, mais l'environnement social qui, en particulier avec l'aide de l'alcool et de la drogue pour tous, prend un bel envol vers le cauchemar XXL.
  
   Nous voilà donc à suivre Lucie, la trentaine solitaire assez quelconque, employée pas hyper motivée d'une agence de détectives traitant en particulier des adultères et des ados difficiles. Et depuis une bonne quinzaine de jours, Lucie suit avec un peu d'ennui les multiples errements et dérapages d'une très jeune Valentine, riche et pas mal débridée avec toutes les amertumes que cela suppose. Mais voilà qu'un beau jour, Lucie a perdu de vue Valentine qui justement n'a plus réapparu depuis. Fugue ou enlèvement? Le papa (dont le beau rôle d'écrivain actuel est si réussi qu'on pourrait y reconnaître plusieurs de nos auteurs, ce n'est donc plus un roman à clé) très préoccupé par sa célébrité et ses amours (tous deux incertains) se fait un peu de souci mais il ne peut s'en occuper lui même. On le comprend bien. La mère a disparu à la naissance de Valentine. La grand-mère elle, veut la récupérer absolument. Il faut dire que dans la famille, tout le monde adore cette difficile petite Valentine; et puis, c'est elle qui a l'argent, et il y en a beaucoup.
  
   Ne voyant pas du tout comment elle pourrait retrouver la gamine, Lucie décide d'employer un électron libre assez sulfureux mais bien introduit, partenaire redoutable et lesbienne affirmée connue sous l'élégant pseudo de La Hyène. Seulement d'entrée de jeu, l'"employée" prend la main, c'est elle qui mènera la danse de Paris à Barcelone en passant par les cités, et à un sacré rythme!
  
   Et la religion dans tout ça? Me direz-vous sûrement (si,si)
   "Sur le plan spirituel, Valentine était moins éveillée qu'une courge. Mais elle était attachée, émotionnellement, à des souvenirs de prières en famille."
   Alors, au terme de cette grande virée, Valentine va-t-elle finalement rencontrer Dieu??? En tout cas le clergé, oui.
   "Autour d'elle, les sœurs arborent toutes le même sourire patient. Le niveau de sincérité caché derrière la grimace varie, d'un individu à l'autre. Il n'y a pas que des crevures dans le cercle. Il y en a aussi à qui il manque une case, purement et simplement. L'hygiène de vie austère à laquelle elles se soumettent n'interdit pas l'éveil ardent d'une foi supérieure, mais encourage le plus souvent l'idiotie la plus aride."
   Et même une diabolique bonne sœur! N'en doutez pas, les termes vont bien ensemble.
  
   Ce qui participe à l'intérêt de ce roman, en dehors du rythme extrêmement vif, ce sont les multiples milieux traversés et toujours observés d'un œil acéré ainsi que les jugements, remarques et considérations parfois audacieux qui séduisent le plus souvent. Virginie Despentes nous rappelle au passage ce que sont l'homophobie, les hommes qui frappent, le racisme mais aussi les musulmans mâles, l'argent, la drogue, le sexe etc. Elle n'hésite jamais à consacrer deux pages à bien dépeindre une situation telle qu'elle la voit et c'est cette vision que pour ma part j'aime beaucoup. Ce qui me fait passer sur quelques petites fautes, que je regrette malgré tout.
  
   Et n'oubliez pas! "On croit mourir pour ses idées et on tue pour un baril de pétrole."
    
   Courts extraits:
  
   (Politique) - "- Qu'ils ne soient pas affiliés à un groupe précis ne les empêche pas d'être politiques, si?
   - Si t'as pas d'interface avec le politique, que ton groupe est pas très connu et que tu restes entre potes dans une cave... C'est plus comme si t'étais poète, en un sens. La poésie, on ne peut pas en vouloir aux gens d'avoir envie d'en faire, si?"
  
  
   - "Carlito disait toujours que les enfants ne se mettent pas à se droguer parce que c'est bon, parce qu'ils s'ennuient ou parce qu'ils ont besoin d'oublier leur souci, ni parce que le boum hormonal les bouleverserait, ils se défoncent pour écraser l'intelligence."
  
  
   (concert) - "Maintenant, les gamins, ils viennent, tout ce qui les intéresse, c'est de boire. Le groupe... le groupe, ils le voient pas, ils sont trop déchirés quand le concert commence, ils ne rentrent même pas dans la salle. Ils ont pris leur billet, c'est pas une question d'argent. Ils s'en foutent. Ils se déchirent la tête, ils vomissent et ils pissent..."
  
  
   - "Les enfants sont les vecteurs autorisés de la sociopathie des parents. Les adultes geignent en faisant mine d'être dépassés par la vitalité destroy des petits, mais on voit bien qu'ils jouissent d'enfin pouvoir emmerder le monde, en toute impunité, au travers de leur progéniture. Quelle haine du monde a bien pu les pousser à se dupliquer autant?"


978-2253159711