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31 juillet 2025

L'incroyable équipée de Phosphore Noloc et de ses compagnons

Pierre Gripari

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978-2710304036

Réputé « pour ados » Il a tout ce qu’il faut pôur satisfaire les iconoclastes de tout âge.

Titre intégral : L'incroyable équipée de Phosphore Noloc et de ses compagnons: Racontée par un témoin oculaire, avec quelques détails nouveaux sur les gouvernements des Îles de Budu et de Pédonisse.

Publié en 1964, après «Pierrot la Lune », « L'incroyable équipée de Phosphore Noloc » est le second roman de Pierre Gripari et le premier non autobiographique. Gripari avait alors 39 ans, avait également déjà écrit une pièce de théâtre (Lieutenant Tenant) et mettait tout en œuvre pour réussir une carrière littéraire. C'était avant ses romans pour enfants, bien que celui-ci pourrait tout à fait être lu par des adolescents, c'était un livre d'aventure pour l'ado qui est en nous. Et quelle aventure !

Contée par un jeune homme de 16 ans, il nous dit comment, parce qu'il était devenu l'ami d'un camarade très riche, il s'était fait offrir cette croisière dont il se régalait fort, jusqu'à ce qu'une mutinerie déroute le navire de sa destination initiale. Elle avait été fomentée par le Professeur Phosphore Noloc jusqu'alors passager, et qui avait soudoyé l'équipage. Ce vaillant scientifique avait été rejeté par toute la corporation depuis qu'il avait soutenu que l'AMERIQUE N'EXISTAIT PAS.

C'est quand même énorme. Au début, j'ai cru à une métaphore, mais non, c'est au sens premier qu'il vous faudra le prendre une fois que le professeur vous aura expliqué comment, depuis Christophe Colomb qui ne pouvait se permettre de rentrer bredouille, jusqu'à aujourd'hui, tous les gouvernements du monde, les uns après les autres, ont toujours trouvé avantage à accréditer cette mystification de l'existence de l'Amérique. Et d'ailleurs, si le bateau se déroute aujourd’hui, c'est bien pour foncer droit plein ouest, jusqu'à ne pas la trouver (puisqu'elle n'existe pas on vous dit) et alors, trouver quoi à la place ? Mais le bout du monde, bien sûr, car pas plus qu'il n'y a d'Amérique, la terre n'est ronde. C'est bien plate, qu'elle est, et au bout, elle s'arrête, et Phosphore Noloc veut aller voir ce qu'il y a ensuite et sur quoi elle est posée (quoiqu'il ait déjà sa petite idée sur la question, mais là je ne veux pas vous en dire plus, cela ferait trop d'un coup pour vos esprits non préparés).

Alors dit comme ça, oui, ça fait lecture pour ado, ou bien lecture comique, et c'est bien un peu tout cela, et les passages drôles sont nombreux, mais c'est davantage aussi, eu égard aux concepts explorés : la religion d'abord (l'athéisme débridé de Gripari se lâche), l’ethnologie, la sociologie. Il y a au passage des découvertes de sociétés bien différentes des nôtres à l'occasion des escales (car le bout du monde, c'est loin) et là, on est chez Voltaire ou Guilliver. Il y a des études de caractères, car quoi de mieux que l'espace clos d'un bateau en crise en pleine mer où tout est devenu possible, où l'argent ou la position sociale n'ont plus aucune valeur ? Des scènes d'anthologie dignes des meilleures histoires de pirates et puis et puis, Pierre Gripari n'est pas le genre d'écrivain qui laisse au lecteur le soin de conclure. Avec lui, on a toujours la réponse à la question qui nous aura fait courir pendant tout le livre : et l'Amérique alors, elle existe ? Et sinon, qu'y a-t-il plein ouest ?

De Gripari, on peut admirer la verve et la richesse de l'imagination totalement débridée et là encore, on n'est pas déçu et on dévore 280 pages vraiment vraiment très originales qui vont nous trimbaler de surprise en surprise et réussir à nous faire vibrer avec cette histoire si extraordinairement invraisemblable (au moins au premier abord). Mais les histoires invraisemblables et passionnantes, n'est-ce pas à nous faire vivre cela que servent surtout les romans ? Certains en doutent, mais pour moi, c'est clair, si, c'est à cela ; et rien n'est plus clair qu'une situation imaginaire caricaturale pour bien voir les choses  (réelles, celles-là) :

« Quoi qu'on en dise, le fatalisme est au fond la philosophie naturelle de l'homme. Il a quelque chose de satisfaisant non seulement pour l'esprit, ce qui est évident, mais aussi pour le corps. Il détend les muscles et apaise l'âme. Il rafraîchit et il repose. Du seul fait que nous n'avions pas la moindre idée du but de notre voyage, nous nous trouvions dans les meilleures conditions possibles pour en jouir.»