30 août 2022

 Paris-Briançon

de Philippe Besson

****

Ils sont montés à Paris dans le train de nuit, ils doivent en descendre au matin à Briançon. Rien ne les relie si ce n'est qu'ils se trouvent dans le même wagon. Ils sont une dizaine, jeunes et vieux, heureux et malheureux, hommes et femmes. Comme toujours ce voyage en train est une pause dans leur vie, accompagnée d'un changement, ne serait-ce que de lieu. Le voyage est long, il va falloir se poser, se reposer et, si possible, dormir. Pour y parvenir, on a besoin de voir un peu qui sont les voisins... Vous souvenez-vous de l'excellent "Compartiment pour dames" d'Anita Nair ? Un peu le même point de départ. On découvre une bonne part de la vie de chacun (ce qui, il faut l'avouer, n'arrive pas ou que très peu dans les vrais trains, mais les romans ne sont-ils pas faits pour nous montrer ce qui pourrait se passer?). Le train a l'avantage de forcer à la cohabitation et à un minimum d'échanges des gens qui n’avaient même aucune raison de se rencontrer.

Il y avait une unité dans "Compartiment pour dames" dont le thème était le sort des femmes indiennes. Alors qu'ici, au contraire, on voit que P. Besson a voulu faire un éventails d'existences différentes couvrant la vie actuelle: Comment, aujourd'hui, être jeune, vieux, femme qui se libère, homo, homme en danger de perte d'emploi... L'objet choisi par l'auteur, c'est une peinture de notre monde, comment vivons-nous et comment vit-on autour de nous. Nous sommes ou pourrions être une de ces personnes, sachons reconnaitre les autres dans notre entourage.

Il y a encore autre chose: un effet de tension est introduit par l'auteur dès le premier tour de roue. Il annonce que quelque chose va mal tourner... Très mal, même, mais quoi? Il ne le dit pas, ne le laisse pas non plus deviner. Le drame est-il toujours si proche, nous frôle-t-il constamment?

L'écriture est classique et agréable. Les courts chapitres diversifiant les points de vue entraînent un élan de lecture qui ne se dément pas. La psychologie des personnages sonne juste et convaincante, cependant elle est simplifiée et presque symbolique. Rien de vraiment complexe, nouveau ou surprenant. Ce n'est pas le choc littéraire de l'année, mais un roman bien fait, plaisant à lire, ce qui est déjà pas mal.

9782260054641

25 août 2022

Ne m’oublie pas

Dessins et Scénario d'Alix Garin

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Sortie en janvier, 2021, cette BD de 220 pages est la première de cette nouvelle auteure de bande dessinée, Alix Garin. C'est l'histoire de Clémence, ado à l'allure non genrée, qui rêve de devenir comédienne et suit les cours d'une école de théâtre. Elle vit seule avec sa mère, médecin, avec laquelle elle refuse d'échanger, lui reprochant principalement son manque de disponibilité ; mais en ce moment, leur souci commun, c'est la grand-mère qui est atteinte d'Alzheimer et que l'on a dû mettre dans un établissement car elle était devenue trop difficile à gérer. Clémence et sa mère culpabilisent et souffrent de cette situation d'autant que la grand-mère ne songe qu'à "s'évader", si bien qu'un jour, Clémence va se lancer dans la grosse prise de risque et la kidnapper. L'idée est de lui faire revoir sa maison d'enfance à des centaines de km de là...

C'est cette fugue que nous allons suivre. Les différentes péripéties nous feront aussi bien rire que pleurer. A. Garin est très forte pour émouvoir, dans un sens comme dans l'autre, et elle va épaissir le récit de cette aventure par des réflexions sur les relations mère-fille, et plus encore par la découverte et l'acceptation par Clémence de son homosexualité, elle qui perdait jusque là son temps dans des liaisons hétéro frustrantes. Epaisseur supplémentaire encore, ces personnages si bien croqués, tant au dessin que sur le plan psychologique, qui croiseront leur route. Le patron de bistrot, la voisine d'hôtel Michel et même sa femme... Quant à Alzheimer, très finement, plus que d'en parler, l'auteur nous le montre en action H24 et ça n'est vraiment pas une sinécure. Même Clémence comprend que le retour à l'établissement va être inéluctable et la grand-mère aussi, dans ses rares moments de lucidité. Ce voyage, au fil des kilomètres, submerge son lecteur dans de grosses bouffées d'émotion. Et je me suis prise de sympathie pour cette Clémence qui a du cran.

Le dessin, simplifié, et sur une gamme de couleurs limitée, sert bien son sujet et s'en tient lui aussi à l'essentiel. Il est efficace et beau. Il est un vecteur, jamais un obstacle. Il renforce, aussi. Cette histoire et son traitement forment vraiment un tout harmonieux.

J'espère qu'Alix Garin, auteure de BD débutante nous offrira encore beaucoup de moments comme celui-là.

978-2803676231 



20 août 2022

555 

de Hélène Gestern

****+


Grand Prix RTL-LIRE 2022

Grégoire Coblence est un ébéniste de grand talent, spécialisé dans les instruments de musique. Il a un atelier bien situé à Paris pour lequel il a dû s'associer à Giancarlo, un luthier, lui aussi très talentueux, et s'endetter sévèrement. Les affaires marchent bien et Grégoire pourrait être le plus heureux des hommes si sa femme, qu'il adore plus que tout, ne l'avait quitté soudainement et sans la moindre explication. Grégoire qui n'a rien compris à cette soudaine catastrophe ne peut tourner la page et ne parvient pas, bien que du temps ait passé, à reprendre pied pour une nouvelle existence malgré le soutien moral actif de son associé.

Parallèlement, Grégoire découvre un jour sous la doublure d'une boîte de violoncelle qu'il restaure, une partition ancienne si particulière qu'elle pourrait être de Scarlatti ! Pour en avoir le cœur net, son ami et lui vont la montrer à la grande violoncelliste Manig Terzian, spécialiste du grand compositeur. Celle-ci a déjà joué et enregistré les 555 compositions de ce musicien. Va-t-elle en reconnaître une 556ème? Elle ne peut en être sûre mais admet que c'est une possibilité. Mais voilà que l'atelier est cambriolé et que la partition disparaît... Commence alors une recherche éperdue et les chercheurs sont nombreux.

Ensuite, par un raisonnement qui m'a quelque peu échappé, ceux qui cherchent la partition disparue décident de remonter sa trace, savoir comment elle est arrivée sous cette doublure, quand etc. Et il retrouvent ainsi qu'elle aurait effectivement pu être de Scarletti. Et en effet, on voit bien que ce type de recherche peut éclairer sur l'origine de l'objet, mais sur les voleurs? dont on ne sait même pas s'ils l'ont simplement prise avec le reste ou s'ils s'y intéressaient. Que je sache, quand la Joconde a été volée en 1911 les enquêteurs n'ont pas fouillé du côté de François 1er et de Léonard... Mais bon, comme tout cela est bien intéressant et que tous les personnages rencontrés et suivis tout au long du livre, sont extrêmement réussis, on accepte l'histoire telle qu'elle nous est fournie. A partir d'un moment, on commence à avoir un soupçon, puis un doute sur qui à fait cela, mais l’intérêt ne se dément pas pour autant. Manquent le pourquoi et le comment, et on veut vérifier qu'on a vu juste... et à ce moment-là... non, je ne vous dis rien de plus. Mais la vie de chacun sera changée. Vous verrez.

Un roman brillant et cultivé, aussi instructif (surtout pour la non-mélomane que je suis) que captivant, qui m'a donné envie d'en découvrir d'autres de l'auteur. N'hésitez pas.

"J'ai pensé que dans le monde, à cette heure, la fureur et la haine embrasaient la planète un peu partout, qu'on mourrait ici dans le bruit des fusils, là dans la détresse des famines et des exils. Mais ce soir, une fraction d'humanité s'était donné rendez-vous, à l'abri des notes pour se réconcilier, se recueillir dans la joie pure d'une communion musicale."

978-2363082848






15 août 2022

Comment je suis devenu stupide

de Martin Page

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Petit (125 pages) roman à ranger dans la catégorie "Rire et sourire". 

Antoine, autodidacte sans plan de carrière, collectionnant les diplômes de façon hétéroclite (au moment de l'action, araméen, biologie, cinéma "ainsi qu'une multitude de morceaux de diplômes") en arrive à un triste constat: il n'est pas heureux. Mais pas du tout. On pourrait même dire malheureux. Il gagnait assez maigrement sa vie grâce à son travail de traduction de La Recherche du temps perdu en araméen, mais "depuis que la projet avait été abandonné à la suite de l'étonnante faillite de l'éditeur, ses finances étaient au plus bas."  Pour ce qui est de sa vie sociale, il a quelques amis assez originaux eux aussi, et cela le soutient un peu, mais cela ne suffit plus, alors Antoine, intellectuel et systématique comme toujours, va chercher une solution.

Evidemment, il commence par l'étape où l'on cherche à cerner la cause du problème... et il en arrive à la conclusion qu'il est trop intelligent, trop intellectuel, trop réfléchi. Si les autres sont plus heureux, c'est qu'ils ne se posent pas tant de questions, ne réfléchissent pas tant aux causes et conséquences. Or Antoine est incapable d'agir de la sorte. Il va devoir employer les grands moyens pour faire taire cette réflexion permanente. Le premier qui lui vient à l'esprit est l'alcoolisme, et le voilà parti à la recherche de bistrots et d'alcooliques patentés, susceptibles de l'aider à se former, mais auparavant, il a bien sûr potassé tous les livres qu'il a pu trouver sur les alcools et même leur histoire car il "ne veut pas devenir alcoolique n'importe comment". Il ne tarde pas à se trouver un mentor en la personne de Léonard qui tout de suite, est catégorique : "A trop lire, tu ne deviendras jamais alcoolique". Il faut que notre Antoine quitte le havre des bibliothèques pour entamer les travaux pratiques...  Hélas l'envol sera de courte durée, une radicale allergie à l'alcool l'envoyant aux urgences sans même passer par la case ivresse, avant la moitié de sa première bière.

A son réveil, il doit admettre que la solution ne viendra pas de l'alcool, et n'en trouvant aucune autre et toujours aussi peu de goût à la vie, il décide de se suicider. Là encore, cela ne vous surprendra pas, il commence par étudier à fond le sujet. Il finit par avoir toutes les connaissances requises et par constater qu'en fait il n'est pas tenté par la réalisation. Une troisième solution sera donc nécessaire, et ce sera celle du titre, ce qui, s'ajoutant à la rencontre d'un ami de jeunesse ayant très bien réussi, va le mettre sur la bonne voie.

  Ou pas.

C'est intelligent, sympathique, drôle. On passe un excellent moment de détente le sourire aux lèvres, ce qui fait du bien de temps en temps. Je conseille.



9782290319871

12 août 2022

Le grand écrivain Salman Rushdie 

a été victime d’une attaque au couteau 

ce 12 août, alors qu'il donnait une conférence

 à New York 

On ignore tout de son état de santé

Espérons que l'obscurantisme ne gagne pas encore une fois!



10 août 2022

Grossir le ciel

de Franck Bouysse

***+


 Histoire de paysans taiseux, de derniers solitaires, Gus et Abel plus âgé, voisins dans Les Cévennes. "Un drôle de pays de brutes et de taiseux" . Leurs familles ont toujours été en désaccord, sans que Gus, que nous suivons tout au long du récit, sache pourquoi. Ici, "Des secrets de famille comme une bombe à retardement" minent le terrain. Ils se sont cependant rapprochés depuis qu'il ne reste plus qu'eux dans le voisinage, mais tout de même pas au points d'être familiers ni pleinement en confiance. Leur entente est plus pragmatique : services rendus et dus, bien utiles quand on est esseulé et pauvre, comme eux. Leur vie se resserre de plus en plus, isolés qu'ils sont mentalement autant que géographiquement, d'un monde qui leur devient de plus en plus étranger.

"Après être rentré, Gus s'était préparé une assiette avec le jambon coupé quelques heures auparavant, ainsi qu'un gros morceau de pain de maïs, puis il avait allumé la radio et mangé tranquillement, tout en écoutant des types qui parlaient de formes de vies inconnues se débattant dans des mondes sans correspondance avec le sien."

Même leurs relations avec le village voisin, lui-même en déclin, ne sont pas simples. Leur solitude se heurte au formalisme social de ceux qui, de leur côté, luttent pour se maintenir dans la société et pour qui ce n'est pas facile non plus. Le village a besoin de promoteurs, de nouveaux arrivants, mais ne veut pas y perdre son âme, se faire manger. Les commerçants se maintiennent comme ils peuvent, même l'épicière dont pourtant personne ne peut se passer. "C'était le genre de fille à s'occuper des affaires des autres avant les siennes, et à en inventer de nouvelles lorsqu'elle n'avait rien à se mettre sous la dent. En bonne commerçante, elle se sentit obligée de parler à Gus, et lui pas de répondre."

Gus se sent aussi largué par les "lois du marché" . "Le prix du chocolat avait encore augmenté ; ce n'était pas le cas du kilo de viande que lui achetait le marchand de bestiaux . Il y avait comme ça des mystères que Gus n'arriverait jamais à élucider, un principe de vases communicants qui ne communiquaient que dans un sens, et pas en sa faveur." Et pourtant, ces "lois du marché", sont peut-être à sa porte, plus mortelles que le loup... plus étranges aussi.

Vous prenez tous ces ingrédients, à peu près stables depuis longtemps, vous secouez un peu et...boum!

Mon seul bémol pour ce roman plutôt sympa: pas hyper original.

978-2253164180

                                                                  

05 août 2022

L'arc en ciel 

de Pearl Buck

***


Henry Potter et les reliques du théâtre

Alors, c'est l'histoire de Henry Potter, cinquantenaire milliardaire. Vous avez souri? Vous aussi vous avez envisagé l'espace d'une fraction de seconde le gamin magique à cicatrice sur le front... Mais non, c'est Henry, pas Harry. Raté, et tout le reste l'est également, hélas.

Ce roman est le dernier signé Pearl Buck. Elle avait 82 ans à sa parution. Le dernier roman, le roman de trop?

Sans doute ce livre, sans aucun rapport avec la Chine, ni même l'Asie, n'était-il pas indispensable et n'ajoute-t-il rien à sa gloire, mais l'âge n'avait tout de même pas enlevé à notre Prix Nobel toutes ses qualités et tout son savoir faire. C'est ce qui sauve -de justesse- ce roman du naufrage vaudevillesque.

Notre milliardaire donc, heureux en amour comme en affaires, avec une épouse belle, aimante et pas encombrante (quand on n'a pas besoin d'elle, elle part en voyage, dans le cas contraire, elle revient), décide un soir que ce qu'on lui propose au théâtre ne vaut pas tripette, et réalise que s'il veut un bon spectacle, il va falloir qu'il le fabrique lui-même. Le monde du spectacle lui est totalement étranger, qu'à cela ne tienne, il a tout l'argent qu'il faut et, avec l'argent, il se paiera tous les professionnels dont il aura besoin. Aussitôt dit (ou plutôt, pensé, car il garde son projet secret et n'en parle à personne), aussitôt fait. Et s'il voulait distraire son spleen de la cinquantaine trop gavée, il va être servi et en avoir pour son argent. Il ne mettra pas longtemps à constater que le monde de l'art et plus particulièrement celui des acteurs, a ses règles bien particulières et aussi différentes de celles du monde des affaires que de celles du quotidien lambda et Henri Potter a beau être un gros morceau assez coriace, il va frôler des abîmes et voir même parfois son pied glisser...

P. Buck agrémente ces diverses péripéties de réflexions un peu plus poussées sur l'art théâtral (ou du moins sa vision, tout de même très discutable du monde des acteurs). Il y a quelques remarques intéressantes mais aussi, m'a-t-il semblé, beaucoup de lieux communs. Idem pour les réflexions sur l'amour et ce que l'on peut ou doit sacrifier en son nom (là encore, à mon sens, bien des banalités et une vision quand même très rétro des choses, malgré une apparence de grande modernité). Il y a une scène de "quasi-viol" qui pourrait à elle seule animer aujourd'hui des heures de débat: viol, pas viol, éléments à charge, à (oserais-je dire) décharge... Mais là, elle n’entraîne aucun débat, ni aucune réflexion. Elle a lieu. Point. Et on n'en parle plus. L'histoire se poursuit.

Et la fin est... Pfff eh bien disons, qu'elle ne rachète rien.

Si vous aimez les romans du genre de ceux de Patrick Cauvin, je pense que cet "Arc en ciel" peut vous plaire; sinon, il vaudra mieux vous tourner vers la période chinoise de la dame, qui renferme d'excellents titres.