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24 juin 2021

Un homme 

de Philip Roth

****+

Ça m’agace

   Ça m’agace de lire un peu partout des commentaires du type «Le livre à éviter si on n’a pas un moral d’acier», «Un bon livre, mais qui vous donnera un sérieux coup de blues» et toute une série de variations sur ce thème ridicule. 

   On prend des airs libérés et ouverts à tout, on peut parler des camps d’extermination en se mettant dans la peau d’un des bourreaux, on peut raconter ses amours incestueux, les pires crimes ou je ne sais quoi encore on peut parler de TOUT je vous dis, et je trouve cela très bien. Sauf que ce n’est pas vrai. 

   Léo Ferré le chantait déjà il y a plus de 30 ans sur des paroles de son ami Jean-Roger Caussimon : 

   “Ne chantez pas la Mort, c'est un sujet morbide 

   Le mot seul jette un froid, aussitôt qu'il est dit 

   Les gens du show-business vous prédiront le bide 

   C'est un sujet tabou... Pour poète maudit” 

       Mais Léo la chantait quand même, sa chanson, et Roth a quand même écrit sur ce sujet, ce qui nous a permis de vérifier que sous des dehors clinquants, vulgaires, pornographiques, sadiques et en tous points scandaleux, la liberté, la maturité en fait, de penser n’avait pas progressé d’un pas. 

       Bref, ça m’énerve, parlons d’autre chose et pour commencer de ce roman pour lequel je suis là aujourd’hui. 

       Et pour être honnête, reconnaissons qu’il est des visions par lesquelles parler de la mort n’est pas si mal accueilli par les lecteurs, c’est lorsque l’on parle de la mort de quelqu’un d’autre, même si c’est quelqu’un de très proche. On parle du deuil et le lecteur s’identifie au survivant, il surmonte sa peine, il continue à vivre, il est vivant! Le principal est sauvegardé. 

       Mais le personnage principal de Philip Roth, ce «il» qui n’a pas de nom, ne survit pas. Il meurt bel et bien et je ne déflore rien en disant cela, puisque c’est même par son enterrement que commence le livre. 

       Le titre original du roman est «Everyman», c’est assez dire qui est ce «il». Ainsi lorsque je lis qu’ici, P. Roth a écrit un roman presque autobiographique et a donné vie à un personnage qui lui est beaucoup plus proche que d’habitude, je pense pour ma part que oui… et non. 

    Non, dans la mesure où le lien entre Roth et son personnage principal est tout aussi fort dans la plupart de ses romans et oui en ce fait que c’est bien son histoire qu’il raconte… ainsi que celle de son lecteur d’ailleurs. Everyman. Quand dans un roman vous voyez un personnage faire certaines choses, vous pouvez avoir fait les mêmes ou non. Quand dans un roman vous voyez un personnage vieillir et mourir eh bien oui, c’est ce que vous faites vous aussi. C’est exactement l’auteur ! C’est également exactement vous. Ce «il» raconte ce qui nous arrive ou va nous arriver de façon tout à fait inévitable. Il est temps de se faire à cette idée. 

    « Mon dieu, se disait-il, cet homme que j’ai pu être ! Cette vie qui m’entourait ! Cette force qui était la mienne ! Pas question d’aliénation, à l’époque. Jadis, j’ai été un être humain dans sa plénitude. » 

   On vieillit, on vieillira plus encore, notre corps nous trahira et nous en aurons honte. Nous serons faibles et désarmés, mais nous serons toujours nous, sous cette coquille abîmée. Nous souffrirons peut-être et nous lutterons de notre mieux, tentant de nous protéger. 

    « La vieillesse est une bataille, tu verras, il faut lutter sur tous les fronts. C’est une bataille sans trêve, et tu te bats alors même que tu n’en as plus la force, que tu es bien trop faible pour livrer les combats d’hier. » et plus loin : « Ce n’est pas une bataille, la vieillesse, c’est un massacre. » 

   Oui, mais c’est comme ça. On ne peut l’éviter. Il faut accepter les choses comme elles sont et, sans illusion ni vaines lamentations, faire de son mieux avec, ce que fait le narrateur de ce roman. Et puis il y a aussi, ces moments de bilan, on regarde sa vie, ce qu’on a fait, ou raté, «il» se félicite ou bien regrette, mais surtout «il» comprend qu’il n’y peut rien changer. Alors bien sûr, «il», c’est Roth. Et puis ce sera nous aussi. 

       C’est un sujet qui nous concerne tous, la vieillesse. Et découvrir la surprise incrédule que ce personnage éprouve à se voir devenir cet être diminué et fragile, c’est nous préparer à la nôtre que nous connaîtrons aussi. 

       Et c’est très intéressant de voir comment les autres vivent ça, ce qu’ils en pensent vraiment, découvrir leurs expériences particulières, les comparer aux nôtres. La mort est humainement un sujet passionnant. Je ne dis pas qu’il faut y penser tout le temps, au contraire, il est bon de ne pas y penser trop souvent, mais il faut être en mesure d’y penser parfois et de se sentir, sur ce sujet-là aussi, en cohérence avec soi-même. 

       Et non, ce roman ne m’a pas ruiné le moral. Il m’a beaucoup intéressée. Il ne m’a fait aucun mal, je savais déjà que je mourrai un jour et si je ne l'avais pas su, il était grand temps que je l'apprenne. 

       PS: A été élu meilleur roman étranger 2007 par le magazine Lire. 


978-2070359936

12 janvier 2021

   Le complot contre l’Amérique 

de Philip Roth

****+


L’intérêt de la politique-fiction, c’est qu’elle nous permet, par l’imagination de réfléchir à ce qui pourrait ou aurait pu se passer dans le monde réel et, surtout peut-être, comment cela se passe. De ce fait, on n’est pas loin de savoir comment elles se passeront, ou tenteront de se passer la prochaine fois et, si cela ne nous convient pas, de réagir suffisamment tôt pour les en empêcher.
  
   Il est bon et utile de jouer à ce jeu là parce que, rappelons-le, si l’Histoire a un grand H, c’est qu’elle est la nôtre à tous, par opposition à nos histoires individuelles, passionnantes, certes, mais h minuscule.
  
   Ainsi, est-ce bien ce qui se passe dans ce "Complot contre l’Amérique" qui imagine que Lindbergh, antisémite sympathisant nazi devienne Président des USA au moment où la question se pose là-bas d’intervenir ou non dans la guerre qui oppose Hitler à d’autres pays d’Europe.
  
    Nous voyons un candidat (ici Lindbergh) qui, dès avant sa candidature s’est fait repérer de ses concitoyens pour ses convictions extrémistes (ici antisémites et pronazies). C’est là le premier mouvement.
  
   Candidat qui ensuite mène campagne sans plus évoquer cette position, mais en choisissant un autre terrain (voter pour moi, c’est la certitude qu’on ne fera pas la guerre en Europe). Candidat enfin qui s’empresse de s’allier un représentant suffisamment notable des futurs cibles (ici le rabbin Bengelsdorf ) pour les rassurer et leur assurer qu’ils n’ont absolument rien à craindre, leur conseillant même de voter pour ce candidat là, ce que certains feront, bien sûr, et libérant la mauvaise conscience des quelques autres qui n’auraient pas voulu les prendre pour cible. (Ceux qui voulaient s’empressant eux de rester sur les toutes premières déclarations).
  
   Eh bien, ce déroulement est particulièrement bien observé. Il suffit de regarder un peu l’Histoire (avec un grand H, cette fois) pour constater que c’est bien ainsi que les choses se passent généralement et sont encore en train de se passer de nos jours.
  
   Je détaille ici le début du livre, mais cette description fine des mécanismes politiques, rendus sans peser du tout sur le récit romancé, se poursuit avec justesse jusqu’à la fin où là, il me semble tout de même que l’explication finale (dont la responsabilité est d’ailleurs laissée au rabbin Bengelsdorf) est un peu excessive. Je crois d’ailleurs que l’on aurait pu s’en passer totalement, le livre se serait terminé sur un flou plus intéressant.
  
   Je reprochais souvent à Philip Roth, dans ses autres romans d’éprouver bien trop le besoin d’expliquer. Cela n’est pas le cas ici (au moins jusque vers la fin) et l’on voit que cela peut en effet donner des résultats beaucoup plus savoureux.



978-2070337903