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08 novembre 2021

 Klara et le Soleil 

de Kazuo Ishiguro

****+


Extrait de la quatrième de couverture :

"Klara est une AA, une Amie Artificielle, un robot de pointe ultra performant créé spécialement pour tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Klara est dotée d'un extraordinaire talent d'observation, et derrière la vitrine du magasin où elle se trouve, elle profite des rayons bienfaisants du Soleil et étudie le comportement des passants, ceux qui s'attardent pour jeter un coup d’œil depuis la rue ou qui poursuivent leur chemin sans s'arrêter. Elle nourrit l'espoir qu'un jour quelqu'un entre et vienne la choisir."

 Moi qui lis tous les romans d'Ishiguro, je ne me sentais pas très attirée par celui-ci car je pensais qu'il allait porter sur ce qui fait (ou ne fait pas) mentalement la différence entre un humain et un robot et je craignais que les réponses qui seraient proposées n'aillent pas dans le sens que je vois, moi. Je ne sais pas pourquoi je craignais cela. Une lubie, sans doute. Quoi qu'il en soit, ce problème n'est pas évoqué dans ce roman.

Vous l'avez compris, on est à une époque où les AA sont courants et couramment utilisés. Ils servent en particulier d'ami personnels aux enfants. Ils les accompagnent partout, les aident, les protègent veillent sur eux et surtout, les empêchent d'éprouver la solitude. Avec cette histoire, on est dans une sorte de réalisme fantastique, entre la science-fiction et la poésie. Klara, le robot, a développé un mode de pensée qui lui est propre. Comme ses systèmes sont particulièrement sensibles, ce mode de pensée est un peu plus élaboré et compliqué que celui des autres AA, mais sans que cela fasse d'elle un être vraiment exceptionnel. Et comme toute sa vigueur vient de l'énergie solaire, elle a tendance à voir dans le soleil un dieu qui régirait le monde. Nous voyons ainsi comment une intelligence artificielle développe ses raisonnements à partir des données dont elle dispose. Comme tout le récit passe par ses yeux, c'est sur la base de ce système de croyances que nous allons évoluer, jauger les situations et réagir en conséquence.

C'est un roman de formation qui se situe dans un monde pas si éloigné du nôtre, avec ces "oblongs", ses villes et sa pollution. Ce qui est différent, c'est qu'à l’adolescence, certains jeunes sont "relevés" et d'autres non. Selon quels critères? on cherche à le deviner. J'ai cru un moment que c'était un choix des parents mais cette supposition n'est jamais vraiment confirmée, ou en tout cas, ce n'est pas la seule et il semble finalement que cela tienne à leur niveau social, leur richesse, ce qui serait proche de ce qui se passe réellement dans notre monde actuel. Toujours est-il que les adolescents "relevés" feront des études qui leur ouvriront un bel avenir et que les autres, non. Josie, la jeune-fille dont Klara devient l'AA, est relevée, mais Rick, son ami d'enfance et de cœur, ne l'est pas. Quel sera leur avenir ? Malheureusement, cette "intervention", "l'édition génétique", qui ouvre un avenir supérieur n'est pas sans risques et certains adolescents ne la supportent pas. Josie, dont la sœur est morte au même âge, est maintenant malade et ses jours sont en danger. Nous verrons Josie, Rick et leurs entourages à ce moment clé de leurs existences et les changements que cela entraînera.

C'est un beau roman, profond et sage, sans mièvrerie mais pas sans sentiments. Selon son habitude, Kazuo Ishiguro a su saisir une société, une problématique humaine et des personnages au cœur pur pour nous faire atteindre à une vérité par le biais d'une fiction poétique. A la fin du livre, pour tous, une page est tournée.


Kathel l'a lu aussi 


 978-2072909207 

18 décembre 2020

 Les vestiges du jour 

de Kazuo Ishiguro

*****


Ce n’est pas facile (et peut-être même pas judicieux) de choisir la dignité comme but et critère ultime de sa vie, mais c’est ce qu’a fait Stevens, majordome de Lord Darlington. Il lui a voué son existence. Et a poursuivi, toujours droit sur sa route, ne se laissant troubler par rien… jusqu’au terme de ce livre.
  
   A propos de ce roman, Ishiguro a confié que son projet était d’illustrer le fait que nous sommes tous des Stevens, offrant notre travail et notre vie à quelqu’un qui se trouve au-dessus de nous et à qui nous nous en remettons pour prendre les décisions supérieures et que tout cela ait un sens.
   Ne soyons pas trop sévères avec Stevens, d’une certaine façon, son idéal est grand, grand et naïf, il a cru approcher du « moyeu de la grande roue » alors qu’il n’était qu’un pavé de la route, il n’est pas seul à avoir nourri cette illusion plutôt attendrissante d’ailleurs. « On se croit mèche on n’est que suif » disait Brel.
  
   Sur les cinq romans de Kazuo Ishiguro que j’ai lus, j’ai remarqué que trois parlaient d’un personnage ayant à répondre d’avoir choisi le mauvais camp pendant la seconde guerre mondiale et tentant de s’en justifier ; avec hauteur dans «Lumière pâle sur les collines», de façon plus soutenue mais toujours assez assurée dans « Un artiste du monde flottant », et enfin de façon posthume et avec l’aide d’un avocat, ici. Je trouve que cela peut-être assez significatif de la part d’un auteur né au Japon en 1954 et je pense (bien que je puisse me tromper) qu’il est possible qu’il y ait réellement eu une évolution de l’analyse d’Ishiguro au long de toutes ces années.
  
    Pour en revenir à Lord Darlington, ce n’est que dans les cinquante dernières pages que se dévoile de façon vraiment indiscutable ses positions pro-nazies et, comme son majordome, nous pouvons jusqu’assez tard dans l’histoire lui accorder le bénéfice du doute. Ce n’est qu’à l’avant dernière page que Stevens reconnaît son échec total officiel « J’ai fait confiance à la sagesse de Sa Seigneurie. Au long de toutes ces années où je l’ai servi, j’ai été convaincu d’agir de façon utile. Je ne peux même pas dire que j’ai commis mes propres fautes. Vraiment – on se demande – où est la dignité là-dedans ? » alors qu’il vient plutôt de constater un autre échec, plus officieux, et dont il ne parlera pas.
   Tout cela pour rebondir, cette fois, à la vraiment dernière page dans une direction plutôt inattendue quoique cohérente, sacré Stevens !
   Un grand livre. Indispensable.


978-2070416707