Affichage des articles dont le libellé est Nabokov Vladimir. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Nabokov Vladimir. Afficher tous les articles

21 février 2021

 La méprise 

de Vladimir Nabokov

*****


   Vladimir Nabokov avait 33 ans quand il a écrit la première version de « La méprise » qui avait alors un autre titre. Il était à Berlin et c’est là que ce roman fut publié pour la 1ère fois, tout d’abord en feuilleton (1934) puis en livre (1936). Plus tard, Nabokov le traduisit lui-même en anglais (titre Despair), puis en français (titre La Méprise). Vladimir avait des idées très précises et parfois originales sur la traduction d’œuvre littéraire et c’est ainsi que le titre se modifia d’une version à l’autre. D’autre part, lors des rééditions, l’auteur n’hésitait pas à apporter des modifications si bien que, comme il le dit lui-même, on peut, en comparant les trois éditions, trouver les différences, ajouts et retraits.

     Quoi qu’il en soit, l’ouvrage commence ainsi : « Si je n’étais pas parfaitement sûr de mon talent d’écrivain et de ma merveilleuse habileté à exprimer les idées avec une grâce et une vivacité suprême… »

   C’est assez donner le ton. L’histoire nous est racontée par un étrange personnage du nom de Hermann, incroyablement infatué de sa personne, partiellement fou, et profondément ridicule. On suit fasciné son incroyable récit, peinant parfois à croire qu’il ait vraiment pu avoir ce genre de raisonnement, mais y croyant quand même –grâce au considérable talent de Nabokov- hésitant tout au long entre le rire et la consternation. Je vous assure que Vladimir sait manipuler son lecteur et lui faire éprouver exactement ce qu’il veut quand il veut ; et quand on croit être assez malin pour deviner quelque chose par avance, c’est lui encore qui nous a glissé ce soupçon dans l’oreille. Mais je m’aperçois que je ne vous ai encore rien dit de l’histoire.

     Ce «merveilleux écrivain» se lance donc d’entrée de jeu dans le récit de ce qu’il a vécu et nous quittons bientôt la chambre où il écrit pour le suivre sur d’autres scènes et alors là…

     Par exemple, il commence par nous situer ses parents et son passé, et après à peine une page de cette mise en situation, il lâche négligemment « Une légère digression : dans ce passage concernant ma mère, j’ai menti de propos délibéré. »

     Le ton est donné. Quand il ne se trompe pas totalement, ainsi que le lecteur le devine ou le soupçonne (mais encore pas assez), Hermann mêlera tant mensonges et réalité que personne ne saura bientôt plus exactement ce qui se passe. Et pourtant il se passe quelque chose, et pas rien. Il y a mort d’homme. Quand je dis que personne ne saura, c’est que Hermann lui-même, l’homme aux 25 écritures (!), se perdra dans ce dédale qu’il a en grande partie créé, d’autant qu’il a assez souvent, dans sa vraie vie, une impression de flou et d’irréalité qui l’étonne lui-même et ne l’aide guère à distinguer les souvenirs réels des autres. Ce que le lecteur se demande donc aussi.

     Mais voilà que je ne vous dis toujours rien de l’histoire pourtant passionnante ! Alors disons : Hermann, homme d’affaire dont on ne sait plus s’il est riche ou pauvre, époux négligeant et méprisant d’une femme extraordinairement accommodante, fait aux premières pages de ce récit la rencontre fortuite d’un vagabond qui se trouve être son sosie. Il est absolument fasciné par cette incroyable ressemblance et cherche bientôt un moyen d’en tirer parti.

     Ce qui arriva ensuite, c’est ce qu’il vous raconte lui-même dans ces pages s’adressant directement à son lecteur, à vous qui l’écoutez envoûté… sauf que vers la moitié du livre, pratiquement par hasard, vous découvrez qu’en fait, ce n’est pas à vous qu’il parle mais à la personne à qui il va adresser ces pages. Et cette personne est… je vous laisse le découvrir.

     Hermann est un menteur, mais un menteur compulsif. Il ne peut pas se retenir. Il ment tout le temps, si bien que maintenant, il s’embrouille totalement, non qu’il y croie comme un mythomane, mais parce qu’il ne sait plus trop ce qu’il a dit à qui et quel rôle il doit jouer avec chacun. Son univers est ainsi devenu extrêmement instable et incertain. Mais il fonce quand même sans trop de crainte, certain ou à peu près, de toujours retomber sur ses pattes. Il faut vous dire qu’Hermann se croit très malin et manifeste une forte tendance à prendre les autres pour des imbéciles. Bientôt, dans ce labyrinthe, le lecteur, malin lui aussi, devine une issue imprévue, mais…

     L’écriture de Nabokov est ici encore, d’une maîtrise extraordinaire. Il est impossible de ne pas l’admirer. Au sujet de La Méprise, après avoir « démoli » les commentaires des critiques professionnels (qu’il détestait de façon épidermique) Nabokov conclut: « Les lecteurs ordinaires, en revanche, se réjouiront de sa structure simple et de son intrigue plaisante. »

   C’est vrai.

   Mais néanmoins, rien n’est plus faux.

978-2070384020

12 novembre 2020


 Pnine 
 de Vladimir Nabokov
****


  
 
Quel drôle de roman que celui-ci ! Pas une des plus grandes réussites de Nabokov mais pour l’inconditionnelle que je suis, tout est intéressant. Ce qui frappe, quand on le lit, c'est son aspect décousu, voire parfois irrationnel et chaotique. Quand on connaît la genèse de l’œuvre, on apprend qu'il s'agit bien de morceaux distincts que l'auteur a réagencés et organisés pour en faire un roman. On peut dire que cela se voit ! Même avec cette explication, on se dit que Nabokov ne s'est pas donné trop de mal. Je suis persuadée qu'il aurait été capable de faire beaucoup plus cohérent et fluide. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Plusieurs explications possibles viennent à l'esprit, mais faute de renseignements fiables, je ne m'y hasarderai pas.

Il n'en reste pas moins que ce livre est très intéressant et plein de... charme. Nous suivons Pnine (Timofey Pavlovitch Pnine), Russe blanc exilé ayant pas mal crapahuté à travers l'Europe avant d’atterrir dans cette petite université où il est depuis neuf ans professeur de russe (non titulaire). Nous le suivons par la plume d'un étrange narrateur omniprésent qui semble toujours derrière son dos alors que nous comprenons que, techniquement, il n'y est pas. Si ce narrateur se présente d'entrée de jeu comme « son ami », nous n'en saurons pas plus avant la toute fin.

Pnine est un homme solitaire qui n'a pas eu une vie facile et pour lequel le lecteur se sent de l'indulgence et de la sympathie malgré ses bizarreries et son caractère pas toujours facile lui non plus. Il aurait été inspiré à Nabokov par un de ses collègues bien que certains voient en lui un reflet de Nabokov lui-même. Mais je ne partage pas cette opinion, pour moi, Nabokov est bien là, mais dans un autre rôle.

Nous allons suivre notre professeur de russe dans sa vie professionnelle aussi bien que privée pendant plusieurs mois et voir son existence prendre un nouveau tournant. Nous le verrons plutôt dans les petites choses de sa vie, une erreur de train, un livre qu'on ne trouve pas, des malaises, des rêveries, des exigences et des erreurs. Pnine a maintenant un certain âge et rien ne lui arrive plus sans lui évoquer des souvenirs anciens, certains heureux, d'autres moins. Et puis, notre homme a aussi ses faiblesses, il n'est pas rare qu'il soit ridicule dans ce monde américain, ou que son humour russe n'atteigne que lui-même. 

« C'est drôle à pleurer » disait Graham Green de ce livre et c'est vrai. Tout est constamment d'un ton d'humour froid que, personnellement, j'adore. Ainsi, une page d'histoire : « Le cercueil du saint, jeté à l'eau par un roi furieux, devait faire route doucement jusqu'aux côtes de la Sicile, probablement une légende, vu que la Caspienne est restée strictement à l'intérieur des terres depuis le pléistocène. » L'humour à froid y est aussi parfois très acéré : « Deux caractéristiques distinguaient Léonard Blorenge, président du département de langue et littérature française ; il détestait la littérature et il ne savait pas le français. »
Mais c'est tout autant d'un niveau littéraire et poétique soutenu. Les belles pages surgissent ici ou là, comme pour tenter de compenser la construction un peu bâclée. 

L'auteur n'a pas été avare de son savoir-faire, parfois trop prodigue même, comme lorsque le récit commence et finit par la même scène... joli, mais facile. Les thèmes du double, de la confusion de personnages, des erreurs que seul le personnage fait, thèmes chers çà l'auteur se retrouvent dans ce livre, un peu encombrantes d'ailleurs souvent, comme un collage bricolé, mais antiennes familières que le lecteur fidèle aime retrouver.   

Une histoire donc, un peu sans queue ni tête mais pourtant pleine de sens, que je conseillerais  indiscutablement tant sont grands les charmes de l'écriture de Nabokov et du « pauvre Pnine » (ce qui faillit être le titre de ce roman).

Citations :
« Son mari démontrait de façon si apaisante à quelle capacité de silence l'humain peut atteindre à condition de s'abstenir strictement de tout commentaire sur le temps qu'il fait. »

« Pour ma part, je n'ai jamais beaucoup apprécié Bolotov ni ses écrits philosophiques qui combinent si bizarrement l'obscur et le banal. »
  



978-2070384624

06 juin 2020


                                        Transparence des choses

                                           de Vladimir Nabokov

                                              ****



Présentation de l'éditeur:
"Alors que le taxi qui l'a amené de Trux à Witt s'arrête devant l'hôtel Ascot, Hugh Person, éditeur américain entre deux âges, évoque ses trois séjours précédents dans cette minable station des Alpes suisses. Le premier, dix-huit ans plus tôt, a été marqué par deux événements tout aussi lugubres dans son souvenir: la mort de son père et sa première expérience sexuelle (avec une prostituée). Quelques années plus tard, invité à se rendre une deuxième fois en Suisse pour travailler avec un écrivain célèbre, Mr. R..., Hugh rencontre Armande, fille capricieuse d'un architecte belge et d'une Russe exilée, et tombe éperdument amoureux d'elle. Un meurtre, de nombreux cauchemars, une fructueuse entrevue avec un psychiatre et quelques incendies réels ou rêvés complètent la trame de ce voile transparent à travers lequel brille le passé..."

Court roman entièrement porté par la si belle écriture littéraire de Nabokov. Un écrivain qui ne déçoit jamais vraiment, même si comme ici, je n'ai pas bien vu où il voulait aller. A commencer par l’évocation de ces quatre séjours... mais je n'en trouve que trois. A 22 ans, quand son père meurt, à 32 ans quand il tombe amoureux et à 40 ans quand il revient sur les lieux de leur séjour.

Une histoire d'amour étrange et que le lecteur ne comprend pas bien. Ainsi au départ, il ne nous raconte que comme elle (Armande) ne répond pas à son amour, Pour nous dire soudain qu'ils sont mariés! Fantasme ou réalité? S'ensuivra une histoire de folie peu explicite.

Le début est intéressant , quand il ne peut évoquer un objet dans une description, simple élément du décor, sans être emporté par l'histoire de cet objet (exemple, il y a un crayon => on remonte à l'arbre et au graphite dont il est fait)

"Ainsi donc, tout le petit drame, du carbone cristallisé et du pin abattu à cet humble instrument, à cette chose transparente, se déroule en un clin d’œil. Hélas, le crayon fini lui-même, tel que Hugh l'a un instant tenu entre ses doigts, continue à nous échapper d'une façon ou d'une autre! "

Est-ce là la "transparence des choses" du titre?

NB: Plusieurs fantasmes/évocations de séductions de mère et de fille (on songe à la future Lolita)

Inimitable : "Tous les rêves sont des anagrammes de la réalité diurne"






978-2070386901