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19 février 2023

Le pouvoir des fleurs

J M Laclavetine

***+


J.M Laclavetine sait nous trousser de ces aventures étonnantes et pleines de rebondissements qui ne reculent pas devant les excès romanesques. En voici une qui nous fera voyager, de Cuba au Quartier Latin.

Nous sommes tout d’abord à Paris en Mai 1968. Dans un squat communautaire s’épanouissent quatre amis de 18-20 ans tous épris de Lola, 10 ans de plus qu’eux, fille de bourgeois, ce qu’ils ignorent d’ailleurs. Ce qu’ils vont apprendre tout de suite par contre, c’est qu’elle est enceinte et, comme l’époque invente ses nouvelles formes d’amour, ils décideront d’être les pères, conjointement si l’on peut dire. Hélas, le bébé est kidnappé à la naissance et le reste du livre nous mènera sur 20 ans à travers les diverses tentatives pour le récupérer. Car Lola l’ignore encore, mais elle a un ennemi… et il est féroce et acharné.

Ce qui fait le charme de ce roman un brin déjanté, ce sont d’abord les personnages: Les quatre pères qui ont chacun une vraie originalité, un monde à eux et une réelle épaisseur psychologique, ce qui les rend tous intéressants. La personnalité de la mère et du reste de son entourage n’est pas faible non plus, comme on aura bien l’occasion de le constater. Tous les personnages sont hauts en couleurs, chacun va de toutes ses forces dans sa propre direction ce qui permet de belles rencontres comme de jolis carambolages. Et, l’époque y étant favorable, nul ne manque d’imagination ni d’esprit d’invention. Nous en verrons les fruits. Le crayon de Laclavetine est toujours là pour tracer en trois pages ou en trois lignes, le portrait d’un personnage que l’on imaginera immédiatement avec précision.

La vedette suivante est l’époque qui, de 1968 à 1988 a connu une vingtaine d’années où tout était possible ou semblait l'être. L’auteur, qui sait de quoi il parle, nous en transmet l’ambiance et l’humeur avec art, on s’y voit et on surfe sur cette vingtaine tonique (surtout au début). Le récit est assaisonné de slogans ou de phrases-clés de chansons que les contemporains reconnaissent au passage avec plaisir (il en est une de Ferré que l’auteur semble apprécier particulièrement puisqu’il la cite dans plusieurs romans). Les soixante-huitards échevelés, 20 ans après, se sont trouvé une place, quelle qu’elle soit. Nos héros comme les autres.

Le dernier atout, évidemment, c’est le style de J.M Laclavetine qui sait tout raconter avec aisance, élégance et humour. Ainsi, sous sa plume, voici à quoi ressemble un chantage:

"Ce sera pour moi l’occasion de vous restituer certains documents qui m’encombrent. Des photographies par exemple, que j’ai prises machinalement alors que vous étiez en train de négocier des doses de produits illicites avec un pourvoyeur bien connu sur la place."

Un message de ce genre ne rend-il pas le premier contact moins rugueux? Après, pour la suite, faut voir bien sûr, il n’y a pas que des non-violents dans cette histoire.

J’aurais tendance à classer ce roman dans la catégorie "polars" Ce n’en est pas vraiment un mais il y a enlèvement, recherches, diverses escroqueries, des morts violentes, des fusillades, alors on dira polar et un bon en plus.


9782070428267

29 novembre 2021

Demain la veille 

de J.M Laclavetine

****+


Chroniques trans-temporelles

Ce qui caractérise souvent les romans de J.M Laclavetine, c’est la richesse imaginative de l’auteur et l’originalité de l’idée qui leur a donné naissance. Les amateurs ne seront encore pas déçus cette fois-ci. Puisqu’il s’agit d’une aventure qui suit le point de vue d’un très évolué homme préhistorique. J’ai évidemment tout de suite pensé à l'excellent "Pourquoi j’ai mangé mon père" de Roy Lewis et je craignais un peu soit que J.M Laclavetine se soit laissé inspirer, soit qu’il supporte mal la comparaison. Mais c’était mal le connaître et il est passé loin au-dessus de ces deux écueils. On cesse dès les premières lignes de penser à "Pourquoi j’ai mangé mon père" et on n’y reviendra plus tant les deux optiques sont différentes bien que nous ayons là aussi un livre drôle (mais pas que) se passant chez nos ancêtres à sourcils proéminents (mais pas que non plus).

Nous suivons, Noah, vieil homme de Neandertal, le plus vieux de sa tribu mais le plus dégourdi aussi puisqu’il est encore seul à maîtriser le feu. C’est lui encore qui aura l’idée de dessiner et peindre sur les murs de sa grotte mais, premier d’une longue série d’artistes en avance sur leur époque, son art sera peu prisé de ses congénères. En particulier, sa vénus à peau dépourvue de poils et sortant de l’onde dans une coquille sera considère comme une obscénité atroce et manquera lui valoir le lynchage (oui je sais, William Lynch était loin d’avoir vu le jour mais la chose existait déjà, même si elle attendait encore qu’on lui trouve un joli nom).

Noah suit sa tribu tout en restant un peu à l’écart, il préfère ne pas trop se mêler à ses congénères tout de même trop… primaires à son goût. A défaut de le massacrer, ils en auraient bien fait leur chef mais c’est un poste qui ne tentait guère Noah, trop de charges, trop d’ennemis. Il faut aimer cela. Anarchiste avant l’heure, Noah ne désire pas plus être maître que d’en avoir un. Il "pistonne" donc un mâle plus adapté à la charge

"Le chef, pour se donner un genre, portait autour du cou un renard argenté qu’il n’avait pas pris la peine de vider, et qui répandait dans un large périmètre l’odeur inimitable du pouvoir."

et se tient légèrement en dehors du groupe. Il s’est tout de même lié d’amitié avec un jeune couple. La femme est sur le point de donner naissance à leur premier enfant mais c’est l’hiver et les conditions sont plus que difficiles…

Une des autres caractéristiques de Noah est de faire des rêves très puissants et très étranges qui lui montrent un monde incroyablement différent du sien et peuplé d’hommes et de femmes bien différents aussi de ceux qu’il côtoie. Eux, ils ont bel et bien une peau dénuée de poils, ils ne souffrent ni de famine ni du froid glacial de l’hiver. Leur vie est belle et douce. Noah retrouve à chaque rêve Hélène et Noé. Hélène veut absolument un enfant, Noé non.

A la suite d’un hoquet spatio-temporel que je vous laisse découvrir ils en auront un quand même, qui s’appellera Adam, "rejeton trans-temporel" dont le physique… disons néandertalien, étonnera beaucoup ses contemporains et dont l’histoire jettera bien des ponts entre les deux époques.

Ce qui fait le grand charme de ce roman, c’est l’écriture extrêmement aisée et le ton d’un humour à froid très efficace dans les pires circonstances.

"Les plus faibles mouraient. On les mangeait sans plaisir, car la lente agonie dans ces lieux malsains donnait à ce qu'il leur restait de chair un goût de salpêtre et de vase. Leurs os friables ne pouvaient pas même servir à confectionner des outils. On conservait parfois leur crane par respect machinal de la tradition. Les plus aimés étaient décorés; les autres, percés de petits trous, servaient d'écumoires, ou de balances pour la pêche aux écrevisses."

souligné de clins d’œil anachroniques drôlissimes comme "la musique émolliente de John-Michaël Amphore, le célèbre marchand de sons"

Ce qui fait son grand intérêt, c’est le regard détaché et lucide posé sur l'éternel humain, celui qui traverse les âges. On y trouve bien ce qui, de tout temps, en bien comme en mal, a fait l'Homme car Laclavetine a su le dénicher avec beaucoup de justesse.

Un vrai plaisir de lecture. Ce roman est mon préféré des 6 de lui que j'ai lus, talonné de près par "Première ligne".


978-2070402052