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27 novembre 2022

Elizabeth Finch

de Julian Barnes

***+


Le narrateur s'appelle Neil, la trentaine, acteur qui n'arrive pas à percer et qui toute sa vie, devra compléter ses revenus avec des boulots divers et variés. Retourné sur les bancs des amphis pour parfaire ses connaissances, il tombe, dès le premier cours sous le charme de son prof de "Culture et civilisation", la cinquantaine, personnalité intéressante, il est vrai. Après les études, ils continueront à se voir épisodiquement à Londres, en mangeant ensemble. Leur amour ne sera jamais ni oralisé, ni concrétisé, mais durera jusqu'à la mort d'Elizabeth puis, on peut le supposer, celle de Neil, bien plus tard. C'est une belle histoire, admirablement bien portée par la belle écriture de Barnes. L'ambiance m'a fait penser à son précédent roman, "La seule histoire", même le fantôme de l'alcool, qui ne réapparaît pas ici mais qui flotte dans l'air sans être jamais évoqué (pourquoi cette obligation de restaurant "sans alcool"). On a l'impression qu'il y a beaucoup de l'auteur dans le narrateur, comme c'est d'ailleurs souvent le cas dans ce mode de narration. Cependant, ignorant tout de la vie réelle de l'auteur, je ne sais pas si cette impression est fondée ou non.

Le problème de ce roman est qu'il souffre d'un malentendu causé par sa quatrième de couverture. Il nous y est présenté comme "un roman d'amour pas du tout comme les autres" et portant sur la personnalité mystérieuse et fascinante d'Elizabeth Finch, professeur d'université, objet de cette flamme qui durera toute la vie de cet élève épris. La quatrième de couverture nous dit cela, et rien de plus. C'est passer un peu vite le fait que sur les 200 pages du roman, 50 sont une stricte biographie de Julien l'Apostat (qu'on aurait plus judicieusement dû nommer Le superstitieux), ainsi qu'une étude sur les vertus comparées du mono et du poly théisme. Je ne dis pas que ce soit sans intérêt, bien au contraire, je dis qu'il y a de quoi prendre de court les amateurs d'histoires d'amour et de rater le lectorat des amateurs d'Histoire antique. Beaucoup des premiers ne dépasseront pas la moitié du livre, tandis que les seconds n'ont même aucune raison de l'ouvrir.

L’intérêt de ce livre tient à la quantité de notions intéressantes qui y sont mises en lumière et examinées. Comme par exemple "le narcissisme des petites différences", les projections sur ce qu'aurait pu être un monde non chrétien, etc. Et tout cela se termine par une mise en abyme subtile et amusante.

Bref, ça reste du Julien Barnes.


PS: A noter, le traducteur a inventé un mot, à savoir "monotesticulaire" à défaut de "monorchide".


Extraits:

"Notre héritage génétique peut nous entraver. Ainsi que des évènements passés dans notre vie. Il n'y a pas que les soldats sur le terrain qui souffrent plus tard de troubles liés au stress post-traumatique."


"Etrange qu'il y ait des hommes qui se persuadent que le désir est une émotion. Une des plus ^primaires, alors.

Et il en est beaucoup d'autres qui confondent "se sentir coupables" et "être absous". Ils sont peu conscients qu'il y a des étapes entre les deux."


"Le sentiment que l'existence, en dépit de ce qu'on aimerait qu'elle soit, ne se résume pas à une histoire - ou pas une histoire telle qu'on la comprend et l'espère."


"- De toutes les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non.

- Continue

- Et il faudrait apprendre à distinguer les unes des autres, et admettre qu'il n'y a rien à faire au sujet de ce qui ne dépend pas de nous, et reconnaître que cela nous conduit vers une véritable compréhension philosophique de la vie."


"Toutes les religions (ou presque toutes) détestent bien plus l'apostat que le paysan ignorant qui peut généralement, avec un peu de sévère persuasion, être hissé, clignant des yeux, vers la lumière. Gibbon écrit que les Juifs de cette époque tuaient ceux qui apostasiaient. Peut-être est-ce vrai de toutes les grandes organisation unitaires. Trotsky fut assassiné à Mexico pour avoir renié la seule vraie foi politique. Mais tout autant que de haïr les apostats, de tels système en ont besoin.: en tant qu'exemples négatifs, pouvant servir d'avertissement. Abandonnez votre religion, prêchez contre elle, attaquez-la, et voyez ce que vous obtenez: une lance dans le foie, un pic à glace dans le crâne."


(Si Julien l'Apostat l'avait emporté) "Imaginez les seize derniers siècles sans guerres de religion, peut-être sans intolérance religieuse ou même raciale. Imaginez la science non entravée par la religion. Effacez tous ces missionnaires forçant des peuples indigènes à adopter leur croyance pendant que des soldats de même provenance volaient leur or."


978-2715258839



26 janvier 2021

La seule histoire 

de Julian Barnes

****+


Titre original : The Only Story
  
   Paul 19 ans, un rien hâbleur comme sont les jeunes gens de cet âge, nous est raconté par Paul, bientôt 70 ans, qui fait le bilan de sa vie. Et la vie de Paul, ce fut d'abord cette puissante histoire d'amour qui s'empara de lui, jeune étudiant, en vacances chez ses parents. Alors que pour se distraire un peu, il s'est mis à fréquenter le club de tennis local, il y rencontre Suzanne, tout de même 29 ans de plus que lui, et tout de suite, ils sympathisent sur un pied d'égalité. A aucun moment il ne voit en elle une égale de sa mère, mais bien une égale de lui-même. C'est le premier miracle de l'amour. De même, aucun des deux ne semble tenir beaucoup compte de son mari riche, grincheux, brutal. Il existe, on en a pris note, mais cela ne change rien. Ce qui frappe dans cet amour, c'est la façon indiscutée dont il s'installe et s'impose. C'est une très belle histoire d'amour, racontée à la première personne. On la lit avec bienveillance et tendresse... mais il n'en est pas de même pour le village, on s'en doute, et au foyer, la situation devient intenable avec le mari. Paul a son diplôme et les deux amants décident de partir vivre ensemble à Londres.
  
   Là, on s'en doute, la vie est un peu différente, mais toujours belle. Paul démarre sa vie professionnelle, Suzanne ne travaille pas, et semble avoir un peu de mal à tourner la page, à dire adieu à son ancienne vie et, pour tout dire, à trouver un équilibre dans la nouvelle. Et soudain, la première personne de narration est remplacée par le "vous" qui interpelle et même, dans mon cas du moins, heurte un peu. J. Barnes sait ce qu'il fait. Ce "vous" accompagnera la découverte des dysfonctionnements de plus en plus marqués de la vie de Suzanne et de leur amour. L'alcoolisme, sans doute préexistant mais jusqu'alors invisible, dissimulé par celui plus spectaculaire de son mari, réapparait et même s'installe et empire. Paul le découvre avec stupéfaction et tente tout pour le vaincre et tirer Suzanne de cet engrenage. Mais la Suzanne qu'il aime s'efface peu à peu derrière celle qui lui préfère l'alcool. La vie de Paul est "bouffée" par ce drame, il bloque sa vie sociale et sa carrière, quant à sa vie amoureuse... Ils vont passer ensemble dix ans. Mais peu à peu, Paul s'incline devant un ennemi plus fort et se détache, se détourne vers le reste de sa vie. Le "vous" des situations de crise se retire, laissant place à une narration plus calme, et bientôt apaisée, à la troisième personne car ce n'est plus entièrement lui, c'est un "lui" un peu réduit par cette expérience douloureuse. La vie sera encore belle, mais finies, les grandes histoires d'amour. Il sera devenu un vrai solitaire.
  
   J. Barnes excelle, avec son intelligence et sa sensibilité, à dépeindre les évolutions sentimentales et psychologiques. Tout est juste et finement observé dans cette histoire d'une vie. On la suit avec un intérêt qui ne faiblit jamais et avec le sentiment qu'il nous place au plus près du cœur de cette histoire. Une seule chose m'a vraiment étonnée, c'est la totale indifférence de Paul pour ses parents auxquels il ne semble pourtant pas avoir grand chose à reprocher (à part d''être conventionnels quand lui ne l'est pas, mais quel jeune n'a pas pensé de même?). Aucune empathie, aucun souci d'eux. Comme s'ils n'existaient pas, et ce, dès le départ. Etonnant.
  
   Mais un excellent J. Barnes, qui ne faiblit pas et nous livre là au contraire, un de ses tout bons.



978-2715247079