29 septembre 2022

Chien 51  

de Laurent Gaudé

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Quatrième de couverture :

"C’est dans une salle sombre, au troisième étage d’une boîte de nuit fréquentée du quartier RedQ, que Zem Sparak passe la plupart de ses nuits. Là, grâce aux visions que lui procure la technologie Okios, aussi addictive que l’opium, il peut enfin retrouver l’Athènes de sa jeunesse. Mais il y a bien longtemps que son pays n’existe plus. Désormais expatrié, Zem n’est plus qu’un vulgaire “chien”, un policier déclassé fouillant la zone 3 de Magnapole sous les pluies acides et la chaleur écrasante.

Un matin, dans ce quartier abandonné à sa misère, un corps retrouvé ouvert le long du sternum va rompre le renoncement dans lequel Zem s’est depuis longtemps retranché. Placé sous la tutelle d’une ambitieuse inspectrice de la zone 2, il se lance dans une longue investi­gation. Quelque part, il le sait, une vérité subsiste. Mais partout, chez GoldTex, puissant consortium qui assujettit les pays en faillite, règnent le cynisme et la violence. Pourtant, bien avant que tout ne meure, Zem a connu en Grèce l’urgence de la révolte et l’espérance d’un avenir sans compromis. Il a aimé. Et trahi.

Sous les ciels en furie d’une mégalopole privatisée, “Chien 51” se fait l’écho de notre monde inquiétant, à la fois menaçant et menacé. Mais ce roman abrite aussi le souvenir ardent de ce qui fut, à transmettre pour demain, comme un dernier rempart à notre postmodernité."


Nous sommes dans un futur de quelques décennies. Zem Sparak, notre personnage principal, la cinquantaine, est né en Grèce. Il a connu la Grèce telle que nous la connaissons actuellement ou presque. Le presque, c'est que les consortiums internationaux sont devenus tellement puissants qu'ils n'ont plus besoin de se cacher pour dicter leur loi aux états.  Goldtex a racheté donc  la Grèce ruinée, "le territoire, mais aussi ses habitants". Mi-citoyens mi-salariés, ils sont devenus les cilariés de Goldtex et vivent "un monde privatisé où il n'y a plus de nationalités".  Ils sont de moins en moins nombreux, comme Zem, à avoir connu et à se souvenir des pays d'autrefois, et ces souvenirs sont tous traumatisants car, comme on s'en doute, le passage, le rachat, ne s'est pas fait sans beaucoup  de violence.

Zem, homme dur, à demi détruit, se ressourçant dans les paradis artificiels,  est une sorte d'inspecteur de la criminelle affecté à la zone 3, terrains vagues où la pluie est jaune et huileuse et que les tempêtes ravagent régulièrement, la zone la plus misérable et dangereuse. Mais Sparak aussi est dangereux. Il a ses parts d'ombre qu'il essaie de racheter en se consacrant à la traque des assassins de pauvres. 

"Chien 51" est de la science-fiction, mais c'est aussi un roman policier sur fond de campagne électorale. On a retrouvé dans la zone 3, le cadavre d'un homme éventré et aux organes arrachés.  Cela ne serait pas absolument remarquable dans cette zone si la victime n'était pas un habitant de la zone 2 bien plus bourgeoise et qui est protégée par un dôme. Or, comme on s'en doute, il n'est pas dans les habitudes des habitants de la zone 2 d'aller se promener en zone 3. Que faisait-il là? Voilà de plus que l'autopsie révèle que c'était un "greffé", or les greffes d'organes, grosses valeurs de ce monde qui vise l'immortalité de quelques-uns et la très grandes mortalité de beaucoup d'autres,  ne sont distribuées qu'à une rare élite. Un registre des heureux récipiendaires est strictement et très officiellement tenu, or cet homme n'y figure pas, ce qui est absolument impossible.  Qui est cet homme ?

Un roman captivant et profond aussi, qui parle de la dérive de notre monde, de ce qui le meut vraiment  et de ce qui, finalement, a de la valeur pour l'homme. Qui montre a contrario, comment il se détruit en permanence et détruit son univers. Notre univers. Comment, dans la logique folle qui s'emballe, logique de l'argent, le malheur est aussi universel qu'individuel.

978-2330168339


24 septembre 2022

La mère 

de Pearl Buck

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Quatrième de couverture:

"La vie quotidienne d'une paysanne chinoise avant la Révolution. Avec les mots du cœur, et un sens aigu du détail, Pearl Buck nous retrace cette existence pathétique où s'affirme à travers la souffrance et le désespoir la noblesse secrète des pauvres et des humiliés."


La mère a trois enfants en bas âge et un mari qui ne songe qu'à son propre plaisir et ne se soucie pas de sa famille. Après avoir dépensé la totalité de la maigre dot, il disparaît, laissant même sa vieille mère. Au défi de faire vivre sa famille, le femme ajoute celui de dissimuler au village qu'elle a été abandonnée. Elle raconte qu'il est parti travailler en ville, et même qu'il leur envoie de l'argent.

On admire d'abord la peinture de la vie pauvre des paysans chinois de cette époque.On admire la parfaite connaissance que l'auteur a de leur mode de vie et de pensée et comment elle sait bien les peindre dans leur misère mais sans misérabilisme, dans leur honneur au contraire. Les communistes sont alors de simples rumeurs de la ville. Les paysans les considèrent comme des voleurs et des bandits. Tandis que Pearl Buck nous laisse voir que dans leurs rangs se trouvent aussi bien des idéalistes assoiffés de justice sociale que des profiteurs paresseux fuyant la rude vie de paysan.

Ce roman montre aussi la volonté et la puissance de cette mère qui prend tout en charge et fait face à tout sans jamais fléchir malgré ses propres besoins et ses propres faiblesses.

On en parle moins, en général, quand on évoque ce roman, mais pour moi, c'est aussi le roman de l'injustice. La mère adore son époux parce qu'il est beau et a l'air élégant. Elle lui pardonne pour cela son égoïsme absolu et même son abandon. De même, entre un fils beau, égoïste et jouisseur comme son père et un fils plus rude mais honnête et prenant soin d'elle, elle préférera toujours le premier et de loin, ne tenant aucun compte de tout ce que l'autre fait pour elle. De même, elle n'est que reproches pour sa belle-fille qui pourtant la traite parfaitement bien. Ainsi Pearl Buck a su montrer que cette mère qui a mené une vie d’héroïne, a aussi une face irrationnelle et injuste qui peut faire beaucoup souffrir autrui. Mais sur cela comme sur tout le reste, P. Buck ne porte pas de jugement. Elle se contente de montrer, elle fait confiance à son lecteur pour réfléchir sur ce qui lui est dit et se forger une opinion. C'est une des grandes qualités de cette auteure.

Aussi bien pour sa peinture hyper réaliste de la vie des paysans pauvres de cette époque, y compris le sort des filles dont on redoute la naissance, que pour le récit poignant et où l’intérêt est sans cesse renouvelé et pour cette épaisseur à faces multiples de chaque personnage, ce roman est un chef d’œuvre. Il nous apprend des choses et améliore notre compréhension de l'humain.

978-2253006220



19 septembre 2022

La Vie exagérée de Martin Romaña 

Alfredo Bryce-Echenique

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Ce roman est le premier volume du diptyque "Cahiers de navigation dans un fauteuil Voltaire". Le second est "L'Homme qui parlait d'Octavia de Cadix"

C'est une histoire d'amour et de déraison. Une passion totale et très tendre, mais les histoires d'amour...

Installé "dans (m)on fauteuil Voltaire remémorateur", Martin Romaña, le narrateur rappelle les souvenirs de sa jeunesse, quand, jeune péruvien de bonne famille, il avait rejoint Paris dans les années soixante, pour voir si c'était bien une fête. Sa famille le voulait avocat, il se veut écrivain et bohème. A Lima, il était tombé fou amoureux d'Inès et par chance, elle le rejoint bientôt à Paris. Par chance? Au début oui, la passion amoureuse est parfaite entre eux. Ils logent dans un minuscule appartement sous les toits où leur propriétaire ("le monstre") sadique fait tout pour leur pourrir la vie sans même y parvenir tant ils flottent sur leur petit nuage. Il fréquentent à ce neuvième étage, un monde de pauvres pour qui Paris est trop cher mais qui y vivent quand même. C'est un peu comme une rue de village et on s'amuse des portraits esquissés avec talent. Ceux qui ont vécu dans ces "chambres de bonne" saisiront tout de suite l'ambiance et le décor. Ils sont bien rendus.

Le couple qu'il forme avec Inès est bâti sur des rapports quasi mère-enfant. Elle est la raisonnable, la forte, celle qui décide, et lui l'enfant tout fou, aux actes imprévisibles. Ils ont tous les deux accepté ces rôles parce qu'ils leur sont commodes et réellement proches. Martin Romaña est sujet aux lubies les plus inattendues et dont les conséquences ne le sont pas moins. 

Parallèlement, plutôt à l’instigation d'Inès, ils font tous les deux partie d'une cellule communiste qui impose comme elles l'ont fait partout dans le monde le corset de la ligne du Parti et, comme on peut s'y attendre, Martin a le plus grand mal à s'y intégrer. En attendant, puisqu'il est écrivain, la cellule l'a chargé d'écrire un livre sur les luttes syndicales des marins pêcheurs, sujet dont il ignore absolument tout et qui ne l'inspire absolument pas, mais, pour l'amour d’Inès, il obtempère comme il peut.

Je vous laisse découvrir le développement de l'histoire. Bientôt viendra Mai 68 qui ne sera qu'une exagération de plus dans la vie déjà bien exagérée de Martin Romaña. Mais ce que ce roman est surtout, c'est une énorme histoire d'amour. Martin est littéralement fou d'Inès et quand leur histoire tournera court, il en perdra la raison et la santé, et alors là, attention, pas une discrète "maladie de poitrine" qui vous permet d’abandonner quelques poignantes gouttelettes de sang sur un mouchoir de dentelle, non, comme on pouvait s'y attendre avec lui, il somatisera bien différemment. Ce sera... dantesque! Ou rabelaisien, plutôt.

Ce gros roman foisonnant est un roman picaresque ou Romaña, l'alter ego de Bryce-Echenique, nous entraîne dans les aventures les plus incroyables à travers l'Europe. Il y a plein de clins d’œil amusants, ainsi, le fait que Romaña connaisse bien Bryce-Echenique, et le fréquente, il se fera même mettre KO par lui. On oscille de la compassion au rire. C'est très drôle par moments, bien vu, plein de finesse, et émouvant toujours, mais ce qu'il y a par dessus tout, c'est le style, l'écriture! Une écriture pour amoureux de la littérature où, au fil des pages, l'auteur crée sa propre syntaxe et son propre vocabulaire. C'est admirable... mais pas à la portée de tous les lecteurs. Je préfère le signaler. Quand après cette lecture, j'ai enchaîné avec un gentil auteur français fort bien coté, ce dernier n'a pas supporté le choc de la comparaison. C'en était pathétique. Sommes-nous devenus trop peu exigeants littérairement? Pas exclu. 

978-2020132268

671p  



15 septembre 2022

Tombouctou

de Paul Auster

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Tombouctou, c'est pas si loin

Quatrième de couverture :

"Dès le premier chapitre de ce roman, on sait qu’est imminente la mort de Willy, le maître de Mr Bones, un chien des rues. Willy erre dans Baltimore à la recherche d’une de ses anciennes institutrices à laquelle, avant de mourir, il voudrait confier son chien et l’œuvre de sa vie. Mais il mourra sans avoir pu assurer l’avenir de ses écrits ni celui de Mr Bones qui se retrouve donc livré à lui-même, privé de celui qui représentait à ses yeux la raison d’être de l’univers et qu’il imagine parti pour Tombouctou, l’au-delà des bienheureux. Les harangues que Willy mourant adresse à son camarade chien, ses monologues, de même que les souvenirs que Mr Bones garde des méditations et fantaisies poétiques de son maître donnent à cette fable romanesque une teinte d’humour et de mélancolie."


Quand j'ai commencé à lire, je croyais avoir compris que ce roman était écrit comme si c'était un chien qui parlait. Ce n'est pas tout à fait exact .« Tombouctou » est un roman écrit à la troisième personne par un narrateur extérieur à l'histoire. Simplement, il voit et comprend tout ce qui se passe par ce qui est supposé être le regard du chien. C'est beaucoup plus subtil, et plus subtil également de parvenir à nous transmettre cette impression de "parler chien" puisque jamais le chien ne parle (malgré un ou deux essais de voix), et que sa pensée n'est pas si souvent exprimée en style direct.

Quoi qu'il en soit, dès qu'on fait parler un animal, certains auront tendance à penser qu'on a affaire à un genre mineur, qu'on bêtifie (d'où le nom sans doute) mais je pense qu'ils ont tort. Faire parler un animal n'est qu'un artifice utilisé pour faire parler les sentiments les plus primaires et donc les plus authentiques. On aborde de cette façon les problèmes de la vie, de la mort, de l'enfance, de l'amour, du travail, de l'argent (?), de tout ce qui ponctue notre existence. Ensuite, on y parvient ou non, l'entreprise est réussie ou non, c'est une autre affaire. Mais au départ, à mon avis, faire parler un animal, tenter de voir par les yeux d'un animal ne doit pas être considéré comme une faiblesse du récit.

En ce qui concerne « Tombouctou », j'estime l'entreprise réussie. J'ai bien aimé ce livre pour l'histoire de ce poète perdu qui meurt sur un trottoir et pour celle de son chien qui après cela, aura l'occasion de nous emmener rencontrer divers spécimens d'humains. Les sentiments règnent en maîtres dans ce récit, même si ce ne sont pas ceux que l'on rencontre le plus souvent dans les romans. Mais, dans les romans, on trouve tout.

9782330126421



09 septembre 2022

Fatherland

de Robert Harris

****+


Initialement traduit sous le titre "Le Sous-marin noir"

On ne peut pas lire ce roman de Robert Harris sans penser à Philip Kerr, sauf que Bernie Gunther, le héros de Kerr est censé évoluer dans le troisième Reich alors que Xavier March, celui de Harris, évolue en 1964 car nous avons ici une uchronie basée sur le postulat qu'Hitler a gagné la guerre et que toute l'Europe est maintenant à lui. Le régime nazi est installé partout, avec toutes les joyeusetés qui le caractérisent. Il contrôle bien sûr jusqu'à l'intimité des gens. On ne sait pas ce que sont devenus les Juifs d'Europe. On ne les voit plus. Ils ont dû être déplacés vers l'Est...

March est un policier qui croit encore à son rôle. Il a fait la guerre dans un sous-marin, il a risqué sa vie mais sous les flots. Il a peu vu ce qui se passait à l’extérieur, puis il a repris la vie civile dans la Kripo. Il est là pour protéger. Dans son uniforme noir d'officier SS il voit bien qu'il effraie tout le monde et il utilise cette crainte pour mener à bien ses enquêtes sans trop se poser de questions. Sur le plan personnel, il est divorcé et a un jeune fils qui se détourne de plus en plus de lui car le gamin est maintenant entré dans les Jeunesses Hitlériennes où il est de bon ton de surveiller et dénoncer ses parents. Il ne trouve pas son père assez nazi. Il n'a sans doute pas complètement tort et dans l'entourage de March, d'autres le soupçonnent aussi.

Ce matin-là, March est appelé par erreur bien qu'il ne soit pas de service, pour un corps découvert dans le fleuve. N'ayant pas de vie privée, il accepte d'y aller pour laisser son collègue et ami en famille. Il découvrira ensuite que loin d'être n'importe qui, cet homme était un ponte nazi de la première heure. Il a participé à la Conférence de Wannsee. Rappelons que cette réunion s'était tenue en 1942 dans le but d'organiser et mettre en œuvre la "solution finale de la question juive". Tout cela était dirigé par Heydrich. Or Heydrich est toujours aux manettes en 64, alors qu'un rapprochement s'opère avec les USA. Ayant obtenu les victoires militaires, le Reich désire maintenant nettoyer un peu son image. On tente de mettre un terme à la guerre froide (qui cette fois oppose le Reich aux USA) et la visite officielle de J. Kennedy est imminente. Heydrich voudrait bien qu'on ne remette pas les projecteurs sur cet épisode de son action. On tente donc de dessaisir March de son enquête mais comme vous vous en doutez bien, celui-ci, qui n'a aucune idée de ce dans quoi il a mis le pied, ne veut rien entendre et il va de découverte nauséabonde en découverte plus puante encore.

"Imaginez une vie consacrée à démasquer des criminels et insensiblement vous découvrez que les vrais assassins sont ceux pour qui vous travailler. Vous faites quoi?"

(Ceci dit, on est déjà un peu incrédules devant ceux qui disaient en 45 qu'on n'était pas au courant, alors en 64... Mais là, c'est une fiction.)

Pour qu'une uchronie soit bonne, il faut à la fois qu'elle s'enracine dans un socle réel solide et qu'elle ouvre des développements plausibles. Ce roman est une vraie réussite. Le thriller est haletant et tordu à souhait. Il y a des assassins et des meurtres (plusieurs millions en fait), de la haine et de l'amour, des amis et des traîtres, des rebondissements vraiment inattendus... C'est la première fois que je lis Robert Harris et c'est pour admirer sa maîtrise et son savoir-faire

 Ce roman est aussi à rapprocher du "Maître du haut château" de P.K. Dick, la grande originalité étant que le héros soit un officier SS en activité.

978-2266071178


04 septembre 2022

 Le carnet rouge

de Paul Auster

**+


Spicilège

Comme on le sait, Paul Auster aime les carnets. Il y note ses idées, ses réflexions, des anecdotes qu’il ne veut pas oublier. 

Il y en a un bleu, un noir et donc, un rouge. Dans ce carnet rouge, Auster note les histoires vraies qui étonnent par les coïncidences et hasards étranges et improbables qui s’y sont manifestés. De ces notes naîtront peut-être un roman ou peut-être se trouveront elles utilisées dans un passage. En tout cas, pour l’instant, sa préoccupation est de ne pas les perdre et de conserver intact leur souvenir d’où les récits abrégés qu’il garde ici.

Une cinquantaine de petites pages, pour treize récits très courts et vrais (c’est ce qu’annonce l’auteur et c’est en effet ce que cela semble être) retenus là en mémoire. On ne peut pas dire que ce sont des nouvelles, d’une part parce que ce sont des récits qui loin d’inclure imagination ou créativité visent au contraire à l’exactitude et la précision. Ils sont brefs, négligeant les détails ils tracent à grands traits la situation. Ce sont des croquis. Ce carnet rouge est un carnet de croquis, de notes. Il n’y a pas eu rédaction. Ces notes ne sont pas rédigées comme le seraient des nouvelles et l’on n’a donc pas le plaisir du style de Paul Auster. L’écriture est minimum. Elles sont un aide mémoire à l’usage d’Auster lui-même.

Ce carnet, dans son caractère privé, pourrait nous donner une image de l’auteur et ce serait sans doute ce qui se passerait si au lieu de plusieurs petits carnets thématiques de couleurs différentes, Auster prenait toutes ses notes dans le même gros carnet. Mais ce n’est pas le cas. Nous avons donc un carnet spécialisé dans les histoires étranges ou extra-ordinaires ce qui, si nous nous y limitons donne l’image d’un auteur ne s’intéressant qu’à ces choses et focalisant son attention sur les bizarreries en négligeant la règle générale. Reconnaissons que ce ne serait pas rendre justice à Paul Auster.

D’autre part, cette collection présente le défaut commun des spicilèges: poussé par le désir de les accroître, le collectionneur accepte des pièces incertaines ou médiocres qui, s’il n’y avait eu ce désir de souligner leur bizarrerie pour les ajouter à l’ensemble, n’auraient pas frappé par leur étrangeté. De même, s’il n’y avait été poussé par son désir de collectionneur, sans doute Auster aurait-il réfléchi davantage à la probable explication de sa dernière histoire. Tout collectionneur est leurré par le désir de se tromper lui-même sur la qualité de ses pièces.

C’est donc une image faussée car orientée sur un seul thème que ce carnet nous donne de son auteur. Non, Auster n’est pas un homme naïf et enclin à la pensée magique. 

Pour cette raison, pour sa brièveté, pour son style minimum, je me demande s’il était bien justifié de publier ces notes. A mon avis non, maintenant, c’est à vous de voir.

978-2742700301