12 novembre 2020


 Pnine 
 de Vladimir Nabokov
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Quel drôle de roman que celui-ci ! Pas une des plus grandes réussites de Nabokov mais pour l’inconditionnelle que je suis, tout est intéressant. Ce qui frappe, quand on le lit, c'est son aspect décousu, voire parfois irrationnel et chaotique. Quand on connaît la genèse de l’œuvre, on apprend qu'il s'agit bien de morceaux distincts que l'auteur a réagencés et organisés pour en faire un roman. On peut dire que cela se voit ! Même avec cette explication, on se dit que Nabokov ne s'est pas donné trop de mal. Je suis persuadée qu'il aurait été capable de faire beaucoup plus cohérent et fluide. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Plusieurs explications possibles viennent à l'esprit, mais faute de renseignements fiables, je ne m'y hasarderai pas.

Il n'en reste pas moins que ce livre est très intéressant et plein de... charme. Nous suivons Pnine (Timofey Pavlovitch Pnine), Russe blanc exilé ayant pas mal crapahuté à travers l'Europe avant d’atterrir dans cette petite université où il est depuis neuf ans professeur de russe (non titulaire). Nous le suivons par la plume d'un étrange narrateur omniprésent qui semble toujours derrière son dos alors que nous comprenons que, techniquement, il n'y est pas. Si ce narrateur se présente d'entrée de jeu comme « son ami », nous n'en saurons pas plus avant la toute fin.

Pnine est un homme solitaire qui n'a pas eu une vie facile et pour lequel le lecteur se sent de l'indulgence et de la sympathie malgré ses bizarreries et son caractère pas toujours facile lui non plus. Il aurait été inspiré à Nabokov par un de ses collègues bien que certains voient en lui un reflet de Nabokov lui-même. Mais je ne partage pas cette opinion, pour moi, Nabokov est bien là, mais dans un autre rôle.

Nous allons suivre notre professeur de russe dans sa vie professionnelle aussi bien que privée pendant plusieurs mois et voir son existence prendre un nouveau tournant. Nous le verrons plutôt dans les petites choses de sa vie, une erreur de train, un livre qu'on ne trouve pas, des malaises, des rêveries, des exigences et des erreurs. Pnine a maintenant un certain âge et rien ne lui arrive plus sans lui évoquer des souvenirs anciens, certains heureux, d'autres moins. Et puis, notre homme a aussi ses faiblesses, il n'est pas rare qu'il soit ridicule dans ce monde américain, ou que son humour russe n'atteigne que lui-même. 

« C'est drôle à pleurer » disait Graham Green de ce livre et c'est vrai. Tout est constamment d'un ton d'humour froid que, personnellement, j'adore. Ainsi, une page d'histoire : « Le cercueil du saint, jeté à l'eau par un roi furieux, devait faire route doucement jusqu'aux côtes de la Sicile, probablement une légende, vu que la Caspienne est restée strictement à l'intérieur des terres depuis le pléistocène. » L'humour à froid y est aussi parfois très acéré : « Deux caractéristiques distinguaient Léonard Blorenge, président du département de langue et littérature française ; il détestait la littérature et il ne savait pas le français. »
Mais c'est tout autant d'un niveau littéraire et poétique soutenu. Les belles pages surgissent ici ou là, comme pour tenter de compenser la construction un peu bâclée. 

L'auteur n'a pas été avare de son savoir-faire, parfois trop prodigue même, comme lorsque le récit commence et finit par la même scène... joli, mais facile. Les thèmes du double, de la confusion de personnages, des erreurs que seul le personnage fait, thèmes chers çà l'auteur se retrouvent dans ce livre, un peu encombrantes d'ailleurs souvent, comme un collage bricolé, mais antiennes familières que le lecteur fidèle aime retrouver.   

Une histoire donc, un peu sans queue ni tête mais pourtant pleine de sens, que je conseillerais  indiscutablement tant sont grands les charmes de l'écriture de Nabokov et du « pauvre Pnine » (ce qui faillit être le titre de ce roman).

Citations :
« Son mari démontrait de façon si apaisante à quelle capacité de silence l'humain peut atteindre à condition de s'abstenir strictement de tout commentaire sur le temps qu'il fait. »

« Pour ma part, je n'ai jamais beaucoup apprécié Bolotov ni ses écrits philosophiques qui combinent si bizarrement l'obscur et le banal. »
  



978-2070384624

2 commentaires:

  1. "¨Pnine" ! Lecture d'il y a de nombreuses années... presque trente ans.
    Je voudrais retourner à Nabokov, autre projet que je peine à réaliser, car il y tant à lire qui attend.
    J'ai relu récemment ce qu'écrit Gilles Barbedette, grand nabokovien, dans "L'invitation au mensonge" (j'espère faire un compte-rendu).
    Si "Pnine" n'y est pas mentionné, je trouve : "Nabokov voit dans l'infantilisme sublime du roman le moyen de déclarer la guerre aux contingences volcaniques de la vie matérielle".

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  2. J'attends avec impatience ce compte-rendu! C'est vrai qu'on éprouve régulièrement le besoin de retourner prendre "un peu de Nabokov". Il fait partie de ces auteurs qui me réconfortent, je ne sais pas précisément pourquoi. Cela tient peut-être à son écriture.

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