Le Bœuf clandestin
de Marcel Aymé
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Marcel Aymé n’a pas son pareil pour cerner les grandes questions existentielles sous le masque de la petite anecdote commune, voire familiale. Il sait les mettre en situation, les tourner et les retourner selon les angles des différents protagonistes et nous en donner à voir les tenants et les aboutissants tout en nous amusant avec les détails cocasses du réalisme quotidien et simple. Et dans ces peintures, la justesse et l’humanisme de son coup d’œil font mouche avec précision et efficacité. C’est le sourire aux lèvres que nous redécouvrons que « nul n’est grand pour son valet »*.
Ici, l’action se passe dans une famille bourgeoise, papa banquier, maman au foyer et grande fille unique en train de se choisir un mari. Dans cette famille, pour une raison qui n’est pas précisée, Monsieur a choisi depuis deux ans d’être végétarien. Cela lui vaut une sorte d’aura de pureté et de supériorité morale. Il est très strict sur son régime et chacun à table sait qu’il ne risque pas de faire un écart, même pour une cuillerée de jus de viande sur ses légumes. On admire sa force morale et sa position familiale en sort grandie. Or voilà que, rentrant à l’improviste, sa fille le découvre en train de dévorer un beefsteak (ici orthographié biftèque comme à l’époque) qu’il vient de se passer à la poêle profitant de la maison vide. Elle repart sans qu’ils aient échangé un mot et ils n’en parleront jamais ouvertement, mais à partir de ce moment, c’est tout l’équilibre familial => professionnel => social environnant qui est perturbé et rien ne se passera plus comme il se serait passé avant .
Tout blanc ou tout noir ? Est-on franc, honnête, irréprochable ou sournois, hypocrite, manipulateur d’un bloc ou peut-on l’être pour de petites choses sans que la majeure partie de la psychologie ne soit du même tonneau ? Un petit accroc à la règle est-il une peccadille ou le signe d’une défectuosité profonde ? Tricheur un jour, tricheur toujours ? Tenants de la moralité monolithique et des nuances psychologiques, des détentes du mental, des faiblesses humaines ont chacun des arguments sérieux. Le tout mis en scène dans des situations à la fois familières et amusantes, sans rien perdre de la précision et de la justesse du questionnement. Ah, ce Marcel Aymé !
« Ses parents sont désolés et ont peur qu’il se lance dans la littérature car c’est une chose qui arrive souvent quand on n’a pas su se faire à temps une bonne situation. Espérons qu’il saura encore se ressaisir. »
* Hegel, Phénoménologie de l'esprit
Je ne connaissais pas ce titre, il faut que je lise ça moi qui suis végétarienne... Et je précise que depuis 7 ans, je n'ai jamais craqué :-) et ce monsieur devrait savoir que faire cuire un steak, fût-il un biftèque laisse des odeurs dans une cuisine... Il ne mangeait donc officiellement pas de viande pour bénéficier d'une aura ? Moi je n'y ai gagné généralement que celle d'emmerdeuse...
RépondreSupprimerHormis le problème du camouflage, reste le problème des petits arrangements avec sa conscience... Sous ses allures de farce, ce roman est profond.
Supprimerkeisha a ajouté un commentaire
RépondreSupprimerFranchement, cet auteur est à (re)découvrir!
Keisha, Marcel Aymé est dans mon Parnasse. C'est un des tout grands :-)
Supprimerune belle idée de lecture commune, j'ai peu lu l'auteur mais le passe muraille reste un de mes bons souvenirs de lecture
RépondreSupprimerOh oui! C'est un auteur pour toi, à coup sûr.
SupprimerJe ne connaissais pas ce titre non plus, j'en prends bonne note ! Il rejoint mes précédentes lectures par les questionnements autour de notre conscience et de l'hypocrisie sociale.
RépondreSupprimerAymé n'est pas manichéen du tout, pas binaire, très humain au contraire. Il voit les problèmes avec acuité mais il sait que la réponse n'est pas simple. C'est pourquoi je l'aime tant.
SupprimerC'est épatant, nous avons tous lu un titre différent ! Je n'en ai donc pas terminé avec cet auteur, qui semble promettre de nombreux moments fort réjouissants !
RépondreSupprimerOui, j'ai vu ça, c'est bien tombé pour les titres. Je pensais bien être la seule sur le mien, d'autant qu'il faut encore le trouver...
SupprimerJe ne connais que ses recueils de nouvelles, assez nombreuses, et je le découvrirais bien avec un roman, tu m'en donnes l'envie !
RépondreSupprimerIls sont dans le même esprit
SupprimerJe l'ai lu, encore un bon texte de l'écrivain. Que ceux qui n'ont jamais lu Marcel Aymé se dépêchent de le faire: l'essayer, c'est l'adopter !
RépondreSupprimerOui, un très bon, même. :-)
SupprimerQuel formidable sujet ! Et la citation choisie est géniale ! Vos lectures communes m'ont convaincue de redécouvrir Marcel Aymé, et le choix est large comme en témoigne la variété des nouvelles et romans chroniqués.
RépondreSupprimerAllons-y! On ne lit jamais trop Marcel Aymé !
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