Le mystère Sherlock
de J.M. Erre
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Erre, candidat sérieux à la chaire d’holmésologie
"Dans ce cas, si Holmes n’est pas Holmes, qui est Holmes?"
Nous sommes en Suisse dans un chalet luxueux mais bien éloigné de tout et difficile d’accès en hiver ; et ce n’est pas sans risquer leurs vies que les holmésiens les plus brillants du monde le rejoignent pour répondre à l’invitation de l’éminent Professeur Bobo qui a une chaire d’ holmésologie à attribuer et compte profiter de ce huis clos pour déterminer qui est le plus apte à occuper ce poste. Pour ce faire, il a convoqué en ce lieu les neuf meilleurs spécialistes du sujet tandis qu’à son insu, une journaliste déguisée en servante est parvenue à s’introduire dans les lieux. C’est elle qui mène le récit par l’intermédiaire de son journal qu’elle tiendra à jour jusqu’au dernier moment. Elle nous montre avec la plus cruelle objectivité les éminents participants et leur mentor, le prestigieux professeur Bobo qui, malheureusement, est complètement gâteux (alors que les autres Gentils Membres ne sont que partiellement atteints).
"Tout avait commencé comme un week-end de détente au milieu d’une troupe de passionnés gentiment fêlés. Je m’étais amusée à observer comment des cerveaux adultes et éduqués pouvaient régresser face au gros lot en jeu, jusqu’à retrouver les gestes et les attitudes des enfants qu’ils avaient été… Et puis nous avons subi l’avalanche et ramassé deux morts."
Car avalanche il y eut, qui recouvrit le chalet et les lieux passèrent de «difficiles d’accès» à «totalement coupés du monde». Au même moment, tout aussi malencontreusement, commencèrent les décès et l’inexorable réduction du nombre des participants… Autant dire que nous ne sommes plus chez Conan Doyle, mais chez Agatha, et que nos dix petits holmésiens n’en mènent pas large.
J.M. Erre manifeste dans le traitement de son roman une plus qu’excellente connaissance du sujet et de la littérature y afférant, aucune page du «canon»* ne semble pouvoir échapper à sa mémoire, aucune variation sur le thème de S.H, aucun écrivain ayant tenté de s’approprier le personnage ne semble lui être inconnu. Et le lecteur, lui-même très probablement holmésien (sinon il ne serait pas là ) – niveau 2 présumé-, a plaisir à reconnaître les évocations et les clins d’œil et à se sentir entre amis.
Ce roman traite son sujet sous deux angles : le comique et l’énigme policière.
Le comique m’a parfois fait sourire, jamais rire, et relève d’un humour dont je ne suis pas très friande (je le trouve lourd).
Par contre, l’énigme policière de type Whodunit est parfaite. Elle se tient très bien et si on y réfléchissait un peu on pourrait parfaitement trouver la (ou les) solution(s) en même temps que ce cher Lestrade, chose que les holmésiens aiment bien dans une histoire policière.
Autre chose encore : on ne peut lire ces évocations des cruelles luttes entre universitaires pour les meilleurs postes sans songer à David Lodge et à ses peintures au couteau de ce milieu.
"Chacun se l’(Holmes) appropriait, se voyait comme le gardien jaloux de sa mémoire, et vivait douloureusement les prétentions des autres à la garde du bébé… C’était une passion qui les habitait, qui les grandissait, qui les faisait vivre.
Mais qui était aussi en train de les détruire."
Tout comme l’on songe aux différents chapitres de «l’art de la fiction» du même Lodge recensant les différentes techniques narratives. Car de même que tous les procédés comiques, J.M. Erre met en œuvre tous les procédés du récit (journal, correspondance, compte rendu, notes etc. et même post-it), cela tient un peu du pari ou de l’exercice de style amusant.
Mais il reste Sherlock. Encore insoumis.
"Au fond, c’est peut-être ça un mythe : un personnage dont le talent dépasse celui de son créateur, un être qui a davantage d’ampleur dans l’imaginaire collectif que dans celui de son géniteur, une figure que des écrivains successifs vont s’approprier dans l’espoir d’être celui qui saura enfin se hisser à son niveau.
Un personnage qui fait naître un auteur et non l’inverse."
* Canon : les quatre romans et cinquante-six nouvelles que Conan Doyle consacra à Sherlock Holmes
Excellent bouquin qui de plus, donne bougrement envie de relire tout les Sherlock Holmes....
RépondreSupprimerOui ;-)
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