20 juin 2022

  La septième fonction du langage

Laurent Binet

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Illocutoire ou perlocutoire ?

Le 25 février 1980, le sémiologue Roland Barthes est heurté par une camionnette ; gravement blessé, il est hospitalisé et son état reste longtemps incertain ; néanmoins, il décède finalement un mois plus tard. Cet accident est survenu alors qu'il sortait d'un entretien avec François Mitterrand. Là, nous sommes dans la réalité, ensuite, l'auteur laisse divaguer son imagination et nous entrons dans la fiction. 

Il semblerait qu'au moment de l'accident, Barthes était en possession d'un document extrêmement précieux dont beaucoup veulent s'emparer (cela commence dès l'accident) ou, à défaut, empêcher les autres de s'emparer. Le commissaire Jacques Bayard est chargé de cette mission par V. Giscard D'Estaing, alors Président de la République. Se sentant un peu démuni dans le contexte de grands intellectuels que cette enquête lui impose, il s'adjoint autoritairement les services d'un jeune thésard Simon Herzog, qui a assuré des cours de sémiologie. En effet, son flair lui permet de tout de suite sentir que c'est autour de ces questions (au demeurant ardues) que tourne toute l'affaire. Il apparaît rapidement que le document disparu a à voir avec la septième fonction du langage, évoquée par Jacobson... 

Et c'est bien à une palpitante enquête que le lecteur va avoir droit, avec même une société secrète très ancienne et très puissante dont les duels sont brillants et captivants (surtout le premier). Il ne manque pas non plus de  moment torrides, d'autres très brutaux, et d'un suspens tout à fait efficace, d'autant que Bayard et Simon ne tardent pas à entraîner dans leur sillage deux gros moustachus à l'accent bulgare (vous vous souvenez du parapluie bulgare?) et deux Japonais en Fuego bleue...

 Et néanmoins, le décor de cette enquête est la sémiologie ! Rien de moins. Dans sa version tout à fait réelle et sérieuse, avec des énoncés, des démonstrations, reprenant et explicitant les thèses de Saussure, de Jakobson, Derrida, Althuser, Chomsky, Searle etc. Des notions complexes y sont abordées de façon passionnante mais exacte. On retrouve tous les grands intellectuels internationaux de cette époque (et ceux qui voudraient bien en être, mais la chemise ne suffit pas). C'est un autre des points forts de ce roman : la plupart des personnages sont des personnalités du monde réel, dans des circonstances et attitudes réelles ou presque. Umberto Eco a ainsi un rôle important ici, tout comme le turbulent Michel Foucault et tous ceux dont j'ai déjà cité les noms, et d'autres encore, que vous aurez plaisir à découvrir. Ce roman, bourré d'occasions de trembler, de s'instruire, de soupirer, de sourire, de se lamenter, se dévore.

« La septième fonction du langage » fait aussi partie de ces romans qu'on a envie de relire à peine la dernière page tournée, parce que l'on sait que l'on en comprendrait davantage à une seconde lecture. Ce n'est pas parce que l'on a saisi le clin d’œil à Jean Bernard Pouy, ou repéré les jumeaux en tenue de cosmonaute, qu'on les a saisis tous. Il y avait sûrement un tas de choses que l'on n'a pas vues, et parmi elles, un certain nombre qu'on aurait pu voir.

Quand une lecture est à ce point distrayante et intelligente, je suis comblée.

 978-2253066248



2 commentaires:

  1. Bon souvenir de lecture, mais un poil flou. Evidemment ce n'était pas ce que je connaissais, mais je me suis bien amusée, et finalement c'est preuve que le roman est réussi, puisqu'un béotien en a tiré quelque chose (je parle pour moi)

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    1. Tout à fait. D'où mon titre. On aborde des sujets pointus en s'amusant.

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