À pied d’œuvre
de Franck Courtès
***+
Quatrième de couverture:
""Entre mon métier d'écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l'obscurité : il fait noir mais ce n'est pas encore la nuit." Voici l'histoire vraie d'un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l'écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision, À pied d'œuvre est le livre d'un homme prêt à payer sa liberté au prix fort."
Petit livre sympathique, ni un roman, ni un essai, ni un reportage, un de ces ouvrages où l'auteur se raconte, comme il s'en fait tellement en France en ce moment. "Parlez-moi de moi, y a que ça qui m'intéresse" comme disait Guy Béart. Les choses n'ont pas changé et je sais qu'il est inutile de lui en parler, cela a déjà été fait, mais cela glisse sur le plumage du bel oiseau sans qu'il y prête la moindre attention:
"- Tu n'as qu'à inventer des personnages. Tu n'as pas d'imagination? Qu'est-ce que vous aimez parler de vous, vous autres, les Français...
- On raconte des choses sur l'humain en général, à travers son propre...
- Vous racontez votre nombril, point!"
Donc, dans ces limites-là, et comme ce n'est pas très long, ce n'est pas désagréable à lire. Franck Courtes a été photographe à succès, photographe des stars pendant vingt ans, il ne va pas se priver de le rappeler, et puis d'un coup, s'est dégoûté de la photo, n'a plus eu envie et bientôt même plus voulu en faire, alors qu'il était dans le même temps de plus en plus habité par un puissant besoin d'écrire. Ses ouvrages ne sont pas trop mal reçus par les maisons d'édition où l'on pense bien que sa précédente carrière lui a créé quelques contacts, mais de là à en vivre, il y a un monde. Franck se met donc à écrire à temps plein et dans la satisfaction. Le voilà maintenant divorcé et séparé de ses enfants partis avec leur mère aux USA, il se sent libre de mener la vie qu'il désire. Toutes ses économies finissent par disparaître et le voilà réduit aux préoccupations les plus élémentaires de la survie : alimentation, logement, habillement, chauffage. Après quelques essais divers, il se spécialise dans les petits boulots de bricolage en passant par une de ces plateformes de travail au noir qui ont dynamité le droit du travail... et c'est sur ces multiples micro-chantiers qu'il nous entraîne à sa suite.
Donc, c'est vivant et facile à lire, plein d'anecdotes qui se renouvellent constamment, on saute d'un "chantier" à l'autre. On croise les "collègues" , les "employeurs". C'est un monde qu'on connaît tous au moins un peu. On le voit autour de nous. Il accroche une tringle à rideaux chez les vieux d'à côté, change un robinet chez le voisin, ou même chez nous... On rentre chez les gens sur ses talons, et ça, ça intéresse toujours, n'est-ce pas ? Toutes ces rencontres, ces portraits exprès, ces situations... C'est vivant, ça se lit très bien. Il commence par éprouver une satisfaction liée à la réussite dans ces tâches simples "L'homme à tout faire que je suis devenu jouit d'un sentiment d'utilité que je n'ai jamais éprouvé dans ma carrière de photographe", mais doit aussi affronter les blessures et l'usure dues à un dépassement trop fréquent de ses capacités physiques. Au delà de son exploitation par ses employeurs, il aurait été intéressant de voir quelle est exactement la part de surpression qu'il se mettait lui-même.
Faut pas croire, c'est un travail de stratégie, l’employeur (qu'il soit aisé ou pas du tout) essaie de payer le moins cher possible, c'est la règle du jeu. L'employé, essaie de gagner le plus possible. Il jouera sur le besoin plus ou moins pressant que l’employeur a de son intervention, mais il devra se méfier de la concurrence! Ce sont des enchères au plus bas prix. Demander trop, c'est être éliminé de fait. Il y a un enjeu, un gain, une concurrence, des adversaires, une tactique à élaborer.
La désintégration moderne du travail de l'employé de base est décrite, mais pas vraiment sérieusement étudiée. C'est sa figure actuelle, mais elle a toujours existé (il me semble que ce n'est pas dit). Quant à "raconter des choses sur l'humain en général", c'est vrai, mais ça ne dépasse pas le stade d'un petit reportage. Il y a des remarques qui sont justes mais l'auteur en tire parfois des conclusions non étayées et qui m'ont semblé incertaines. Par exemple, il remarque que l'on n’utilise que les prénoms (à mon avis, par souci d’anonymat car on flirte tout de même en permanence avec l'illégalité), mais lui en conclut immédiatement mais avec conviction que c'est pour déshumaniser l'employé. "L'emploi exclusif des prénoms pousse à l'indifférence, à l'exclusion du facteur humain, alors qu'il suggère le contraire". Ah bon? Je ne pense pas que l'emploi du patronyme aurait rendu le contact plus humain. Autrefois au contraire, on appelait les gens par leur nom seul pour bien les tenir à l’écart. Donc, il ne me semble pas que cette remarque soit fondée. Il aurait été intéressant (mais plus rébarbatif) d'explorer cette frontière avec la légalité. Pourquoi l'état laisse-t-il faire? Parce qu'il n'y a pas possibilité de structure légale qui se chargerait de ce travail à un prix abordable ? Le modèle légal imposé ne serait donc pas adapté à la réalité du terrain ? Admettre cela, c'est mettre le doigt dans un engrenage qui pourrait déstabiliser beaucoup de choses.
Il déclare également comme une évidence: "Les aliments les moins transformés, les plus goûteux, les plus sains, mes préférés, sont les plus chers. Ceux destinés aux pauvres sont enrichi d’additifs chimiques, de sucre, de sel, d'arômes, de colorants, d'une ribambelle de cochonneries"
mais c'est faux. Là encore, il y a une réflexion à avoir et un choix judicieux à faire.
Il ne faut pas tenir des choses pour évidentes sans les avoir examinées de près. Nul n'est à l'abri d'une idée fausse. On nous bourre tellement le crâne...
On a quand même au final l'impression qu'il aurait pu trouver des moyens moins pénibles de s'assurer un revenu minimum et de préserver sa liberté. Là encore, peut-être pas assez réfléchi. Il a peut-être endommagé sérieusement son capital santé, pas sûre que ça ait été un choix très judicieux... Les grands mots sur la liberté, c'est beau, mais face à une incapacité définitive ou à une arthrose chronique, bof, bof...
Et au final dans tout ça, on parle drôlement peu de littérature et/ou de création littéraire. Etrange quand on pense qu'il a tout sacrifié pour ça: la Littérature. Okay, elle est où? Il dit qu'il écrit tous les matins et en tire toujours autant de plaisir. Point. On ne saura rien de plus. Aucune réflexion sur la création littéraire, ses problèmes, ses victoires, on ne saura pas même ce qu'il écrit. Etait-ce l'ouvrage que bous sommes en train de lire? Dans ce cas, n'est-ce pas une sorte de serpent qui se mord la queue?...
978-2073024916