17 novembre 2024

Ohan 

de Uno Chiyo

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C’est un plaisir de vous parler de ce court roman de 90 pages car c’est un petit bijou littéraire. L’éditeur nous le présente d’ailleurs comme le chef-d’œuvre d’Una Chiyo, écrivaine japonaise du début du vingtième siècle.

Le narrateur est un homme velléitaire au plus haut degré. Paresseux, il a coulé l’entreprise familiale et vivote actuellement d’une vague boutique de brocanteur peu achalandée où il passe ses journées à ne rien faire. En vérité, il est entretenu par sa maîtresse, une geisha qui elle, mène ses affaires avec maestria et a maintenant sa propre maison. C’est chez elle qu’il rentre tous les soirs. Elle s’est entichée de lui on ne sait trop pourquoi et il y est fort bien traité. Pour vivre avec elle, il a abandonné sa femme Ohan et l’enfant nouveau-né, il y a sept ans de cela. Mais voilà qu’un jour, il la rencontre par hasard et que l’envie le prend de renouer les liens.

« Mais que cherchais-je donc ? Moi-même, je n’en avais pas la moindre idée. »

Pourtant, il n’a guère pensé à elle depuis leur séparation. Il semble ne penser aux gens et aux situations que lorsqu’il les a sous les yeux. D’ailleurs en fait, il donne l’impression de ne pas penser à grand-chose, allant où le vent le pousse, suivant ses impulsions du moment sans jamais prendre en compte les conséquences. Il se contente de suivre ses désirs vagues et la pente de moindre résistance. Ensuite, il se dit « Mais qu’ai-je donc fait ? » et tremble en songeant à ce qui peut arriver. Mais il oublie bien vite et continue ainsi.

Il n’a aucun courage, ni aucune capacité de décision. Il sait qu’il fait des bêtises et que tout cela ne peut que mal tourner, mais il est incapable de réagir. Si bien qu’il va ainsi mener parallèlement des relations avec les deux femmes, alors qu’il est à peine capable de veiller à ce qu’elles ne se rencontrent pas. Évidemment, les liens s’affirment et tout cela va droit au fond de l’impasse, surtout quand il se retrouve avec deux domiciles faute d’avoir su dire non.

« Tiraillé comme je l’étais entre deux femmes, je prenais une résolution un jour, une autre le lendemain, je ne cessais de balancer, et ce flottement pitoyable dû à la faiblesse de mon caractère, personne n’était censé le connaître. »

Il a parfaitement conscience de mettre tout le monde dans une situation impossible mais à chaque fois il choisit d’esquiver et de reporter si bien que « Du train où nous allions, je ne voyais d’autre issue, pour l’un de nous trois que la noyade ou la pendaison, comme on voit presque chaque jour à la rubrique des faits divers. »

Le récit qui court vers le drame, nous est fait sur un ton paradoxalement assez léger. Le narrateur nous parle comme à des familiers.

«Comme vous le savez, pour venir de cette école jusqu’au quartier de (…) Et vous voyez le grand orme qui se trouve entre la pharmacie et le magasin de céramique ?»  

et plusieurs passages ne sont pas sans évoquer les ressorts du vaudeville avec les personnages qui entrent et sortent, manquant de peu de se rencontrer.

Il ne cesse de se rabaisser plus bas que terre et s’accuser de tous les pêchés, se reconnaissant responsable de tout, ce qui, avouons-le, est une façon commode et connue de s’éviter les reproches d’autrui. Mais au fond, ne disant jamais non, il est facile à vivre et du coup, tout le monde l’aime bien, d’autant que personne ne sait tout.

Tout cela ne peut que très mal finir, il le sait bien, mais il continue à se laisser porter, surtout parce qu’il est incapable de faire quoi que ce soit d’autre, et il va, « flottant dans le flou sans jamais pouvoir se fixer ».

9782809710052



13 novembre 2024

L’intelligence artificielle en 5 minutes par jour

de Stéphane d' Ascoli

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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’IA sans jamais oser le demander, déjà parce qu’on ne sait pas au juste quelles questions poser et pour ne pas avoir l’air bête et à qui demander.

Ca m’intéresse, moi, l’Intelligence Artificielle. D’abord qu’est-ce que c’est ? Comment ça marche ? Et qu’est-ce qu’on peut en faire ? Le problème, c’est que je ne suis pas du tout scientifique. Donc, quand je dis que je n’y connais rien, c’est vraiment rien, et même pas vraiment ce que c’est. Où ça commence ? Où ça se trouve ? A quoi ça sert ? Qu’est-ce que ça peut faire ? Qu’est-ce que ça ne peut pas faire ? Est-ce qu’on sait quand on s’en sert ? Et quand les autres s’en servent ? Comment le sait-on ? Est-ce que je m’en suis déjà servie ? Ma curiosité était bien titillée par cet OINI (objet immatériel non identifié), alors quand je suis tombée par hasard sur cette promesse alléchante « en 5mn par jour » !! qui plus est pour un prix dérisoire (2€ en liseuse, 3,50€ en papier), j’ai tenté le coup. Comment résister ? Je trouverai toujours bien 5 minutes par jour à consacrer à cette exploration de monde inconnu.

Et je ne l’ai pas regretté. Est-ce que cet opuscule (160 pages) tient ses promesses ? Eh bien non, parce qu’il ne m’a jamais été possible de m’arrêter au bout des 5 minutes et que j’ai le plus souvent enchaîné plusieurs chapitres pour des lectures de 15 à 20 minutes. Et encore, je m’obligeais à m’arrêter, me disant que si j’absorbais trop de notions d’un coup, je les retiendrais mal. Mais pour le reste, oui. Il s’adresse aux complets néophytes sans connaissances particulières et leur permet de ne plus se sentir complètement perdus face à se monde qui s’installe autour de nous.

L’IA peut-elle écrire, faire de la musique, peindre ? Peut-elle rêver ? Comment Siri peut-elle nous répondre et nous obéir (ou nous surveiller)? Comment Netflix peut-il nous conseiller des programmes qu’on va aimer ? (Avant, je n’évaluais jamais mes visionnages, maintenant je le fais. Alors bien sûr, L’IA va ficher mes goûts dans la big data, mais quel est l’inconvénient pour moi ? Il y a des choses que je ne lui confierais pas, mais mes goûts en matière de séries télé, je veux bien, si j’y ai un vrai avantage).

Compétent, Stéphane d’Ascoli, doctorant au sein du Laboratoire de Physique de l'École Normale Supérieure et ayant déjà publié plusieurs ouvrages de vulgarisation, l’est à n’en pas douter, et il est aussi très habile à tout expliquer très simplement. J’ai l’impression d’avoir compris tout ce qu’il a dit. C’est une preuve. En 44 courts chapitres, il vous expliquera d’abord que oui, vous utilisez déjà l’IA. Il vous expliquera ce que les algorithmes font (et d’abord ce qu’est un algorithme) ce que les algorithmes donc, peuvent faire ou pas, comment ils fonctionnent et comment on les fabrique. Et ça, ça m’a vraiment éclairée. Dès qu’on aura fait une IA capable de discuter avec moi de tout sujet qu’on lui aura inculqué, j’en prends une ! Mon rêve ! (clin d’œil à l’excellent origine des larmes ) . Seule chose, cet ouvrage a déjà quatre ans et les choses vont vite en ce domaine, je me demande si l’auteur ne reverrait pas aujourd’hui un peu à la baisse (de durée) ses prévisions de développement. Juste une idée de quelqu’un qui n’y connaît rien, notez bien. En tout cas cet ouvrage vous apprendra bien des choses sur l'intelligence artificielle, étant bien entendu qu'il s'adresse à des lecteurs totalement débutants et qu'il reste au niveau 1 de la vulgarisation sur ce sujet.

Je suis contente d’avoir éclairé ma lanterne aussi simplement. Maintenant, j’ai les bases pour comprendre un peu ce que je vis en ce domaine, parce que de toute façon, on n’y échappera pas. Se demander si on est pour ou contre, c’est être complètement à côté de la plaque. La question n’a pas de sens, de toute façon, ça se fera. Il faut donc essayer de ne pas se laisser dépasser et profiter au contraire des avantages, parce que les inconvénients, eux, ils ne nous rateront pas..

978-2412059845



09 novembre 2024

L'épine dans la chair

de  D.H. Lawrence

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Petit Folio 2€ pour ce recueil de trois nouvelles de  D.H. Lawrence que je ne connaissais jusqu'à présent que pour son brûlant plaidoyer en faveur des amours ancillaires*, mais je lirai sans doute un jour "Le serpent à plumes" dont on dit du bien. Bref! pour le moment nous n'avons que  ‎ 128 pages et   trois nouvelles de longueurs à peu près égales. Leur thème commun est une observation et une analyse du sentiment amoureux chez de jeunes couples. A cet égard, on pourrait considérer que les nouvelles sont rangées par ordre croissant de l’âge des protagonistes. Savoir si c’est une coïncidence est une autre affaire.

La première nouvelle, éponyme, nous raconte l’histoire d’un tout jeune soldat qui, s’affolant à la suite d’un accident grave dont il pourrait être tenu pour responsable, déserte et ne trouve rien mieux à faire que de se réfugier chez sa fiancée qui est servante dans un domaine. Elle accepte de le cacher et doit pour ce faire, l’accueillir dans sa chambre alors qu’ils ne sont que promis… La nouvelle montre une sensualité qui s’impose quoi qu’en aient nos deux tourtereaux.

La deuxième, "Couleur du printemps" est le récit d’un retour avec les beaux jours d’un homme jeune qui, insatisfait de sa vie, revient voir ce qu’est devenue l’amoureuse de son adolescence, mais elle aussi a poursuivi sa vie, chacun a changé et il y a un autre homme dans le décor. Même si les souvenirs sont vifs, est-ce que tout recommence vraiment avec le printemps ? La nouvelle examine la difficulté d’un amour éternel entre des êtres qui, chacun de son côté, évoluent et changent. Cette problématique est d’ailleurs reprise dans

la troisième nouvelle, "L'odeur des chrysanthèmes", est bien moins champêtre que les autres puisque c’est dans les mine de charbon que les personnages évoluent. Tranche de vie d’un couple marié pauvre. L’homme est mineur de fond et mène donc une existence très rude. Il devient à la fois alcoolique et mauvais pour sa femme et ses enfants. Cependant, le couple est encore jeune et la femme n’a pas encore perdu toutes ses illusions. Elle l’attend donc et ce soir, il est plus en retard encore que d’habitude. Sans doute ses camarades devront-ils ramener chez lui un homme qui ne tient plus debout… La suite de cette soirée amènera la femme à considérer qu’elle ne connaît pas l’homme qu’il est devenu et sans doute, ne l’a-t-elle jamais vraiment connu tout comme la réciproque est vraie.

Trois nouvelles où les complexes relations de couple sont particulièrement bien saisies et montrées. L’analyse est très fine. Lawrence est un écrivain du début du vingtième siècle, l’écriture est classique mais belle et sans lourdeur (bien que dans "Couleur du printemps" j’aie trouvé abusives les listes d’oiseaux et de fleurs ). L’analyse psychologique, elle, n’a pas pris une ride. Des gens simples dans les problématiques de la vie de couple… Folio n’a pas volé ses 2€ et je l’ai lu sur liseuse car je commence à utiliser ce support pour les lectures pas trop longues.


* L'Amant de Lady Chatterley

 ‎978-2070349548



05 novembre 2024

Berlin pour elles

de Benjamin de Laforcade

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Impossible de lire "Berlin pour elles" de Benjamin de Laforcade sans penser au film "La Vie des autres" et aussi, en ce qui me concerne du moins, à Herta Müller. Ce n’est pas le même pays, mais c’est le même type de dictature grise, les mêmes méthodes de la police, plus ou moins officielles.

Nous sommes à Berlin Est en 1967. La Stasi est reine et en son sein, Peter Moehn, jeune fonctionnaire complètement habité par la ligne du parti, ne songe qu’à l’appliquer au mieux et à faire la plus belle carrière possible à son service. Pour ce faire, il peaufine les techniques les plus sournoises de l’intolérance totale de tout écart ou désobéissance. Pour lui, le monde se divise en deux catégories : ceux qui soutiennent corps et âme la RDA et ceux qui méritent à peine de vivre, et encore… On pense au Gerd Wiesler du début du film cité plus haut.

Ce sinistre cafard a une gentille femme, Inge, laborantine proprette, une fillette de 6 ans, Judith et un fils plus jeune Michael. A l’école, Judith rencontre Hannah, du même âge et c’est le coup de foudre amical total entre elles deux. Pourtant, Hannah provient d’un tout autre environnement, sa mère Rita, "la force, l’humour, la tendresse et le courage", ouvrière mécanicienne en usine et grande gueule, ayant fait un bébé toute seule.

"Elle avait décidé de l’avoir seule Rita n’aurait pas eu la force de s’occuper d’un mari en plus d’un enfant."

Au contraire du petit confort orthodoxe des Moehn, chez elle, c’est la misère et la crasse. Qu’importe ! Les deux gamines s’adorent et sont inséparables. Et voilà que se rencontrant, les deux mères s’apprécient tout autant ! Mais Inge doit tenir compte de Peter pour qui Rita est typiquement infréquentable. Tout le monde grandit mais leur amitié ne se dément pas. Il y a un autre enfant dans le décor, c’est Karl, le fils mal aimé et orphelin de mère, du pasteur. Il s’est entiché de Judith dès son plus jeune âge, mais élevé à coups de ceinturon, il n’est pas spécialement bien entraîné pour l’amour… Les années passent et comment voulez-vous que les choses tournent bien dans un pays pareil ?

"Un bruit, un froissement, une année de plus. Vingt-sept ans sans prévenir. Tout est encore à faire. Tout est déjà trop tard."

Une écriture splendide, et derrière ces histoires fortes d’amitié et d’amour, le portrait très réussi d’un monde totalitaire où tout étouffe et s’étouffe.

"Honecker et Mielke, les deux Erich qui de leurs quatre mains façonnent un pays dont personne ne veut."

Encore un roman magnifique de B. de Laforcade dont j’avais adoré le premier : "Rouge nu" que je vous recommande vivement si vous aimez celui-ci, et surtout si vous vous intéressez à l’art. Un auteur qui confirme haut la main et dont j’attends la troisième publication avec les plus grand intérêt. Pourvu que le showbiz littéraire ne nous le gâche pas !

978-2073030108

01 novembre 2024


L'impératrice du Sel et de la Fortune

de Nghi Vo

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Voici ce que Wikipedia dit de cette auteure : "Nghi Vo, née le 4 décembre 1981 à Peoria en Illinois, est une autrice américaine de fantasy aujourd'hui installée à Milwaukee, dans le Wisconsin. L'Impératrice du Sel et de la Fortune, le premier volume de sa série Les Archives des Collines-Chantantes, gagne le prix Hugo du meilleur roman court 2021"

Eh bien, n'ayant lu ce qui précède qu'après avoir fini le livre, je ne me doutais pas que je lisais de la fantasy, genre dont j'ignore à peu près tout. Je pensais plutôt lire un conte asiatique inspiré plus ou moins librement de légendes anciennes. Je découvre également après coup que ce volume est le premier de la série "Les Archives des Collines-Chantantes" qui en compte cinq en 2024. A la réflexion, il me semble que la différence entre conte et fantasy n'est pas bien grande (en fait même, elle m'échappe. Donc, si quelqu'un peut me l'expliquer, je l'écouterai avec plaisir.).

Voici à grands traits, l'histoire, sans spoiler bien évidemment. Les Archivistes des Collines-Chantantes voyagent en établissant un relevé descriptif plus que méticuleux des lieux où ils séjournent. Ils sont accompagnés de huppes parlantes aux qualités d'observation et à la mémoire développés jusqu'à la perfection. Les archivistes ou adelphes, évoquent des moines par leur mode de vie et sont non genrés. L’adelphe Chih et sa huppe Presque-Brillante arrivent à ce qui reste du domaine abandonné de Fortune-Prospère, ainsi nommé par dérision déjà à son époque, et y trouvent une vieille femme du nom de Lapin qui accepte de les héberger. Chaque matin, l'adelphe Chih observe un des objets qui s'y trouvent et Lapin lui raconte les souvenirs qui y sont liés. Chih note tout, Presque-Brillante écoute et "ne peut rien oublier". Ainsi apprenons-nous que depuis son enfance, Lapin a été mise au service de l'Impératrice répudiée In-yo (c'est elle, l'impératrice du Sel et de la Fortune) auprès de qui elle a passé toute sa vie. Aussi, égrenant les souvenirs de Lapin, l’histoire et la personnalité de l'Impératrice nous apparaît-elle en contrepoint de plus en plus précisément. Nous suivrons avec un intérêt qui ne se démentira pas le récit de la vieille femme jusqu'à une fin un peu mystérieuse qui laisse, à la réflexion, certaines questions en suspens. Ce qui est une très bonne chose, n'est-ce pas ? pour le volume d’ouverture d'une série.

Je tiens vraiment à ajouter aussi que l'écriture est très belle et la narration très bien menée, sans à-coups ni ralentissement. Les images et les scènes évoquées sont grandioses et poétiques, les sentiments mesquins ou nobles mais généralement puissants et leur expression convaincante. Du beau travail. Il y a un vrai charme à cette lecture. Ce que je ne suis pas seule à penser car ce titre a obtenu les prix Hugo et Locus du meilleur roman court en 2021.

Pour ceux qui seraient tentés, voici dans l'ordre les titres de la série des Archives des Collines-Chantantes. Ils sont tous aussi courts (moins de 130 pages).

1 - L'Impératrice du Sel et de la Fortune

2 - Quand la tigresse descendit de la montagne

3 - Entre les méandres

4 - Des mammouths à la porte

5 - The Brides of High Hill, pas encore traduit


Et n’oublions pas : "Les mères révoltées élèvent des filles assez féroces pour combattre des loups". Et c’est tant mieux, parce que les loups sont là.

‎ 979-1036001314



28 octobre 2024

L'été de cristal

de Philip Kerr

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Quatrième de couverture :

«Vétéran du front turc, ancien de la police, Bernie Gunther, trente-huit ans, est devenu détective privé, spécialisé dans la recherche des personnes disparues. Berme ne se plaint pas. Les disparitions sont monnaie courante à Berlin, en 1936, et il ne manque pas de clients... Mais aujourd'hui, Hermann Six, le puissant industriel qui engage Bernie, ne cherche pas à trouver sa fille : celle-ci a été assassinée chez elle, ainsi que son mari. Non, ce qui intéresse Herr Six, ce sont les bijoux qui ont disparu du coffre-fort... 

A la veille des Jeux Olympiques, tandis que les S.A. se chargent de rendre la ville « accueillante » aux touristes attendus, Bernie se met en chasse. Et cet été-là, l'ordre nouveau qui règne sur l'Allemagne va se charger de faire voler en éclats le peu d'illusions qui lui reste... »


Ce premier roman de la Trilogie berlinoise qui n'allait pas tarder à compter bien plus de trois tomes, est une relecture pour moi. Je l'avais déjà dévoré à sa sortie en 1993. 1993! Bon sang! Cela ne me rajeunit pas. Passons. J'aime bien les relectures. J'aime comparer mes impressions actuelles à mes souvenirs. Quand j'en ai, car certains livres s'effacent complètement. Mais ce n'était pas le cas ici et je me souvenais assez bien de ma première rencontre avec Bernhard Gunther.

Le roman en lui même m'avait impressionnée. Placer les aventures d'un détective privé à Berlin à cette époque et avec ces protagonistes (Goering, Himmler)! A ma connaissance, Philip Kerr était le premier à le faire. J'avais tout de suite accroché. J'avais admiré la fermeté, la précision et l'assurance du socle documentaire. Et l'audace! Envoyer son héros mener son enquête à Dachau. Fallait oser. J'avais aimé Bernie, sa stabilité, sa façon de subir l'omniprésence croissante de cette peste brune comme ont dû le faire bon nombre de Berlinois. Sans compter que l'histoire était bien trouvée, bien menée et suffisamment mystérieuse pour captiver son lecteur.

Alors, qu'en reste-t-il trente ans après? Eh bien, rien n'a changé du côté de Bernie. C'est toujours un aussi bon roman policier mené de façon aussi fascinante en plein cœur du nid de scorpions, et on le lit toujours avec autant d’intérêt. C'est nous qui avons changé. Son machisme primaire saute aux yeux (je ne l'avais pas vu à l'époque) et dérange. Sa façon de considérer les femmes, toutes, est juste "pas possible"! J'étais un peu consternée en lisant cela, et puis j'ai décidé de m'en réjouir au contraire, moi qui ai l'impression qu'on n'a pas tellement progressé en trente ans, j'ai réalisé que, quand même, si. Les types comme Gunther n'ont plus aucune chance de devenir des héros aujourd’hui, et les héros ne considèrent plus le monde de cette façon lamentable. C'est déjà ça. On avance. J’ai enchaîné avec un Robert Galbraith dont le Cormoran Strike ressemble pas mal à une version moderne de Gunther. Ancien vétéran de guerre, solitaire, costaud, taciturne, détective, affaires pas florissantes, secrétaire etc. mais pour le coup, pas macho. J’accroche bien.

978-2702423615



24 octobre 2024

Ce que je sais de toi

de Eric Chacour

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A force de le croiser sur les blogs littéraires et avec son Prix des Libraires, il fallait bien que je finisse par lire ce premier roman d'Eric Chacour vers lequel je ne serais peut-être pas forcement allée naturellement, le sujet n'étant pas très porteur pour moi.

 Nous sommes au Caire dans les années 1980, et le narrateur nous parle de Tarek, jeune médecin qui complète ses journées de travail dans la clinique familiale par un travail qu'il a lui même choisi et pour lequel il est plus motivé, à savoir animer un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam. Le narrateur, qui ne s'est pas présenté, nous raconte la vie de Tarek comme si c'était à lui qu'il s'adressait, en le tutoyant. C'est comme s'il était derrière son dos et nous décrivait les scènes.

« Cela faisait longtemps que tu n’avais pas dîné avec ta sœur et ta mère. »

Un soir, Ali, un jeune homme vif vient chercher le docteur à la fin de ses consultations pour l'amener chez lui voir sa mère qui refuse d'aller au dispensaire. Touchée par les premières atteintes de la maladie de Huntington, fléau familial, elle se partage entre déni et résignation. Séduit par la personnalité de ce duo, le docteur multipliera ces visites avant même de réaliser à quel point il est sensible aux charmes d'Ali. Parallèlement, bien marié à une belle femme qu'il aime, il mène la vie classique du notable proche de sa mère dominatrice et abusive. De manière douce mais inexorable, les faits s’enchaînent...

Inutile d'en dire plus de l'histoire. C'est un livre intelligent, à la construction délicate et spécialement adroite. L'écriture est particulièrement belle, chose que j'ai beaucoup appréciée. On nous vend trop de livres rédigés en une langue bien trop proche du langage parlé. Ça va pour les romans policiers, par exemple, mais pas pour la Blanche. Ici, les images sont choisies avec autant de soin que les mots, les passages poétiques ne sont pas rares, la langue est soutenue. De même, loin des emballements à l’emporte-pièce, les sentiments -diverses formes d’amour- sont montrés avec beaucoup de justesse. On pourrait dire que c’est un livre sur l’amour, les différents amours et les façons dont ils se manifestent. Je suis assez réfractaire aux succédanés de sentiments qu’on nous sert souvent, épicés des passions artificielles, mais là au contraire, tout m’a semblé juste, bien pesé. Un bon livre, qui méritait son prix et vous fera visiter Le Caire.

978-2384820344

20 octobre 2024

Inoubliables

de Fabien Toulmé

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Pas totalement convaincue par cet album graphique qui regroupe "six histoires vraies" sous le titre "Inoubliables". Alors, peut-être cela vient-il tout simplement d'un malentendu sur le contenu. Je m'attendais à des récits de ces moments spéciaux, spécialement ravissants ou au contraire horrifiants, mais en tout cas à haut impact sur notre esprit, qui s'y sont gravés et sont et seront toujours là. En fait, c'est autre chose. "Le jour où ma vie a changé" aurait été un titre plus juste. L'auteur a choisi de nous raconter six vies malheureuses que leur personnage principal a un jour décidé de changer. Ce n’est pas sans intérêt, mais quand on a une certaine attente pour un livre et qu'on trouve autre chose, il y a toujours un flottement.

Le six vies en question sont sinistres. Les deux premières sous emprise religieuse, puis un viol et carrément le massacre rwandais et une histoire de couple pas très jolie. Le dernier enfin, le plus long, est l'édifiante histoire d'un homme qui après une jeunesse voyouteuse et une sortie de prison pour devenir un mari violent est retourné en prison où il a reçu une formation professionnelle. Malheureusement, à sa sortie il s'aperçoit que travailler, c'est fatigant et que ça ne paie pas tant que ça, alors il replonge bien plus profondément dans les trafics et se retrouve une troisième fois en prison. Parlant au nom de ses codétenus, il se fera remarquer et cette fois, à sa sortie, c'est la politique qui lui tendra les bras. L'histoire s'arrête là. J'en vois qui ricanent, mais ce n'est visiblement pas l'intention de l'auteur.

Bon.

Bilan, toutes les histoires m'ont laissée avec l'impression qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, comme si le regard sur ce qu'on racontait était biaisé -à mon point de vue du moins- ou la situation elle-même, et avec des personnages dont aucun ne m'a vraiment touchée.

Le graphisme est simple, chaque histoire illustrée sur deux couleurs complémentaires. Classique maintenant. Rien qui choque, mais rien qui enthousiasme non plus.

Tout cela fait un album que je ne descendrais pas en flammes mais que je ne conseillerais pas non plus. Faites comme vous le sentez.

9791034764570



16 octobre 2024

Crayon noir - Samuel Paty, histoire d'un prof

Texte de Valérie Igounet

Dessins de Guy Le Besnerais 

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Une fois encore, la forme graphique a été choisie pour présenter un dossier extrêmement sérieux, précis et documenté. Cette fois, il s'agit du meurtre de Samuel Paty, professeur d'Histoire, par des fanatiques religieux le 16 octobre 2020. Cette date anniversaire, quatre ans plus tard, est le bon moment pour en parler.

Le choix de la forme graphique me parait être une excellente idée car elle permettra à de nombreuses personnes qui ne se seraient pas lancées dans la lecture d'un volume serré, d'avoir accès à tous les faits et leurs enchaînements. C'est par ailleurs, une totale réussite. Ce livre devrait se trouver dans toutes les bibliothèques et CDI pour le sérieux de son enquête et l'objectivité de sa narration.

Le graphisme est clair, dépouillé mais hyper réaliste et juste. J'ai aimé ces dessins. Les portraits sont frappants. Les couleurs sont en à plats. L'album commence par l'enterrement et les cérémonies d'hommage, les honneurs officiels, tout un pays horrifié derrière son cercueil. Ensuite, l’album reprend le film des évènements depuis le tout commencement, sans omettre le passé professionnel de l'excellent professeur motivé qu'était Samuel Paty.

On est juste après les massacres de Charlie Hebdo et le professeur entreprend de faire un cours sur la liberté de la presse dans une République.


Et on voit comment de petit mensonge en exagération et diffusion d' "informations" non vérifiées, on voit les gamins se donner de l'importance en répétant des versions de plus en plus intéressantes mais également de plus en plus éloignées de la réalité.

.. et les adultes qui s'en mêlent, mais hélas pour ne faire qu'amplifier et dramatiser et diffuser la désinformation et la haine. On n'est consterné de voir ça. Partir de si peu pour déclencher un tel torrent de haine, et finalement cet acte odieux. On a un sentiment d’impuissance face à un engrenage. Comme toujours, à part l'assassin final, personne n'aura rien fait, ou presque rien, et ne se reconnaît coupable que de pas grand chose: de s'être trompé ou plutôt d'avoir été trompé, d'avoir mal réagi, mais parce qu'on avait insulté sa religion (en fait non, alors, qu'est-ce que c'est que cette réponse?) etc. Toutes ces petites malveillances ordinaires mais terribles, participaient en fait d'un assassinat annoncé. On espère que c'est ainsi qu'ils seront jugés et on leur souhaite de réaliser un jour ce qu'il ont vraiment fait.

Les collégiens qui avaient alimenté la campagne de diffamation contre Samuel Paty et permis son assassinat ont été condamnés à des peines de prison avec sursis allant de 14 à 24 mois. Le procès des adultes est prévu pour fin 2024. Tiens! C'est bientôt. Quelles seront leurs peines?

Au vu de l’immobilisme de l’administration ou de la police qui étaient au courant de la situation et avait promis protection, la famille Paty a porté plainte contre l'Etat pour non assistance à personne en danger et non empêchement de crime. On attend.

Depuis le drame, un proviseur s'est trouvé pris dans une spirale similaire à celle qui a emporté S. Paty et a choisi de démissionner peu confiant en la protection qu'il pouvait espérer. Combien de proviseurs ou professeurs allons nous encore céder à l'obscurantisme, nous qui en manquons déjà? Je ne parle même pas de ceux qui, au vu de la situation, ne s'orienteront pas vers l'enseignement.

9782958292782



12 octobre 2024

L'Hôtel des oiseaux

de Joyce Maynard

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Amelia n'a que 27 ans mais elle vient de tout perdre pour la seconde fois de sa vie. Incapable d'imaginer le reste de son existence, pour tout dire au bord du suicide, elle quitte tout à l'aveuglette sans rien emporter et se laisse mener par des rencontres de hasards qui la conduiront fort loin en cette époque de hippies et de road trips. Elle atterrit dans une espèce de bout du monde, une île volcanique où un guide de six ans lui fait prendre une chambre dans un hôtel qui est une belle bâtisse au milieu d'un parc de jardinier passionné. L’hôtel n'a que quatre chambres, mais cela s'avère bien suffisant parce qu'elle est la seule cliente. Elle s'y liera peu à peu d'amitié avec Leila, la propriétaire esthète.

Je ne vous en dirai pas plus sur ce que va vivre Amelia, mais y a-t-il meilleur lieu pour rencontrer des gens et découvrir un bout de leur vie, qu'un hôtel? Joyce Maynard sait parfaitement montrer ces nombreuses vies qui à un moment où un autre de leur parcours, font un passage par l’hôtel, tout comme elle sait décrire la population autochtone qui voit avec philosophie et détachement passer ou s'installer ces étranges gringos qui vivent selon d'autres préceptes et préoccupations qu'eux. Chacune de ces existences que nous découvrons, l'espace d'un moment, nous présente une facette possible de la vie. Elle sait aussi nous montrer l'importance de la beauté des lieux qui nous entourent, de l'adéquation et de la légitimité des activités qui occupent nos vies, ainsi que de la juste évaluation de nos besoins.

C'est aussi un livre sur la résilience, notre capacité à gérer et surmonter nos pertes, Amelia deviendra très forte à cet exercice et de la voir faire nous amènera à réfléchir à la façon dont nous le faisons, nous, tout comme la probité dont elle fait toujours preuve nous amènera à jauger la nôtre.

On est presque plus près du conte que du récit. Il ne faut pas trop se soucier de vraisemblance et de probabilité, ce qui est une optique que le lecteur peut accepter d'avoir. Cela ne m'a pas posé de problème. On peut reconnaître aussi qu'aux deux tiers du romans, la succession de clients de l’hôtel et du morceau de vie qu'ils donnent à voir, devient un peu systématique et aurait pu être moins longue, même si chacune illustre bien un thème différent. C'est pour cela qu'on accepte tout de même ce petit défaut. Peut-être Joyce Maynard a--t-elle voulu englober trop de choses et aurait-elle gagné à renoncer à quelques unes, mais l'histoire finit tout de même par repartir jusqu'à sa conclusion.

Un roman qui, comme tous les bons romans, nous parle du monde, de ses habitants, de ce qu'ils peuvent y faire et y trouver, et de nous.


Violette l’a lu, mais a été gênée par le manque de réalisme.



9782384820313