Journal inquiet d'Istanbul T1
de Ersin Karabulut
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Je ne sais pas vous, mais moi, l’histoire de la Turquie, je ne connais pas bien. J’avais des impressions, qui d’ailleurs ne correspondaient pas bien avec ce qu’on nous en disait officiellement, et j’étais dubitative (mais de moins en moins au fil des ans, je l’avoue), c’est pourquoi j’étais dès l’abord intéressée par cet album de quand même 150 pages, qui nous raconte le quotidien d’un Turc d’aujourd’hui normalement évolué. Quotidien qui n’est pas facile.
Dans cet album qui devrait sans doute davantage s’appeler Mémoires que Journal, l’auteur, Ersin Karabulut raconte sa vraie vie depuis sa petite enfance (il est né à Istanbul en 1981) jusqu’au début de sa carrière de dessinateur de BD en Turquie. Parallèlement, il montre son pays passer sous le commandement d’Erdogan qui dissimule de moins en moins son autoritarisme et l’emprise qu’il veut que l’intégrisme prenne sur la société. Ce sont ces deux faces que l’auteur sait bien montrer qui font la richesse et l’intérêt de l’album.
Le concernant, il offre un récit qui semble vrai et sincère, ne dissimulant pas ses faiblesses. Il emporte ainsi l’adhésion du lecteur. Concernant la situation de son pays, il en montre les différentes facettes : l’emprise des Frères sur la quartiers modestes où ils imposent de plus en plus leurs diktats par la surveillance omniprésente et la menace voilée mais réelle et pesante, ainsi que les quartiers évolués des mégapoles où les gens vivent à peu près normalement (selon nos critères) et qui peuvent leurrer les touristes. Et voilà qu’arrive Erdogan, modeste au début, démocrate et soutenu par l’Occident pour des raisons commerciales mais dévoilant de plus en plus sa face sombre et dominatrice à mesure que son pouvoir se renforce.
Parallèlement, il nous ouvre les portes du monde de la BD satyriques qui semble très florissant et vigoureux là-bas à l’époque fin des années 90 (ça m’a rappelé l’époque française des années 70 avec Pilote, Charlie Hebdo, Fluide Glacial, il me semble qu’il y en avait un autre mais le titre m’échappe). Bref, c’était plein de vie, et Ersin Karabulut s’y taillait de beaux succès en racontant sa propre vie alors que la menace Erdogan grandissait.
Que doit faire l’écrivain, le chanteur, le créateur de BD face à un état qui devient de plus en plus autoritaire ? Il n’y a pas ici de héros suicidaire, mais des gens désireux de paix et accessibles à la peur , mais qui voudrait conserver leur liberté de pensée, de parole, d’action. Que faire ?
Nous le verrons plus tard, quand sortira le volume 2, mais svp, ne me parlez pas de Erdogan comme d’un soutien de la démocratie, merci. En fait c’est un rapport purement commercial. Maintenant qu’il a installé son pouvoir, il va de moins en moins se soucier de sauver les apparences et l’Occident le laissera faire tant que les multinationales y trouveront leur compte.
Je n’ai pas parlé du graphisme, ce sera pour le tome 2 que j’attends avec impatience.