Anéantir
de Michel Houellebecq
****
Pas le meilleur Houellebecq, mais un roman qui se lit bien, même si le démarrage façon thriller fait un flop. J'attendais beaucoup de cette incroyable organisation terroriste qui réalisait avec une efficacité extraordinaire des attentats inédits et inimaginables. Comment notre Michou allait-il bien pouvoir nous expliquer tout ça ??? Eh bien, il n'a pas pu, et après avoir un peu glissé sur une pente Dan Brownienne et pataugé dans un marais sataniste où je commençais à craindre l'arrivée des Illuminati d'un moment à l'autre, il fait un flop tel qu'on ne réalise même pas quand l'affaire est considérée comme terminée... Mais bon, ça a eu le mérite de mettre un peu de tension dans ce roman, de surprendre et de soutenir l’intérêt du lecteur friand d'histoires étonnantes, comme moi.
En dehors de cela, je n'ai pas non plus trouvé Houellebecq au plus brillant de sa forme de témoin, voire d'analyste du monde actuel. On l'a connu plus lucide et même acéré. Sa déification de Bruno Le Maire surprend, et laisse dubitatif. On avait évoqué une peinture des Ehpad dont j'espérais qu'elle serait plus fouillée, plus développée et plus précise. Et que l'auteur aurait vraiment mis le projecteur sur un vrai problème de notre époque. En fait, elle se réduit à peu de choses. Il est clair que les personnages ne sont pas vraiment concernés. Ils trouveront toujours un moyen de ne pas être le grabataire maltraité qui achève son existence dans son lit souillé. En fait ce n'est pas Houellebecq, mais "Les fossoyeurs" de Victor Castanet, paru 3 semaines après qui a fait le boulot. Pour ce qui est de l'analyse politique : les activistes d’extrême droite, sont de braves gars bien disciplinés bien que capables de violence, par contre les écolos sont de « dangereux imbéciles », l'économie française n'a jamais été aussi brillante, on ne croit en rien mais on ne boude ni une messe ni quelques cierges dans les périodes difficiles, les femmes font de bonnes infirmières, la syndicaliste qui exige que les maigres moyens de l'Ehpad soient équitablement répartis entre tous les résidents est une salope. D'ailleurs, les syndicalistes sont tous des vendus, ce dont on voit le narrateur se réjouir car « le quinquennat s'était déroulé dans une ambiance de paix sociale inédite, le nombre de jours de grève n'avait jamais été aussi bas depuis le début de la V° République, alors que pourtant les effectifs de la fonction publique baissaient lentement mais inexorablement au point que certains territoires ruraux, du point de vue services publics et couverture médicale, étaient à peu près tombés au niveau d'un pays africain. » Tout ça grâce à notre « meilleur ministre des finances depuis Colbert ». Mais pas de panique, ce sera en 2027.
On s'égare aussi parfois dans des considérations brumeuses (par exemple trois pages sur des « expériences de mort imminente » avec lumière bleue au bout d'un tunnel etc.), il présente sa simple opinion comme un fait objectif en des jugements de valeurs catégoriques mais non argumentés, ou de fortes pensées qui seraient sans doute profondes si elles ne flirtaient pas si fort avec les lapalissades : « Ce moment s'était produit, il aurait pu ne pas le faire. Des moments ont lieu ou n'ont pas lieu, la vie des personnes s'en trouve modifiée et parfois détruite, et que peut-on en dire ? Que peut-on y faire ? De toute évidence, rien » (703) On se croirait à un coin de comptoir ou au marché.
Ceci dit, il reste un livre qui sait capter l'attention de son lecteur sur plus de 700 pages. C'est plaisant à lire. Il n'y a pas une vraisemblance extraordinaire (et même pas du tout en ce qui concerne les attentats) mais le tout est assez vivant. Il y a du rythme, plusieurs histoires d'amour, les personnages peuvent intéresser et on se croirait presque parfois dans les coulisses du pouvoir même si bien sûr, ce qui est montré n'est encore que ce qu'on veut bien nous laisser voir et croire. Le thème de la fin de vie court tout au long du roman et pousse chacun à y réfléchir. Par contre, la douleur est minorée, voire ignorée (un personnage a la mâchoire mangée par une tumeur sans que cela semble insupportable) et l'euthanasie n'est vue que comme une façon de se débarrasser des vieux trop encombrants, mais on peut espérer que le lecteur lui, sera capable de l'envisager aussi comme un droit à faire cesser une ultime torture trop effroyable.
PS: Bruno nous récite quand même son petit Corneille avec deux erreurs en deux vers, ça fait tache.
"Rome, unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui ton bras vient d'immoler mon amant !"
au lieu de... demandez à votre mémoire (ou à Google si elle vous fait défaut)