07 avril 2021

 Hommage à la Catalogne 

de George Orwell

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Témoignage essentiel


   Il s'agit ici d'un texte extrêmement vivant. On est loin des dissertations et des études historiques fruits de l'étude des documents ou de la récolte de témoignages. Nous avons ici le récit, à chaud, par un témoin honnête et intelligent, d'une de ces périodes qui ont fait tourner l'Histoire.
 
   George Orwell, digne anglais, de bonne famille quoiqu'un peu désargentée, devait tout de même être un type extraordinaire! Un co-internaute m'a parlé de son romantisme. Romantique, sûrement, il l'était. Je dirais même plutôt idéaliste...et courageux, car il fallait l'être pour braver les dictats de son monde, de sa société, dans sa vie en Angleterre. Il fallait l'être plus encore pour aller s'engager en Espagne.
 
   Ce n'est pas tout le monde qui a dans sa vie l'occasion, puis le courage de risquer son existence par pur idéalisme; puis, l'ayant fait, d'avoir survécu (de justesse) et de disposer des mots et du talent qu'il faut pour le raconter quelques mois après. Mais c'est peut-être tout le monde qui en aurait rêvé, comme à une sorte de point d'orgue.
 
   Un petit rappel historique: Nous sommes en 1936. En Espagne, un gouvernement républicain est au pouvoir légalement. Les Fascistes tentent un coup d'état pour le renverser et établir leur dictature. Dans un premier temps, ils sont vaincus et font appel à leurs alliés internationaux : Hitler et Mussolini qui leur envoient un soutien logistique conséquent qui leur permet de renverser la situation. Les Républicains font à leur tour appel à l'aide des gouvernements démocratiques, mais ceux-ci préfèrent regarder en l'air en sifflotant d'un air dégagé. Pourtant, dans tous ces pays, des hommes se lèveront pour rejoindre les forces républicaines et tenter d'empêcher les Fascistes de mettre fin à la République en Espagne. Orwell était de ceux-là. On les a appelés les Brigades Internationales. Nous savons qu'ils ont échoué, mais Orwell, au moment où il rédige «Hommage à la Catalogne», revenu en Angleterre depuis sept mois, à cause d'une sérieuse blessure, ne le sait pas encore. Quand il écrit ce livre, il croit que tout n'est pas encore joué. Pourtant, il a perdu à Barcelone une partie de ses illusions. «Je pense qu'il est impossible que personne ait pu passer plus de quelques semaines en Espagne sans être désillusionné. (...) La vérité, c'est que toute guerre subit de mois en mois une sorte de dégradation progressive, parce que tout simplement des choses telles que la liberté individuelle et une presse véridique ne sont pas compatibles avec le rendement, l'efficacité militaire.»
 
   Arrivé plein de conviction, prêt à donner sa vie pour défendre son idéal de liberté, il s'enfuira, gravement blessé, poursuivi par ses propres compagnons (les communistes) qui se sont mis à exterminer les anarchistes pour s'assurer plus fermement d'un pouvoir qu'il ne garderont d'ailleurs pas.
 
   C'est ainsi qu'Orwell quittera l'Espagne et rédigera en Angleterre cet «Hommage à la Catalogne» alors même que tout n'est pas encore joué là-bas, en Espagne.
 
   Cependant je retiens surtout ce final: "Quand on a eu un aperçu d'un désastre tel que celui-ci (...) il n'en résulte pas forcément de la désillusion et du cynisme Il est assez curieux que dans son ensemble cette expérience m'ait laissé une foi, pas seulement non diminuée, mais accrue, dans la dignité des êtres humains."
 
   Ce qui m'a frappée à la lecture de ce texte, c'est le point d'honneur qu'Orwell met à relater avec toute la sincérité et la vérité possible, tout ce qu'il a vu. Ainsi n'hésite-t-il pas à parler du gaspillage et des pertes dues à l'inorganisation de son propre camp, quand ce n'était pas la victoire manquée, ni même des blessés morts d'avoir été mal soignés par les siens. Cela ne l'empêchera pas, en fin d'ouvrage, d'exhorter encore ses lecteurs à ne pas oublier qu'un récit n'est jamais totalement objectif. C'est pour toute cette honnêteté que j'adore Orwell.

978-2264030382

05 avril 2021

 Le Cercle celtique 

de Björn Larsson

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 C'est à la fois un roman policier, un roman d'aventure, un roman d'amour et d'amitié et un roman maritime ; avec, pour relever le tout, un petit fond d'étude ethnologique et historique qui regarde du côté des Celtes, comme le titre vous avait peut-être permis de le deviner, fins limiers que vous êtes.

      L'auteur, mais ce n'est pas lui vraiment, conte à la première personne le récit d'un Suédois qui vit sur un bateau baptisé « Rustica » et qui sillonne les mers d'Europe du Nord. Quand on saura que Björn Larsson est un Suédois qui vivait sur un bateau baptisé « Rustica » et qui sillonnait les mers d'Europe du Nord, on supposera que la matière de toute la partie maritime lui vint soit de ses propres aventures, soit de celles qu'il avait entendu conter dans les différents ports fréquentés. D'une part, cela nous vaut des récits marins au moins bien documentés, vivants et exacts, et de l'autre, cela établit une relation de réalité et d'empathie autant avec l'auteur qu'avec le personnage.

      Ils ont, on ne peut pas en douter, bien des choses en commun. N'empêche que ce sont deux êtres distincts et que les aventures meurtrières, Larsson ne les a pas vécues et tant mieux pour lui. Pour ce qui est de la réalité de la trame celtique? il doit y en avoir une part aussi, mais jusqu'où va-t-elle ? Pour moi, c'est très difficile à déterminer. Pourtant, elle a de l'épaisseur, cette trame et on y croit, au moins assez pour suivre notre skipper sur ces eaux troubles et remonter avec lui ces pistes de druides et de cultes secrets.

      De meurtres en tempêtes, de dangers humains en risques de la mer, d'amour ou d'amitiés trouvés à ceux que l'on perd, d'énigmes en recherches, de trouvailles en exploits marins, ce bateau-là nous emmène où il veut. Et c'est avec plaisir que nous nous livrons à son voyage, goûtant les terres inconnues, les personnages étonnants et les sympathiques scrupules moraux du narrateur.

      Notre skipper, Ulf Berntson, s'adresse donc à nous pour nous raconter ce qu'il a vécu. C'est un récit linéaire, émaillé de commentaires du genre « Je ne savais pas encore à quel point j'avais raison (ou tort)? ». Cette façon de raconter, d'une part oriente pas mal notre compréhension de la narration et d'autre part, est vivante, avec un aspect naturel. Je l'ai bien appréciée.

      Pour ce qui est du récit, je dois avouer que j'ai été tout de même un peu gênée par la profusion de termes marins dont je ne saisissais pas le sens. J'ai dû me résoudre à passer outre plusieurs passages de manœuvres qui m'ont échappé totalement. Cela nuit sans doute à la bonne compréhension des scènes de lutte contre les éléments déchaînés, mais cela n'empêche pas, par contre, de suivre tout à fait clairement tout ce qui n'y a pas trait. A côté de cela, je dois avouer également, que j'ai été parfois saisie par la beauté de certaines images, aussi belles que les paysages sauvages ou les étendues marines évoqués : «L'horizon paraissait infini, comme si on voyait au-delà de ce que l'on regardait.»

      Pour ma part, je conseillerais volontiers à un futur lecteur de se munir d'une carte qui représenterait une portion de notre monde allant du Danemark à L'Ecosse et d'y noter la progression du voilier. C'est ce que je n'avais pas fait et je l'ai regretté. Il me semble que j'aurais beaucoup aimé suivre ainsi son périple et que cela m'aurait permis me croire encore davantage dans son histoire. Lire cette aventure en la suivant sur une carte, cela doit être un vrai régal !


978-2070455980

01 avril 2021

Parti tôt, pris mon chien 

de Kate Atkinson

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Dans ce roman se mêlent deux histoires. L'une s'est passée en 1975 lorsque l'agent Ken Arkwright et Tracy Waterhouse « une grosse fille sans grâce qui venait de finir son année probatoire », ont découvert dans un appartement de Leeds un enfant de quatre ans à moitié mort de faim auprès du cadavre de sa mère. L'autre se passe actuellement sous nos yeux. Arkwright est en fin de carrière et Tracy est carrément à la retraite. S'étant aperçue qu'elle ne pouvait pas accepter d’être retirée des affaires, elle a rempilé comme chef de la sécurité dans un centre commercial. Elle n'a jamais trouvé l'amour, ni surtout eu d'enfant, ce qui est son grand regret. C'est toujours « une grosse fille sans grâce » "Elle avait été un gros bébé, une grosse gamine, une grosse adolescente, il y avait peu de chances pour qu'elle se transforme tout à coup en brindille après la ménopause", mais elle est devenue très dure et fait un adversaire à ne pas négliger. A l'époque actuelle, nous retrouvons aussi Jackson Brodie, qui n'est pas dans l'histoire de 1975 mais que nous avons déjà rencontré dans de précédents romans de Kate Atkinson. Lui aussi a vieilli, n'a pas trop réussi sa vie et continue sa carrière mi-détective, mi-homme de main. Actuellement il recherche les vrais parents d'une femme adoptée dans son enfance. 

Ce matin-là, en dehors de tout contrat, chacun va secourir un être en danger et le garder sous sa protection. Pour l'un ce sera un chien, pour l'autre une toute petite fille. Dans des situations souvent dramatiques ou effrayantes, le parallèle entre leurs deux nouvelles vies est amusant. Mais ces deux-là ne se rencontreront qu'aux deux tiers du livre...

Et l'histoire commence.

Ceux qui aiment Kate Atkinson (et dont je fais partie) liront ce roman comme ils liront tous les autres, pour l'humour et parce qu'ils ont tous une petite musique unique qui nous est chère. Cependant, cette fois, j'ai regretté une complexité exagérée et une confusion entretenue par la multiplicité des personnages. (Je me suis emmêlée dans les noms des flics et à la fin, c'était un beau fouillis dans ma tête. Ce n'était pas joli à voir !) Et pour finir, je ne suis pas sûre d'avoir tout compris à la chute concernant Jackson que j'ai trouvée un poil trop elliptique... 

Et pourtant, malgré ces bémols, je suis contente d'avoir lu ce nouvel opus de Kate Atkinson. Il manquait à ma collection et Tracy est tellement... Je vous laisse découvrir. Donc, à lire quand même, bien sûr. Cette K. Atkinson finira par nous faire aimer même ses défauts.

Pour le plaisir, Vieillesse:

"Jackson espérait que quelqu'un le tuerait avant qu'il n'en arrive là. Il supposait qu'il devrait se charger du boulot lui-même. Il avait l'intention de finir comme l'explorateur de l'Antarctique (...) : il se coucherait sur la glace avec une bouteille du même millésime que lui et sombrerait dans le grand sommeil. Il espérait que le réchauffement de la planète ne saboterait pas son projet."

Enfance

"La famille n'est pas toujours un environnement fantastique, surtout pour un gosse."


Série Jackson Brodie : 

1- La Souris bleue - Case Histories (2004) 

2- Les choses s'arrangent mais ça ne va pas mieux - One Good Turn : A Jolly Murder Mystery (2006)  

3- À quand les bonnes nouvelles ? - When Will There Be Goods News ? (2008)  

4- Parti tôt, pris mon chien  - Started Early, Took my Dog (2010)  

5- Trois petits tours et puis reviennent - Big Sky (2019) 

9782253161837

30 mars 2021

Trilogie berlinoise

de Philip Kerr


TOME 1 : L'été de cristal

Philip Kerr a rédigé trois excellents romans policiers tout à fait originaux en cela que leur action se situe à Berlin, à l'époque nazie, ce qui est tout de même plus rare que dans le Chicago des années cinquante. Cet ensemble est appelé «Trilogie berlinoise».

Pour ce premier volet de la trilogie, nous sommes en 1936 et Berlin s'apprête à recevoir les Jeux Olympiques. Hitler vient d'obtenir les pleins pouvoirs et le nazisme s'installe, broyant tout sur son passage avec une incroyable brutalité. Cependant, les Jeux Olympiques arrivent et Hitler désire encore préserver un semblant d'apparence vis-à-vis de l'étranger, aussi Berlin verra-t-elle quelques uns des premiers signes les plus affreux disparaître provisoirement et inversement, des livres interdits seront-ils brièvement à nouveau trouvables.

C'est à ce moment là exactement que débute l'action, alors que le nazisme serrait ses doigts de fer sur l'Allemagne. Une Allemagne qui comptait pourtant de nombreux intellectuels ou individualités démocrates, comme le héros, et qui n'en cédait pas moins chaque jour un peu plus de sa liberté la plus élémentaire.

Il y a un détective privé (Bernard Gunther, Bernie pour les intimes par ailleurs peu nombreux) ancien flic et ancien soldat du front turc, dont l'emploi habituel principal est de rechercher des «personnes disparues», problème fort répandu alors.

Il y a une et même quelques belles femmes, des salauds (riches ou non, au pouvoir ou non), une bonne intrigue (tout de même pas introuvable) et des scènes d'action en nombre et qualité suffisants.

Tout est très bien raconté, dans un style vif et précis. Le héros est sympathique et présente une personnalité suffisamment consistante et complexe pour qu'on s'intéresse vraiment à lui. L'époque est prenante et nous vivons là une étonnante plongée dans la vie quotidienne. On apprend beaucoup, sans s'en apercevoir, alors qu'on est en fait accroché par l'intrigue.

C'était une époque terrible et hors norme, et les aventures de Gunther le seront aussi, de sa rencontre avec Goering à son séjour à Dachau; qui ne sont tout même pas des accidents que l'on rencontre communément dans les romans policiers.

Au cours de ses (més)aventures, Bernie rencontrera la femme de sa vie... et il la perdra. Il ne s'agira pas d'une amourette, il ne s'agira pas d'un top model, ni d'une agonie esthétique et émouvante dans ses bras, il s'agira d'un drame comme le sont le plus souvent les vrais: médiocre et incomplet, mais total.

Le titre original: «Les violettes de mars» était, sinon plus joli, du moins plus judicieux, (ainsi qu'on pouvait bien l'espérer). En effet, le titre français, l' «été de cristal» semble faire référence à la terrible «nuit de cristal» qui n'eut lieu que deux ans plus tard, alors que les «violettes de mars» sont les nazis qui surgirent soudain de partout quand Hitler obtint les pleins pouvoirs en Mars 36.


TOME 2 :  La pâle figure

   Et voici «la pâle figure». Le deuxième volet de cette trilogie berlinoise nous amène deux ans après le premier. Nous sommes en 1938, toujours à Berlin. Hitler n'a fait qu'augmenter son pouvoir. Il règne sur l'Allemagne et en est maintenant à étendre son hégémonie au dehors de ses frontières. Au moment où se passe cette histoire, il louche sur les Sudètes, puis les envahit.

   Nous retrouvons le détective Bernard Gunther, découvert dans «L'été de cristal». Il n'est toujours pas nazi, mais il se retrouve employé par le général Heydrich et le Reichskriminaldirektor Arthur Nebe. Réintégré de force (chantage) dans la police, il se voit attribuer le grade de Kriminalkommissar, qui lui permet de naviguer assez à sa guise parmi les nazis de son service qui se retrouvent être ses subalternes. Ceci pour expliquer qu'il puisse être à la fois un personnage plutôt sympathique (quoique sans scrupules) et au service des pontes hitlériens.

      Pour commencer l'histoire, il est engagé par une femme riche qui subit les pressions d'un maître chanteur qui dispose de documents permettant de faire envoyer son fils en camp de concentration avec un triangle rose.

   Pour la corser, il est donc nommé commissaire pour découvrir l'assassin en série qui perpétue des meurtres apparemment rituels sur de jeunes vierges aryennes. Les présumés coupables sont les Juifs et le mobile de Gunther, qui sent monter la catastrophe, est d'empêcher la «Nuit de cristal». On sait déjà s'il a réussi.

      Tout comme pour le premier volet de la trilogie, l'époque est un personnage à part entière de ce récit (excusez l'image un peu audacieuse, j'en conviens). J'ai trouvé passionnant de pouvoir m'identifier ou reconnaître pour mes alter égaux des gens de ce monde à la fois si proche (moins d'un siècle, ce n'est rien!) et si étrange(r). Il est facile de déclarer: «Moi, je n'aurais pas accepté, ou fait, cela!» Trop facile pour être juste. Il est bien plus intéressant de ressentir «de l'intérieur» comment les gens ont pu le vivre.

      Gunther a évolué depuis «La nuit de cristal». Il est devenu plus carré, plus brutal. Il semble bien représenter la mentalité de l'Allemand non nazi en train d'essayer de survivre dans son pays à cette époque là. Il fréquente ici, dangereusement, des personnages que l'histoire enregistrera comme tristement célèbres et cela ajoute de l'intérêt au récit sans que la part d'imaginaire en soit encombrée. D'autant que la réalité, avec ses hommes de pouvoir «fondus» d'occultisme, n'avait pas tant que cela besoin d'être aidée.

      L'intrigue m'a semblée un peu compliquée, mais là, c'est peut-être ma faute. Je n'ai pas fait assez attention quand les personnages se sont mis à devenir nombreux et je m'y suis un peu perdue à un moment.

      En conclusion, un vraiment excellent deuxième volet, qui justifie tout à fait la poursuite de cette «trilogie berlinoise».


TOME 3 :  Un requiem allemand    

   Nous sommes en 1947, toujours à Berlin. Hitler est mort et la guerre est finie. La ville n'est pratiquement plus que ruines et nous retrouvons notre personnage principal: Bernard Gunther. Il avait fini la guerre comme soldat, sur le front russe. Maintenant, revenu dans les ruines de Berlin, il a repris son activité de détective privé, se faisant davantage payer par le troc que par monnaie peu sonnante. L'époque, là encore, joue un rôle primordial. Elle est à la misère, aux maisons détruites, aux occupants méprisants et omnipotents ainsi que, de chaque côté, à la force qui fait droit. Bref, une situation d'invasion récente. La ville est divisée en secteurs, que les armées des vainqueurs se sont partagés. Le pire, c'est le côté russe, et justement, c'est là que Bernie va devoir mener son enquête.

      Engagé par un colonel des forces d'occupation russes afin de prouver l'innocence d'une ancienne connaissance accusée d'avoir tué un officier américain, Gunther est toujours aussi réaliste. Pas de détective qui prend en riant de terribles coups sur le crâne qui le laissent inconscient, mais pas diminué, pas de héros qui vit de l'air du temps, pas de charmeur dans les bras duquel toutes les femmes se précipitent. Rien de tout cela. Un type qui a presque l'air vrai, avec ses difficultés et la misère sordide autour.

      Cet après-guerre est, pour notre détective, l'occasion d'un regard sur son passé, sur ce qu'il a pu être amené à faire. Bernie ne se sent pas innocent de tout comme pourrait l'être le héros toujours sûr de lui d'un polar moins fouillé. L'après-guerre est aussi, pour les nazis, l'occasion et plus, la nécessité absolue, de s'organiser un anonymat alors que se déroulent les procès de Nuremberg et que les troupes d'occupation sont à la recherche fébrile des meneurs, tant pour les éliminer que pour, au contraire, les employer (ne nous le cachons pas). L'époque n'est guère à la déontologie.

      Kerr, nous conduit ainsi sur la piste d'Heinrich Müller, chef de la gestapo (effectivement disparu en 1945 dans la réalité) et que nous retrouvons ici. Tout comme nous retrouvons Arthur Nebe (chef de la police criminelle) qui, mêlé à l'attentat contre Hitler, est censé avoir été pendu en 1945. Pour la vraie histoire, Nebe a bel et bien été pendu, quant au gestapo Müller, on ne l'a jamais retrouvé. Il devait être sous les ruines de Berlin, mais il y a des contestations à ce sujet et on l'a beaucoup cherché...

      Une intrigue compliquée, où personne n'est ce qu'il a l'air d'être, mais passionnante.

   Pour situer l'ambiance, quand le livre se termine, le lecteur passe sur le tournage d'une scène du film «Le troisième homme»?

      On peut ne lire qu'un des romans de cette trilogie, ou encore lire les trois dans le désordre. Ils sont parfaitement compréhensibles distinctement. Mais pour les amateurs, je conseille vivement la lecture des trois dans l'ordre. C'est plus agréable.

   

Série Bernie Gunther

L'été de cristal - Trilogie berlinoise - 1

La pâle figure - Trilogie berlinoise - 2

Un requiem allemand - Trilogie berlinoise - 3

La Mort, entre autres - Suite Trilogie berlinoise - 4

Une douce flamme - Suite Trilogie berlinoise - 5

Hôtel Adlon - Suite Trilogie berlinoise - 6

Vert-de-gris - Suite Trilogie berlinoise - 7

Prague Fatale - Suite Trilogie berlinoise - 8

Les Ombres de Katyn - Suite Trilogie berlinoise - 9

La Dame de Zagreb - Suite Trilogie berlinoise - 10

Les Pièges de l'exil - Suite Trilogie berlinoise - 11

Bleu de Prusse - Suite Trilogie berlinoise - 12

L'Offrande grecque - Suite Trilogie berlinoise - 13

Metropolis - Suite Trilogie berlinoise - 14


* Philip Kerr a écrit plusieurs romans policiers, ainsi que de la science fiction. Il est né à Edimbourg en 1956. Il a fait, avec cette trilogie, œuvre d'historien et de romancier. Le succès fut si grand que la "trilogie" se transforma en série et que nous aurons 14 volumes jusqu'à sa mort.


978-2253128434

28 mars 2021

 Les images 

d'Alain Rémond

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   L’auteur déclare : «Je me suis toujours demandé ce que devenaient Jérôme et Sylvie, les deux héros de premier roman de Georges Perec, «Les choses» (…) Alors, un jour, j’ai eu envie d’imaginer la suite.»

     Et cette suite, c’est «Les images». J’avoue que cette accroche de la quatrième de couverture a bien fonctionné sur moi et que moi aussi, j’ai eu envie de savoir «ce qu’ils devenaient ensuite.» J’aime bien les jeux comme cela sur un roman ou des personnages déjà existants.

     Pour le coup, j’ai commencé par relire «Les choses» quelque peu oubliées depuis que je les avais découvertes, et j’ai enchaîné avec «Les images» eh bien, ce n’est pas mal du tout. «Les images» prennent correctement la suite et le passage se fait sans aucun à-coup. Nous retrouvons bien nos Jérôme et Sylvie. Certes, ils ont un peu changé, mais avec beaucoup de naturel et c’est bien ainsi que les choses se passent dans la vie. Nous changeons tous un peu au fil de notre existence et de nos expériences nouvelles. En tout cas, cette suite proposée par Alain Rémond est tout à fait vraisemblable et dans le ton. On se dit : «Effectivement, ça a pu se passer comme cela.»

     Comme indiqué par le titre, notre couple est passé des choses aux images. Cette fois, ça y est, nous sommes dans la société du spectacle.

     L’aisance d’Alain Rémond vient du fait qu’il connaît fort bien cet univers là et qu’il peut y faire naviguer ses personnages avec beaucoup d’aisance et d’évidence. Elle vient également de la vraie réflexion qu’il a menée sur ce sujet crucial dans notre monde. Tout comme «Les choses», «Les images» est une réflexion sur ce qui constitue la trame de cette société où notre couple évolue et le lecteur aussi. Et cette réflexion sur la télévision, l’usage d’une version de la vie spectaculaire, intéressée, visible, mais fausse, dans le sens où un air de musique peut être faux, m’a semblée très fine et juste. Elle m’a beaucoup intéressée.

     Si bien que, satisfaite dans ma curiosité sur ce qu’étaient devenus ces deux personnages, je l’ai été tout autant par le contenu propre à ce second roman sur le thème et vraiment, c’est sans hésitation que je le conseillerais à tous ceux que la suite des existences de Jérôme et Sylvie aurait tendance à intéresser, ainsi qu’à tous ceux qu’une réflexion sur le rôle de la télévision tente.

     Citation :

  « Les gens ne regardaient pas la télé pour s’ennuyer, ils voulaient du spectacle, même s’il s’agissait de leurs problèmes de couple, de famille, de solitude. Ils voulaient que leur propre vie devienne un spectacle. Ils voulaient être passionnés, fascinés par leur propre souffrance, leur propre misère. C’était le ressort même de la télévision, sa justification ultime.»

978-2020663953 

26 mars 2021

 Les choses 

de Georges Perec

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Société spectaculaire marchande

   «Les choses» est le premier roman publié par Georges Perec et il obtint le Prix Renaudot en 1965. Pour un premier livre c’était un bon départ, il était fait pour cette époque et trouva tout de suite son public. Les ventes ne furent pas décevantes.

   Ces «choses», ou «histoire des années soixante» arrivaient fort bien et aidaient tout un chacun à réfléchir et faire le point sur ce qu’il sentait bien, au moins confusément : les modifications dues à l’avènement de la société de consommation. Nous n’en étions encore qu’à la société «marchande», mais la société «spectaculaire» n’est pas loin et certains l’avaient bien vue approcher.

     Ce roman suit un couple jeune et bien uni, tant par des goûts et convictions communs que par les sentiments. Ce sont Jérôme et Sylvie, ce sont «ils». Leur histoire est contée au passé sans beaucoup de commentaires, tendant parfois vers le simple compte-rendu quand ce n’est pas la liste (mais c’est un procédé bien sûr et le style est en réalité incisif, net et précis). Et leur histoire donc, semble se limiter à un insatiable besoin de consommer, une inextinguible soif de possessions luxueuses. Leurs pensées ne sont que listes, mais leur avidité les consume sans leur apporter quoi que ce soit : «Leur vie n’avait été qu’une espèce de danse incessante sur une corde tendue, qui ne débouchait sur rien : une fringale vide, un désir nu, sans limites et sans appuis. Ils se sentaient épuisés.»

   Plus tard, tout à coup, pour l’épilogue, on gardera le «ils», mais on passera au futur et les phrases se feront plus courtes. Comme si ce futur était déjà joué, bien que non encore advenu, ou alors advenu, mais si prévisible qu’il ne mérite pas plus que d’être expédié de cette façon laconique et brève. Pourtant, «Les choses» se terminent sur une ouverture. Leur vie change et elle se déplace à nouveau. Cette fois ce sera Bordeaux.

     L’ouvrage était d’inspiration autobiographique. Georges Perec ressentait en lui-même le problème que posaient l’abondance de ces biens offerts et le désir insatiable artificiellement créé par cette situation. Ce problème, c’était bien l’histoire des années soixante et en lui donnant corps et voix, Perec se fit l’écho de ce que bon nombre ressentaient. Il fut donc leur voix à un moment où il était justement grand temps de s’exprimer là-dessus et je pense qu’il est inutile d’aller chercher plus loin, c’est à cela, comme toujours dans ces cas-là, qu’il dut son succès. Il avait su dire. Ce qui n’est pas rien.

   On retrouve encore une autre part d’autobiographie dans le séjour à Sfax où Pérec passa lui-même un an comme ses héros qui s’y sentirent si déracinés qu’ils y perdirent même leurs pulsions d’achat.

  

   PS: L'écrivain Alain Rémond s’est aventuré à imaginer une suite aux Choses. Il a cueilli Sylvie et Jérôme à leur arrivée à Bordeaux et les a accompagnés pendant encore un bon bout de chemin. ( «Les images»)

978-2266170123 

23 mars 2021

 Un privé à Babylone 

de Richard Brautigan

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   L'habitude bien établie chez les amateurs de Richard Brautigan est de mépriser « Un privé à Babylone », qui ne serait pas à la hauteur de ses autres romans.

      Je ne partage pas du tout ce point de vue. Grande amateur de polars d'un côté et de Brautigan de l'autre, j'ai ADORE ce livre ; et, moi qui suis avare d'étoiles, je n'hésite pas à lui en offrir 5.

       Cette histoire, lue il y a des années déjà, n'a jamais disparu de ma mémoire et pire, je la relis régulièrement. Je suis toujours sous le charme de son poétique privé et les images (spécialité de Brautigan) que ce livre m'a apportées sont toujours dans mon esprit. Ecoutez ça: 

« Toujours aussi humide et dégoûtant, mon appartement. Ca ne s'était pas arrangé pendant mon absence. Un vrai cul-de-basse-fosse. Bon dieu, comment je faisais pour vivre comme ça ? Ca avait quelque chose d'effrayant. J'ai enjambé un certain nombre d'objets non identifiés qui se trouvaient par terre. J'ai fait exprès de ne pas trop les regarder. Je ne tenais pas à savoir ce que c'était. J'ai également évité de regarder mon lit. Mon lit ressemblait à quelque chose qui aurait dû se trouver dans la section des fous dangereux d'un asile psychiatrique.»

      Vous avez l'image, vous avez l'idée, et le décalage. Vous êtes dans l'histoire, mieux vous êtes dans la peau du privé. Et je ne dirais pas que le style est sans autre ambition que de manier la simplicité. Je le trouve au contraire extrêmement efficace, percutant et juste.

      Vous devriez lire, si ce n'est déjà fait. Oui, même malgré l'actuelle moche couverture qui m'attriste vraiment. Vous allez vous régaler. Je l'ai déjà lu plusieurs fois. Moi, quand j'aime...


978-2267031003

21 mars 2021

 Huit millions de façons de mourir 

de Lawrence Block

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   Nous nous trouvons là face à un de mes polars préférés et, pour moi, le meilleur Lawrence Block.

      Il est de facture tout à fait classique dans la forme et même, sans doute dans l'intrigue, et il a cependant une totale originalité dans la façon « psychologique », j'avais envie de dire humaine, dont l'histoire est traitée.

      Voici la recette. On prend une bonne vieille histoire de privé new-yorkais qui descend les bourbons, quelques flics, quelques truands fort antipathiques et d'autres qui le sont moins, une mégapole, des bars, des putes qui se font assassiner... Cette recette-là a été utilisée 100 fois ou plus. Elle marche ou non selon le talent du cuisinier, pas de problème.

      A partir de là, Block nous concocte un roman à au moins quatre étages : une intrigue policière, une vision d'un problème social, l'histoire d'un alcoolisme et une réflexion sur la mort.

      J'avais acheté ce livre pour son titre. J'ai été bien inspirée. Ce qui fait la différence, avec « huit millions de façons de mourir », apparaît, me semble-t-il dès le titre. Ce titre, qui n'a pas de rapport avec l'enquête comme c'est la règle générale, mais avec tout autre chose, nous alerte dès la couverture sur l'autre dimension du roman. (Je précise tout de suite que c'est la traduction littérale du titre original.) Qui sont les huit millions de morts ? Les New-yorkais, comme cela pourrait être la population mondiale, avec un autre nombre.

      Lawrence Block ne s'est pas contenté de nous livrer un détective qui boit, il a admis que cette attitude, si commune aux détectives de romans, posait problème, était un problème ; et il a entrepris de nous décrire le mal-être qui fait qu'il boit.

      Les multiples façons, souvent pathétiques, indignes, grotesques, absurdes dont les gens meurent en font partie. Comme en fait partie le fait qu'on ne puisse plus croire dans la justice (lois, juges, etc.), ni dans la capacité de la police à vous protéger. Block nous décrit une jungle en deçà des lois, qui devient notre lot quotidien. Le « On ne peut rien faire » est la constatation que Scudder, notre privé, ne peut accepter, celle qui le fait boire; mais cette enquête le prend au moment où, s'apercevant qu'il n'est plus que l'objet de sa dépendance, il ne peut plus l'accepter non plus.

      « Mes mains avaient une volonté indépendante de la mienne et elles avaient décidé de trembler.» Il y a des descriptions cliniques de l'alcoolisme que le privé fait sur lui-même et, avec les réflexions sur la vie et la mort, cela donne au livre un sens profondément humain que n'ont généralement pas les polars. On sent que tout est faux dans cette histoire? sauf ce combat là.

   

   PS: Il y a eu une édition sous le titre "Huit millions de morts en sursis". Il y a également eu un film avec Jeff Bridges, Alexandra Paul, Rosanna Arquette et Andy Garcia, mais je ne vous en parlerai pas, je ne l'ai pas vu. A-t-il, lui aussi dépassé le stade du simple polar? ...

   

   Série Matt Scudder

   1. Les Péchés des pères - The Sins of the Fathers (1976)

   2. Tuons et créons, c'est l'heure - Time to Murder and Create (1977)

   3. Au cœur de la mort - In the Midst of Death (1977)

   4. Le Coup du hasard - A Stab in the Dark (1981)

   5. Huit millions de façons de mourir - Eight Million Ways to Die (1982)

   6. Le Blues des alcoolos - When the Sacred Ginmill Closes (1986)

   7. Drôles de coups de canif - Out on the Cutting Edge (1989)

   8. Un ticket pour la morgue - A Ticket to the Boneyard (1990)

   9. Une danse aux abattoirs - A Dance at the Slaughterhouse (1991)

   10. La Balade entre les tombes - A Walk Among the Tombstones (1992)

   11. Le diable t'attend - The Devil Knows You're Dead (1993)

   12. Tous les hommes morts - A Long Line of Dead Men (1994)

   13. Même les scélérats... - Even the Wicked (1997)

   14. Ils y passeront tous - Everybody Dies (1998)

   15. Trompe la mort - Hope to Die (2001)

   16. Les fleurs meurent aussi - All the Flowers Are Dying (2005)

   17. Entre deux verres - A Drop of the Hard Stuff (2011)

978-2070793600

19 mars 2021

 Moon Palace 

de Paul Auster

****+


   Un roman dont le squelette s'articule autour du thème de la lune, qui fascine un peu le héros narrateur. Cela est affiché dès la toute première phrase, puisque c'est là qu'il situe le début de son récit à «l'été où l'homme a pour la première fois posé le pied sur la Lune.» Ce thème de la lune et de son éclat, réapparaîtra tout au long du roman, dans les noms des groupes musicaux, les noms de lieux, les paysages, les morceaux de musique, les lueurs des néons, le titre de ce roman etc. Elle est partout, sans insister, mais avec entêtement. Omniprésente. Témoin de tout. Et l'homme a mis le pied dessus. 

       Loin dessous pourtant, Marco Stanley Fogg essaie de se débrouiller avec le peu de points d'appui dont il dispose. Il n'a jamais connu son père et sa mère est morte quand il avait 11 ans. Il a ensuite organisé sa vie chez son oncle (Victor), célibataire endurci ou marié malchanceux, avec qui il s'entendra fort bien mais qui ne lui laissera à sa mort que quelques caisses de livres. 

       Je me demande si le personnage de ce si cher oncle Victor n'a pas été inspiré à Auster par son vrai oncle, traducteur, qui vivait dans les livres et qui a fait partager très tôt ce plaisir à son neveu. 

       Quoi qu'il en soit, une fois cet oncle mort, le jeune Marco, étudiant, ne possède rien et parviendra à survivre jusqu'à la fin de ses études en vendant peu à peu les livres dont il a hérité. Toutefois, toujours par amour de cet oncle, et par respect pour cet héritage, il ne vendra aucun livre, quel qu'il soit, avant de l'avoir lu. Et il survit ainsi. Il tient à mener ses études à leur terme, non par désir personnel, mais parce qu'il pense que son oncle aurait voulu qu'il le fasse. Des désirs personnels, il n'en a pas. Si bien que, dans le même temps, il n'entreprend rien qui puisse lui permettre de survivre de quelque façon que ce soit à la fin du stock de livres. 

       Ceci est la trame du premier tiers du roman et je n'irai pas beaucoup plus loin dans ma description du récit que je vous laisse découvrir. On a déjà ainsi, les thèmes majeurs du livre qui sont, d'abord, la solitude du héros : il réagit tout le temps en solitaire. Il ne songe pas à s'appuyer sur quelqu'un quand il est en difficulté. Il ne songe pas à demander aide ou même conseil, ni encore simplement à se raconter. La situation devient de plus en plus intenable pour lui, sans qu'il ait même l'idée qu'il pourrait se tourner vers les autres. 

       Et arrivé au terme de ses ressources, littéralement, il fond. Physiquement, la faim lui fait perdre toute graisse, puis ne laisse de lui qu'un squelette ambulant et il fond également en tant qu'individu. Il n'occupe plus de place, n'a plus de rôle social, plus de revenus, plus de logement. Caché dans les buissons de Central Park, il est devenu invisible, il a disparu. 

       Quand, grâce à ses amis, il reprend pied peu à peu, il apparaît comme un homme totalement malléable. Il est prêt à se prêter à ce qu'on voudra faire de lui. C'est cette attitude ouverte, patiente et réceptive qui lui permettra de s'enrichir de la seconde partie de l'ouvrage : sa cohabitation avec un vieil excentrique richissime à l'exécrable caractère, mais qui lui apprendra beaucoup. Ce qui n'aurait pas été possible sans cette étonnante malléabilité qu'il manifeste à ce moment. 

       Le dernier tiers de l’œuvre, s'ouvre à la mort du vieillard sur un troisième volet de l'évolution de Marco Stanley Fogg, dont il n'est pas utile que j'évente le contenu.. 

       Alors que la lune est partout dans ce roman, le hasard lui, n'est nulle part et la conclusion retrouve et regroupe les fils d'Ariane semés un peu partout au fil du vent et du récit, depuis les toutes premières pages. Là encore une idée chère à Paul Auster : le rôle du hasard et des coïncidences. 

       Pour finir, j'ai été assez surprise par l'état d'esprit du héros dans les, disons, vingt dernières pages, que je m'explique mal, mais comme je ne peux pas en discuter ici sous peine de déflorer l’œuvre, vous irez vous faire votre idée vous-même. 


978-2330116903

16 mars 2021

 

Richesse oblige

de Hannelore Cayre

***

Que c'est compliqué !! On passe plus de temps à démêler les liens familiaux de cet arbre généalogique plein de lianes incontrôlées, de drageons et de racines perdues qu'à élucider un mystère, d'autant qu'il est bien le seul mystère du livre. Ici pas d’enquête, pas d'assassin à trouver. Comme cela se passe toujours quand le sujet est faible, l'auteur a dû compliquer les choses outre mesure, en premier lieu par le mode de narration : allers-retours passé-présent, abrupts et frustrants. J'ai cependant préféré la partie 19ème siècle à la partie actuelle, en raison des personnages plus intéressants psychologiquement et de la période historique marquante (la Commune).

Classique chez cette auteure, nous avons à nouveau une narratrice (je ne me décide pas à dire « héroïne ») bien introduite dans les milieux judiciaires qui profite de sa situation pour mener ses petites affaires moins légales mais plus rentables.

Pour l'histoire, les plus anciens d'entre nous ainsi que les cinéphiles connaissent peut-être l'excellent film avec Alec Guinness, « Noblesse oblige ». Eh bien, l'histoire est la même. Pourquoi s'épuiser à inventer une intrigue quand il en existe déjà tant ? Donc, pour résumer, dès que vous avez lu le titre du dernier Hannelore Cayre, vous connaissez l'histoire qu'il va vous raconter. Cette fois, on change d'époque, on met plus l'accent sur l'argent que sur la noblesse, mais la noblesse n'est pas plus absente que l'argent ne l'était du film.

J'avais adoré «La daronne» et bien aimé les autres romans de cette auteure et c'est pourquoi j'ai sauté sur ce dernier opus sans hésiter et sans me demander pourquoi on en parlait assez peu. Ici, H. Cayre développe des idées qui sont tout à fait proches des miennes, ce qui est toujours agréable et bien sympathique... mais cela ne suffit pas à faire un bon roman policier, et je suis la première à le regretter.


« J'ai donc d'abord appris qu'il y avait un "milieu végan" suffisamment menaçant pour qu'on paie des flics à surveiller ma copine et à mettre régulièrement sa petite fiche à jour. Ensuite, que le fait d’empêcher par l’opprobre que des animaux soient dépecés vivants dans une souffrance indescriptible pour remplir des barquettes de viande destinées pour la plupart à être jetées et remplir les caisses d'une industrie constituant une des causes principales du réchauffement climatique était perçu comme une menace à l'ordre public... »


979-1022610216


14 mars 2021

 Les Echelles du Levant 

d'Amin Maalouf

****+


Hymne à la tolérance

   Tout d'abord, ce livre est UN Amin Maalouf, c'est-à-dire un récit rapporté avec le brillant talent de conteur de cet auteur. Si vous aimez que l'on vous raconte des histoires, si vous aimez (comme moi, parfois) vous contenter de vous laisser emporter par un récit habile et sans faiblesse à travers les époques, les pays, les drames et les joies, vous aimerez ce roman. 

       Il commence au Liban avec la naissance, au début du 20ème siècle, du personnage principal qui raconte sa vie au narrateur qui va nous la rapporter. Cet homme, né sur la plaque tournante des échanges oriento-européens, de l'union d'un Turc et d'une Arménienne, est le fruit de la tolérance, du multiculturel et de l'ouverture d'esprit, Son père est riche et il acquiert ainsi l'aisance et l'éducation. Parti sur ces bases a priori favorables, il ne va connaître que les guerres et les haines. Depuis celles qui opposent les Turcs aux Arméniens jusqu'à celles qui sévissent encore en Palestine. Le voilà débarquant en France pour y poursuivre ses études et devenant un personnage de la Résistance, le voilà amoureux fou (d'une Juive lui, l'Arabe), le voilà retournant au pays, le voilà perdant la raison dans un monde fou et nous voyons ainsi défiler toute sa vie qu'il narre à l'auteur, à la veille du tournant décisif qu'elle va prendre... 

       Pour la fin, je vous laisse découvrir, je vous laisse deviner, et je ne suis pas la seule. Vous me comprendrez. 

       Le récit est doux et tellement attachant ! Pour ma part, je ne me suis pas identifiée au héros, ni à aucun autre personnage, mais j'ai éprouvé de la sympathie pour lui, pour eux, même peut-être, pour le frère détesté. 

       Ce que j'aime chez Amin Maalouf, hormis ses dons de conteur, c'est cet humanisme qui est la base de son mode de pensée et qui structure ses récits, son évidence de la tolérance et du multiculturel. On les retrouve dans tous ses récits et c'est ce qui en fait le goût, je devrais dire, la saveur. C'est le monde, l'Histoire et la vie vus comme j'aime qu'on les voie. 

       «Les échelles du Levant» n'est pas mon Maalouf préféré, qui serait plutôt «Le périple de Baldassare» ou «Le premier siècle après Béatrice», mais c'est tout de même un très très bon. 

978-2253144243

12 mars 2021

 Affliction 

de Russell Banks

****+


Tu seras un homme mon fils

   C'est Rolfe Whitehouse qui écrit ce livre. Rolfe est professeur d'université. Il ne boit pas une goutte d'alcool, n'est pas marié et a bâti sa vie seul, en ville. Il veut nous raconter l'histoire de son frère, Wade, parce que Wade et lui étaient à la fois extrêmement semblables et extrêmement différents, un peu comme une photographie et son négatif, et que cette situation le trouble, l'a toujours troublé. 

       Wade est son aîné, il est alcoolique, divorcé et envisage maintenant de se remarier. Il habite un bled perdu à la lisière des forêts. Il est shérif de son village. Il est aussi ouvrier, employé à forer des puits ou à déblayer la neige dans cette région du New Hampshire au climat si rude. Rolfe a eu la force, enfant, de s'évader de ce milieu, mais il n'en est pas sorti intact. Sa vie le prouve tous les jours. Wade est torturé par des rages de dents quasi permanentes, Rolfe, par des migraines et des insomnies. 

       Wade a la quarantaine. Sa vie est un échec qui va croissant. Une fois déstabilisé, il va voir ses vieux démons grossir, forcir et l'emporter, faisant tout basculer. Rolfe tient ces mêmes démons à distance parce qu'il a été moins exposé et qu'il est plus vigilant, mais c'est tout de même un combat lucide et permanent. C'est cela l'âme de leurs ressemblances et de leurs divergences. 

       Ce livre a été écrit par un homme et il parle des hommes, dans ce qu'il y a de plus naturel et profond ou de plus faussé et dévoyé dans leur spécificité masculine. C'est la saison de la chasse, et chacun, ici, veut abattre «son» cerf (symbole viril s'il en est), le plus gros possible, l'exhiber sur son 4X4 quand il le ramènera ou qu'il se garera sur le parking du bar des chasseurs pour raconter son exploit, jouir de l'envie et de la considération des autres et s'imbiber de cet alcool qui lui aussi ici, symbolise la virilité. 

       «Affliction», c'est surtout, avant tout, par-dessus tout, une histoire d'homme. Je veux dire qu'il parle de ce qui fait qu'un petit garçon pourra ou non devenir un homme au sens plein du terme, un mâle équilibré, capable de jouer son rôle dans un couple et dans la création et le fonctionnement d'une famille. Eux, les Whitehouse, ne l'ont pas pu et ce roman, avec une incroyable finesse, nous explique pourquoi, démonte les mécanismes des causes et des effets de ce drame qui se renouvelle dans l'anonymat du foyer, comme jusqu'à Wade, ou dans le scandale de la une des journaux, avec lui. «Tous ces hommes en colère, solitaires et bêtes, c'est-à-dire Wade, papa, le père de ce dernier et son grand-père, avaient un jour été des garçons aux yeux intelligents et à la bouche d'une innocence brillante, des êtres sans peur, désireux de plaire et d'être aimés. Qu'est-ce qui les avait si vite transformés en ces brutes aigries qu'ils étaient devenus ? Avaient-ils tous été battus par leur père ; les choses pouvaient-elles être aussi simples que ça ?» 

       Ce livre parle des enfants battus, de ce drame absolu que c'est de ne plus pouvoir se défaire de l'idée que l'on sait pourtant fausse que ces coups sont une marque d'amour, puisqu'ils sont le seul signe que vous fait celui que vous adorez et qui parfois, de cette façon, s'intéresse à vous. Seul le vrai amour, peut vous permettre d'en parler, mais c'est inutile, les autres ne comprennent pas. : «Elle n'arrivait pas à se représenter la chose, elle ne pouvait pas visualiser une scène dans laquelle Wade, qui lui paraissait si grand et si masculin, aussi imprenable qu'une muraille de pierre, pouvait se laisser frapper et blesser par son père qui était en fait plus petit et, à côté de lui, paraissait vieux et fragile.» 

       Pas toujours en dehors de l'action, Rolfe a tout suivi, il raconte tout. Il a même effectué des recherches pour que son récit soit aussi exact que possible. Il pensait qu'il devait le faire, il y a consacré ses loisirs. Il ne juge pas. Il présente. Rolfe souffre du syndrome du survivant. 

978-2742722808