27 septembre 2024


Le Voyage d'Hanumân

de Andreï Ivanov

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 C'est l’histoire de deux types qui débarquent au Danemark et découvrent l'Occident à la fin des années 90. L'un, Hanumân, est originaire d'Inde, l'autre, Johan, le narrateur, d'Estonie. Ils sont amis, ils sont en situation irrégulière et n’ayant nulle part où aller, ils se retrouvent dans un camp de la croix rouge. Ce n’est n'est pas un camp fermé. Ils peuvent en sortir comme ils veulent d’autant que, même là, ils sont clandestinement. Ils peuvent aller où ils veulent et revenir, et c'est ce qu'ils font. Mais tant qu'ils ne sont pas contrôlés du moins. C’est pourquoi leurs expéditions sur les routes sont des parties de cache-cache. La peur de la police qui les reconduira à la frontière est leur principal moteur. Même au camp ils sont en situation irrégulière, car ceux qui y séjournent sont censés attendre que leur demande d’asile soit examinée, eux ont déjà été refusés plusieurs fois et n’ont même plus le droit de se trouver là. Partageant discrètement la chambre d’un camarade dans le baraquement, ils dorment la fenêtre ouverte hiver comme été, prêts à foncer dans les champs voisins s’il y avait un contrôle nocturne.

Ils sont jeunes, et quoique de nationalité différente, ils ont tous deux reçu une éducation d’inspiration soviétique. Ils ne savent rien du monde occidental en dehors des aides et subsides qu’ils peuvent en espérer. Ivanov ne brosse pas d’eux un portrait flatteur. Il les montre prêts à tout, profiteurs, immoraux, aisément agressifs, consommateurs d’alcool et de drogues, potentiellement dangereux, potentiellement utilisables aussi par la société si elle se décide à leur trouver une place, tout va se jouer là. Pour l'instant, ils sont venus pour prendre, pas pour donner. mais ça peut changer. Hanumân avait des attentes. Il se rêvait dans l’île de Lolland qu’il imagine comme un paradis sur terre. Il s’imagine ayant fait fortune grâce à une de ses idées originales. « Son rêve était le suivant : que ceux qui lui crachaient dessus en face ou dans son dos, voient un jour le monde s’illuminer tout entier de son sourire radieux, placardé dans tous les autobus, les tramways, les gratte-ciel, adressé à tous depuis tous les écrans : « Hello, c’est moi, Hanumâncho ! » Mais il n’arrivait pas à trouver quoi que ce soit, dans ce nid de vi^ère, qui puisse le rapprocher de la réalisation de ce reve. » (...) « il glissait sur le monde pratiquement sans laisser de trace, car il n’arrivait pas à avoir prise sur une vie qui se dérobait, échappait à ses mains comme une soie incroyablement fine. Cela le mettait au désespoir, il souffrait et détestait encore plus le monde entier. »

Plus encore que du Danemark et de Lolland, il rêve des USA. Johan, le narrateur estonien qui se fait passer pour russe, n'a aucune attente précise si ce n'est de ne surtout jamais retourner à l'Est et de ne jamais être identifié. Personne ne sait son vrai nom. Il se cache si soigneusement qu’on peut même se demander s'il n'est pas un droit commun recherché pour un crime. Il s’est lié avec Hanumân d’une sorte d’amitié rude qui durera ce qu’elle durera et, n’ayant aucune préférence de destination, il le laisse décider de leurs déplacements.

Johan, qui raconte leurs pérégrinations, montre le décor sordide et leur entourage misérable et aussi impitoyable. Andreï Ivanov qui a séjourné dans les camps de réfugiés, a fait une moisson méticuleuse de ce qu’il y a vu et vécu et c’est ce fonds qu’il utilise dans son roman. On est loin d’une vision détachée et angélique des choses. Il y a des histoires atroces, et pas de « gentil » (même lui). On est en plein dans la misère matérielle et mentale la plus cruelle. Comment survivre quand on n’a ni connaissances (même pas celle de la langue), ni relations, ni droits, ni un seul sou de revenu. Tous deux connaissent des crises de dépression profonde et même des attaques de paranoïa, mais en même temps, il y a des éclairs d’un humour amer, mais drôle quand même : « Chaque fois que du Directoire arrivaient des papiers importants destinés au Chinois, Népalino l’accompagnait au bureau du camp. Là, buvant d’un air important le café que lui apportait le staff, placé tout à coup au centre, devenu pour quelques dizaines de minutes qu’elqu’un d’indispensable, Népalino lisait les documents rédigés en danois et, avec sur le visage une gravité sans pareille, il les expliquait au Chinois. Et même si personne ne pouvait savoir si Népalino avait du chinois une connaissance bonne ou mauvaise, tout le monde savait parfaitement qu’il ne connaissait pas un mot de danois. »

Le récit n’est pas toujours chronologique, comme ils passent leur temps à tenter d’atteindre des contrées plus propices et à revenir au camp par nécessité pour recommencer à nouveau plus tard, le récit prend le même chemin d’éternel recommencement où les choses se répètent sans progresser. C’est ce qu’Andreï Ivanov appelle son écriture mimetique. Elle reflète avec une belle maîtrise, l’ambiance de ce qui est raconté.

Dans une interview, l’auteur explique qu’il s’agit d’une trilogie et que cette trilogie est composée d’un roman picaresque, d’un roman d'apprentissage et d’une confession. «Le Voyage d'Hanumân» est donc le roman picaresque. Il faut reconnaître qu’il coche bien toutes les cases et c’est dans cette esprit qu’il faut le lire. Hanumân est le personnage picaresque par excellence. Mais quelle trilogie? Nous n'avons que le voyage d'Hanumân. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé que d’autres romans aient été édités, ni en français, ni en anglais. Quel dommage !

Les Editions du Tripode, qui ont édité ce tome en 2016 n’ont jamais publié la suite et semblent même l’avoir oublié au point de ne plus savoir eux-mêmes ce qu’elles ont édité, cf leur propre page où ils le présentent comme un roman graphique !!! 8 ans, ce n’est pas si long quand même pour oublier un de leurs bons écrivains.

J’aurais tant voulu lire  la suite! Le style est magnifique, Ivanov est un auteur d’une qualité littéraire incontestable. Dans une interview, il n'hésite pas à se prévaloir de Joyce, Céline, Miller, Nabokov... et il a raison. De plus, il parle sur les immigrés illégaux dont il a fait partie, un discours cru, vrai, et dénué de tout angélisme comme de tout reproche. Cela n’a peut-être pas plu… Encore un grand écrivain que nous ne lirons pas. Alors, que s’est-il passé ?  


978-2370550996


23 septembre 2024

 PALMARÈS ETE 2024

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Médaille supersonique sidérale météoritique

LA BELETTE :  31 titres!!!


Médailles de diamant

14 Titres : INGANNMIC  


Médailles d'or

9 titres :  JE LIS JE BLOGUE


Médailles d'argent

6 titres : DASOLA,  LA GEEKOSOPHE,  SIBYLLINE


Médailles de bronze

5 Titres : KATHEL,  KEISHA,  MAPERO


Médaille de chocolat

4 Titres :  MARA,  MISS SUNALEE,  TADLOIDUCINE


Médailles de caramel

3 Titres :  ATHALIE,  JU LIT LES MOTS,  SANDRION,  VIOLETTE


Médailles de meringue

2 titres : AUDREY,  DAME IDA,  ENNA,  EVA,  FANJA ,  LIVR'ESCAPADES


Médailles de barbe à papa

 1 titre : ANNE,  ANNE-YVES,  CHRISTW,  PASSAGE A L'EST,  PATRICE,  SACHA, 


BRAVO A TOUS !!

Tous les blogueuses et blogueurs cités s'afficheront maintenant dans ma liste de blogs amis =>

que je vais bientôt remettre à jour

A l'année prochaine !

22 septembre 2024

 Voici l'automne.

Le Challenge des Pavés de l'été 2024 est terminé !

Bravo et merci à tous les participants

à ce jeu qui demande des efforts 

et où il n'y a rien à gagner.😊

Bientôt, ici même, le palmarès.

Fantastique histoire d'amour

de Sophie Divry

****+


Une histoire passionnante racontée à presque deux voix. Les chapitres "Bastien" alternent avec les chapitres "Maïa", et je dis presque parce que les chapitres "Bastien" sont à la première personne et ceux "Maïa" à la troisième.

Bastien, inspecteur du travail doit se rendre dans l'entreprise Plastirec où un accident atroce vient d'avoir lieu: un ouvrier a été broyé dans la compacteuse. Bastien doit même pénétrer lui aussi dans l'horrible machine pour procéder aux contrôles.

Maïa, journaliste scientifique va être virée de son magazine au premier prétexte venu, mais principalement pour "réduire la masse salariale". Il lui faudra vivre en faisant des piges et cela ne rapporte guère. Elle est contactée par sa tante, scientifique de haut niveau, spécialiste des cristaux scintillateurs, qui travaille au CERN à Genève et qui a un service à lui demander.

Tous deux, entre deux âges, sont célibataires, ce qu'il vivent plus ou moins bien (mieux du côté de Maïa) et bientôt en position professionnelle incertaine. Ils ne se connaissent pas, mais ce que la tante de Maïa a à lui demander et qui est ultra secret, a un rapport direct avec l'accident de Plastirec. Ils ne le savent pas encore, mais leurs vies à tous deux vont être totalement bouleversées et même mises en danger par cet effroyable accident du travail. Sans parler du violent coup de foudre qui va les frapper, prévisible chez Bastien, beaucoup moins chez Maïa.

Et à part cela? Plein de méchants très décidés, de dangers mortels, de fuites, de poursuites, de menaces mondiales, de secrets plus ou moins bien gardés, plus ou moins trahis, de rebondissements! Un vrai thriller, intelligent et captivant, au rythme maintenu jusqu’à la dernière page, mais où l’on parle aussi d'ornithologie: "Notre ouïe est plus lente que la voix de l'alouette. Il est impossible pour nous, sauf au ralenti, d'entendre tous les sons qu'elle chante. Elle émet quatre cents sons à la seconde. Nous, on peut à peine en distinguer quarante." (déclaration fascinante qui me semble ouvrir des vastes horizons sur ce qu'est le temps) et même de religion (dadas de l'une et de l'autre).

Des personnages bien campés, avec un passé, des réflexions intéressantes sur la vie, l’amour, la religion, les relations aux autres. Sophie Divry a toujours cette jolie écriture qui m'avait séduite dans ses romans précédents : "Il y avait tellement de livres que souvent, bien qu'elle fut une habituée, elle se cognait à une étagère nouvellement apparue - et qu'on aurait dit surgie par bouture à partir d'une précédente." et "un ordre alphabétique légèrement dodécaphonique". Mais Sophie Divry écrit aussi parfois des choses étranges et qui me laissent songeuse. "Il était rasé de si près qu'il semblait s'être procuré sa tondeuse dans un pays totalitaire." ??? Plus loin, "un bruit élégant et imperceptible" (je crains qu''il ne faille choisir). Et alors, si on parle cuisine, dans une scène, le père de Maïa prépare des artichauts avec un épluche-légumes et vraiment, je n'arrive pas du tout à visualiser ce qu'il peut bien leur faire. Mais si c'est une nouvelle recette, elle m'intéresse.


Keisha l'a lu aussi.

978-2021538090



19 septembre 2024

La couleur des sentiments

de Kathryn Stockett

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- Grand prix des Lectrices de Elle 2011

Ce roman dort dans ma PAL depuis des années et des années. La lecture en était déjà prévue pour les Pavés de l'été, mais l’année dernière! Ca ne s'était pas fait, mais cette année, en y ajoutant le Petit Bac, il fallait que j'agisse. Cette procrastination n'avait que trop duré. Et je l'ai fait, je l'ai lu mais, j’ai remis à plus tard la rédaction du billet, et un peu plus... je ratais le coche encore une fois! Cet excellent roman ne méritait vraiment ni cet excès d'ho(rr)eur ni cette indignité. Il est temps de conclure.

Jackson, Mississippi, début des années 60, la ségrégation raciale y bat encore son plein comme nulle part ailleurs et quoi que puissent dire les nouvelles lois. Martin Luther King n'a pas encore été tué, au contraire, il s’apprête à déclarer qu'il a un rêve, devant le Lincoln Memorial à Washington, D.C. Quelques voix noires commencent à s'élever, soutenues par quelques blancs aussi, mais pas à Jackson. A Jackson, vous seriez massacré pour la moindre apparence de sympathie pour cette cause. A Jackson, la ségrégation la plus stricte s'applique, qu'elle soit affirmée à coups de fusils ou de battes de baseball, ou qu'elle soit simplement appliquée dans les moindres détails de la vie quotidienne. Blanc et noirs ne peuvent partager ni lieux d'éducation ou de culte, ni hôpitaux, ni magasins, ni quartiers, ni bibliothèques où les livres pour noirs sont sévèrement censurés, ni vestiaires, ni toilettes, Il suffit d'être blanc pour faire partie des nantis, ou noir pour faire partie des domestiques, puisqu'on ne peut plus dire esclaves. Mais les "dames" blanches à la conscience tout à fait tranquille, sont dans le déni et se chargent de répandre la doxa selon laquelle tout cela est ce qui convient le mieux pour tout le monde. Parmi elles, Skeeter est à ce point innocente que, comme elle veut devenir écrivaine, lui vient l'idée de faire raconter par les bonnes noires, comment elles sont traitées chez les blancs qu'elles servent. Tout le monde sait bien qu'il ne faut pas faire ça, et Skeeter elle-même réalise peu à peu les risques que son initiative fait courir à toutes celles qui acceptent de collaborer avec elle, c'est le chômage définitif sans aides qu'on risque, l'attaque nocturne de sa maison et le lynchage, la mort peut-être. Mais les choses sont lancées, Le mouvement des Noirs se fait entendre au loin, en arrière plan, et surtout, une fois que les langues ont commencé à se délier, tout sort.

Parallèlement, mais moins fort, on aperçoit les autres oppressions, les petits garçons à qui on apprend dès six ans à tuer des animaux à mains nues, les filles dressées à séduire et à se vendre, les maris violents, l’homosexualité complètement taboue, la violence partout contre celles et ceux qui ne rentrent pas dans le moule (la scène du médecin lors de la fausse couche est une pure horreur).

Un roman vraiment indispensable qui parle d'humanité, de femmes faibles mais fortes, d'hommes qui, même bienveillants, renoncent rarement à jouir des avantages qu’ils ont, si abusifs soient-ils. Wikipédia m'apprend que "The help" (titre original) a été refusé par soixante agents littéraires sur une période de trois ans, avant d'être publié en 2009 mais qu'il a immédiatement été un énormissime succès (comment les éditeurs font-ils pour manquer à ce point de flair?) "En août 2011, les ventes totales, toutes éditions confondues, sont estimées à sept millions d'exemplaires." et ça continue.

Plaisamment présenté partout comme "Le premier roman de Kathryn Stocket", mes recherches ne m'ont pas permis de trouver qu'elle en ait publié d'autres.


PS : L'oiseau moqueur de Harper Lee est plusieurs fois évoqué (encore un qui se languit dans ma PAL)...

978-2330026691



15 septembre 2024

Billy Summers 

de Stephen King

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Pas d'horreur, ni de terreur dans ce roman de Stephen King, pas non plus de science fiction, pas de fantôme, et strictement aucun élément irrationnel. "Billy Summers" serait plutôt un thriller, mais un thriller lent.

Billy Summers ex-tireur d'élite de l'armée est devenu tueur à gages, l’un des meilleurs en fait, mais comme il éprouve le besoin de s'auto-justifier, il n'acceptera pas de contrat si vous ne lui avez pas d'abord assuré que la victime est "un méchant". Quelques anecdotes sur la vilenie de la cible sont aussi nécessaires qu'un salaire élevé. Après... Billy ne va pas non plus jusqu'à vérifier que ces anecdotes sont exactes, mais leur évocation suffit à calmer sa conscience. Billy qui a déjà une longue carrière derrière lui songe à prendre sa retraite et on lui propose justement une prime tellement mirobolante pour un nouveau contrat, qu'il estime que cela lui permettrait de le faire. Et il accepte, encaissant dès sa réponse donnée, un acompte somptueux.

On l'installe dans un bureau dans un immeuble face au palais de justice. Il devra abattre une crapule sur les quelques mètres qui sépareront le fourgon de l'entrée du tribunal. Comme on ne sait pas du tout à quelle date aura lieu le procès, il faut que Billy puisse attendre longtemps, devenir familier de tous dans cet immeuble surveillé, sans éveiller le moindre soupçon. Il sera prévenu au dernier moment. On lui a fait une "couverture", il sera un écrivain qui vient tous les jours à ce bureau pour ne pas se laisser distraire du roman qu'il doit absolument terminer rapidement. Cette couverture amuse les truands car Billy est plutôt un type un peu simple, mais il est connu pour sympathiser facilement avec tout le monde et c'est ainsi que le camouflage fonctionne parfaitement. La planque dure des semaines, des mois, il est devenu familier à tous et personne ne se méfie de lui. Pour occuper son temps libre et comme il dispose d’un ordinateur, Billy raconte un peu ses mémoires, puisqu'il est écrivain et à sa grande surprise, il se prend tout de suite au jeu et écrit pendant des heures avec beaucoup de facilité et de plaisir. Bientôt, il ne pourra plus envisager vivre sans écrire, chose que personne n'avait prévue, même pas lui. Et voilà que S. King se met à nous parler de l’écriture en même temps que de meurtres...

« Il a commencé à écrire du point de vue de Billy l’Idiot, mais c’est devenu autre chose (…) c’est peut-être ça l’effet de l’écriture lorsque ça compte vraiment. (…) Billy se met à taper sur les touches, lentement d’abord, puis en accélérant. Autour de lui l’été s’écoule. »

Il y a encore une chose qu'il faut savoir au sujet de Billy, c'est qu’au même titre qu'il a des réserves d'argent, d'armes ou de faux papiers dissimulées en divers endroits "en cas de coup dur imprévu", il a considéré depuis le début qu'il était bon que tout le monde sous-estime considérablement ses capacités intellectuelles. En fait, Billy Summers n'est pas du tout l'homme bas du QI que tout le monde suppose et cela lui donne une bonne mesure d'avance sur tous, amis ou ennemis.

La cible finit par arriver et Billy tire. Après, rien ne se passe plus comme prévu.

Un roman captivant qui m'a énormément plu, avec une excellente psychologie des personnages, une vie et un savoir faire propre à Stephen King qui peut nous faire croire à n'importe quoi avec une parfaite apparence de réalisme. Les personnages, qu’ils soient secondaires ou principaux, ont tous une vraie épaisseur et une vitalité frappante. On les "voit" tous. Une histoire qui prend son temps, nous installe bien confortablement et nous emmène où elle veut. On est vraiment encore une fois immergé dans ce monde qu'il a créé pour nous. C'est ça que Stephen King sait faire et c'est encore pleinement le cas cette fois. Ce titre, ce thriller lent, va faire partie de mes King préférés.

On parle d'une adaptation au cinéma et je n'arrive pas à savoir si elle est faite ou non. Di Caprio serait dans le rôle de Billy Summers. C'est ok pour moi. Il conviendrait parfaitement. Je ne suis pas du tout cinéphile, je ne sais pas si je verrai ce film mais à l'occasion, pourquoi pas? Par à l'occasion, je veux dire s'il passe sur une chaîne et que je ne suis pas obligée d'aller au cinéma. Je l'ai dit: je ne suis pas cinéphile, de toute façon, même quand j'aime les versions vidéo, je préfère toujours la lecture et mes images à moi.


Relevé :

« Dans le monde entier, des livres inachevés -des mémoires, des poèmes, des romans, des méthodes infaillibles pour maigrir ou devenir riche- attendent dans des tiroirs car ce travail est devenu trop lourd pour les personnes qui essaient de le porter, alors elles l’ont reposé. »


« Le temps passe. Il a un don pour ça. »

978-2226460332




 Attention!

Le Challenge des Pavés de l'été 

se terminera dimanche prochain!

Le 22/09 à minuit

Dépêchez-vous d'envoyer vos derniers liens. 😉

11 septembre 2024

L’eau du lac n'est jamais douce

de Giulia Caminito

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Le récit nous est fait à la première personne par Gaïa qui nous raconte son enfance. Née dans la banlieue de Rome, dans une famille très pauvre d'un père ouvrier travaillant au noir dans le bâtiment. Elle a trois frères (merci la très proche Radio Vatican qui, non contente d'empoisonner tout le monde de ses ondes toxiques, veille à la non maîtrise du contrôle des naissances). Ils n'ont pas de logement et le livre commence par la scène épique que sa mère Antonia va faire dans les bureaux de la mairie pour tenter d'en arracher un pour sa famille. Loin de la soutenir dans ce combat difficile, GaÏa estime que sa mère se donne en spectacle et a honte.

« Je la juge et ne lui pardonne pas. »

Bientôt le père tombe d'un échafaudage, reste paralysé, et, n'étant pas déclaré, n'a droit a aucune aide. Antonia se met à faire des ménages avec une efficacité féroce et pointilleuse. Antonia est une femme dure et fière qui n'a qu'une idée en tête: faire vivre sa famille, bien élever ses enfants.

« Celle qui tient seule les murs quand tout s’écroule, celle qui nous sort sur son dos de la maison en flammes. »

Son combat numéro un reste l'obtention si difficile en ces temps de passe-droits et de dessous de table, d'un logement décent. Elle finit par en obtenir un, mais pas à Rome même, dans sa banlieue, près du lac du titre, ce qui vaudra à Gaïa de nombreuses heures dans les transports pour aller étudier. Car Gaïa étudie, et pas trop mal, elle se sort mieux que ses frères de ce qui concerne l'école, si ce n'est des relations sociales.

Nous verrons ainsi grandir la petite fille, devenant une jeune fille dure comme sa mère, tendue vers un but qui est de réussir par les études et se heurtant à l'entrée dans les études supérieures au mur de la Reproduction mis en lumière par P. Bourdieu. On ne pouvait pas mieux l’illustrer.

Si au départ, à part la gène occasionnée par son reniement de sa mère dans les bureaux du logement, le lecteur se sent plein d'empathie pour cette gamine qui a un démarrage si difficile dans la vie, il prend peu à peu quelques distances en découvrant l'égoïsme et l'insensibilité, puis la violence que ces conditions difficiles ont développés en elle. On la plaint et on admire sa ténacité. Comme on dit, il faut qu’elle aille tout arracher avec les dents, mais on l'aime moins. Son frère deviendra un ouvrier militant anarchiste, sans qu'elle comprenne ses idéaux, sa mère mettra en elle tous ses espoirs de progression sociale sans qu'elle lui en soit reconnaissante, Gaïa ne conçoit que son propre point de vue et son propre intérêt et s’il comprend parfaitement comment ses conditions de vie difficiles et son héritage maternel l'ont amenée là, le lecteur prend néanmoins ses distances avec la personnalité dure et égoïste qui voit ainsi le jour. Sa mère, bien qu’incapable de déléguer ne serait-ce qu’un peu de ses pauvres pouvoirs pour s’en faire une alliée, poursuit elle aussi bille en tête. Deux parcours parallèles qui auraient eu besoin de se fondre pour n’en faire qu’un.

C’est un récit âpre et sans douceur. Jamais rien n’est facile pour Gaïa, sans même que les mieux nantis qui l’entourent ne s’en rendent compte. Non, rien n'est doux dans cette histoire qui est finalement l'histoire de la malédiction qu'est la misère.

978-2351788875


07 septembre 2024

 L'oreille interne 

de Robert Silverberg

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Quatrième de couverture:

"David Selig, Juif new-yorkais d'une quarantaine d'années, se considère comme un raté. Il est pourtant télépathe et pourrait profiter de ce don pour faire fortune, conquérir - et garder ! - les plus belles femmes... Mais non, rien à faire, il estime être un monstre tout juste bon à faire le nègre sur des devoirs d'étudiants, incapable de réussir sa vie. La dernière preuve en date : ce talent qu'il déteste tant, mais qui est finalement son seul lien avec le reste de l'humanité, est en train de le quitter ! Apeuré à l'idée de se retrouver seul avec lui-même, Selig nous conte sa misérable existence."

Ce qu'i faut savoir en ce qui concerne ce roman, c'est qu'en dehors du fait que le narrateur est télépathe, il n'y a rien qui le rattache au domaine de la Science Fiction ou de la fantasy. Il n'est pas mauvais non plus de savoir qu'il n'y a ni aventures, ni suspens, ni même action. Nous dirons que c'est un roman psychologique. Nous suivons le personnage principal qui nous raconte comment à la suite d'on ne sait quel caprice de la génétique, il est né avec un don supposé ne pas exister: il lit dans les pensées des humains proches de lui aussi clairement qu'il les voit de ses yeux. Tout de suite, il a le réflexe de dissimuler son don. D’abord, pour ne pas être jugé « différent » et rejeté par ses camarades, puis plus tard, de crainte de devenir cobaye pour scientifiques. 

On pense tout de suite que c'est un sacré avantage, et c'en est un, effectivement, mais passé l'insouciance de l'enfance, notre télépathe opte pour une vision dépressive du monde et de sa "différence" et loin d'utiliser son don au mieux de ses besoins ou désirs, il sombre dans l'auto-apitoiement de l’homme inadapté car différent et refuse d'en tirer partie. Il végète ainsi dans une vie qui lui assure juste les revenus nécessaires à sa survie à New-York (il se fait payer par des étudiants pour leur faire leurs devoirs même les plus ardus en leur garantissant au moins un B). David est très cultivé et Silverberg voit là l'occasion de nous refiler quelques uns de ses propres devoirs de fac (Kafka, Euripide etc.) in extenso. Personnellement, je les ai lus sans déplaisir (je suis du genre que tout intéresse), mais franchement, ça n'avait rien à faire dans un roman de SF. Ça n'avait aucun rapport avec le reste et on ne peut pas dire que ça ne ralentissait pas le rythme déjà bien pépère.

Nous voyons notre David Selig qui après avoir passé la première partie de sa vie à médire du don inespéré qui lui était échu, va passer le moment que nous lisons avec lui à constater avec terreur et regret son affaiblissement, puis le reste de sa vie à regretter sa disparition. Et nous, on pense à tout ce qu’il aurait pu faire… Soupir.

Bref, notre télépathe aurait mieux fait de mieux saisir les vertus du carpe diem.

Donc, ce roman de la première période Silverberg est plutôt un roman psychologique qu'un roman de SF. Il n'est d'ailleurs pas désagréable à lire. Tout cela est plutôt bien vu et bien raconté. Le style est séduisant Franchement, je l'ai lu sans déplaisir, mais il y a quand même tromperie sur la marchandise



978-2070319374

03 septembre 2024

L’île du Point Némo

de Jean-Marie Blas de Roblès

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480 pages, pas 500 ! 😛

« Tout se passe, dit-elle en préambule, comme s’il n’y avait qu’une seule histoire à raconter, un seul récit dont certains pans ressurgissent par bribes, se complètent ou se nient au fur et à mesure qu’ils affleurent à la mémoire. La longue approche en hélice d’un cœur sombre qui ne se laisse deviner que par la récurrence de motifs obstinés et mystérieux. »


COM-PLE-TE-MENT foutraque, ce roman ne saurait manquer de séduire les esprits aventureux et légèrement déjantés (et pas bégueules car certaines scènes sont carrément offshore).

On s'en aperçoit dès les premières lignes. Rien ne colle. Holmes n'est pas Sherlock et le monde tout autour n'est ni celui d'aujourd'hui, ni celui d'hier, ni celui de demain. Alors on reconsidère la lecture qu'on vient de commencer et on reprend.


Nous sommes dans un univers steampunk qui s’accommoderait on ne peut mieux d'un traitement en bande dessinée. Martial Canterel à la fortune illimitée et ne perdant jamais son esprit hautement clairvoyant bien qu''il soit en permanence drogué jusqu'aux yeux, s’attelle à un mystère hautement incompréhensible. Des pieds droits dépourvus de leurs corps sont retrouvés en Angleterre. Ils portent tous une chaussure luxueuse de marque tout aussi totalement inconnue que leurs précédents propriétaires : Martyrio. C’est pour obtenir ses lumières sur ce troublant mystère que Holmes est venu consulter Canterel, mais voilà que le mythique diamant jaune de Lady MacRae a été volé en son coffre réputé inexpugnable et que la dame (anciennement liée -très- à Martial) demande leur aide pour le retrouver. Et c’est ce qui jette nos héros dans une aventure tout à fait hors normes et imprévisible

Pour être imprévisible, elle le sera. Nous ferons le tour du monde à pied, en voiture, en car, train, aéronef, bateau, sous-marin et j’en oublie. Nous travaillerons des heures dans une usine chinoise délocalisée en France pour goûter aux méthodes non orthodoxes du riche Wang, Nous irons découvrir le pouvoir des lectures à haute voix dans les manufactures de cigares cubains. Nous traverserons les steppes en train et seront attaqués par des brigands sanguinaires mais néanmoins philosophes. Nous chercherons le Point Némo (le trouverons-nous?). Nous serons roulés, trahis ou sauvés. Nous naviguerons. Il y aura une mutinerie à bord, il y aura des explosions, des amours tragiques, des femmes qui dorment trop et trop profondément, des hommes qui boivent trop. Des scènes problématiques, voire gênantes. Des gens très riches, des gens très pauvres, de l’héroïsme, de l’abus de faiblesse, de la révolte, de la surexploitation d’humains, des vilénies abjectes, de l’héroïsme d’une pureté exceptionnelle, de l’amour sans limite, de la haine illimitée… Il y aura tout et même, trop. Trop de tout dans une totale démesure.

Ça sent le Jules Vernes, le Ponson du Terrail, le Connan Doyle, le Dumas, le Eugène Sue, le Lovecraft etc. Il y a des clins d’œil dans tous les sens. Toutes les envolées romancées les plus audacieuses ont leur écho ici. Bref, un joyeux foutoir qui cache une structure romanesque complexe mais totalement maîtrisée.

J’adore. Mais ça ne peut pas plaire à tout le monde. C’est normal, et ça n’est pas un problème.


"Des solutions, Professeur, lesquelles? Continuer à faire comme si Dieu n'était pas mort depuis deux cents ans? Comme si les sciences pouvaient se suffire à elles-mêmes pour convoquer une éthique? Comme si les états offraient encore une once d'espérance? Comme si le capitalisme, le marxisme ou les autres idéologies globales n'avaient pas montré leur incapacité à assurer le bonheur des peuples? Comme si l'écologie pouvait être autre chose qu'une simple prise de conscience individuelle? Comme si la guerre et la paix ne s'étaient pas dissoutes en une malveillance continue?"

978-2843049309