11 septembre 2024

L’eau du lac n'est jamais douce

de Giulia Caminito

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Le récit nous est fait à la première personne par Gaïa qui nous raconte son enfance. Née dans la banlieue de Rome, dans une famille très pauvre d'un père ouvrier travaillant au noir dans le bâtiment. Elle a trois frères (merci la très proche Radio Vatican qui, non contente d'empoisonner tout le monde de ses ondes toxiques, veille à la non maîtrise du contrôle des naissances). Ils n'ont pas de logement et le livre commence par la scène épique que sa mère Antonia va faire dans les bureaux de la mairie pour tenter d'en arracher un pour sa famille. Loin de la soutenir dans ce combat difficile, GaÏa estime que sa mère se donne en spectacle et a honte.

« Je la juge et ne lui pardonne pas. »

Bientôt le père tombe d'un échafaudage, reste paralysé, et, n'étant pas déclaré, n'a droit a aucune aide. Antonia se met à faire des ménages avec une efficacité féroce et pointilleuse. Antonia est une femme dure et fière qui n'a qu'une idée en tête: faire vivre sa famille, bien élever ses enfants.

« Celle qui tient seule les murs quand tout s’écroule, celle qui nous sort sur son dos de la maison en flammes. »

Son combat numéro un reste l'obtention si difficile en ces temps de passe-droits et de dessous de table, d'un logement décent. Elle finit par en obtenir un, mais pas à Rome même, dans sa banlieue, près du lac du titre, ce qui vaudra à Gaïa de nombreuses heures dans les transports pour aller étudier. Car Gaïa étudie, et pas trop mal, elle se sort mieux que ses frères de ce qui concerne l'école, si ce n'est des relations sociales.

Nous verrons ainsi grandir la petite fille, devenant une jeune fille dure comme sa mère, tendue vers un but qui est de réussir par les études et se heurtant à l'entrée dans les études supérieures au mur de la Reproduction mis en lumière par P. Bourdieu. On ne pouvait pas mieux l’illustrer.

Si au départ, à part la gène occasionnée par son reniement de sa mère dans les bureaux du logement, le lecteur se sent plein d'empathie pour cette gamine qui a un démarrage si difficile dans la vie, il prend peu à peu quelques distances en découvrant l'égoïsme et l'insensibilité, puis la violence que ces conditions difficiles ont développés en elle. On la plaint et on admire sa ténacité. Comme on dit, il faut qu’elle aille tout arracher avec les dents, mais on l'aime moins. Son frère deviendra un ouvrier militant anarchiste, sans qu'elle comprenne ses idéaux, sa mère mettra en elle tous ses espoirs de progression sociale sans qu'elle lui en soit reconnaissante, Gaïa ne conçoit que son propre point de vue et son propre intérêt et s’il comprend parfaitement comment ses conditions de vie difficiles et son héritage maternel l'ont amenée là, le lecteur prend néanmoins ses distances avec la personnalité dure et égoïste qui voit ainsi le jour. Sa mère, bien qu’incapable de déléguer ne serait-ce qu’un peu de ses pauvres pouvoirs pour s’en faire une alliée, poursuit elle aussi bille en tête. Deux parcours parallèles qui auraient eu besoin de se fondre pour n’en faire qu’un.

C’est un récit âpre et sans douceur. Jamais rien n’est facile pour Gaïa, sans même que les mieux nantis qui l’entourent ne s’en rendent compte. Non, rien n'est doux dans cette histoire qui est finalement l'histoire de la malédiction qu'est la misère.

978-2351788875


3 commentaires:

  1. Ce titre est éligible au monde du travail, c'est sûr (il me fait d'ailleurs un peu penser à D'Acier, de Silvia Avallone, que je viens de terminer). Pour l'activité sur la ville, je te laisse en juger, est-ce que l'environnement urbain y occupe une place importante, en matière de descriptions ou de réflexions ? Et pas la peine de redéposer ton lien sur mon blog, je le récupère !

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  2. Même si ca rend le personnage moins attachant, je trouve rafraichissant le parti pris des femmes dures et égocentriques ici. Souvent, ce sont les hommes qui sont décrits ainsi, alors qu'ils n'en ont pas l'apanage.

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