27 septembre 2024


Le Voyage d'Hanumân

de Andreï Ivanov

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 C'est l’histoire de deux types qui débarquent au Danemark et découvrent l'Occident à la fin des années 90. L'un, Hanumân, est originaire d'Inde, l'autre, Johan, le narrateur, d'Estonie. Ils sont amis, ils sont en situation irrégulière et n’ayant nulle part où aller, ils se retrouvent dans un camp de la croix rouge. Ce n’est n'est pas un camp fermé. Ils peuvent en sortir comme ils veulent d’autant que, même là, ils sont clandestinement. Ils peuvent aller où ils veulent et revenir, et c'est ce qu'ils font. Mais tant qu'ils ne sont pas contrôlés du moins. C’est pourquoi leurs expéditions sur les routes sont des parties de cache-cache. La peur de la police qui les reconduira à la frontière est leur principal moteur. Même au camp ils sont en situation irrégulière, car ceux qui y séjournent sont censés attendre que leur demande d’asile soit examinée, eux ont déjà été refusés plusieurs fois et n’ont même plus le droit de se trouver là. Partageant discrètement la chambre d’un camarade dans le baraquement, ils dorment la fenêtre ouverte hiver comme été, prêts à foncer dans les champs voisins s’il y avait un contrôle nocturne.

Ils sont jeunes, et quoique de nationalité différente, ils ont tous deux reçu une éducation d’inspiration soviétique. Ils ne savent rien du monde occidental en dehors des aides et subsides qu’ils peuvent en espérer. Ivanov ne brosse pas d’eux un portrait flatteur. Il les montre prêts à tout, profiteurs, immoraux, aisément agressifs, consommateurs d’alcool et de drogues, potentiellement dangereux, potentiellement utilisables aussi par la société si elle se décide à leur trouver une place, tout va se jouer là. Pour l'instant, ils sont venus pour prendre, pas pour donner. mais ça peut changer. Hanumân avait des attentes. Il se rêvait dans l’île de Lolland qu’il imagine comme un paradis sur terre. Il s’imagine ayant fait fortune grâce à une de ses idées originales. « Son rêve était le suivant : que ceux qui lui crachaient dessus en face ou dans son dos, voient un jour le monde s’illuminer tout entier de son sourire radieux, placardé dans tous les autobus, les tramways, les gratte-ciel, adressé à tous depuis tous les écrans : « Hello, c’est moi, Hanumâncho ! » Mais il n’arrivait pas à trouver quoi que ce soit, dans ce nid de vi^ère, qui puisse le rapprocher de la réalisation de ce reve. » (...) « il glissait sur le monde pratiquement sans laisser de trace, car il n’arrivait pas à avoir prise sur une vie qui se dérobait, échappait à ses mains comme une soie incroyablement fine. Cela le mettait au désespoir, il souffrait et détestait encore plus le monde entier. »

Plus encore que du Danemark et de Lolland, il rêve des USA. Johan, le narrateur estonien qui se fait passer pour russe, n'a aucune attente précise si ce n'est de ne surtout jamais retourner à l'Est et de ne jamais être identifié. Personne ne sait son vrai nom. Il se cache si soigneusement qu’on peut même se demander s'il n'est pas un droit commun recherché pour un crime. Il s’est lié avec Hanumân d’une sorte d’amitié rude qui durera ce qu’elle durera et, n’ayant aucune préférence de destination, il le laisse décider de leurs déplacements.

Johan, qui raconte leurs pérégrinations, montre le décor sordide et leur entourage misérable et aussi impitoyable. Andreï Ivanov qui a séjourné dans les camps de réfugiés, a fait une moisson méticuleuse de ce qu’il y a vu et vécu et c’est ce fonds qu’il utilise dans son roman. On est loin d’une vision détachée et angélique des choses. Il y a des histoires atroces, et pas de « gentil » (même lui). On est en plein dans la misère matérielle et mentale la plus cruelle. Comment survivre quand on n’a ni connaissances (même pas celle de la langue), ni relations, ni droits, ni un seul sou de revenu. Tous deux connaissent des crises de dépression profonde et même des attaques de paranoïa, mais en même temps, il y a des éclairs d’un humour amer, mais drôle quand même : « Chaque fois que du Directoire arrivaient des papiers importants destinés au Chinois, Népalino l’accompagnait au bureau du camp. Là, buvant d’un air important le café que lui apportait le staff, placé tout à coup au centre, devenu pour quelques dizaines de minutes qu’elqu’un d’indispensable, Népalino lisait les documents rédigés en danois et, avec sur le visage une gravité sans pareille, il les expliquait au Chinois. Et même si personne ne pouvait savoir si Népalino avait du chinois une connaissance bonne ou mauvaise, tout le monde savait parfaitement qu’il ne connaissait pas un mot de danois. »

Le récit n’est pas toujours chronologique, comme ils passent leur temps à tenter d’atteindre des contrées plus propices et à revenir au camp par nécessité pour recommencer à nouveau plus tard, le récit prend le même chemin d’éternel recommencement où les choses se répètent sans progresser. C’est ce qu’Andreï Ivanov appelle son écriture mimetique. Elle reflète avec une belle maîtrise, l’ambiance de ce qui est raconté.

Dans une interview, l’auteur explique qu’il s’agit d’une trilogie et que cette trilogie est composée d’un roman picaresque, d’un roman d'apprentissage et d’une confession. «Le Voyage d'Hanumân» est donc le roman picaresque. Il faut reconnaître qu’il coche bien toutes les cases et c’est dans cette esprit qu’il faut le lire. Hanumân est le personnage picaresque par excellence. Mais quelle trilogie? Nous n'avons que le voyage d'Hanumân. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé que d’autres romans aient été édités, ni en français, ni en anglais. Quel dommage !

Les Editions du Tripode, qui ont édité ce tome en 2016 n’ont jamais publié la suite et semblent même l’avoir oublié au point de ne plus savoir eux-mêmes ce qu’elles ont édité, cf leur propre page où ils le présentent comme un roman graphique !!! 8 ans, ce n’est pas si long quand même pour oublier un de leurs bons écrivains.

J’aurais tant voulu lire  la suite! Le style est magnifique, Ivanov est un auteur d’une qualité littéraire incontestable. Dans une interview, il n'hésite pas à se prévaloir de Joyce, Céline, Miller, Nabokov... et il a raison. De plus, il parle sur les immigrés illégaux dont il a fait partie, un discours cru, vrai, et dénué de tout angélisme comme de tout reproche. Cela n’a peut-être pas plu… Encore un grand écrivain que nous ne lirons pas. Alors, que s’est-il passé ?  


978-2370550996

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